Le Prince Daucus Carota, fiancé-légume

Le Prince Daucus Carota
Thomas Perino

Seuil jeunesse, 2011

Le fiancé-légume

par Anne-Marie Mercier

Le Prince Daucus Carota.gif« Librement inspiré d’un conte d’ Hoffman », cet album propose une histoire gentiment loufoque, celle d’une princesse financée par erreur, non pas à un animal mais à un légume. Passionnée par son potager, Annette trouve un bel anneau d’or sur une carotte, l’essaye; il lui arrive la même mésaventure qu’au personnage de La Vénus d’Ille de Mérimée : elle est liée au propriétaire de l’anneau.

Les réactions successives de la jeune fille et les tentatives de son entourage pour la délivrer sont surprenantes et drôles. Les illustrations très colorées et très expressives ajoutent au charme et à l’humour de l’ensemble.

L’histoire est inspirée de très loin (« librement », certes) par la nouvelle de E.T.A. Hoffmann, Le petit Zachée, assez complexe, où le méchant est un radis féériquement modifié…

En fait, elle est bien plus proche de l’opéra d’Offenbach qui s’en inspire également et en donne une version très simplifiée, Le Roi Carotte, créé au théâtre de la Gaité, le 15 janvier 1872 (livret de Victorien Sardou). Le Roi Carotte, souverain des légumes, avec l’aide de la fée Coloquinte cherche à renverser le Roi Fridolin XXIV et à épouser sa fiancée, Cunégonde.

11 contes des îles

Thierry Delahaye
11 contes des îles

Flammarion jeunesse, 2011

D’île en île – comme de texte en texte

par Dominique Perrin

 

Des dieux « pêcheurs d’îles » de la mythologie japonaise à la fiction documentée de Dumas sur l’île d’If, de l’épopée des Argonautes aux embardées des quêteurs de trésor de Stevenson, des explorations irlandaises de saint Brendan au dernier coup d’éclat du gouvernement des Maldives – en passant, bien sûr, par le mythe des Atlantes, le roman de Robinson Crusoe, l’histoire nourrie de mythes de l’Ile de Pâques, les relations de voyages plus ou moins véridiques touchant à Tahiti, et de façon moins attendue, aux amazones habitantes « d’un grand fleuve du Brésil »… les « 11 contes des îles » présentés par Thierry Delahaye ont tout de passionnant, pour le collégien comme pour le lecteur le plus aguerri.
La diversité des personnages, des lieux et des temps n’a ici d’égale que la diversité de statut des récits rassemblés, d’abord présentés sur un mode encyclopédique puis rendus sur un mode plus ou moins littéraire, toujours avec une grande concision. C’est là que se loge, du moins au premier abord, une forme de déconvenue pour qui se fie au titre de l’ouvrage : la narration n’est en fait jamais celle du conte au sens propre du terme, et la condensation extrême appliquée en particulier à l’épopée des Argonautes apparaît fort dépoétisante. A l’usage pourtant, l’intérêt du recueil est précisément ailleurs : dans une approche quasi documentaire de l’ensemble des récits évoqués, dont la juxtaposition permet, parmi des perspectives historiques, géographiques, culturelles et anthropologiques extrêmement variées, une fort belle réflexion sur la diversité de leurs sources et de leur statut épistémologique – entre mythe, littérature, témoignage et archives.

Les Enfants du Dieu soleil

Les Enfants du Dieu soleil
Odile Weulersse

Casterman (épopée), 2001

La mythologie égyptienne est-elle soluble dans la littérature de jeunesse?

par Anne-Marie Mercier

Les enfants du Dieu soleil.gifLes histoires des dieux de l’Égypte ancienne, autrefois présentées sous forme de plusieurs récits autonomes (on se souvient de la belle collection « Contes et légendes » de Nathan), sont ici réunies en un roman par Odile Weulersse, bien connue pour ses romans historiques.
La création du monde, la séparation du ciel et de la terre, la naissance des dieux, le meurtre d’Osiris et la quête d’Isis, tout cela forme une saga présentant une certaine unité. C’est à la fois le mérite et la limite de cette entreprise qui propose une lecture continue de textes d’époques et d’origines diverses. Une annexe en fin de volume permet de rétablir une perspective historique. Ainsi on donne au lecteur à la fois la possibilité d’une lecture naïve et d’un recul critique. L’ensemble est assez réussi, même si le projet est discutable, accentuant par trop l’aspect « histoire familiale » des mythes au détriment de leurs autres aspects.
Cela n’en fait  pas une épopée comme pourrait le faire croire le titre de la collection qui regroupe bizarrement aussi bien des textes qui s’en rapprochent comme l’Iliade et l’Odyssée que des textes pour lesquels on ne peut qu’être perplexe : Pinocchio, Sindbad le marin, etc. le terme de « classique » aurait sans doute mieux convenu mais ce serait moins bien inscrit dans les programmes de 6e du collège… Le nom de la collection dans laquelle il a paru en 2007, « les romans des légendes » (Pocket), était mieux choisi.
Ces remarques peuvent s’étendre à d’autres types d’oeuvres, les adaptations d’épopées. En effet, la plupart (je pense entre autres au cycle du Graal repris par Montella et à l’Odyssée de Honacker) opèrent un transfert de genre en adaptant : l’épopée se fait pour l’un roman d’aventures et d’amour, pour l’autre roman fantastique, et pour les deux, roman de formation : l’épopée ne serait-elle plus (ou pas) soluble en littérature de jeunesse? Voilà une belle question pour un colloque!

Mille Petits Poucets

Mille Petits Poucets
Yann Autret et Sylvie Serprix

Grasset jeunesse, 2011

l’infini du conte

par Anne-Marie Mercier

1000 Petits Poucets.gifYann Autret a choisi de broder sur le conte de Perrault en le prenant comme point de départ : un couple pauvre a trop d’enfants ; la femme, méchante, exige que son mari les en débarrasse. Seulement voilà, les enfants connaissent l’histoire du Petit Poucet et tout se passe à l’envers du résultat escompté. Cette version fantaisiste est un peu légère mais elle est assez joliment illustrée par des pastels gras très colorés et expressifs et une typographie qui imite celle des livres anciens.

Le Duc aime le dragon

Le Duc aime le dragon
Chun-Liang Yeh et Valérie Dumas

HongFei, 2011

Chengyu

par Christine Moulin

chun-liang yeh,valérie dumas,dragon,chine,fable,art,réalité,philosophie,christine moulinUn chengyu est une formule de quatre mots, une expression proverbiale porteuse de sagesse. Dans cet album, nous avons le droit à deux histoires, deux fables, qui illustrent deux chengyu, sur le thème des dragons. L’un, « Duc Ye aime le dragon », nous parle de l’opposition entre l’image que nous nous faisons de quelque chose et ce qu’elle est vraiment; l’autre, « peindre la pupille sur l’oeil du dragon », nous parle de la puissance de l’art, du risque que doivent savoir prendre les génies; les deux réfléchissant aux rapports entre le réel et sa représentation.

Dans notre époque qui privilégie les illusions de l’apparence, qui nous pousse parfois à nous laisser nous aveugler par la séduction de nos chimères, mais qui en même temps foule aux pieds la grandeur de l’art et de la culture, leur refuse toute efficacité, tout poids concret dans nos vies, nous avons besoin de cette philosophie décalée dans le temps et dans l’espace, de sa fausse simplicité, du message qu’elle nous apporte, qui retentit en nous, une fois le livre refermé. Les illustrations riches, colorées, drôles parfois, participent de ce dépaysement salvateur.

C’est avec ce genre de lecture que l’on expérimente ce que c’est que de s’enrichir au contact d’une autre culture et en quoi il est vital de permettre aux civilisations de se rencontrer.

Trois histoires de la Belle et la Bête racontées dans le monde

rois histoires de la Belle et la Bête racontées dans le monde
Mme Leprince de Beaumont/Fabienne Morel et Gilles Bizouerne
Illustrations de Aurore Petit et Delphine Jacquot
Syros (Tour du monde en poche), 2010

variations

Par Anne-Marie Mercier

La collection « Le tour du monde d’un conte » qui existe en version plus épaisse, propose en format poche (entre 4 et 5 €) des version abrégées de ces volumes. On donne ici 3 à 4 versions d’un même conte, la version de référence des programmes scolaires étant confrontée à des versions de pays différents. La collection est dirigée par la conteuse Fabienne Morel et placée sous le patronage d’une spécialiste du conte, Nicole Belmont, qui participe au choix des textes et collabore également aux volumes à travers des postfaces. Celle qu’elle propose ici (issue du volume de la collection  principale) retrace brièvement les caractéristiques des types de contes présents dans le volume, leurs sources, les versions les plus célèbres, et leurs significations symboliques (ici, entre autres, la « rude leçon » donnée aux jeunes filles sur la vraie nature du mariage).

Le texte de Mme Leprince de Beaumont est donné en texte intégral et les versions norvégienne (« A  l’est du soleil et à l’ouest de la lune ») et japonaise (« le Choja escargot ») sont réécrites par Fabienne Morel et Gilles Bizouerne, conteur lui aussi. L’écriture est soignée, claire et précise, le rythme enlevé. Les illustrations sont simples et belles. L’ensemble est de grande qualité et rendra certainement  service aux enseignants, tout en offrant un regard comparatiste à tous les amateurs comme aux enfants lecteurs ou auditeurs de contes.

Dans la même collection au format poche sont parus Blanche-Neige, le Petit Poucet, Le Chaperon rouge. Barbe Bleue, Cendrillon, publiés dans la collection principale ne le sont pas encore en poche.