Un peu, beaucoup, à la folie…

Un peu, beaucoup, à la folie…
Catherine Sanejouand
Thierry Magnier, 2011

 

C’est même chose que d’aimer et d’écrire1,

par Christine Moulin


catherine.jpg

A hauteur de petite fille, mais cela ne change rien, bien sûr, c’est l’histoire d’un amour, de l’amour. Le plus terrible qui soit.

L’écriture de Catherine Sanejouand, fragmentaire, faussement blanche, est de celles qui « font battre le cœur » (l’auteur la décrit d’ailleurs assez bien  : « Trois petits mots bleus posés comme il faut au milieu d’un grand rectangle blanc ») : les phrases se succèdent, précises, justes, et tout d’un coup, jaillit une surprise, qui fait définitivement voir les choses autrement, qui fait reconnaître une émotion, et qui bouleverse : oui, c’est cela, c’est tellement cela…

Du coup, on en voudrait presque à cette collection, qui n’en peut mais, de ne publier que des textes courts car, même si l’on aime les formes brèves, parfois, peu, ce n’est presque pas assez.

(1) : Christian Bobin, Lettres d’or.

Le garçon qui volait des avions

Le garçon qui volait des avions
Elise Fontenaille,
Rouergue, Doado, 2010

 

L’enfant sauvage, nouvelle génération !

par Maryse Vuillermet

garcon-qui-volait-avions.jpg

12.00

Normal
0

21

false
false
false

FR
X-NONE
X-NONE

/* Style Definitions */
table.MsoNormalTable
{mso-style-name: »Tableau Normal »;
mso-tstyle-rowband-size:0;
mso-tstyle-colband-size:0;
mso-style-noshow:yes;
mso-style-priority:99;
mso-style-qformat:yes;
mso-style-parent: » »;
mso-padding-alt:0cm 5.4pt 0cm 5.4pt;
mso-para-margin-top:0cm;
mso-para-margin-right:0cm;
mso-para-margin-bottom:10.0pt;
mso-para-margin-left:0cm;
line-height:115%;
mso-pagination:widow-orphan;
font-size:11.0pt;
font-family: »Calibri », »sans-serif »;
mso-ascii-font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:minor-latin;
mso-fareast-font-family: »Times New Roman »;
mso-fareast-theme-font:minor-fareast;
mso-hansi-font-family:Calibri;
mso-hansi-theme-font:minor-latin;
mso-bidi-font-family: »Times New Roman »;
mso-bidi-theme-font:minor-bidi;}

Elise Fontenaille explique qu’elle lit beaucoup la presse américaine. Elle y trouve des faits divers et les sujets de ses romans. Celui-ci a été écrit en trois jours trois nuits. J’avais parlé dans une note précédente de Chasseurs d’orages, mon avis était un peu mitigé. Mais cette fois, je suis conquise.


Le personnage principal, Colton, l’Indien ou le coyote, vit entre Vancouver et Seattle, une zone d’îles et de forêts. C’est un enfant sauvage, nouvelle génération. Elevé par une mère alcoolique et abandonné par son père qui avait tenté de l’étrangler, il cherche refuge dans la forêt, il se distrait en volant dans les résidences secondaires, des pizzas, puis des appareils photos électroniques, puis des bateaux, des voitures et même des avions.
Il ne commet aucune violence, mais il vit de larcins. Il est très est attachant parce qu’il est totalement révolté, désespéré et surdoué : il sait conduire, utiliser des ordinateurs, c’est ainsi qu’il communique avec sa mère, et surtout survivre seul pendant deux très longues années de cavale.


La bonne Amérique ne peut tolérer cette liberté, cette absence de règles, elle est sur les dents. Des milices s’organisent et traquent l’enfant comme un gibier, prêtes à tout pour préserver ses biens superflus, bateaux, avions privés et résidences secondaires. C’est donc une charge contre l’Amérique bien pensante et la violence des « chiens humains ». C’est aussi la revanche d’un enfant pauvre et libre sur les riches enchainés à leurs préjugés et à leurs richesses, revanche d’autant plus insupportable que Colton devient la vedette de Face Book, il a 40 000 fans qui admirent son courage et son insolence.
Deux alliées, une éducatrice et la policière qui va l’arrêter apportent un peu de tendresse et de compréhension à l’enfant perdu.


Le dispositif d’écriture est efficace. Pour éviter des descriptions ou portraits trop longs, chaque chapitre correspond à un événement précis ou à un personnage et l’introduction ressemble à une didascalie de théâtre ; exemple : « Une femme, la trentaine, petite, ronde… ». C’est rapide, ça suit la cavale de l’enfant qui ne tient pas en place.
Je profite de cette note pour dire que la collection Doado des éditions du Rouergue est de très grande qualité. Les auteurs que je l’ai lus récemment, Ahmed Kelouaz, Sylvie Deshors, Elise Fontenaille, Stéphane Servant, Arne Swingen écrivent des romans pour adolescents bien écrits, sur des sujets délicats et originaux. Je suis toujours heureuse de découvrir un nouveau titre.

Bjorn aux armées, I

Bjorn aux armées, I
Thomas Lavachery

Ecole des loisirs (medium), 2010

Le retour d’un héros de fantasy

par Anne-Marie Mercier

BjornauxarméesI.gifCe Bjorn est un héros de fantasy fort attachant : après 5 volumes, il captive toujours. Je me souviens qu’en 2007 (sur Sitartmag, voir ci-dessous) je disais grand bien de la fin de la tétralogie de Bjorn aux enfers et du volume qui avait ouvert le cycle (Bjorn le morphir), un peu moins de ce qui avait été publié entre les deux. Ainsi, il me semblait avoir fait le tour de la question et j’ai ouvert avec un certain retard le premier volume du nouveau cycle d’aventures, « Bjorn aux armées », sans grand enthousiasme, me disant que j’allais trouver du même, sans doute en moins bien.

C’est un peu pareil, mais ça reste très bien. Du côté du pareil : on est chez les Vikings, peu après l’an mil : autant dire que l’entourage est rude. Il y a des humains et quelques peuples tirés des mythologies du Nord ou inventés par l’auteur. Un peu de magie, des dragons, un fantôme… Le tout tenu par une écriture simple mais pas simpliste, précise, et de nombreux dialogues. Les personnages, nombreux, ne sont pas d’une grande complexité psychologique, ni les situations, mais bon, on n’est pas chez les Vikings pour se compliquer la vie, déjà que l’intrigue rebondit sans cesse.

Du côté du différent : on n’est plus dans les aventures d’un petit groupe face à des créatures infernales, ni dans un espace imaginaire, mais dans ce qui ressemble à une geste médiévale. Une invasion étrangère menace le pays et le roi qui avait envoyé Bjorn en mission aux enfers n’a plus que quelques jours à vivre quand il désigne le « Jarlal », le chef de guerre qui doit diriger les armées sur terre et sur mer. On devine que, à la surprise générale – qui est  aussi celle du lecteur, tant le point de vue de Bjorn est convaincant dans ce récit à la première personne – c’est le héros de quinze ans qui est désigné. Il a beau être devenu riche et puissant après avoir vaincu les créatures infernales, être un « morphir » (lire le premier volume), posséder en cachette un dragon de première classe, avoir une parfaite guerrière pour « fiancée », et être très aimé de ses parents et amis, il a un doute sur ses capacités. D’autres aussi, d’ailleurs. Tout cela le rend sympathique, comme son amitié avec des personnes d’autres races, des « demi-humains », des Trolls… joyeusement peu raffinées.

Le récit des manoeuvres des uns et des autres, de la stratégie de Bjorn et des différentes batailles n’ennuie pas, au contraire : on suit avec intérêt l’édification de son personnage de chef d’armées. Les scènes de veille ou de lendemain de combat font un peu images d’Epinal (un côté napoléonien ?), ce n’est pas sans charme. La touche de fantastique est présente dans ce volume de façon plus discrète, mais reste séduisante.

Enfin, les nombreuses péripéties font qu’à la fin du volume Bjorn a tout perdu, au moins provisoirement, même son épée (magique), même son dragon et le corbeau qui parle, et sa fiancée et tous les autres. Cela fait qu’on attend avec intérêt le(s) volume(s) suivant(s) : on ne va tout de même pas laisser un héros, fût-il viking, dans cet état, non ?

 

Bjorn aux enfers (IV. La reine bleue), de Thomas Lavachery, Ecole des loisirs (medium), 2007

Si certains tomes précédents de cette série s’étaient avérés un peu décevants par rapport à la belle surprise qu’avait été le premier roman (Bjorn le morphir), ce volume qui clôt l’épisode des enfers est une réussite. On y retrouve les personnages qui accompagnent le héros dans sa quête, hétéroclites comme il se doit. La belle Sigrid, fiancée de Bjorn est toujours aussi courageuse et aimante, et Bjorn souffre pour elle mille maux ; ses autres compagnons ne manquent pas d’humour et agissent parfois de façon imprévisible, ce qui renouvelle l’intérêt.

Ici, ils arrivent enfin au royaume de Mamafidjar, personnage gigantesque et monstrueux, mais terriblement fleur bleue (ce qui le rend très dangereux). La peinture du monde des enfers, où les morts côtoient les vivants dans une ville gigantesque et en perpétuelle expansion, a beaucoup d’allure, avec de la poésie parfois et des trouvailles. La plupart du temps, les héros sont prisonniers, tantôt dans un bateau, tantôt dans un cachot, et c’est une bonne chose : l’action se resserre autour de petits événements, de rencontres, de suspens, de méditations (pas trop longues, qu’on se rassure) et de moments de terreur qui donnent à Bjorn une belle stature héroïque, physique et morale.

La fin du roman échappe aux conventions du genre. En effet, si la mission (sauver le prince Sven) est bien accomplie, on découvre qu’elle se révèle d’une nature assez problématique (ce qui fait imaginer une suite possible à cette série).

 

A. M. Mercier (février 2007)

 

 

Loin de la ville en flammes

Loin de la ville en flammes
Michael Morpurgo

Traduit (anglais) par Diane Menard
Gallimard jeunesse (hors série littérature), 2011

Adieux à Dresde (avec un éléphant)

Par Anne-Marie Mercier

Michael Morpurgo,Gallimard jeunesse (hors série littérature),guerre,bombardement,éléphant,handicap,allemagneMichael Morpurgo poursuit son exploration de la deuxième guerre mondiale en prenant cette fois le point de vue des civils et des vaincus : une famille de Dresde, la mère, la fille de 16 ans et le jeune garçon handicapé de 8 ans (le père est au front) fuit la ville bombardée… accompagnée, et c’est la touche de fantaisie de ce roman sombre, de Marlène, une jeune éléphante.

Presque tout le récit relate leur marche épuisante dans les bois, la faim, la peur et l’angoisse. En chemin, ils rencontrent un aviateur canadien et le sentiment de haine est suivi par l’entraide et même l’affection et l’amour, très progressivement. D’autres rencontres sont lumineuses : d’autres réfugiés, une vieille châtelaine, une chorale d’enfants… tous séduits par Marlène.

Cette histoire est celle de la narratrice, la jeune Lizzie. Agée, en maison de retraite, elle raconte cela à son infirmière et au fils de celle-ci qui a cru tout de suite à son histoire d’éléphant dans le jardin.

Et c’est bien la position du petit Karl que Morpurgo nous demande d’adopter, celle d’une suspension totale d’incrédulité, parfois difficile (un éléphant dans les neiges allemandes de février, on a un peu de mal…). C’est tout le paradoxe d’un conte de guerre cruel.

L’Aigle de la neuvième légion (Les Trois Légions, vol. 1)

L’Aigle de la neuvième légion (Les Trois Légions, vol. 1)
Rosemary Sutcliff

Traduit (anglais) par Bertrand Ferrier
Gallimard jeunesse (hors série littérature), 2011

Le retour du roman historique des années 50

Par Anne-Marie Mercier

aigle9e2.gifPour une fois, nous suivons l’actualité de près, la devançons même un peu, tout en plongeant dans l’Antiquité : le Péplum est de retour, et il est romano-Breton. Après le film Centurion de Marshal (2010) qui relatait la guerre des Romains contre les Pictes et le massacre de la 9e légion romaine, L’Aigle de la 9e légion, tiré du roman que nous évoquons ici prend son essor demain, 4 mai 2011, sur les écrans des cinémas français après avoir été un succès dans sa version originale.

En fait de nouveauté, c’est plutôt du réchauffé (mais du bon réchauffé !) que présentent les éditions Gallimard jeunesse en grand format, puisque le texte dont ce film est issu existait déjà en folio junior (2003), dans  l’édition française d’un roman anglais publié bien plus tôt, en 1954 (The Eagle of the Ninth). C’était le premier roman de Rosemary Sutcliff qui en a publié beaucoup d’autres du même genre (jeunesse, historique, antiquités anglaises). L’auteur est une célébrité, nommée officier de l’Empire britannique grâce à son oeuvre.

On trouve ici tout le charme et tous les problèmes du roman pour adolescent de ces années là, au temps où les jeux vidéos n’existaient pas, et la télévision à peine : le joli temps où les enfants avaient encore de longues après midi de pluie devant eux pour se plonger dans des aventures héroïques. Tout en étant un récit d’aventures avec tous ses ingrédients (suspens, chasses à l’homme) c’est aussi un livre où la nature est très présente et où l’on prend le temps de s’attarder sur l’évocation de la faune et de la flore, des nuages et de la pluie. Le livre prend son temps, n‘épargne pas les descriptions et les moments d’inactivité et d’attente, pour le héros comme pour le lecteur. Il ne craint pas non plus de décevoir l’un comme l’autre. Le livre ne cherche pas à caresser dans le sens du poil : le renoncement aux rêves y est un fil rouge discret mais insistant. On sent que la guerre n’est pas très loin, dans l’esprit de l’auteur comme de ses lecteurs. C’était aussi le temps de l’innocence.

eagle9e1.jpgAvant de creuser un peu cela, deux mots de l’histoire. Elle se caractérise par son caractère déceptif, dès le titre : cet aigle n’est pas un oiseau, ce n’est pas non plus la désignation du héros, c’est un objet, une aigle romaine qui guidait une légion. La 9e légion est pour les Anglais une légion mythique puisque, dit-on (mais d’autres disent que tout cela est faux…), elle disparut corps et biens au moment où les Romains, contraints d’abandonner la Caledonia, se replièrent derrière le mur d’Hadrien. Corps et biens ? Pas dans le roman, car dans cette histoire qui se passe une dizaine d’années plus tard, Marcus le romain et Esca le breton  partent à la recherche de l’aigle porte étendard de la 9e, et, avec cette aigle, à la recherche d’éventuels survivants.

Marcus est un jeune centurion dont le père appartenait à cette légion. Quête du père, donc, classique ; puis tentative de restauration de l’honneur du père, moins classique. Marcus est très vite grièvement blessé lors d’une action héroïque et en reste fortement handicapé : sa carrière militaire est brisée et son rêve, rentrer vite au pays pour y acheter une petite ferme, est anéanti. Un militaire handicapé et rêvant de paix, c’est original. Aussi, tout au long du roman on trouve un éloge permanent des valeurs militaires (honneur, obéissance, courage, amour de la patrie), ce qui fait qu’on ne sait pas toujours si on entend un soldat romain ou trois9e2.jpgun pilote de la RAF. Les éditions Alsatia avaient publié un autre roman anglais sur le sujet, Trois de la neuvième légion (1960)  dans la collection « Signe de piste », puis une BD (1971). Au passage, signalons qu’on sent venir dans les études en littérature de jeunesse, un regain d’intérêt pour le roman scout.

Les valeurs militaires sont tempérées par l’horizon auquel aspire le héros : la vie paisible dans une ferme avec sa famille, de bons amis et un chien. Ce chien idéal est ici un louveteau que Marcus élève, mais qu’il laisse à la maison lors de sa quête. C’est un autre point d’originalité et de déception pour un lecteur contemporain : on devine ce qu’un auteur moderne en aurait fait… Le militarisme est également tempéré par le fait que Marcus est en contact avec plusieurs personnes du camp « ennemi », celui des tribus révoltées contre Rome, et que leur cause apparaît juste. Il est accompagné par Esca, lui-même issu de ces tribus. L’idée d’Empire est très présente, avec des légions composées de soldats venus de toutes les provinces romaines (donc de toute l’Europe) et l’auteur exalte les vertus civilisatrices de Rome, tout en faisant un beau portrait des anciens Bretons. Ce n’est pas encore du politiquement correct, c’est du nationalisme aux vues larges.

Le personnage d’Esca illustre l’innocence des années 50 : prisonnier de guerre vendu comme esclave, gladiateur, il est racheté par Marcus qui le sauve ainsi de la mort. Vite affranchi, Esca devient son ami, son soutien, son alter ego. Cela évoque un autre « couple » célèbre de la littérature de jeunesse historique et antique de la même époque, celui d’Alix et Enak (la BD de J. Martin), mais ici l’auteur est une femme, née en 1920. Elle présente une relation très étroite entre deux jeunes gens de 20 ans qui dorment l’un contre l’autre pour se protéger du froid et sont presque tout l’un pour l’autre sans que rien ne frémisse. On est au temps de l’innocence, où la littérature de jeunesse pouvait quasiment tout oser sans que l’on « pense à mal ». Pas de fille, à part une toute jeune qui ne compte pas mais que le héros épousera à la fin. Autre amour, le louveteau : si les héros ont autour de 20 ans, ils ont un âge affectif de 11 ans.

L’âge du lecteur est ici problématique : les longueurs, le caractère déceptif et rude fait imaginer un lecteur plus vieux que les 11 ans proposés par Gallimard jeunesse. Cet âge cible est sans doute dicté par un souci de vente : il s’agit de capter le public des lecteurs de cycle 3 et de 6e, comme le suggère le cercle Gallimard de l’enseignement. http://www.cercle-enseignement.com/Ouvrages/Gallimard-Jeunesse/Folio-Junior/L-Aigle-de-la-9e-legion

L-Aigle-de-la-9e-legion_ouvrage_not_audio.gifLa couverture de l’édition Folio propose une image lumineuse et enfantine qui contraste fortement avec celle du grand format qui sort en ce moment. Sur la première, le héros semble avoir 12 ans, sur la deuxième, il en a plus de 20, ce qui est une vision plus juste. Cette photo du film est d’ailleurs proposée sur la jaquette ajoutée à l’édition folio. De l’une à l’autre, on voit tout le chemin que peut parcourir un roman historique pour la jeunesse, du public scolaire au grand public et le poids du marketing dans sa diffusion.

Le deuxième volume de la série, L’Honneur du centurion, est sorti dans la même collection, on en parlera prochainement. On y retrouvera la famille de Marcus, plusieurs générations plus tard, au moment où l’Empire se délite… (A suivre !)

Et vive la sociale!

Quand la révolte gronde
Anne Lecap

Flammarion Jeunesse, 2011

Et vive la Sociale !

par Maryse Vuillermet

quand la révolte gronde.jpgAnne Lecap nous fait revivre le printemps 36 à travers les yeux d’Emilie, jeune Ardéchoise venue travailler dans les grandes usines du Teil. Emilie y découvre le travail harassant des ateliers d’emballage, la camaraderie, la vulgarité et la brutalité des chefs d’ateliers et des patrons. Elle vit l’espoir formidable soulevé par les accords de Matignon, qui instaurent deux semaines de congé payé par an et la semaine de 48 heures. Elle participe à la grève de son usine pour les faire appliquer.

Le personnage d’Emilie devient vite attachant car elle est combattive, son père lui a enseigné la boxe et tout en étant jeune et effrayée, elle affronte ses peurs. Une intrigue liée à son oncle disparu à la guerre de 14 et réapparu sous les traits d’un homme de main de l’extrême droite et une tentative de meurtre durcissent et complexifient le tableau un peu idyllique de la classe ouvrière.

J’ai trouvé le début un peu manichéen mais je me suis vite laissée prendre au charme et au naturel du récit. L’immense espoir de progrès, la liberté de ces premiers congés payés nous touchent. Et je pense que c’est une façon vivante et incarnée de rappeler aux jeunes ce passé si proche mais dont la dureté parait si lointaine.

 

Oeuf

Oeuf
Jerry Spinelli, traduit par Jérôme Lambert

L’école des loisirs (neuf), 2010

Vous comprendrez

par Sophie Genin

9782211093385.gif

Oeuf, c’est l’histoire d’un garçon de 9 ans qui découvre, pendant une chasse à l’oeuf, le corps d’une adolescente, Primrose, qu’il croit morte.Oeuf, c’est l’histoire d’une famille hétéroclite qu’on se choisit pour survivre.

Si vous le lisez, vous comprendrez pourquoi un certain John Frigo pense que « ce n’était pas un hasard si tous trois formaient une sorte de famille ». Vous comprendrez comment deux inconnus, perdus, l’une sans père, l’autre sans mère, peuvent devenir amis, pourquoi une tortue violette peut être un souvenir secret, pourquoi on peut traiter sa mère – une voyante du dimanche aux pieds couverts de bagues- de « dingo », pourquoi, à 13 ans, on peut choisir de dormir dans un van sans roues, malgré les oeufs écrasés sur les vitres au matin, comment chasser les vers de terre et ce qu’est le « shopping de nuit ». Vous comprendrez surtout comment la vie, de rencontres en rencontres, de surprises en surprises, peut ressusciter l’espoir.

Il y a du Anna Gavalda, du Olivier Adam et du Claudie Galay dans ce roman : écorchés vifs qui n’auraient jamais dû se croiser, ils se rencontrent, la vie fait le reste et il n’y a plus qu’à lire…

Je suis un hikikomori

Je suis un hikikomori
Florence Aubry
Mijade (zone J), 2010

La Chute, vue d’enfance

Par Anne-Marie Mercier

Ce petit roman  évoque moins le fait de société évoqué par son titre (hikikomori  désigne les jeunes gens qui au Japon s’enferment dans leur chambre pendant des mois voire des années) qu’une situation poignante et pourtant  banale dans laquelle beaucoup d’adolescents se retrouveront. Le narrateur est un jeune garçon qui vit seul avec sa mère. Il est au début du récit enfermé dans sa chambre depuis plusieurs semaines, seul avec son ordinateur.  Il ne sort pas. Personne n’entre, la nourriture est déposée devant sa porte. Le récit de ce temps de retrait volontaire du monde est alterné par celui des événements parfois minimes qui ont amené cette situation, depuis son arrivé en ville au début de l’année scolaire, avec des évocations de sa vie d’avant, avec des copains, le chant des grenouilles, une vie heureuse jusque là.

Le point de départ est ordinaire : la solitude de celui qui arrive dans un nouveau lieux, de nouveaux groupes, les tentatives pour être remarqué, se faire des amis ; les amis, le point central est là : pourquoi certains en ont-ils et d’autres pas ? est-ce l’apparence, la voix, l’attitude, ou autre chose de plus mystérieux ? Enfin, c’est le sentiment de honte qui domine : la honte absolue, non pas celle d’un innocent accusé, ou d’un être dont on se moque, mais celle du traître, du lâche, de celui qui a perdu la face devant ses pairs  et qui a surtout perdu l’estime de soi. La fin du récit ouvre cependant vers un espoir de retour à la vie et à l’amour pour autrui à travers la fascination pour la légèreté et l’innocence d’une toute petite fille.

Il est rare  en littérature de jeunesse, domaine  où les héros doivent être des images acceptables pour le lecteur, d’entrer dans la peau d’un  narrateur placé dans une situation aussi désespéré par sa propre faute. Il est également rare de voir combien une mauvaise plaisanterie (on songe à Kundera, brièvement) peut provoquer de désastres : pour qui veut paraître  spirituel, la frontière entre le bon mot et la faute de goût ou l’erreur  fatale est souvent mince. La conjonction de deux thèmes très importants pour les ados et ceux qui le sont restés (les « jeunes adultes »), l’envie d’être populaire et la maladresse des propos et des situations fait de ce texte une belle exploration des difficultés de la relation aux autres.

Le roman de Sofia

Le Roman de Sofia 
Henning MANKELL

Flammarion (tribal), 2011

Vous avez dit …sens de la vie ?

Par Chantal Magne-Ville

 L’épaisseur de ce roman ne doit pas faire hésiter le jeune lecteur qui, dès les premières pages, se retrouve emporté par la vie de Sofia, une fillette qui a fui le Mozambique, et traverse des épreuves terribles. Que ce soit pendant sa longue rééducation pour réapprendre à marcher avec des béquilles après avoir sauté sur une mine, ou lors de l’agonie de sa sœur à cause du sida, Sofia fait front avec un appétit de vie étonnant. Le récit est passionnant grâce à l’art du suspense dont Henning Mankell fait montre d’habitude dans ses polars ; de plus, comme il vit en partie au Mozambique, il sait aussi rendre palpables les valeurs des plus démunis d’Afrique. Ainsi, par exemple, suivant les conseils d’une vieille voisine pleine de sagesse, l’héroïne ne cesse d’interroger le feu pour tenter de comprendre en quoi la pauvreté est une fatalité, ou bien quelles sont les conditions pour le bonheur, ou même comment la mort choisit ses victimes. Bien que certaines considérations plus philosophiques soient parfois un peu redondantes dans la dernière partie, le personnage de Sofia marquera fortement le lecteur, d’autant plus qu’elle existe réellement.

Pauline contre Humbaba et les sorcières amputeuses

Pauline contre Humbaba et les sorcières amputeuses
Sabrina Mullor
L’école des loisirs (Neuf), 2011

Le merveilleux pour apprendre le bonheur

Par Chantal Magne-Ville

Pour apprécier ce roman destiné à des enfants de 9 à 10 ans, il faut accepter d’entrer dans un monde merveilleux un peu surprenant, où Pauline, l’héroïne, découvre grâce aux révélations de sa propre tante, que chacun porte près du cœur un Noyau dur dans lequel de minuscules Porte-Elixir peuvent s’introduire pour lui révéler les beautés du monde. Ces créatures sont perpétuellement menacées par des sorcières amputeuses qui cherchent à se les accaparer sous les ordres de la plus terrible d’entre elles, Humbaba, (nom emprunté à la mythologie mésopotamienne du démon gardien de la forêt où vivent les dieux). Celle-ci vit dans un igloo où sont emprisonnés des milliers de Porte-élixirs aux noms aussi variés que chatoyants, que Pauline n’aura de cesse de libérer.  « Murmure des étoiles », l’élixir qui entre dans le noyau de Pauline fait que les étoiles deviennent ses alliées.

Contrairement à ce que pourrait laisser croire ce monde d’êtres minuscules et bigarrés, le récit ne tombe jamais dans la mièvrerie ni dans la joliesse, à cause de l’importance des enjeux. La traque perpétuelle menée par Humbaba, à qui la lune sert de loupe, tient le lecteur en haleine, ainsi que ses pouvoirs destructeurs : elle peut faire disparaître le noyau dur de chacun en le fragilisant peu à peu par l’amputation de ses élixirs, au point qu’il ne ressentira plus les beautés du monde. S’agit-il d’une métaphore de l’âge adulte ? Les sorcières amputeuses ne sont rien d’autre que  celles dont le cœur est demeuré blessé par les éclats de leur noyau perdu.

L’intérêt principal de l’histoire réside dans les valeurs défendues, notamment celle de la solidarité et du refus de l’ordre établi, et dans la poésie qui teinte cet univers dans lequel, par exemple, les  Porte-Elixir meurent en formant des aurores boréales, ce qui fait de cette histoire une espèce de métaphore de la vie.