Ça gazouille

Ça gazouille
Constantin Kaïteris / Kotimi
Møtus 2021

A bec et à plumes…

Par Michel Driol

Voici un bestiaire un peu particulier : il ne concerne que les oiseaux. Bien sûr, on y trouvera les oiseaux familiers, pigeons, mésanges ou fauvettes. Mais aussi d’autres aux noms plus exotiques…

De ces oiseaux, on n’apprendra pas grand-chose car ce bestiaire n’est pas ouvrage de naturaliste. Entre le compte tenu des choses et le parti pris des mots, l’auteur a choisi le second. D’ès l’ouverture où il question des noms d’oiseaux, dans leur précision, mésange plutôt que petit oiseau avec du bleu sur la tête. Ce qui conduit au second poème, se traiter de noms d’oiseaux… On le voit, c’est la langue qui est au centre de ce recueil, une langue souvent drôle, qu’on questionne, qu’on fait jouer dans tous les sens, avec des poèmes proches de l’Oulipo dans la construction ou la façon de traiter les mots et leur succession. Les mots sont là pour leurs sonorités,  lophophore ou encore tichodrome échelette. Les poèmes jouent donc avec la langue, évoquant les multiples cris d’oiseaux sous forme d’onomatopées, ou le verbe savant et incongru qui s’applique à leur chant. Ils se jouent des paronymes (sarcelle/sorcellerie), des calembours (coq de bruyère/ stock de gruyère), de l’exploration des syllabes (le canari a ri à Cannes). Mais ils jouent aussi avec l’intertextualité : clin d’œil à Prévert, on refait ainsi le portrait d’un oiseau, clin d’œil à la Fontaine, on revisite le corbeau et le renard, clin d’œil à Perrault et aux bottes de sept lieus (sic) de l’aigle botté… Ils jouent aussi avec nos expressions imagées, les prenant au pied de la lettre, triple buse, tête de linotte… Ils jouent enfin parfois avec la typographie, lorsque la mouette plonge…

Avec humour et tendresse, le recueil explore les lieux de prédilection des oiseaux : jardins,  ciel, ou leurs origines (Sénégal, Népal, Hymalaya) pour terminer sur un poème intitulé les oiseaux migrateurs, qui passent au-dessus les frontières, sans papiers, donnant ainsi une clé de lecture à l’ensemble du recueil. C’est de la liberté et de la diversité des oiseaux qu’il est question ici, comme une façon de les donner en modèle aux hommes…

Avec humour, Kotimi propose des oiseaux expressifs, toujours soulignés d’un trait de bleu, comme pour dire l’immensité du ciel, leur élément naturel.

Un recueil de poèmes dont l’écriture joue avec les codes de la langue pour mieux dire la richesse du monde des oiseaux, leur diversité, leur liberté.

La Face cachée du Prince Charmant

La Face cachée du Prince Charmant
Guillaume Guéraud & Henri Meunier
Rouergue 2019

Tout homme a une double postulation…

Par Michel Driol

Sur une première double page, un portrait élogieux du Prince Charmant. Tout n’est que beauté, amour, délicatesse et distinction. Mais tournez la page.  Le même texte, caviardé, révèle une autre image, celle d’un être  sombre, maladroit, rustre, impoli… tandis que l’image est devenue noire. Le même procédé se répète huit fois, tandis que la dernière page caviardée révèle la vérité du Prince : il est juste comme toi et moi.

On se souvient que le caviardage est un des procédés de réécriture proposés par l’Oulipo. Le voici justement proposé dans un album jeunesse, avec beaucoup d’à-propos et d’humour. Autant le texte de la première double page est lisse, laudatif, soutenu, autant celui de la page caviardée, familier  frôle la scatologie pour le plus grand plaisir du lecteur. Bien sûr, on l’a compris, ce jeu avec les mots renvoie à la réalité humaine, au bien et au mal présents en chacun, à l’ange et au démon qui sommeillent en chacun de nous. Les illustrations montrent un Prince Charmant très enfantin, prompt parfois à se réfugier dans les jupes de sa mère, ce qui renforcera l’identification du jeune lecteur avec ce personnage à double visage. C’est aussi une façon de dédramatiser les crises, les angoisses, les colères enfantines.

Un album carnavalesque, qui fait alterner le haut et le bas, et révèle de jubilatoires surprises.

 

Pool!

Pool
Pascale Petit,  Renaud Perrin (ill)
Rouergue  2014,

  Jeux avec les mots  et les lettres

Par Maryse Vuillermet

Pool image  Pool comme poule sans « e » ou comme équipe en anglais.  En effet une écrivaine et un dessinateur se sont associés  pour parler de la poule et jouer avec les mots, les proverbes, les fables, les noms d’oiseaux, tout en respectant une consigne oulipienne : écrire sans « e ». Cela donne des jeux sur le langage, et sur toutes les figures autorisées. La recette de la tortilla sans e, des petites annonces de rencontres d’oiseau sans « e », des fables ( par exemple Le renard et le corbeau deviennent boss corbac and boss goupil) et des pages de Tintin revisitées, beaucoup de clins d’œil à l’OULIPO, à Georges Perrec dont on reconnaît le visage dessiné par Renaud Perrin, ou encore des références au cinéma de Hitchcock.

Le dessin et le texte  sont très inventifs, intelligents, drôles. A  recommander  aux enfants débrouillards et même aux parents rigolards.

Le Livre magique des contes infinis

Le Livre magique des contes infinis
José Antonio Moreno Alfonso (éd?)
Illustré par Eric Puybaret
Traduit (espagnol) par Prospérine Desmazures
Gautier Languereau, 2010

Ouvroir de contes : ad libitum

par Anne-Marie Mercier

lelivremagiquedescontes.aspx.gifL’objet se présente d’abord comme un grimoire : c’est un grand format, épais, en fait une boîte. Dissimulé à l’intérieur, ce « livre magique ». On ne sait qui est l’auteur de cet ouvrage étrange. Il a en tout cas un « éditeur » déclaré, José Antonio Moreno Alfonso, qui en donne le, ou plutôt les modes d’emploi.

Mode d’emploi pour les raconteurs, lors de la lecture : garder le mystère, ne jamais faire voir les pages de ce livre, commencer et clore les histoires par les mêmes formules, proposer des substituts, des variantes…

Mode d’emploi de la création des histoires : hors les phrases de début et de fin, les histoires sont faites chacune de la succession de 73 paragraphes issus des 73 doubles pages du livre : on prélève ces paragraphes dans l’ordre, de 1 à 73, mais de façon aléatoire à l’intérieur de chaque double page, chaque paragraphe, court ou long, pouvant y être choisi au hasard. Ce ne sont pas les mille milliards de poèmes de Queneau, mais 33 puissance 73 contes… ce qui est aussi impressionnant.

Un exemple : « Il était une fois/il y a très très très longtemps/dans un monde parallèle au nôtre/une jeune servante/tout en peluche/à l’oreille ornée d’un bijou/il chantait d’une voix enchanteresse/, était très adroit ».

L’idée est bonne, mais elle demande au lecteur d’être capable de s’adapter pour maintenir la cohérence du récit : on voit déjà le problème des accords en genre. Ou bien il lui faudra tricher pour choisir ce qui collera le mieux, et espérer que son auditeur patientera, feindre la recherche d’inspiration, ou tout autre retard.

Donc c’est inventif, tout en  restant traditionnel (les situations ne sont guère surprenantes : on se bat, le bien triomphe). Et cela propose un bel entrainement aux raconteurs qui se sentiraient en mal d’inspiration.

Quant aux illustrations, elles sont d’Eric Puybaret, pleines de fantaisie et de poésie et ce serait dommage que les enfants ne puissent les voir, ultime paradoxe de cette tentative hardie.