Olivia joue les espionnes

Olivia joue les espionnes
Ian Falconer
Traduit (américain) par Yves Henriet
Seuil jeunesse, 2017

De l’art et des inconvénients d’écouter aux portes

Par Anne-Marie Mercier

La série des Olivia est un tonique parafait : non seulement la petite héroïne, cochonnette rose habillée de rayures rouges, est dynamique et inventive, mais les albums sont pleins de belles surprises et de situations cocasses et parfois instructives.

Dans le début de l’album, Olivia surprend une conversation à son sujet et décide d’enquêter pour savoir ce qu’on dit d’elle. Par un quiproquo, elle croit que sa mère l’emmène en prison alors qu’elle l’emmène voir un ballet. La morale de l’histoire est donnée par un dialogue avec  sa mère :

« Alors Olivia, qu’est-ce que tu as récolté en écoutant aux portes ?
– Des bouts de vérité et de fausses informations.
– et comment tu t’es sentie en faisant ça ?
– inquiète et méfiante. »

L’espionnage n’est pas vu sous un beau jour. Mais le propos moral s’arrête là et les bêtises d’Olivia sont spectaculaires, par leur ampleur mais aussi par l’art du dessinateur qui sait les mettre en relief, à tous les sens du terme. On voit dès la couverture son traitement des ombres.

Dysfonctionnelle

Dysfonctionnelle
Axl Cendres
Sarbacane (Exprim’), 2015

« Même avec une chose qu’on croit perdue, on peut faire quelque chose de merveilleux »

Par Caroline Scandale

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Le secteur littéraire pour grands adolescents explose actuellement. Ces œuvres ont un goût de liberté en adéquation avec l’esprit de la jeunesse, insaisissable et peu fidèle. Dysfonctionnelle et la collection Exprim’ incarnent la quintessence de ce secteur aux frontières incertaines.

Ce roman raconte l’histoire de Fidèle, alias Fifi, alias Bouboule, qui grandit dans une famille dysfonctionnelle… Foutraque quoi! Bancale, atypique, défaillante, non conventionnelle… Une jolie smala infiniment aimable. Dans cette famille, Fidèle dénote avec son QI hors norme et sa mémoire photographique exceptionnelle. Cela la propulse d’ailleurs dans un lycée parisien prestigieux où elle rencontre l’amour en la personne de Sarah.

Premier dysfonctionnement, son père enchaîne les allers-retours en prison. Deuxième dysfonctionnement, sa mère alterne les séjours en H. P. et ceux à la maison.

Fidèle grandit auprès de sa grand-mère kabyle, l’adorable Zaza, ses sœurs Dalida, Maryline et Alyson ainsi que ses frères, JR, Grégo et Jésus. Cette fratrie est constituée d’êtres tous plus différents les uns que les autres. Ils vivent à Belleville, au dessus du bar Le bout du monde, tenu par leur père et son frère. Sa vie est calée sur celle du bar et les soirées-match, en compagnie des habitués.

La mère de Fifi, qui a survécu à l’enfer des camps de concentration, vit dans sa chambre, protégée du monde. Elle se cultive avec sa fille brillante, qui lui fait découvrir l’Art grâce à des reproductions de tableaux en cartes postales. Plus tard, elle lui fait même découvrir Nietzsche…

L’histoire n’est pas écrite de façon chronologique. La narration est celle d’une adulte de trente ans qui se souvient mais la chronologie de ses souvenirs est déstructurée jusqu’à ce qu’elle aborde ses années-lycée.

Le contraste entre l’histoire loufoque, les sujets graves et le traitement optimiste est plaisant. Les personnages sont très attachants.

Un basculement dans le récit nous fait passer du rire aux larmes (de crocodile!) dans les cinquante dernières pages… Soudain plusieurs évènements nous rappellent que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. La trentaine apporte à Fifi, son lot de peines, de questionnements, de pertes, de doutes. Il est temps de faire le choix le plus important d’une vie. L’amour est un bon guide.

A la dernière page, on retrouve une Fifi apaisée qui déguste, comme dans son enfance, du pain perdu. Elle songe que « même avec une chose qu’on croit perdue, on peut faire quelque chose de merveilleux« . Cette phrase, qui est la devise positive de l’héroïne, clôt joliment le récit. Elle confirme, au lecteur ému, l’évidente beauté de ce roman.