Jesse Owens, le coureur qui défia les nazis

Jesse Owens, le coureur qui défia les nazis
Élise Fontenaille
Rouergue, 2020

Courir, comme si la terre était en feu

Par Anne-Marie Mercier

Certes, Jesse Owens, athlète noir, petit-fils d’esclave, est resté dans l’Histoire pour avoir remporté quatre médailles d’or aux JO de Berlin de 1936 : ces Jeux auraient dû, pour Hitler et Goebbels, être la manifestation de la supériorité de la race aryenne. Mais plus que de l’Allemagne nazie, il est question dans ce livre de l’Amérique de la ségrégation : l’enfance du héros est marquée par les restes de l’esclavage, la peur, le travail, la pauvreté, jusqu’à ce qu’il soit remarqué par un entraineur, se hisse au sommet de la gloire, pour être renvoyé ensuite à sa condition de pauvre : l’Amérique même a eu honte de son champion…
Le récit, bref, sans pathos, est porté par toute l’histoire de ce temps, peu glorieuse des deux côtés de l’océan, par un beau portrait d’homme, simple et volontaire, et par la révélation d’un secret et d’une amitié : un beau chemin à parcourir sans se presser, en méditant chaque épisode, exemplaire.
Et si la réponse à la question posée par Alma (voir chronique précédente) était en partie dans le documentaire?

 

 

Billie H.

Billie H.
Louis Atangana
Rouergue, 2014

L’enfance du Jazz

Par Anne-Marie Mercier

Billie H. c’est Eleanora Holiday, pas encore devenue la Billie Holiday que l’on connait ; elle ne le devient qu’à la fin du livre, repérée dans un club par celui qui lui fait enregistrer son premier disque pour la Columbia, John Hammond. Le récit de Louis Atanga, fondé sur des biographies de la chanteuse retrace l’enfance d’une adolescente noire et pauvre, à Baltimore, puis New York, en lui donnant un fil conducteur classique en littérature de jeunesse, la quête du père : musicien, il les a abandonnées et a « refait » sa vie après avoir goûté à la liberté à Paris, pendant la guerre de 14-18.

C’est aussi – et c’est un aspect  plus intéressant du récit–, le portrait de nombreux destins noirs dans l’Amérique de la ségrégation. Les filles sont les plus mal loties et Billie subit tout, avec amertume et révolte : c’est un portrait d’héroïne malmenée par la vie mais digne et fière. De nombreux thèmes présents dans ses chansons sont ainsi esquissés. La narration passe rapidement sur les moments sombres (prostitution, prison…) pour s’attarder sur les rencontres de Billie avec le jazz, dans la rue, dans les clubs, dans sa voix.

La voix de Billie Holiday, sa manière de chanter, l’« âge » de sa voix (elle semble avoir 30 ans dans sa voix alors qu’elle n’en a que 18 quand sa carrière débute) sont évoqués avec précision, attention, musicalité enfin. Le récit, rédigé en une forme syncopée, avec de nombreuses phrases nominales, reprises, ellipses, imite le rythme de la chanson jazz, et garde un bon tempo qui donne envie de réentendre la « Lady Day » de cette époque ou de plus tard.

Sweet Sixteen

Sweet Sixteen
Annelise Heurtier

Éditions Casterman, 2013

They have a dream: one day…

Par Matthieu Freyheit

Sweet sixteenLes éditions Casterman le présentent comme « La couleur des sentiments pour les ados ». Comme si la littérature de jeunesse nécessitait toujours et encore un référent adulte pour asseoir sa valeur. Comme si un roman sur la ségrégation raciale en équivalait nécessairement un autre… Le roman d’Annelise Heurtier n’a pourtant rien à envier au comparant qu’on lui impose.

Dans Sweet Sixteen, aucune Blanche bienfaitrice ne vient au secours des pauvres Noirs désemparés et avilis. Les choses sont désespérément et violemment plus complexes. Inspiré de faits réels, le roman reprend l’arrêt de la Cour Suprême « Brown versus Board of Education » sous l’influence duquel Noirs et Blancs pourront désormais (nous sommes en 1954) fréquenter les mêmes établissements d’enseignement. Un arrêt de la Cour Suprême ne suffit cependant pas à calmer les réticences (un euphémisme coupable : parlons plutôt de rage insensée) des ségrégationnistes majoritaires dans le sud du pays. À Little Rock, en Arkansas, neuf ‘élus’ se préparent à une rentrée mouvementée. Mouvementée ? Encore un euphémisme pour ce véritable cataclysme de sentiments vécu par les intéressés. De rejet en insultes, d’humiliations en violences, l’auteure restitue l’atmosphère psychologique engagée par ces bouleversements. Et pour faire entendre des voix différentes, elle propose de donner intelligemment la parole à deux personnages successifs. Molly Costello fait partie des neufs étudiants Noirs à faire sa rentrée au milieu de deux mille cinq cents Blancs. Grace Anderson fait partie des deux mille cinq cents Blancs. Belle et populaire, elle assiste à l’humiliation des neufs Noirs à la fois victimes et héros du processus d’intégration. De quoi faire cheminer en elle un sentiment resté jusque là silencieux. Et le silence, Annelise Heurtier le maîtrise. Silence de la rage et de l’angoisse qui se partagent la jeune Molly. Silence des interrogations que se fait Grace à elle-même, sans pouvoir les adresser à personne. Silence des deux jeunes filles entre lesquelles si peu de mots sont échangés. Silence du lecteur enfin, dont l’estomac se tord à son tour devant ce que l’auteure a voulu être non pas « une leçon d’histoire, conforme en tous points à la réalité, mais [une retranscription de] la brutalité des jours que Melba Patillo et ses huit autres camarades ont endurée au Lycée central », précise-t-elle dans son avant-propos.

Au cœur de ces silences, Annelise Heurtier ne laisse de place à aucun cliché. Aucune fausse amitié. Aucun sentiment d’héroïsme : seul le désir de survivre à l’enfer des autres. Le personnage de Grace Anderson permet notamment à l’auteure de prendre le contrepied de beaucoup d’autres romans. Nullement éclairée ou en lutte contre son monde, la jeune fille connaît un développement progressif et d’autant plus crédible, qui confère à l’ensemble du récit une grande intelligence.

Voilà, en somme, un roman à conseiller à toutes et à tous. Adolescents et adultes, sans distinction. Et, surtout, enseignants qui y trouveront une formidable occasion d’évoquer une part d’histoire (et d’esprit) souvent oubliée des programmes de littérature.