Un éléphant dans un chapeau

Un éléphant dans un chapeau
Véronique Foz – Illustration Barroux
Møtus 2023

Papaoutai

Par Michel Driol

Pierrot rêve de devenir magicien dans un cirque. En se concentrant très fort, il parvient à faire apparaitre un coquillage, une souris dans la salle de classe. Quand il était petit son papa lui montrait des tours de magie jusqu’au jour où il a disparu. Dès lors, Pierrot n’a plus qu’une obsession : le faire réapparaitre. Mais la vraie magie existe-telle ou tout n’est-il que truc ? Sa sœur refuse de croire à ses pouvoirs, même quand il fait apparaitre un chat, un perroquet. Mais quand il fait apparaitre un éléphant dans la rue, c’est une autre histoire…

Drôle de titre qui cache une histoire pleine de délicatesse et de tendresse, racontée par un enfant à la fois naïf dans sa découverte du monde, et déterminé. Parler des pères absents, des familles monoparentales, avec autant de gravité que de légèreté, tel est le paradoxe de cet album qui révèle progressivement l’idée fixe de Pierrot, montre ses efforts désespérés de faire réapparaitre celui qui lui manque tant. Attachant, Pierrot l’est dans sa souffrance non dite, dans sa difficulté à être pris au sérieux dans sa famille, par sa sœur rationaliste, lui qui vit dans un imaginaire dont l’album dit les pouvoirs et la magie. L’une des grandes qualités du texte est d’être écrit, dans ses premières pages, au plus que parfait, temps rarement utilisé dans les albums jeunesse, ce qui introduit une distance entre le présent de la narration et un passé achevé. Puis on trouve de nombreux imparfaits, marquant l’habitude de Pierrot ou la durée du temps qui passe. Cet usage particulièrement riche et complexe des temps contribue à donner de l’épaisseur au personnage, à le construire justement dans le temps et pas seulement dans un présent qui finit par advenir, mais au bout d’un long processus, d’essais et d’erreurs, bref, d’un apprentissage. C’est cette question du temps que l’on trouve encore dans les propos finaux inachevés de la sœur « La prochaine fois… », dévoilant ainsi que les deux enfants partagent le même désir implicite, inavoué.  Ce texte fort est illustré avec brio par Barroux. Des dessins à l’encre noire, légèrement rehaussés de deux couleurs. D’une part des jaunes ou des ocres pour les décors, ou les autres personnages. D’autre part une utilisation bien particulière du rouge, rouge du cœur de Pierrot, rouge du mouchoir magique, rouge de l’avion ou du perroquet qui apparaissent, rouge aussi du pull du père. Ce rouge constitue comme un fil graphique reliant ces éléments propres à l’imaginaire de l’enfant. C’est par une autre technique que les derniers exploits de l’enfant sont montrés : à partir de collages utilisant des plans d’architecture (où l’on peut lire façade, pignon…), comme pour dire qu’après l’ébauche des plans viendra la réalisation, le grand œuvre, la réapparition possible du père…

Tout cela est-il réel ? Est-il le fruit de coïncidences ? Faut-il croire aux pouvoirs de la magie ou à ceux de l’imaginaire ? Voilà un bel album qui agite ces questions pour parler, avec tact et sensibilité, du désir profond d’un enfant de revoir son père.

Jean Poil et Poiss-Kai

Jean Poil et Poiss-Kai
Anne Bailly, Marianne Barcilon
Kaléidoscope, 2023

Ami-Ami

Par Anne-Marie Mercier

Il est des amitiés improbables (comme dans l’album de Rascal, Ami-Ami) : ici il s’agit de celle qui finit par s’installer entre un chat et un poisson. Le chat, Jean Poil a pour caractéristique d’être toujours grognon, de mauvais poil quoi. Il est comique de retrouver dans ses traits des expressions que Marianne Barcilon donne à son héroïne, Mademoiselle princesse. Enfin, il incarne l’enfant solitaire et bougon qui n’aime rien ni personne.
Il y a bien des étapes à cette amitié et et le poisson, qui porte fièrement le nom de Poiss Kai doit jouer un peu le rôle de Shéhérazade pour maintenir l’attention du chat (il a en réserve de jolies blagues) et le convaincre qu’avec lui il ne connaitra plus l’ennui et la solitude.
L’amitié, ça se construit, nous dit-on, ça se gagne, et parfois l’un y a plus d’intérêt que l’autre, du moins au début.

Le jour le plus long

Le jour le plus long
Ronan Badel
Sarbacane, 2023

Avoir dix ans, en été : pour faire le portrait d’un oiseau…

Par Anne-Marie Mercier

Ce jour le plus long de juin, qui est aussi le jour des 10 ans du petit Charles, a une allure de paradis d’enfance. La couverture nous entraine dans un jardin, près d’une petite maison. Couleurs de matin frais, petit déjeuner préparé dehors par le grand-père, premier cadeau… Ce cadeau plonge Charles dans un rêve de Cow-Boy : c’est un lance-pierre. Son grand père lui fait une démonstration d’adresse comme le ferait un tireur de far west et lui-même, tout en s’entrainant, se rêve en Jimmy Beauregard, Kid fameux vêtu d’une chemise à carreaux. Le jardin devient vaste plaine, tout est en place pour le rêve, sauf le tireur : Charles n’atteint aucune cible durant toute la journée, jusqu’à ce qu’il utilise la dernière pierre, qui frappe une mésange et la tue. Ce tir malheureux marque la fin du jour, mais aussi la fin de l’enfance et de l’innocence :
« Charles a dix ans, c’est un grand maintenant. Pourtant, debout sous les branches entre chien et loup, il ne s’est jamais senti si petit ».

Au soir, il reçoit d’autres cadeaux : ballon de foot, une boite « avec de vrais outils, des petites peintures en cubes [de l’aquarelle] et un carnet de dessins ». Le reste de l’été se passe dans le bonheur de ces objets et on peut croire d’abord que la mésange est oubliée: Charles peut se rêver en champion de foot, construire une cabane pour les oiseaux… au dernier jour, il décide de dessiner des oiseaux dans son carnet. C’est à cette étape que l’on voit Charles se racheter de son geste malheureux, tout en le répétant : chaque oiseau visé par son crayon s’envole avant qu’il puisse le saisir sur son carnet, jusqu’au moment où une mésange vient à lui…
Les aquarelles de Ronan Badel sont délicates et drôles et semblent raconter leur propre origine : l’artiste nous livre-t-il un souvenir de sa propre enfance ? En tout cas c’est une enfance merveilleusement rendue qui évoque avec bonheur ses éternels étés, sans mièvrerie.

Coricoco

Coricoco
Charline Collette
Seuil jeunesse, 2023

Les travailleurs de l’aube

Par Anne-Marie Mercier

Que se passe-t-il avant que le coq chante ? Rien, dirait l’enfant qui dort et pour lequel la nuit est un domaine inconnu sinon interdit. Dans ce petite album carré, Charline Collette montre toute l’activité qui se déploie, un peu partout : la bergère en montagne, la gardienne de phare, le pêcheur, le pompier, la postière au tri, et bien d’autres, sur les marchés, dans les cultures, à l’hôpital, sur la route ou dans les rues de la ville… et bien sûr l’éboueur et le ou la boulangère, figures les plus connues du travail à l’aube.
Le texte énumère chaque situation en courtes phrases écrites en cursive sur la page de gauche tandis que celle de droite accueille de superbes images à fond perdu dans lesquelles les couleurs vives de vêtements ou de véhicules tranchent sur le noir de la nuit, qui devient de plus en plus bleue, jusqu’au jaune éclatant du réveil de l’enfant qui découvre cette belle lumière dans les bras de sa mère sans avoir rien vu de tout cela… contrairement au lecteur.
C’est une belle évocation de métiers sur fond de nuit. Tous sont beaux et dignes, utiles, comme cet album. La nuit est ainsi habitée et sans doute rassurante.

Le Livre des « Je veux ! »

Le Livre des « Je veux ! »
Soledad Bravi
L’école des loisirs (loulou et cie), 2023

Et des merci ?

Par Anne-Marie Mercier

Je veux… un câlin, une histoire, être porté, un bonbon, encore un… Je veux pas dormir, pas manger, etc. La litanie proposée par Soledad Bravo rappellera bien des choses à chacun. La série d’images montrant l’enfant seul et trépignant, avec parfois une portion de corps d’adulte au visage trop lointain pour qu’il apparaisse dans le cadre laissent entrevoir une possible solitude.
Mais une double page au milieu de cette série montre l’enfant et sa mère ensemble devant les livres ; une conclusion introduit un dialogue minimal, la demande par la mère d’un accompagnement aux « je veux » : un merci et un s’il te plait.
Rien d’autre, pas de morale : le jeune lecteur est face à la situation qui lui présente un miroir assez fidèle de lui-même.

La Petite Famille à fourrure

La Petite Famille à fourrure
Margaret Wise Brown, Garth Williams (ill.)
Traduction (anglais) de Lou Gonse
MeMo, (Les grandes rééditions), [1946], 2023

Une berceuse pour l’enfant

Par Anne-Marie Mercier

À quoi tient le charme de ce livre, et de bien d’autres de la même collection (comme Une Chanson pour l’oiseau (1958), du même auteur, chroniqué sur lietje par François Quet) ou tirés de l’oubli par d’autres éditeurs (je pense entre autres à La Famille Dodo (1966) et à Lou et l’agneau , réédités par Didier jeunesse dans la collection « Cligne cligne », en 2019.
Un des premiers traits serait celui de l’évocation de la sécurité : Cette petite famille à fourrure, mi ourse mi hibou, est bien enveloppée dans ses manteaux de poil, chaussée de bottes à poils et bien à l’abri « au chaud dans un arbre en bois », au milieu du bois sauvage.
Un autre trait serait celui de la simplicité : redondances (l’arbre en bois), répétitions (tout est soit sauvage soit en fourrure), banalité et répétition des événements. Chaque double page propose une étape d’un récit simple et linéaire : après son bain, l’enfant part dans le bois (sauvage), y rencontre son grand-père, d’autres animaux (sauvages), en attrape certains pour les relâcher, puis revient juste avant la nuit. Sa mère vient à sa encontre et lui donne un repas ; il se couche. Pour l’endormir ses deux parents lui chantent une chanson en se tenant par la main et en tenant la sienne :

« Dors, dors, notre petit enfant à fourrure,
Loin du sauvage,
Loin de l’obscur,
Dors dans ta fourrure bien au chaud
Toute ta nuit d’enfant,
Dans ta petite famille à fourrure.
Et voilà la chanson. »

Les images, charmantes, aux angles arrondis et aux couleurs douces,  montrent le petit ours découvrant le monde, le museau à ras de terre ou levé vers le ciel, parcourant seul le « bois sauvage » avant de retrouver son refuge, entouré par l’affection de ses parents, du matin au soir ou plutôt du soir au matin. Indépendance, rencontres et découvertes, et une petite chanson pour s’endormir après tout cela, n’est-ce pas une image de l’enfance heureuse?.

 

La Vie secrète des émotions

La Vie secrète des émotions
Tina Oziewicz, Aleksandra Zajac
Traduit (polonais) par Lydia Walerysak
La Partie, 2023

Des émotions vivantes

Par Anne-Marie Mercier

Les auteurs ont publié le bel album intitulé « Nous, les émotions » chez le même éditeur en 2021. Cet ouvrage rompait déjà de manière intéressante avec la masse des ouvrages souvent médiocres traitant de ce sujet, produits pour répondre à la demande des programmes de maternelle. On voyait dans ce premier album un vrai style graphique, différents niveaux de gris en crayonnés sur fond blanc, des émotions variées (le courage, la honte, la confiance, la colère…) ayant toutes un air de famille avec leur forme patatoïde hirsute. On découvrait chacune de ces émotions-personnages en action, illustrant ainsi la notion de manière simple (la honte se cache, la liberté prend le large…).
On retrouve donc avec plaisir tout ce petit monde, non plus en tableaux mais en récit : les émotions ont une vie et sont reliées entre elles : la patience fait des confitures en été pour nourrir toutes ses amies-émotions. Le courage et la confiance sont frère et sœur. La nostalgie ouvre une boite. La crainte et la curiosité ont des relations étroites et complexes. L’entêtement a bien des formes et sa super colle peut servir à bien des choses (le courage, l’espoir). L’insignifiance est pleine de richesses. La malveillance sait se déguiser pour surprendre le bonheur et la joie. La reconnaissance doit faire son chemin dans la mémoire pour lutter contre l’hégémonie des mauvis souvenirs.
Toutes ces micro fables sont autant de belles histoires que des leçons cachées : on philosophie ainsi gaiement avec ces petits bonshommes et on apprend avec eux, sans prétention, à mieux se connaitre et à apprécier les belles choses et à lutter contre les émotions néfastes.
Enfin, la question des émotions est traitée avec toute sa complexité : aucune n’est mauvaise en elle-même, aucune n’est pure, toutes se rencontrent et se mélangent. C’est vivant et juste.

Sur les émotions, voir aussi ma chronique sur le beau travail des éditions Pour Penser.

Attention fragiles

Attention fragiles
Marie-Sabine Roger
Seuil 2023 (1ère édition 2000)

Exclusions…

Par Michel Driol

Il y a Laurence et Nono (Bruno) qui vivent dans un carton, près d’une gare, depuis que Laurence a fui un compagnon violent qui commençait à s’en prendre à son fils. Il y a Nel (Nelson), un adolescent aveugle guidé par son chien vers le lycée.  Ils se croiseront, brièvement, sur la passerelle qui enjambe les voies ferrées.

Marie-Sabine Roger a fait le choix de la polyphonie pour raconter cette histoire d’exclusions. Parmi les principales voix narratives, il y a celle de Nel, un aveugle qui a du mal à trouver sa place coincé entre une mère protectrice, un père mutique et des copains maladroits. Il y a Laurence, qui tente de survivre avec son fils qu’elle cherche à tout prix à protéger, coincée entre la gare, le regard des autres, et les histoires qu’elle raconte à Nono pour le protéger. Il y a surtout celle de Nono, la plus touchante dans son univers enfantin, qui parle avec Baluchon, sa peluche doudou, avec ses erreurs de syntaxe et sa perception tronquée de la situation, coincé entre les souvenirs du passé (la maison, l’école) et le présent glacial. Deux autres voix se font aussi entendre, celle de Cécile, nouvelle élève, attirée par Nel en dépit de son handicap, coincée parce qu’elle ne se trouve pas belle. Celle aussi du gardien du square, le seul à être désigné par son patronyme, coincé par sa sciatique. Cette polyphonie permet de confronter les visions du monde des différents personnages, leurs propres histoires, leurs souffrances intimes. Elle dit aussi comment chacun est dans son monde, dans son univers, même s’ils en viennent à se croiser et, pour certains, à découvrir l’amour.

Le roman dresse un constat impitoyable de notre société : comment le chômage détruit les individus, les repères, les rend violents. Comment on peut, du jour au lendemain, se retrouver à la rue. Comment vivre et survivre est un combat de chaque instant. Pour autant, on a quelques figures positives : le serveur du café de la gare, qui donne un peu de nourriture à Laurence et Nono, Cécile qui offre à Nel un autre type de relation que celle de ses copains, un peu bourrins ! Mais la grande force du livre tient dans le personnage de Nono, émouvant, avec ses régressions, ses rêves de petit garçon, ses inquiétudes, sa vision du monde à hauteur d’enfant. Un seul exemple : le père Noël trouvera-t-il leur maison de carton s’il n’y a pas leur nom ? C’est d’abord par lui que l’autrice parvient à toucher les lecteurs. Un élément important du décor est la passerelle, qui relie un côté de la gare à l’autre, au pied de laquelle se trouve la maison de carton. C’est sur la passerelle que se font les rencontres entre Nono et Nel, rencontres éphémères, épisodiques, comme un pont jeté entre deux mondes qui se côtoient, et ne se voient pas (physiquement…). La passerelle, c’est aussi l’opposition entre le haut, le lieu de passage des voyageurs comme Nel, et le bas, le lieu de la survie de Laurence et Nono. Beau symbole pour dire ce qu’il faudrait de lien dans notre société.

Les Editions du Seuil ont vraiment eu une bonne idée en rééditant ce livre. Près d’un quart de siècle après son écriture, tout ce que dénonce ce roman est, hélas !, toujours là : femmes battues, conjoints violents, exclusion dans la rue, chômage, handicaps. On ne saurait qu’en conseiller la lecture pour s’approcher au plus près de ce que cela signifie, pour une femme en particulier, de survivre dans la rue, et pour un jeune aveugle de supporter le regard des autres. Un roman qui ne laissera personne indifférent par sa grande humanité, par ce qu’il montre de la fragilité, de la détresse de certains de ses personnages mais aussi de la délicatesse d’autres.

Furia Perfax, t. 1 : Maudite

Furia Perfax, t. 1 : Maudite
Sébastien de Castell
Traduit de l’anglais (Canada) par Laetitia Devaux
Gallimard jeunesse, 2023

Aux origines

Par Anne-Marie Mercier

L’Anti-Magicien, la belle trilogie de Sébastien de Castell laissait bien des zones à explorer tant elle était riche et inventive. Parmi elles, le personnage mystérieux de Furia. Mentor du héros, elle intriguait par sa sagesse, ses pouvoirs qui n’avaient rien de magique dans un monde dominé par des sorciers, sa droiture et son efficacité.
Le roman montre ses origines : elle appartient au peuple massacré et spolié par le clan du héros de la série précédentes, celui des mages Jan Tep. Ceux-ci, après avoir tué toute sa tribu et sa famille, la pourchassent et font d’elle un sujet d’expériences cruelles. Il inscrivent en elles des marques qui donnent à chacun l’envie de la fuir ou de la tuer et qui la soumettent à l’emprise constante de l’un d’entre eux.
Le récit des errances de celle qui ne s’appelle pas encore Furia, la rencontre avec un Argosi qui l’introduira petit à petit et à grand mal dans la « voie de l’eau », l’entreprise qui consiste à tenter de la délivrer du sortilège, les effets de miroirs, d’échos et de mirages sont fascinants et les aventures et les rencontres se succèdent à un bon rythme : assez nombreuses pour que le récit reste palpitant, mais pas trop, pour que chaque épisode puisse être traité en profondeur. L’univers créé par l’auteur est cohérent, riche, poétique et parfois inquiétant.

Conseil : il est sans doute préférable de commencer par la première série.

Henri dans l’île

Henri dans l’île
Thomas Lavachery
L’école des loisirs (Medium), 2022

Robinson sombre

Par Anne-Marie Mercier

Henri, naufragé sur une île déserte, est un adulte. Il n’y trouvera pas de Vendredi, du moins pas au sens habituel. On est donc loin des réécritures devenues banales de Robinson Crusoe qui jouent sur l’âge des personnages et qui ajoutent des fioritures à un récit qui pourrait sembler dénué d’événements importants. Pas d’événements non plus, en dehors de ceux de la pure survie.
Ce Robinson a le parler rude et rare (il se parle à lui-même ou apostrophe les animaux ou les éléments) . Il crève de faim pendant la moitié du roman. Le bateau sur lequel il a fait naufrage est vite englouti avant qu’il puisse prélever des planches pour se construire une cabane ou récupérer des outils. De la vie d’antan il n’aura conservé essentiellement qu’une pipe (prélevée sur le corps de l’un de ses compagnons) et un couteau. Il se nourrit de coquillages et de jeunes lions de mer qu’il assomme, de phoques, ou d’oiseaux, tout le temps où il se trouve sur l’île (fictive) de de Litke, un « enfer » situé au large de la nouvelle Zélande, dans l’archipel (fictif) de Milford (ce nom vient sans doute de son Fjord fameux, le « Milford Sound »).
Une tentative d’apprivoisement d’un perroquet finit par échouer. Une tentative de fabrication de pirogue donne un résultat mitigé. Enfin, on est loin du personnage de Defoe, plein de ressources et régnant sur une troupe d’animaux familiers, comme du père de famille savant de Wyss (Le Robinson suisse). Ce Robinson là est âpre, sombre et le désespoir le plus profond marque le récit. Les belles encres en couleur qui illustrent le récit dans un cahier central, créées par l’auteur, donnent à cet enfer une profondeur particulière.

La deuxième moitié du roman renoue avec la dynamique ordinaire des robinsonnades : le héros parvient à aborder sur une île proche, plus riche en ressources, autrefois habitée, sur laquelle il trouve un village déserté par ses habitants et une cabane presque confortable, et divers objets, bref, de quoi progresser.
Il y sent aussi une présence, se croit observé. Le Vendredi qui surgira sera une surprise pour le lecteur. La relation qui se noue, méfiante puis hostile, qui tournera en une belle amitié est elle-aussi originale, on n’en dira pas plus. Lui même n’en parlera pas, une fois revenu à la civilisation et réservera cette révélation à la jeune femme, bellement esquissée, qui écrira et illustrera son histoire.
Après Bjorn, l’original personnage nordique, Ramulf, le valeureux chevalier, voici un autre personnage de Lavachery qu’on n’oubliera pas non plus.