Au début

Au début
Ramona Badescu, Julia Spiers
Les grandes personnes, 2022

Quand la fin est dans le début

Par Anne-Marie Mercier

Au début, on aurait pu être prévenu par la couverture qui disait clairement qu’il allait être question d’oiseaux, d’arbres et de fleurs. Mais l’automatisme est là : dès qu’on voit des personnages humains on pense que ça va être leur histoire. Dans cet album, ce n’est qu’en partie vrai. « Au début », ils sont nombreux « dans l’ombre fraîche du vieux néflier ». Journée d’été, rencontre de personnes d’âges différents dans un jardin: des voisins, une famille ? La réponse vient petit à petit.
La suite n’éclaire pas mais perd encore un peu plus : la date, présente sur chaque double page, recule dans le temps. On voit une éclosion d’œuf, un œuf entier, un couple d’oiseaux… puis un bébé, puis une jeune femme enceinte : l’histoire se rembobine.
Elle va jusqu’au début de tous ces débuts, l’été 1952, quand une troupe d’enfants incarnée par le « on » du narrateur, rentre assoiffée de la plage et va chiper des nèfles pour se désaltérer. Ils en rapportent dans le jardin où le néflier n’a pas encore poussé, crachent les noyaux par jeu. On devine la suite.
Alors, on reprend l’album pour tourner les pages en sens inverse et on découvre qu’il a deux pages de couverture et deux pages de titre, une au début et une à la fin. On voit les différentes étapes de la croissance de l’une des pousses issues des noyaux du départ. Parallèlement on voit l’histoire de l’un des enfants du groupe, son adolescence, sa solitude, la rencontre d’une fille, le mariage, les enfants, les petits enfants et on reconnait le narrateur dans l’homme aux cheveux gris du début. Ainsi, le sujet principal est le temps, le temps de pousser, de vivre, d’engendrer, de savourer la vie – et le temps de la lecture et de la relecture.

Les aquarelles illustrent très joliment cette histoire et la portent avec efficacité dans cet album avec très peu de texte. Elles recréent une atmosphère d’enfance et de jeu : formes rondes, couleurs tranchées, simplicité, avec une petite allure « vintage »  années 50.

La Fille qui navigua autour de Féerie dans un bateau construit de ses propres mains

La Fille qui navigua autour de Féerie dans un bateau construit de ses propres mains
Catherynne M. Valente
Traduit (Etats-Unis) par Laurent Philibert-Caillat
Illustrations d’Ana Juan
Balivernes, 2015

Sur la mer des histoires

Par Anne-Marie Mercier

Quelle bellCouvRVB_LaFilleQuiNaviguaAutourDeFeerie_10cme surprise et quels merveilleux moments de lectures ! « Moments » est au pluriel car c’est un livre qui se déguste, qui infuse, qu’on n’a pas envie de finir, enfin un livre rare. Cela ne signifie pas qu’il n’a pas d’intrigue : l’héroïne, une fois enlevée sur les ailes du vent vert, fuyant les « tasses à thé roses et jaunes et les petits chiens affables », a bien des obstacles à surmonter pour entrer dans Féérie, retrouver des objets perdus par des sorcières, résoudre des énigmes, sauver ses amis échapper aux manipulations de la Marquise tyrannique qui règne sur ce monde, retrouver la bonne Reine mauve (à moins que les deux n’en soient qu’une), et tout simplement survivre à de nombreux dangers, le pire étant représenté par la forêt d’automne qui la transforme un temps en arbre mourant, se dépouillant peu à peu de ses feuilles et de ses branches.

L’héroïne s’appelle Septembre, elle porte une robe orange, et la veste verte laissée par le vent. Une atmosphère automnale domine: nostalgie des choses au moment où elles étaient dans tout leur éclat, impression d’une fin imminente… Les amis qu’elle rencontre sont étonnants et tous en quête d’un objet ou d’un être perdu : la merveilleuse Lessive qui vous plonge dans des bains qui vous lavent du passé et vous insufflent du courage, le surprenant Vouivriothèque, A-à-L, mélange de vouivre (proche du dragon) et de bibliothèque, qui sait tout ce qui dépend des mots de la première moitié de l’alphabet, un garçon de pierre bleu…

Si le livre est épais, il peut se lire en étape ; chaque chapitre est consacré à la découverte d’un monde et de la logique surprenante, de ses habitants étranges. Il y a beaucoup de l’univers d’Alice, de nombreux clins d’œil, comme à celui de Lewis (un placard permet de passer entre les mondes), mais aussi un grand nombre d’inventions surprenantes et poétiques. Poétique aussi le style, avec une traduction merveilleuse qui crée un rythme, une musique prenante. Quant aux illustrations elles sont à la hauteur du livre, originales, touchantes, un peu grinçantes… elles sont entre Rébecca Dautremer et  Teniel, proprement merveilleuses.

A conseiller à tous les amateurs de féérie un peu cruelle et décalée, petits et grands !