Le Chemin

Le Chemin
Claude Ponti
L’école des loisirs, 2023

Un chemin peut en cacher deux autres : Claude Ponti sur les routes d l’expérimentation

Par Anne-Marie Mercier

« Un chemin ne s’arrête jamais ».
Claude Ponti excelle dans les histoires de chemins, les bons qui amènent à bon port, ou les mauvais qui font exprès de perdre les gens. Jusqu’ici ils n’étaient qu’un élément de ses albums. Dans ce grand leporello, le chemin est le personnage principal, celui qui porte la narration et les évènements, favorise la découverte d’êtres étonnants (un gobe-pluie, l’éléphant montagne, des poussins, Robert le robot rutilant…), le passage sur des ponts, les bifurcations… Ce leporello coloré impose un ordre que l’on peut s’amuser à interpréter.
Dans le beau coffret cartonné dans lequel il est présenté on trouve aussi un jeu de cartes proposant une reproduction de chacune de ses images au même format mais de façon détachée. Ceci offre au lecteur la possibilité de construire son propre chemin avec les mêmes étapes, que l’on choisira ou pas et que l’on placera dans l’ordre de son choix: c’est un exemple de lecture aléatoire (un peu comme des la série des livres dont vous êtes le héros, mais ici le lecteur est maître du jeu).
Sur un petit livret joint à l’ensemble, on peut lire un texte de Claude Ponti exprimant sa philosophie du chemin : ses définitions et ses qualités, variées et surtout variables.
Au dos du leporello, des dessins en noir et blanc poursuivant l’aventure du chemin alternent avec des faces blanches : le lecteur peut colorier l’existant et inventer la continuité entre les pages vides et les pages pleines.
Quel boulot, la lecture !
Tout cet ensemble apporte une pierre à la connaissance de l’univers de Claude Ponti, dans lequel la linéarité ne rime pas avec la régularité et où domine la variabilité. Pierre à l’édifice, ou caillou sur le chemin ? C’est comme on voudra.

Le Petit Chaperon Rouge / Les Trois Petits Cochons

Le Petit Chaperon Rouge
Texte Charles Perrault illustré par Clémentine Sourdais
Les Trois Petits Cochons
Texte de Sophie Giraud illustré par Clémentine Sourdais
Hélium 2023

Pour jouer avec les ombres portées

Par Michel Driol

Deux contes republiés par les Editions hélium, deux leporellos à déplier, deux livres d’artiste avec des découpes pour lire le soir, et jouer avec les ombres.

Pour les Trois Petits Cochons, pour lesquels il n’existe pas de version française de référence, c’est Sophie Giroud qui propose une adaptation féministe, dans laquelle le troisième frère est une sœur, bien plus maligne et rusée que ses deux frères. Pour le Petit Chaperon Rouge, c’est la version de Perrault qui est retenue, moins consensuelle, dans le texte original, avec sa moralité.

C’est un vrai travail artistique que propose Clémentine Sourdais : des découpes pleines de finesse, pour isoler les personnages et des décors, des touches de couleur (rouge dans un cas, rose dans l’autre), des volutes, des lianes, des arbres…Les personnages sont souriants, heureux de vivre, à l’exception du loup ! Le tout s’inscrit dans un décor et avec des accessoires contemporains : les petits cochons ont vélo et voiture, et le Petit Chaperon rouge habite dans une ville aux nombreux immeubles. Tout ceci ne manque pas d’humour : voir par exemple les sous-vêtements très rétro du Petit Chaperon Rouge, ou la serviette autour du cou du loup ! Ces deux théâtres de papier sont pleins de trouvailles, et proposent des versions animées d’histoires connues, utilisant les techniques d’aujourd’hui (découpe laser) pour offrir un jeu avec les ombres projetées, mouvantes, et rendre le loup plus terrifiant encore…

 

Preuve, s’il en fallait encore, que les contes d’hier parlent encore aux artistes et aux enfants d’aujourd’hui.

Tout noir

Tout noir
Gilles Baum – Amandine Piu
Amaterra 2022

La petite New-yorkaise aux allumettes

Par Michel Driol

Une petite fille aime être sur le toit de son immeuble le soir quand soudain tout s’éteint. Inquiète, elle se demande si sa maman retrouvera le chemin de la maison, et elle décide de partir à sa recherche, 3 allumettes en poche. A la première allumette, un girafon l’accompagne, tandis que les objets, comme pris de folie, quittent les devantures des magasins. A la deuxième, un homme-de-rien, saxophoniste, l’accompagne. Et à la troisième, sa maman, assise sur un banc avec son amie Et la petite troupe de rentrer à la maison, guidée par cette allumette, devenue magique.

C’est d’abord un bel objet livre, particulièrement soigné et original, qu’on retire d’un long étui en carton, comme une longue boite d’allumettes. Une fois ouvert, c’est un magnifique leporello qui montre un univers urbain nocturne, sombre, avec juste ce qu’il faut de découpes pour laisser paraitre la lumière jaune  des fenêtres, puis des allumettes. Des dessins délicats, en gris sur fond noir, laissent entrevoir les personnages qui déambulent dans la ville sans lumière. Personnages minuscules, jusqu’aux retrouvailles attendues, comme pour souligner l’immensité de la ville devenue étrangère et inconnue, menaçante. Tout ce dispositif iconique est au service d’un récit à la première personne, un récit qui dit l’angoisse de la narratrice, qui part en quête de ce qu’elle a de plus cher au monde pour lui permettre de retrouver son chemin. Cette quête urbaine se situe en fait dans un univers poétique et onirique, dans lequel les objets échappent à leur condition. D’eux-mêmes ou fruits de larcins provoqués par cette panne d’électricité géante ? Dans ce désordre, la fillette fait deux rencontres. Celle de la nature, avec ce girafon improbable, tout aussi perdu qu’elle, et celle d’un saxophoniste, dans un quartier des théâtres aux enseignes éteintes, comme pour dire la permanence de l’art et de la musique. Cette petite fille dont la maman qui travaille la nuit a gardé son tablier sur elle, belle façon de la situer dans un certain milieu social que pudiquement on qualifierait de défavorisé, devient à la fin de l’histoire celle qui va éclairer le monde par le pouvoir de sa lumière : superbe symbole de la lumière plus forte que la nuit, de l’espoir plus fort que la désespérance.

Au fond, quelle meilleure façon de parler de ce superbe album que de citer Eluard ?

La nuit n’est jamais complète.
Il y a toujours puisque je le dis,
Puisque je l’affirme,
Au bout du chagrin,
une fenêtre ouverte,
une fenêtre éclairée.
Il y a toujours un rêve qui veille,
désir à combler,
faim à satisfaire,
un cœur généreux,
une main tendue,
une main ouverte,
des yeux attentifs,
une vie : la vie à se partager.

Une frise à déployer pour illustrer le combat de la lumière, toujours fragile, et de la nuit si menaçante, avec une petite fille, vraie héroïne de conte attachante. Comme une petite fille aux allumettes pleine d’espoir et d’optimisme.