Super

Super
Jean-Claude Alphen
Editions D’eux, 2024

Par Edith Pompidou-Séjournée

Une couverture intrigante pour commencer : un petit garçon avec une cape de super héros tenu en l’air par les mains de ses parents rien d’étonnant à priori, mais les couleurs intriguent, un camaïeu de gris-bleu qui domine questionne. Tristesse, solitude, abandon ? Rien de très réjouissant ne semble se présager et pourtant le rose des joues et du nez du garçon et sa cape rouge vif comme le S de « Super », titre du livre tendent à prouver le contraire. Le garçon affiche un rictus énigmatique qui ne donne pas plus d’informations. Cette atmosphère gris-bleu un peu pesante contrastée par quelques détails et touches de couleurs vives continue tout au long du livre.
C’est l’histoire d’un petit garçon et de sa famille. Le père est un super héros qui part tous les matins travailler avec le sourire. Son fils semble beaucoup l’admirer. La mère sourit peu, voire pas du tout, elle travaille aussi et se charge de tout : l’école, les repas, le ménage… Mais le père rentre tard, il a beaucoup de travail c’est normal semble-t-il, au moins pour le petit garçon. Un soir c’est papa qui vient le chercher à l’école et qui s’occupe de lui. Le petit garçon n’a pas vraiment l’air d’apprécier que ce ne soit pas sa maman… Le lendemain, le père ne part pas travailler, il est malade, plus de costume de super héros mais un pyjama très coloré, il paraît mal rasé et morose. Depuis ce jour, le père reste à la maison et s’occupe de son fils, toujours aussi sombre et déprimé. Sa mère continue à travailler. Une nuit où elle lui manque trop, le petit garçon va dans la chambre de ses parents et voit sur la chaise un nouveau costume de super héros : c’est celui de sa mère. Il a tout compris : « Maman, elle aussi, elle est SUPER ! » et il retrouve le sourire, tout comme elle.
Cet album soulève un certain nombre de questions, sur l’imaginaire enfantin qui idéalise souvent les parents au point parfois de leur attribuer de super pouvoirs. Il met aussi en lumière les inégalités des rôles sociaux de l’homme et de la femme, l’épanouissement de chacun tout en montrant que rien n’est parfait, ni figé. La fin est d’ailleurs ouverte, comment va évoluer le père, ses rapports avec son fils vont-ils s’améliorer ? Va-t-il se remettre à travailler et partager les tâches ménagères ?
Ce livre s’adresse-t-il à des jeunes enfants ? À la première lecture, j’aurais plutôt tendance à dire que non, mais finalement n’est-ce pas un moyen d’élever des consciences ?

Feuilleter sur le site de l’éditeur

Des jours comme des nuits

Des jours comme des nuits
Sébastien Joanniez
Rouergue 2024

Faudra continuer à vivre…

Par Michel Driol

Trois parties pour ce roman bouleversant. Les jours d’avant, où Manon raconte la vie avec son père, des moments simples comme les matchs de foot où il la conduisait, ou le camping au bord de la mer. Image d’un bonheur simple qui parait immuable, éternel. Mais aussi souvenir du jour où son père est revenu en pleurs, après son licenciement, et souvenir des jours où il trainait dans la maison à faire des sudokus. Le jour où, récit du jour où son père s’est pendu dans le poirier du jardin. Les jours d’après, entre tristesse et douleur, mais aussi la pointe d’espoir finale dans une vie qui continue.

Sébastien Joanniez signe ici un récit à la première personne dont il faut d’abord signaler la rigueur de la construction. On est dans les jours d’après, et Manon se souvient avec émotion des jours d’avant. On sait qu‘il s’est passé quelque chose de grave, mais on ne sait pas quoi. Ce long retour en arrière, émouvant, montre, à partir de petits détails très concrets, de flashs de mémoire discontinus, en quoi la vie familiale est brisée.  C’est cette attention aux détails qui marque l’écriture de ce récit, dans une série de souvenirs arrachés, douloureux, signes d’une vie ordinaire. On y voit un père aimant, attaché à ses enfants, leur faisant visiter l’usine où il travaille, laissant sa fille conduire la voiture. Des petits riens, dont on ne mesure la valeur qu’une fois qu’on les a perdus, que la vie s’est disloquée, que les repères et les routines sont perdus, et qu’on mange des pâtes presque tous les soirs… C’est la force de ce roman de dire ces petites choses à hauteur d’adolescente, en suscitant une forte émotion chez le lecteur. Bien sûr, en filigrane, il y a la question du chômage, de la perte de repères liés à la perte d’emploi, tout ce qui entraine le geste tragique du père. Tout cela, répétons-le, est fort bien perçu à hauteur d’adolescente, qui s’attache à ces menus détails comme la barbe de son père, barbe qu’il rasera lorsqu’il aura retrouvé du travail. Mais c’est bien sûr la question du deuil, deuil d’autant plus difficile à faire que le père s’est suicidé, qu’il y a une forte scène dans laquelle la mère tente de le décrocher, de le réanimer, tandis que la fillette assiste, impuissante, à tout cela. Scène d’un réalisme précis, scène déchirante dans le récit qu’en fait l’enfant, victime et témoin, actrice et spectatrice. Que faire face à la douleur de l’absence qui paralyse, rend l’héroïne à son tour absente du monde ? La laisser envahir d’abord, avant de pouvoir réagir, conserver une veste qui sent encore l’odeur du père, et se souvenir des bons moments qui vont aider à survivre, sans rien oublier du passé, mais en continuant à préserver les bons côtés, le sens de la fête qui était aussi celui du défunt. C’est par une magnifique lettre au père défunt que se clôt ce roman à la fois tendre et pudique, véritable leçon de sagesse et d’acceptation de ce qui est arrivé.

Un récit sur l’amour et sur la perte qui ne laissera pas ses lecteurs indifférents, et saura les toucher par son écriture, sa immédiateté, son réalisme et sa construction fragmentaire, à l’image des souvenirs à coudre ensemble pour qu’ils fassent sens et qu’on puisse continuer à vivre.

Les Boites aux lettres

Les Boites aux lettres
Gilles Baum
Amaterra 2022

Donne-moi de tes nouvelles…

Par Michel Driol

Depuis un an, Emile est sans nouvelles de son père, dont l’usine a fermé, et qui est parti lors de la fameuse nuit où il a giflé sa mère. Pourtant, Emile est persuadé que son père cherche à lui écrire. Mais pas à la maison, où il sait que sa mère détruirait les lettres. Alors, dès qu’il a réuni 13 euros et 60 centimes, il achète une boite aux lettres et va la clouer dans un des endroits préférés de son père, où les boites aux lettres vivent leur vie, accueillant des oiseaux, ou des mots d’amours entre deux amoureux.

Si l’arrière-plan social est grave : fermeture d’usine, chômage, dégradation des relations au sein du couple, violence familiale, le traitement, lui, est plein de légèreté et de fantaisie, parce que tout ceci est vu à hauteur d’un enfant qui vit dans son monde autant que dans le monde. Ainsi son vélo rose, vieux cadeau de ses parents, qu’il a baptisé Rosie, véritable personnage doté d’une psychologie, de sentiments, comme le serait un animal. Et que dire de la poésie et du merveilleux de ces boites aux lettres, disséminées dans la nature, jusqu’à cette gare improbable située au milieu de nulle part, une gare pour aller passer un jour à la mer ? L’univers d’Emile est à la fois plein de réalité (dans sa façon de se faire donner des mots d’excuse pour manquer l’école, ou de se faire transmettre les devoirs), plein d’amour à l’égard de ses deux parents (dans sa façon d’être là, de remplir les tâches dont celles qui, autrefois, revenaient à son père), et aussi plein d’imaginaire dans sa façon de percevoir le monde. C’est cet imaginaire qu’il a en partage avec l’auteur qui, d’une certaine façon, transfigure un univers qui pourrait être glauque et sinistre en autre chose, sans gommer ce qu’il y a de sombre dans la vie de cette mère qui fait des ménages et de son fils, mais en laissant toujours transparaitre un espoir, et une infinie confiance en l’homme. On voit cet imaginaire d’abord dans la polyphonie du roman. Le narrateur ? un coquillage, donné à Emile par un des anciens collègues de son père, Mojo, qui a dû quitter ses Caraïbes natales en emportant sa collection de coquillages. Imaginaire dans la polyphonie des voix narratives aussi, celle du père, celle de la mère, celle de Mojo, celle du coquillage qui, soit dans des retours en arrière, soit dans des adresses de l’un envers l’autre, donnent à entendre la totalité de l’histoire dans sa complexité humaine. Imaginaire enfin dans le dénouement, car on se doute bien tout au long de l’histoire que l’on va aller vers des retrouvailles entre ce fils qui garde soigneusement le premier cadeau de son père, un ours sur lequel est écrit « je reviens » et ce père qui s’est battu pour que son usine ne ferme pas. La force du roman est aussi que ce dénouement se lira sans doute de deux façons différentes, selon les lecteurs. L’une, merveilleuse, dans laquelle, comme par magie, les lettres du père, comme un journal intime adressé à sa femme pour se dire et se faire pardonner la gifle donnée, apparaissent. L’autre, moins explicite, liée à l’amitié et à la relation entre Mojo et le père, fournira un cadre rationnel à cette découverte.

Ce roman vaut aussi par la qualité de ses personnages. On a déjà beaucoup évoqué Emile. Il faudrait parler aussi de la relation entre les parents, Maria et Serge, et de ce que la dégradation du contexte social a eu comme conséquences sur la détérioration de leur relation, la difficulté pour Maria de pardonner le geste de Serge, et la fuite éperdue de ce dernier aux quatre coins du monde pour tenter de trouver du travail. Autre personnage fondamental, Mojo, qui agit dans le roman comme une sorte d’ange gardien d’Emile. Et que dire de la maitresse d’école, dont on découvre la vie secrète… Il faudrait aussi parler du rôle donné à l’écriture dans ce roman, à une époque où l’on se téléphone, où l’on envoie des SMS, écriture des lettres, du journal intime… Alors que certains lancent des bouteilles à la mer, Emile cloue des boites aux lettres en pleine nature : quel beau symbole du désir de communication et d’amour !

Un roman optimiste qui réussit le tour de force de s’inscrire dans notre société, au milieu des plus pauvres, des sacrifiés sur l’autel du profit, pour dire avec poésie l’importance de l’imaginaire et de l’amour, de la solidarité, pour réparer du monde ce qui peut encore l’être..

Seconde chance

Seconde chance
L.Karol
Mijade 2021

Diagonale du vide, amitié, et solidarité

Par Michel Driol

Jeanne, la narratrice, est élève de 6ème au collège de Kœur-la-ville, quelque part dans la diagonale du vide. La seule usine a été délocalisée en Pologne. Depuis, beaucoup sont au chômage. Pour venir en aide à une de ses amis, dont les parents n’ont pas vu qu’elle avait grandi, et dont les habits et les chaussures sont trop petits, Jeanne et ses amis vont avoir l’idée d’un troc solidaire au collège, véritable modèle d’économie circulaire, qu’avec l’aide de leurs professeurs et de l’administration ils mettent en place, et dont même TF1 parle.

Seconde chance porte bien son titre. C’est à la fois la seconde chance des parents de Lou-Ann, victimes du chômage, qui deviendront boulangers, c’est le nom de l’espace d’échange solidaire, qui donne une seconde chance aux vêtements trop petits. C’est un roman plein d’optimisme dans l’amitié, la solidarité, l’inventivité des jeunes, la compréhension des adultes du collège, la façon dont des initiatives locales peuvent recréer du lien dans une ville lorsque celui que créait l’usine a disparu. Mais c’est aussi un roman qui n’édulcore rien de la réalité de cette diagonale du vide, du chômage, de la crise. La narratrice avoue elle-même employer des mots qu’à son âge, on ne devrait pas connaitre, allocation chômage ou RSA… On apprécie la galerie de portraits d’adultes pleins de dignité et d’humanité, depuis cette mère – nourrice à domicile – le cœur sur la main jusqu’à ces parents que le chômage a brisés. Les enseignants et le personnel du collège sont eux aussi bien traités par le récit, depuis ce prof de gym, un peu enrobé, surnommé Pastèque, ancien du Larzac, jusqu’à cette enseignante de français, qui a la délicatesse de ne pas corriger à l’encre rouge… Enfin, les quatre enfants de la bande, véritables héros collectifs, 3 filles et un garçon qui parsème les conversations de ces citations, toujours appropriées, issues de pièces de théâtre.

Un feel-good roman à la fois plein de réalisme dans la description des conséquences du chômage sur une petite ville et d’optimisme sur la façon dont la solidarité peut permettre de redonner à tous une seconde chance.

La grande Boussole

La grande Boussole
Isabelle Renaud illustré par Laura Fanelli
Neuf – Ecole des Loisirs – 2021

Trouver la voie…

Par Michel Driol

Tout va mal pour Léo. Son père est au chômage, sa mère semble perdue, ses parents divorcent, et son meilleur ami a l’air de devenir fou… Pour remettre de l’ordre dans tout cela, et trouver la bonne voie, Léo a un objet magique : la boussole qui a servi à son aïeul républicain espagnol à traverser les Pyrénées.

Le roman brosse, avec humour, le portrait en actes d’un enfant qui perd ses repères familiaux et amicaux dans une famille qui se disloque. Il insiste sur sa façon de tenter de permettre à ses parents de se réunir autour de la musique, de leur propre passé. Tout est vu à sa hauteur : sa méconnaissance du rock, sa façon de mal comprendre et interpréter les mots  qu’il ne connait pas introduisent de la légèreté dans ce roman qui ne bascule vers le merveilleux de la boussole que dans sa tête.  Si le chômage, le burnout, le divorce sont bien présents, rien de lourd dans ce roman : les adultes sont présents, bienveillants, avec leurs rituels et leurs manies. Léo fait partie de ces personnages attachants des romans pour l’enfance, dans lequel nombre de lecteurs se reconnaitront par les jeux et la vision du monde. Quant à la boussole, elle est un bel objet transitionnel, symbole de toute une histoire familiale. Pleines de vie et très colorées, les illustrations mettent l’accent sur des personnages dans tous leurs états.

Un feel-good movie aux personnages sympathiques.