On peut inviter quelqu’un ?

On peut inviter quelqu’un ?
Véronique Komai
À pas de loups 2022

Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire !

Par Michel Driol

Alors que Timini demande à ceux qu’on imagine être ses parents d’inviter quelqu’un, ils font la sourde oreille. Bien contrarié, Timini grognasse, et ses parents lui proposent alors de jouer avec lui. Et tous trois deviennent de joyeux musiciens, des animaux, et des artistes peintres… Mais quand Timini peint une grosse pomme verte sur le mur de la cuisine, si l’un des deux parents semble ne pas apprécier, l’autre propose de peindre à leur tour leurs desserts préférés.

L’album nous plonge dans une famille de chiens qui ont des comportements – et des vêtements – très humains. Famille assez indifférenciée, où se côtoient le petit Timini, appelée tantôt chéri, mon mignon, mon cœur de beurre, notre petiot, et deux chiens plus grands, Mezzor et Maximus, de genre indifférenciés, uniquement vêtus d’une sorte de bermuda ample, l’un bleu avec des fleurs, l’autre rouge avec des pois. Père et mère, peut-être, sans doute, mais peut-être de même sexe. Rien ne permet de les différencier, ni leurs noms (tous deux à connotation masculine), ni leur physique.  Mais ce dont parle l’album, c’est de communication et non communication dans la famille. Dans le texte, tout repose sur les paroles des trois personnages, sur le discours direct. Pourtant la demande initiale de Timini, personne ne l’entend, ou ne veut l’entendre. A cause du bruit du sèche-cheveu, de celui de la télé. Lorsque les voisins – des cochons – arrivent, c’est pour remercier d’un service rendu, et on ne les invite pas à entrer. Faute d’avoir entendu la demande de Timini, les deux grands chiens en viennent à se demander si ce n’est pas une journée grognon… avant de lui proposer de jouer avec lui, et d’entrer avec lui dans un imaginaire qui les entraine bien loin de leur propre vie, jusqu’à l’épisode de la pomme. Certes, on a un peu de mal à comprendre le changement d’attitude des « parents », qui à la fin se montrent bienveillants, ouverts, prêts à accepter les bêtises de l’enfant, et qui n’entendent pas, ou refusent la demande d’inviter quelqu’un, c’est-à-dire de faire entrer un étranger dans le cercle familial, demande qui sera la dernière phrase du livre, sans qu’on sache quelle est la réponse. A la morosité du début succède une joyeuse fantaisie, une entrée progressive dans une transgression de plus en forte, jusqu’à celle de peindre sur les murs (cauchemar de nombreux parents !). C’est cette façon de jouer avec l’enfant que nous retiendrons pourtant de cet album, cette façon de dire que rien n’est grave, et qu’il faut bien du talent pour « être vieux sans être adulte » comme le chantait un compatriote de l’autrice. C’est aussi un album qui questionne sur la façon de traiter les « bêtises » des enfants, sur leur place dans la famille, et sur la façon de les culpabiliser ou pas.

Ce joyeux album est illustré à partir de papiers découpés pleins de vie : voir le pompon des queues des chiens qui semble danser, voir les mimiques et les regards, voir les multiples détails amusants, voir le doudou, muet, mais complice – témoin muet mais expressif – de toutes les scènes qui se succèdent dans l’album.

Un album vivant qui sent le vécu dans les idées fixes de l’enfant, les bêtises habituelles, mais qui questionne aussi sur les attitudes des parents.

Olivia joue les espionnes

Olivia joue les espionnes
Ian Falconer
Traduit (américain) par Yves Henriet
Seuil jeunesse, 2017

De l’art et des inconvénients d’écouter aux portes

Par Anne-Marie Mercier

La série des Olivia est un tonique parafait : non seulement la petite héroïne, cochonnette rose habillée de rayures rouges, est dynamique et inventive, mais les albums sont pleins de belles surprises et de situations cocasses et parfois instructives.

Dans le début de l’album, Olivia surprend une conversation à son sujet et décide d’enquêter pour savoir ce qu’on dit d’elle. Par un quiproquo, elle croit que sa mère l’emmène en prison alors qu’elle l’emmène voir un ballet. La morale de l’histoire est donnée par un dialogue avec  sa mère :

« Alors Olivia, qu’est-ce que tu as récolté en écoutant aux portes ?
– Des bouts de vérité et de fausses informations.
– et comment tu t’es sentie en faisant ça ?
– inquiète et méfiante. »

L’espionnage n’est pas vu sous un beau jour. Mais le propos moral s’arrête là et les bêtises d’Olivia sont spectaculaires, par leur ampleur mais aussi par l’art du dessinateur qui sait les mettre en relief, à tous les sens du terme. On voit dès la couverture son traitement des ombres.

Max et Moritz avec Claque du bec et Cie

Max et Moritz avec Claque du bec et Cie (1865)
Wilhelm Busch

Adapté de l’allemand par Cavanna
L ‘école des loisirs, 2012

Garnements historiques

Par Anne-Marie Mercier

Max et MoritzClassique de la littérature illustrée pour la jeunesse, Max et Moritz risque cependant de déranger plus d’un lecteur adulte – ce n’est pas  si étonnant que ce soit Cavanna qui l’ait traduit. A ceux qui disent que la littérature contemporaine destinée aux enfants est trop noire et trop violente, on peut opposer ce livre, cocasse, excessif, où les garnements font de vraies bêtises, sont cruels avec les animaux comme avec les adultes et où les adultes entre eux ne sont guère meilleurs. Seule « consolation » pour les tenants de la morale, les méchants sont punis et de façon radicale, quasi « haché menu comme chair à pâtée », qu’ils soient enfants, adultes, ou animaux.

Dans ce monde sans pitié, les images sont acérées, dynamiques ; les personnages humains et animaux sont caricaturaux, le burlesque est affiché, il se fait style aussi bien littéraire que graphique.