Des jours comme des nuits

Des jours comme des nuits
Sébastien Joanniez
Rouergue 2024

Faudra continuer à vivre…

Par Michel Driol

Trois parties pour ce roman bouleversant. Les jours d’avant, où Manon raconte la vie avec son père, des moments simples comme les matchs de foot où il la conduisait, ou le camping au bord de la mer. Image d’un bonheur simple qui parait immuable, éternel. Mais aussi souvenir du jour où son père est revenu en pleurs, après son licenciement, et souvenir des jours où il trainait dans la maison à faire des sudokus. Le jour où, récit du jour où son père s’est pendu dans le poirier du jardin. Les jours d’après, entre tristesse et douleur, mais aussi la pointe d’espoir finale dans une vie qui continue.

Sébastien Joanniez signe ici un récit à la première personne dont il faut d’abord signaler la rigueur de la construction. On est dans les jours d’après, et Manon se souvient avec émotion des jours d’avant. On sait qu‘il s’est passé quelque chose de grave, mais on ne sait pas quoi. Ce long retour en arrière, émouvant, montre, à partir de petits détails très concrets, de flashs de mémoire discontinus, en quoi la vie familiale est brisée.  C’est cette attention aux détails qui marque l’écriture de ce récit, dans une série de souvenirs arrachés, douloureux, signes d’une vie ordinaire. On y voit un père aimant, attaché à ses enfants, leur faisant visiter l’usine où il travaille, laissant sa fille conduire la voiture. Des petits riens, dont on ne mesure la valeur qu’une fois qu’on les a perdus, que la vie s’est disloquée, que les repères et les routines sont perdus, et qu’on mange des pâtes presque tous les soirs… C’est la force de ce roman de dire ces petites choses à hauteur d’adolescente, en suscitant une forte émotion chez le lecteur. Bien sûr, en filigrane, il y a la question du chômage, de la perte de repères liés à la perte d’emploi, tout ce qui entraine le geste tragique du père. Tout cela, répétons-le, est fort bien perçu à hauteur d’adolescente, qui s’attache à ces menus détails comme la barbe de son père, barbe qu’il rasera lorsqu’il aura retrouvé du travail. Mais c’est bien sûr la question du deuil, deuil d’autant plus difficile à faire que le père s’est suicidé, qu’il y a une forte scène dans laquelle la mère tente de le décrocher, de le réanimer, tandis que la fillette assiste, impuissante, à tout cela. Scène d’un réalisme précis, scène déchirante dans le récit qu’en fait l’enfant, victime et témoin, actrice et spectatrice. Que faire face à la douleur de l’absence qui paralyse, rend l’héroïne à son tour absente du monde ? La laisser envahir d’abord, avant de pouvoir réagir, conserver une veste qui sent encore l’odeur du père, et se souvenir des bons moments qui vont aider à survivre, sans rien oublier du passé, mais en continuant à préserver les bons côtés, le sens de la fête qui était aussi celui du défunt. C’est par une magnifique lettre au père défunt que se clôt ce roman à la fois tendre et pudique, véritable leçon de sagesse et d’acceptation de ce qui est arrivé.

Un récit sur l’amour et sur la perte qui ne laissera pas ses lecteurs indifférents, et saura les toucher par son écriture, sa immédiateté, son réalisme et sa construction fragmentaire, à l’image des souvenirs à coudre ensemble pour qu’ils fassent sens et qu’on puisse continuer à vivre.

La Sentinelle

La Sentinelle
Claire Clément – Illustrations d’Alca
Editions du Pourquoi Pas ? 2023

Pour ne pas perdre  son âme

Par Michel Driol

Aïku et Tutti sont deux Amérindiens vivant dans un village loin de tout en Guyane. Après les années d’école viennent les années collège, à 2 heures de pirogue. Difficile de supporter la famille d’accueil, les contraintes de la grande ville quand on a vécu en pleine nature toute son enfance. Si difficile que Tutti fera une tentative de suicide.

La Sentinelle aborde des sujets graves, liés aux rapports que nous entretenons avec ces territoires lointains bien loin de Paris, liés à l’identité culturelle de ces villages du Haut Maroni. Aïku, le narrateur, relate à hauteur d’ado d’abord la vie dans le village avec son quasi jumeau, Tutti. Peu de jeux, mais l’apprentissage du tir à l’arc, les réels dangers des piranhas et des rapides vécus dans une certaine insouciance. Mais aussi l’école, avec cette curieuse phrase prononcée par le maitre, Nos ancêtres les Gaulois, maitre vite remplacé par un autre capable de raconter les légendes wayanas. On le voit, le récit met l’accent sur la liberté d’une éducation et d’une vie dans le respect des traditions. L’arrivée au collège, à Maripasoula, entraine de nombreux changements. Mais l’accent est surtout mis sur la solitude liée au sentiment d’y être un étranger : étranger aux lieux, aux habitudes, et à ce que cela induit comme souffrance. Les vacances offrent une pause avec le retour à la liberté du village, avec cette fois-ci les farces, et la chasse.

C’est bien de transmission et d’aliénation qu’il est question ici. Comment transmettre et préserver une culture ? Deux destins s’offrent aux deux amis, qui, devenus grands, exercent deux fonctions aussi indispensables l’une que l’autre. Sentinelle pour l’un, c’est-à-dire veilleur chargé de la prévention du suicide enfantin, médiateur culturel pour l’autre transmettant une langue et une culture. L’aliénation dont ils souffrent, c’est d’abord celle de leur propre terre, de leur fleuve, pollué par le mercure des chercheurs d’or, au point de rendre les poissons, principale source de nourriture, dangereux à consommer. C’est aussi celle d’une culture étrangère, française, qui veut imposer ses codes et ses normes. Le récit est conduit de façon à montrer le désarroi de ces enfants, devenant des étrangers dans leur propre pays, coupés de leurs racines, perdant leur propre identité. On les voit, élèves de sixième à Maripasoula, assis sur un banc, buvant de la bière et fumant des cigarettes : scène frappante pour montrer l’ennui, la dépendance aux drogues qu’ils peuvent trouver, de ces enfants parfaitement adaptés à la vie dans la jungle.

Bien sûr, le récit est situé en Guyane, mais il prend aussi une portée universelle. Il est question ici de tous les enfants qui se sentent en exil, étrangers à une culture qui veut s’imposer à eux et dans laquelle ils sombrent, perdant ainsi tous leurs repères. Si, comme le dit Tutti, Chacun est bon à quelque chose, il y a aussi la sagesse du père d’Aïku. Sois un guerrier, apprends à survivre là-bas, et reviens avec un diplôme… C’est la meilleure façon d’aider ton peuple. C’est dire la nécessité, parfois douloureuse, d’une éducation, d’un apprentissage des codes de l’autre pour se sauver soi-même. Riche problématique qui est celle dont ont souvent souffert tous les transfuges de classe rendue sensible aux plus jeunes par ce récit.

Alca propose de nombreuses illustrations très colorées, une vision personnelle de la Guyane qui fait la part belle à la nature sauvage dans laquelle les hommes semblent minuscules, sauf lorsqu’ils la mettent en danger.

Un livre qui met l’accent, à travers un récit situé aux confins de la Guyane et du Suriname, sur le suicide des enfants lié leur désarroi, et dont le titre invite chacun à le prévenir, où qu’il soit.

 

Experte dans l’art du naufrage

Experte dans l’art du naufrage
Julia Drake
Traduit (USA) par Nathalie Peronny
Gallimard jeunesse, 2021

Entre marécages et océan

Par Anne-Marie Mercier

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

Quête d’un trésor, recherche des origines, exploration des sexualités, rapports entre frères et sœurs, parents et enfants, ce roman quasi fleuve explore encore bien d’autres sujets et questions : comment se faire des amis ? comment aider un suicidaire ? Comment savoir si on est amoureux ? que faire de sa vie ? faut-il tout dire ? les actions de nos ancêtres ont-elles une influence sur notre vie ? Peut-on aimer aussi bien les filles que les garçons, etc.
Violette, après la tentative de suicide de son frère, a été envoyée dans le Maine chez un oncle. Il s’agit aussi de l’éloigner de new York où elle a pris des habitudes qui inquiètent ses parents : alcool, sexe, soirées folles où elle se met elle aussi en danger alors qu’elle n’a que 16 ans (mais en paraît 18).
Employée à l’aquarium local, elle rencontre Orion et son amie-amoureuse Liv.  Elle s’éprend des deux successivement ; elle rencontre d’autres amis un peu bizarres, vit une vie sociale faite de hauts et de bas, une vie professionnelle plus calamiteuse qu’épanouissante dans un premier temps, du moins d’après ce qu’elle dit : elle est la narratrice et pratique, comme l’indique le titre, un autodénigrement teinté d’humour. Elle enquête avec ses amis sur son ancêtre, célèbre pour avoir survécu à un vrai naufrage sur un bateau dont on n’a jamais retrouvé l’épave.
Malgré quelques rechutes, aidée discrètement par son oncle (beau portrait de un boulanger amateur de puzzles), Violette se tient à son désir de changer et de cesser d’échouer chaque fois qu’elle tente quelque chose : voilà pour cet art des naufrages. Violette s’initie à l’eau libre tout en tentant partiellement de sortir du « marécage » où elle et son frère se sont englués.
Occupations d’été (le Maine en juin et juillet, les plages et les bars), chasse au trésor, découverte de la nature, le roman mêle légèreté et gravité. Souvent un peu bavard, il donne beaucoup de place aux interrogations d’adolescents qui se cherchent. La chasse au trésor, ou plutôt à à l’épave, traitée de manière originale (le dénouement est intéressant) et dramatique donne un peu plus d’air et d’allant à la deuxième moitié.

 

 

Le Mur des apparences

Le Mur des apparences
Gwladys Constant
Rouergue 2018

La beauté est-elle une malédiction ?

Par Michel Driol

Justine et Margot sont dans la même classe depuis toujours. Mais si Margot est belle, populaire, riche, Justine, fille d’ouvriers, plus discrète, apparait comme le souffre-douleur. Elle est victime de harcèlement moral de la part de Margot et de sa bande d’amies, que Justine a surnommées les hyènes. Margot vit l’amour parfait avec  Jordan, lui aussi l’un des beaux garçons du lycée. Certes ils ont rompu. Mais le jour où Margot se suicide, Justine veut comprendre. Elle récupère les journaux intimes de Justine et commence à les lire, y découvrant d’abord des secrets concernant les hyènes qui lui permettront d’être acceptée dans le groupe. Elle découvre aussi que sous les apparences parfaites, la mise en scène assumée et calculée de ses succès, de ses bonheurs, de son amour pour Jordan,  de sa beauté, Margot cache de nombreux et lourds secrets familiaux.

Voici un roman qui se lit d’une traite, comme un polar auquel il emprunte certains codes, dont celui de l’enquête permettant de savoir ce qui a conduit Margot au suicide à travers la lecture rétrospective de ses journaux intimes. Une fois de plus (voir Passionnément, à ma folie, que l’on avait chroniqué ici-même), Gwladys Constant dresse des portraits d’adolescent(e)s victimes. De la société des apparences, cette fois-ci.  Il s’agit de posséder les codes sociaux qui permettront d’être populaire, de se faire des amis, d’être reconnu. Ces codes ne sont pas propres aux ados : ce sont aussi ceux qui sont connus et promus par la propre mère de Margot, femme d’un des directeurs de l’usine. Ne pas posséder ces codes comportementaux, c’est risquer la marginalisation. Mais la possession de ces codes ne garantit qu’un bonheur superficiel et ne protège pas l’individu.

Le roman se déroule dans une classe où se mêlent différents milieux sociaux et géographiques : la  bourgeoisie et les ouvriers, mais aussi les filles d’immigrés africains, qui vivent dans des cités à la périphérie. Ces milieux se côtoient, et Justine va, petit à petit, découvrir un autre monde que celui de sa famille, les secrets de la famille bourgeoise de Margot, les raisons de l’exil des familles du Congo. Familles qui tentent, toutes à leur façon, de sauvegarder les apparences, que ce soit en envoyant malgré tout de l’argent au pays ou en refusant de révéler ce qui se passe réellement.

Le roman n’hésite pas à aborder des thèmes sensibles : la sexualité, l’homosexualité, l’exil, la torture, les réseaux sociaux, l’injustice sociale avec une écriture à vif, qui, comme un scalpel, va droit au but dès les premières pages et a su choisir une héroïne avec laquelle on ne peut qu’être en empathie, une héroïne qui reste positive tout au long du roman.  Le roman sait aussi trouver des résonances avec les textes classiques étudiés en classe, la Princesse de Clèves, ou l’Ecole des femmes, montrant quelque part l’intemporalité des thèmes traités.

A travers les métaphores animales – hyènes, lion, loup… – le roman présente le monde comme une jungle. Roman sombre et pessimiste pourra-ton penser ? Non, car trois éléments réconfortent le lecteur. D’une part, la présence de quelques adultes positifs : le professeur de français et surtout les parents de Justine, de bon sens, protecteurs et aimants, écoutant et soutenant leur fille. D’autre part la confiance en la capacité des ados à franchir les barrières sociales et raciales, à aller au delà du mur des apparences pour se trouver et se reconnaitre dans le monde réel (le terrain de sport, la salle de hip-hop ou le lit d’hôpital). Et surtout la volonté  finale des héroïnes de faire du droit, afin de réparer, si faire se peut, le monde actuel.

Sauveur et fils 3

Sauveur et fils 3
Marie-Aude Murail
L’école des loisirs, 2017

Le feuilleton de la vraie vie

Par Anne-Marie Mercier

Toute série devant en ce moment faire au moins trilogie (voir mon article sur le tome 2), c’est avec plaisir que l’on retrouve Sauveur le thérapeute et toute sa tribu, qu’elle soit familiale (son fils), familière (Gabin, les hamsters…), future familiale (se remariera-t-il enfin avec la mère du meilleur ami de son fils ?) ou thérapeutique (ses patients).

Chacun incarne une histoire à lui tout seul, un début de roman, pas toujours heureux : Ella, avec le cyber harcèlement et la question du transgenre, Margaux la suicidaire, sa petite sœur, la mère folle de Gabin, Samuel qui cherche son père, et le trouve – on se demande à plusieurs reprises si c’est pour son malheur ou son bonheur. Le talent de Marie-Aude Murail, son humanité et son intelligence brassent ces questions et ces rencontres sans que jamais on ne se sente face à une leçon ou à un artifice. L’aspect feuilletonesque, proche du sitcom, de chaque chapitre, est justifiée par la récurrence des rendez-vous des personnages: ce cabinet de psy est très bien trouvé pour accumuler les portraits d’enfants et d’adolescents souffrants, ou d’adultes doucement et parfois franchement névrosés.

Sauveur ne les sauve pas, du moins pas de tout, mais il les aide à faire « avec » et à survivre, ce qui est déjà énorme – et plus plausible. Pas de happy end miraculeux pour lui non plus : Marie-Aude Murail ne prend pas ses lecteurs pour des drogués aux contes de fées. Elle est aussi une des rares auteures qui proposent à un jeune lectorat des « héros » adultes, montrant que ceux-ci sont parfois tout aussi perdus que les adolescents : que ceux-ci n’aient, dans la littérature qui leur est adressée, pas le « monopole » du tourment, c’est une bonne chose. Le partage est d’ailleurs l’une des vertus mises en avant par cette belle série : que ce soit celui du toit, du repas, des mots, des soucis, des amis… ou des hamsters !

 

 

 

 

Fans de la vie impossible

 Fans de la vie impossible
Kate Scelsa (Trad. Faustina Fiore)
 Gallimard, Scripto, 2016

 

 

 Adolescents en souffrance

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

 fans de la vie impossible imageCe récit nous fait entendre successivement et alternativement les voix de trois adolescents très mal dans leur peau.

Jérémy, passionné d’art, incapable d’entrer en relation avec les autres, abandonné par sa mère et élevé par deux hommes, Sebby, homosexuel déclaré en rupture d’études,  élevé par une nourrice de la DAS débordée, et Mira, pliant sous le poids de ses kilos et de sa dépression nerveuse.

Quand Jérémy rencontre Sebby au lycée, pour la première fois de sa vie, il ne se sent plus seul. Et comme Mira a besoin de Sebby pour tenir, ils vont former un trio inséparable. Seuls, ils sont vulnérables et en proie à leurs obsessions ou addictions même, mais ensemble, ils sont heureux, s’inventent des fêtes ou des rituels, peuvent même aider les autres.

C’est une description  très dure et réaliste d’une jeunesse à qui « on ne laissera jamais croire que c’est le plus bel âge de la vie ». Elle est faite sans aucun tabou sur l’homosexualité, la drogue, le suicide,  et sur,  d’un côté, une Amérique en perdition, et de l’autre, des familles bourgeoises accrochées à leurs préjugés sur les grandes écoles et la réussite sociale.

 

Tous nos jours parfaits

Tous nos jours parfaits
Jennifer Niven  
Gallimard, Jeunesse, 2015

 

Deux jeunes gens aux prises avec la mort

Par Maryse Vuillermet

tous nos jours parfaits image2 Violet et Finch se rencontrent sur un toit, tout en haut du clocher de leur lycée,  décidés tous deux à se suicider. Mais Finch réussit à sauver Violet, à la faire redescendre.

Finch est un original, une bête curieuse pour les autres, tantôt plein d’énergie, tantôt déprimé et suicidaire. Violet a tout pour elle, comme on dit, belle intelligente, populaire,  mais elle a perdu sa sœur dans un accident de voiture et depuis, s’isole et n’arrive pas à faire son deuil.

Sous le prétexte de travailler ensemble à un exposé sur les richesses à découvrir dans leur région, Violet et Finch apprennent à se connaître, s’apprivoisent peu à peu, partagent la même recherche de beauté, l’une en photographie, l’autre dans l’écriture et la peinture.

L’alternance stricte des points de vue des deux adolescents permet des suivre de l’intérieur leurs tourments et l’évolution de leur relation.

Et puis, un jour Finch disparaît mais laisse à Violet des indices pour le suivre dans sa quête. On comprend assez vite que Finch est un bipolaire, qu’il souffre d’absences, de trous de conscience vertigineux, qu’il ne dort quasiment pas mais que les adultes autour de lui, parents, psychologue, enseignants n’arrivent pas à le comprendre ni à percer ses mensonges.

L’atmosphère est étrange, à la fois poétique, car les deux jeunes sont artistes et sensibles, et qu’au cours de leurs recherches, ils rencontrent des personnages hauts en couleur, rencontres magnifiées par la beauté de l’hiver américain, et tragique, car la disparition de Finch est inquiétante et sa recherche haletante.

Un beau roman d’amour, de mort, des personnages de jeunes puissamment singuliers.

 

La Dose

La Dose
Melvin Burgess
Traduit (anglais) par Laetitia Devaux
Gallimard (scripto), 2014

Révolution létale

Par Anne-Marie Mercier

Melvin BLa Doseurgess s’est fait connaître par ses romans provocants et celui-ci ne déçoit pas les attentes, il en rajoute même. On y trouve à la fois la question des drogues, celle du suicide, de relations sexuelles – consenties ou non–, de la violence, de l’action politique, des différences de classe… Au cœur de l’action et d’après les propos de Burgess, à la source du roman, se trouve l’idée d’une drogue qui donnerait à celui qui en prend une seule dose une semaine fantastique d’énergie et de désinhibition, puis la mort. Le comportement de ces sursitaires de la mort est décrit comme celui que l’on a observé lors d’épidémie de peste, ou plus récemment de SIDA : puisque la vie s’achève, que le monde croule avec moi.

Des activistes se servent de cette vague pour accompagner un mouvement révolutionnaire qui ressemble beaucoup aux récents « printemps arabes ». L’action se passe dans une Angleterre misérable, paralysée par l’action des gangs et la corruption. Faut-il y voir une projection de l’actualité, sachant que si le chômage y a un peu baissé, la quantité de nouveaux pauvres a augmenté dans ce pays, avec, comme dans d’autres pays européens, une exaspération grandissante vis-à-vis des banques et des riches, de plus en plus riches et arrogants?

L’action commence avec des scènes d’émeutes et s’achève avec la victoire de la révolution, proclamée sur la grande place de Manchester. A l’issue de la mort, programmée et mise en scène lors d’un concert, d’un chanteur qui a pris du Raid (« la dose »), Adam et Lizzie, 15 ans, se livrent avec allégresse au pillage des magasins du centre-ville, à l’attaque de la mairie et à l’affrontement avec la police. A l’issue de péripéties qu’il serait un peu long de résumer, Adam prend du « Raid » devient provisoirement délinquant, la jeune fille se livre à ce qui ressemble à un début de prostitution (certes, pour la bonne cause : elle se lie avec le fils d’un dealer richissime pour sauver son ami). Il se trouve que le fiston du dealer est un pervers fou, que le frère de l’ami qui était mort est un activiste kamikaze, que le papa dealer ne craint pas de faire assassiner ou torturer les gêneurs, jeunes ou pas, garçons ou filles… etc. Il y a de l’action, différentes intrigues qui se rejoignent toutes à la fin (un peu trop), tout cela est bien ficelé (un peu trop). Enfin, on en a sa dose.

Comme des images

Comme des images
Clémentine Beauvais
Sarbacane (X’), 2014

 

La vie à pile ou « face »

 Par Anne-Marie Mercier

Comme-des-imagesOn sait la place que prennent les réseaux sociaux, Facebook, les mails, les échanges de vidéos et de photos dans la vie des adolescents. On sait aussi les ravages qu’ils peuvent faire. Ce roman a le mérite d’aborder ces thèmes mais aussi de les lier à une question plus complexe qui les sous-tend, celle de d’image de soi : celle qu’on construit, celle que les autres nous renvoient, celle qui se déchire et s’abîme de façon parfois mortelle.

Il est inutile de raconter l’histoire : la composition du roman, qui mélange les temps et les tempos est extrêmement efficace et le rend absolument captivant. Le contexte est celui du lycée Henri IV à Paris, d’une histoire d’amour qui tourne mal, d’une histoire d’amitié un peu tordue, de jumelles, d’icônes de la classe. Elle est racontée par un personnage apparemment secondaire, qui pourrait être un «confident» de personnages tragiques au théâtre et qui pourtant prend toute son importance dans la leçon finale : certains adolescents sont «comme des images», c’est-à-dire qu’ils ne sont rien d’autre qu’une image construite. On peut douter de cette conclusion mais elle contient une  part de vérité, vérité utile.

La vie est belle

La Vie est belle
Christophe Léon
La joie de lire, Encrage   2013

  Souffrance au travail

Par Maryse Vuillermet

la vie ets  belle image J’avais été frappée par  la force et l’horreur d’un des romans précédents de Christophe Léon Silence, on irradie, publié chez Thierry Magnier en 2009 qui se situait dans des territoires dévastés par une explosion nucléaire. Celui-ci se déroule dans une famille dévastée  par  une explosion sociale. L’histoire commence par le récit fait par plusieurs passants de la défenestration  d’un homme sur  son lieu travail.

Puis, le récit se poursuit à la première personne du singulier. Lewis,  le narrateur,  quinze ans, fils de la victime du suicide, nous explique sa stratégie très réfléchie,  presque diabolique pour rencontrer et devenir l’ami de Julia,  une fille de son lycée. Or, il ne l’aime pas, et elle n’est pas jolie. Peu à peu, grâce à des retours en arrière, on comprend que son unique projet est la vengeance. En effet, son père a été harcelé par son chef,  humilié et conduit à la dépression et au suicide ; son sentiment d’échec, ses souffrances l’ont détruit,  lui et sa famille et le responsable, son patron, est le père de Julia.

Mais la mère de Lewis, elle,  a décidé de tourner la page, elle rencontre un homme simple et joyeux et veut refaire sa vie. Evidemment, Lewis le déteste mais accepte de l’accompagner au stand  de tir où il apprend à manier une arme. Les travaux d’approche fonctionnent,  il devient ami avec Julia qui, contre toute attente, se révèle être une fille intéressante.

Le grand jour arrive, il est invité  par les parents de Julia qui est même devenue jolie avec un peu de maquillage. Son frère Oscar a compris qui est Lewis, mais c’est un rebelle dans sa famille, il déteste son père et veut assister au règlement de compte.Tout semble se passer bien, le père de Julia, l’odieux patron qui a harcelé son employé, s’intéresse à Lewis, se montre prévenant. Que  va faire Lewis ? Va-t-il accomplir sa vengeance ?

Atmosphère étouffante et cruelle.  Suspens jusqu’à la fin.

Et récit d’une actualité poignante. L’entreprise s’appelle Violet Telecom, elle pourrait être n’importe laquelle des grandes sociétés de service qui maltraitent leurs employés et dont les suicides font régulièrement la une de la presse.Tous les protagonistes de l’histoire sont les victimes collatérales de ce nouveau fléau social mené au nom de la rentabilité,  appelé  harcèlement  au travail.