Le Flocon

Le Flocon
Bertrand Santini, Laurent Gapaillard
Gallimard jeunesse, 2020

L’infini au creux de la main; le monde et le temps dans un album

Par Anne-marie Mercier

« Conte inspiré du recueil de Johannes Kepler, « L’étrenne ou la neige sexangulaire » (1610), dans lequel, après avoir badiné sur une offrande de presque rien pour un jour de nouvel an, Kepler traite de la structure du flocon de neige et de l’organisation du monde vivant, ce bel album, grand et étrange, au format atypique, marque par son ambition.
Le point de départ est le même : Kepler offre au roi « presque rien » : un flocon de neige, ce qui entraine la raillerie des courtisans. Faisant observer le flocon au roi à travers un télescope, il lui fait voir l’infini du monde et le néant de l’homme, créature parmi les autres et non roi de la Création, ce qui fait hurler les dévots et traditionalistes.
Le texte, en vers, est simple et alerte. Les illustrations, en tons de gris, sont au contraires très fouillées et sombres, sous la forme de gravures d’allure gothique. Elles présentent des architectures et des costumes de personnages typiques de l’époque, mais aussi des animaux de tous les continents, jusqu’à l’infini du cosmos et du temps, l’expansion de l’univers puis son effondrement. Elles sont souvent vertigineuses, proposant des points de vue étonnants et des perspectives infinies.
L’ensemble est superbe et donne à penser, à rêver peut-être ?

On découvre ici un autre aspect du talent de Bertrand Santini, et le magnifique travail de Laurent Gapaillard, l’excellent illustrateur des couvertures de La Passe-miroir,  du Yark, de la nouvelle édition du Prince Pipoque du très beau et du très bon!

La Nuit est pleine de promesses

La Nuit est pleine de promesses
Jérémie Decalf
Amaterra 2020

Voyageur il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant (Machado)

 

Par Michel Driol

Quand la métaphysique, la poésie et la science se rejoignent, on a un superbe album comme celui-ci. C’est la sonde Voyager 2 qui parle, et qui raconte sa construction, son départ, son voyage à travers le cosmos, à la recherche d’autres vies possibles. Le soleil, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et ensuite ? Voyager 2, lancée par la NASA en 1977, tout comme Voyager 1, est une sonde destinée à explorer l’univers, en envoyant des données, mais elle porte aussi un message à destination d’autres formes de vie : des informations sur la terre, mais aussi de la musique.

L’album est de ceux qui ne laisseront pas indifférents ses lecteurs par la beauté des pages et des illustrations. De grandes pages noires, constellées de points lumineux, les étoiles, à l’image exacte de ce que nous avons quand nous regardons le ciel par une nuit étoilée : voici l’espace, dans son immensité qui donne le vertige. Et, comme un fil d’Ariane ténu, une minuscule sonde qui progresse, frôle des géants (Saturne, Neptune) avant de se retrouver dans le vide intersidéral. Portant toujours cette même interrogation : qu’y a-t-il plus loin ?

Si les images sont envoutantes, le texte, d’une grande sobriété poétique, – phrases courtes, groupes nominaux – fait alterner les interrogations et les constats de la beauté et de l’immensité du monde. L’une de ses forces vient de ce qu’il donne la parole à cet étrange objet qu’est la sonde. Invisible désormais, elle ne peut demander au terrien que de l’imaginer, perdue dans l’un des infinis pascaliens, preuve à la fois de la grandeur de l’homme dans son pouvoir technologique et de sa petitesse. La question initiale traverse tout l’album : qu’y a-t-il là haut ?

Un album qui parle à la sensibilité pour évoquer la façon dont la science tente de répondre aux questions fondamentales et sans réponses que se posent, au-delà des écrivains et des philosophes, tous les hommes.

N’hésitez pas à aller feuilleter le livre sur le site de l’éditeur : https://www.amaterra.fr/catalogue/la-nuit-est-pleine-de-promesses/

 

 

Glow (Mission nouvelle terre, t. 1)

Glow (Mission nouvelle terre, t. 1)
Amy Kathleen Ryan
Traduit (Etats-Unis) par Alice Delarbre
Le Masque (Msk), 2012

Moissons intergalactiques

Par Anne-Marie Mercier

glowLes éditions du Masque proposent de belles surprises en littérature pour adolescents. La série de la Grande Ecole du mal et de la ruse de Mark Walden offrait déjà une alternative de qualité aux consternants volumes de la série Cherub. Cette nouvelle série, présentée comme destinée aux amateurs de Hunger games (et en fait sans rapport avec cette série), ne manque pas d’éléments originaux et même surprenants, tout en maniant avec habileté tous les ressorts du suspens.

Dès la première page, on se trouve confronté à un univers peu conventionnel, mêlant voyage intergalactique et moissons dans un champ de blé. La première surprise passée, on comprend qu’on est embarqué avec les héros pour un long voyage dans des astronefs géants qui reproduisent la vie sur terre, une vie essentiellement agricole, afin de maintenir un cadre de vie et de ressources naturelles qui puisse être transplanté sur une autre planète.

Le héros est beau, il est destiné à un bel avenir (pilote en chef après le pilote en chef du moment), l’héroïne est très convoitée mais est destinée au héros (jusqu’ici, rien que de très banal). La société semble parfaite et fraternelle. L’avenir est radieux, l’ancienne terre est devenue un enfer qu’on a fui.

Mais très vite cette belle utopie déraille : la question de la reproduction apparaît comme centrale et sur ce vaisseau comme sur celui qui les attaque, on cherche à faire en sorte que des enfants naissent le plus vite possible. Les attaquants de l’autre vaisseau tuent la plupart des adultes et enlèvent toutes les filles, les adultes survivants se lancent à leur poursuite. L’histoire se déroule en deux récits parallèles, avec les deux héros séparés comme narrateurs. Dans le premier vaisseau, Kieran affronte une guerre d’ados pire que celle qui hante Sa Majesté des mouches, tandis que Waverly se retrouve dans une communauté sectaire guidée par une femme pasteur hypocrite et sans scrupules…  Autant dire que cela va très mal jusqu’à ce chacun arrive à redresser un peu la situation et que les filles puissent rejoindre le vaisseau de leurs frères et amis. Mais Kieran est lui-même devenu un chef de secte très inquiétant, et son seul opposant est le diabolique Seth, prédestiné au mal par ses origines et son prénom.

On retrouve des éléments de la colonisation de l’Amérique par les puritains, un rapport ambivalent à la ferveur religieuse, et une interrogation assez forte sur la possibilité de relations humaines fraternelles et solidaires : si le Bien semble triompher, c’est après avoir fortement vacillé et pour prendre ensuite à son tout un visage inquiétant… paranoïa garantie. A suivre, donc…