Le chat aux yeux bleus

Le chat aux yeux bleus
Egon Mathiesen
traduction (danois) par Catherine Schydlowsky-Nielsen
Circonflexe, 2010

Le vilain petit félin

par Christine Moulin

chat yeux bleus.jpgLa première édition (au Danemark) de ce livre date de 1949 ! Mais le trait est moderne, dynamique, drôle. Le personnage, un adorable chat aux yeux bleus, immenses, est attachant, courageux, sûr de lui sans forfanterie, et l’histoire, avec bonheur, sans pesanteur moralisatrice, s’inscrit, de façon à la fois humoristique et tonique, dans la tradition du « pas beau », du « pas gâté par le destin » qui triomphe à la fin.

Un vrai régal.

Le livre a reçu le prix de la Littérature pour enfants du Ministère de la Culture en 1954. Nos parents avaient du goût !

Le voyage de Kaouto le petit renne – Une épopée norvégienne pour l’enfance

Jan-Magnus Bruheim, Reidar Johan Berle
Le voyage de Kaouto le petit renne
Traduit du néo-norvégien par Aude Pasquier
Circonflexe, 2011

Une épopée norvégienne pour l’enfance

Par Dominique Perrin

renne0.jpg

Tu vas entendre l’histoire de Kaouto,
Le petit renne lapon de Kautokeino,
Qui a grandi en gambadant
Avec deux enfants, Matti et Aino.

(…) Le petit renne voulait rentrer, revoir
les aurores boréales et le soleil de minuit.
Chaque jour, il attendait Matti et Aino…
Il se languissait de son pays.

Voici un album de 1963 au statut assurément patrimonial à l’échelle de la Norvège, mais aussi à une échelle plus vaste. Republié dans la collection « aux couleurs de l’Europe » développée par la Bibliothèque internationale pour la jeunesse de Munich, il peut évoquer pour les lecteurs français quelques bijoux à dimension documentaire de la grande production du Père Castor, tout en s’en démarquant par son ampleur et sa forme. Il s’agit en effet d’un long récit que sa progression par strophes de quatre à cinq vers à la fois fort libres – du moins en traduction française – et attentifs à leurs effets sensibles rattache à une forme d’épopée pour la jeunesse : celle du voyage initiatique d’un renne résolu à retrouver les enfants dont il a été séparé pour être vendu à l’autre bout d’un pays long de plus de mille kilomètres de forêts et de neiges. Si la forme et le type de progression du texte sont assurément loin des habitudes actuelles – mais il y a bien de la fraîcheur dans la voix du poète qui hèle le jeune lecteur-auditeur –, l’image sobre et forte ne pâtit sans doute pas du même effet d’éloignement : les deux valent sans conteste le dépaysement.

Henri le petit cerf – Un trésor « est-allemand »

Fred Rodrian, Werner Klemke
Henri le petit cerf

Circonflexe, 2011

Un trésor « est-allemand »

Par Dominique Perrin

cerf3.gifUn jeune cerf amené de Chine dans un zoo d’Allemagne tente de se faire à sa nouvelle existence, avec beaucoup de bonne volonté et d’exigence en même temps. Les visites des enfants parviennent à le rendre heureux, mais à l’approche du solstice d’hiver, leur suspension l’affecte vivement – sa connaissance de la société humaine étant lacunaire concernant les fêtes de Noël. Voici donc Henri le jeune cerf parti pour regagner les forêts de Chine : la chose est périlleuse et éprouvante, et le jeune animal rebrousse finalement chemin vers le zoo lorsqu’il comprend mieux les usages des humains et retrouve des enfants sur sa route.
Mais peu de choses transparaissent, dans ce simple synopsis, de la qualité très singulière de cette œuvre parue en RDA en 1960 : il faut surtout dire l’humour sans équivalent, aigre-doux et tendre, du dessin autant que du texte, la justesse constamment imprévisible du décentrement dans le point de vue de l’animal candide et lucide.  Les deux pages de présentation savante – caractéristique de la collection « aux couleurs de l’Europe » soutenue par la Bibliothèque internationale pour la jeunesse de Munich – rappellent le parcours prestigieux et la popularité réelle, auprès des aultes comme des enfants du dessinateur Werner Klemke (1917-1994) en Allemagne de l’Est. Son association régulière avec l’également talentueux Fred Rodrian, spécialisé quant à lui dans la littérature de jeunesse, donne ici lieu à un ouvrage extrêmement tendre et incisif, qui constitue, sans doute, un témoignage parlant de la tonalité singulière de la création littéraire pour la jeunesse en RDA.

Max et son art

Max et son art
David Wiesner

Circonflexe, 2011

Arthur, c’est quoi, l’art? Arthur?

par Christine Moulin

Avec David Wiesner, on peut toujours s’attendre à une forme de magnificence visuelle généreuse et débordante, fondée aussi sur la précision du trait et l’abondance des détails: on n’est pas déçu! Les deux « monstres » protagonistes de l’histoire, préhistoriques caméléons, ont des attitudes, des expressions particulièrement éloquentes. Tous les registres de l’émotion se lisent dans leurs yeux et leurs mimiques. Toutes les mises en pages sont convoquées. Les doubles pages sont particulièrement efficaces mais laissent parfois la place à des vignettes empruntées à la bande dessinée. Les couleurs, qui sont aussi le thème de l’histoire, sont subtiles et signifiantes (regardez donc l’épisode de la colère, de la rage d’Arthur, mais aussi le bleu délicat de son absence…)

La richesse du propos n’est pas en reste: on peut lire dans cet album une fable sur les rapports parents-enfants, père-fils, en particulier. Certes, Max n’est sans doute pas le fils d’Arthur mais c’est en tout cas son fils spirituel. Il veut faire comme lui: peindre. Mais la transmission est difficile, laborieuse, elle demande du temps et de la patience, qualité dont Arthur, un peu égocentrique (voire vaniteux) n’est guère pourvu, pas plus que Max, bouillant, fougueux, dérangeant, maladroit, étourdi. Un gosse, quoi… Arthur devra s’effacer, au sens strict du terme, pour que Max puisse trouver sa place, sans prendre celle de son père, sans le faire disparaître, sans le tuer, comme il l’a d’abord fait, par une maladresse oedipienne.

Mais, bien sûr, le livre parle aussi de la création: le travail qu’elle requiert (peut-être ne faut-il pas vouloir tout de suite peindre; peut-être faut-il passer par l’étape plus ardue mais plus féconde du dessin), la part du hasard qu’elle recèle, l’humilité qu’elle exige (Arthur est un peintre « arrivé », on le voit bien mais n’a-t-il pas perdu son âme et n’a-t-il pas besoin qu’on le « secoue » un peu pour qu’il renouvelle son inspiration et ose des « gestes » bien proches de ceux de l’art contemporain?), les liens entre le réel et l’art (faut-il faire « ressemblant »? peut-on ne peindre que dans le cadre étroit de la toile?). Le rôle du langage et des ses ambiguïtés est également souligné: car au fond, ce qui est l’élément déclencheur, c’est l’erreur féconde de Max, encore englué dans le réel, sur l’expression « tu pourrais me peindre ».

Une question non résolue (parmi d’autres): pourquoi voit-on la couverture du disque des Pink Floyd, Atom Heart Mother,  dès la première page? Simple hommage? Manière de laisser à penser que ce qui va être dit de l’art pictural concerne tous les arts?

Peu importe: comme tous les chefs d’oeuvre, cet album renouvelle à chaque lecture les questions qu’il nous pose.