Prosper Redding, vol 2 ; : La Dernière Vie du Prince Alastor

Prosper Redding, vol 2 ; : La Dernière Vie du Prince Alastor
Alexandra Braken
Traduit (USA) par Isabelle Troin
La Martinière jeunesse, 2019

Gadoues diaboliques

Par Anne-Marie Mercier

Les aventures de Prosper Redding, habité par un démon nommé Alastor sont bien alambiqués, et pleines de péripéties, de recoins, de monstres divers tous plus gluants les uns que les autres. Elle se déroule dans le monde des démons, c’est donc une sorte de descente aux enfers qui mène le jeune Prosper à la recherche de sa sœur (voir le mythe d’Orphée). Pourra-t-il la retrouver ? Ayant vendu son âme et son corps au démon, pourra-t-il se sauver de cette malédiction ? que deviendra Alalstor, qui cherche en utilisant le corps de Prosper qu’il habite (ce thème du corps habité semble très présent ces temps-ci en littérature pour adolescents) à reconquérir son royaume ? toutes ces questions sont résolues dans les 485 pages de ce volume, en prenant son temps pour décrire les horrifiques créatures et les terreurs qu’elles suscitent. Enfin, la couverture est très réussie.

Ma cabane

Ma cabane
Loïc Froissart
Rouergue 2016

Robinsonnade ?

Par Michel Driol

macabaneLe narrateur, avec son gros sac à dos, se rend dans sa cabane, bien cachée dans la forêt. Il semble un peu surpris de découvrir un livre au ouvert au pied de l’escalier. Puis il s’installe, prend des photos, tandis qu’un ours brun tourne autour de la maison, le suit vers le lac. Le randonneur s’installe dans sa cabane, fait griller du poisson avec du miel, toujours sous le regard de l’ours, bien caché, piquenique, dort à la belle étoile, joue de la guitare, puis repart. Arrive alors l’ours, qui s’assied sur le rockingchair… et lit le livre !

Peu de texte dans cet album,  mais des doubles pages illustrant une forêt  baignant dans un océan de vert où se niche une cabane d’un rouge éclatant.  Les illustrations de Loïc Froissart sont à la fois précises, denses en détail, et naïves dans la représentation des arbres ou de certains éléments naturels. Fleurs, poissons, oiseaux, petits animaux peuplent cet univers sauvage et idyllique.

Ce qui se joue dans cet album, c’est d’une part la notion de possession, d’autre part la place de l’homme dans la nature. Le titre l’indique clairement « Ma » cabane et le texte reprend, à de nombreuses reprises, le possessif. Mais qui possède la cabane ? L’homme ou l’ours qui épie, surveille, et reprend vite possession des lieux une fois l’homme parti ? Plus largement, quelle est la place de l’homme dans cette nature ? Il y a construit, en rondins, sa cabane. Il s’y baigne, mais il semble assez indifférent  à toute la vie qui y grouille et qui l’accueille avec bienveillance. S’il se baigne nu, il a tous les attributs de l’homme civilisé : appareil photo, barbecue, guitare, cape de pluie et sac à dos. Il n’est là qu’un visiteur, somme toutes assez étranger à cette forêt qui vit très bien sans lui.

Un album réussi dans lequel on s’amusera à chercher l’ours, qu’on n’aura pas forcément vu à la première lecture. En ce cas, la chute inattendue invitera à une seconde lecture, plus attentive aux détails.

Emily et tout un tas de choses

 

Emily et tout un tas de choses

Piret Raud,
Traduit (estonien) par Olek Sekki
Rouergue, 2015

La plus importante des choses

par François Quet

EmilyImaginez quelque chose. Depuis toujours, vous avez une existence bien rangée. Vous consacrez chaque instant de votre vie à l’accumulation sans fin de possessions. Et puis, un jour vous découvrez qu’il vous manque la chose la plus importante qui soit. Votre recherche ne fait que s’accélérer, devenir plus fébrile, jusqu’à ce que vous découvriez que la chose la plus importante qui soit, c’est vous-même. Que feriez-vous une fois que vous vous seriez ainsi retrouvé(e) ?

C’est un petit conte, à première lecture très énigmatique, que propose l’auteure estonienne Piret Raud, l’histoire d’un poisson qui s’appelait Emily, une petite histoire tout à fait absurde : un poisson qui se réveille à 6 heures précises, qui se brosse les dents avec ponctualité et qui recueille les objets perdus au fond des mers. Qu’on ne songe pas à une fable écolo ! Piret Raud embarque — si l’on peut dire — son lecteur dans une aventure sous-marine plutôt loufoque où l’humour conduit peu à peu à la philosophie et à la sagesse. Emily trouve des haltères ou une pipe ( « des choses excellentes pour la santé et des choses mauvaises pour la santé »), un lustre, un palmier, une glace avec deux boules, etc. Tous ces objets, que le trait naïf de l’illustratrice représente à peu de frais sur une page blanche, avec une rare touche de vert et une bidimensionnalité revendiquée, s’accumulent autour d’Emily jusqu’au jour où un message dans une bouteille l’entraine à la recherche de la chose la plus importante et qui s’est malheureusement perdue elle-même.

La métaphore devient dès lors un peu plus transparente : rien n’est très important, aucune possession en tous cas. Emily se débarrassera bientôt de tous ses biens : désormais elle se contentera de regarder. « Et ça c’était une chose merveilleuse ». Un crayon, du papier et un regard sur le monde, c’est bien suffisant pour l’héroïne dont le visage et les yeux s’arrondissent enfin de plaisir.

Cet élan est à moi

Cet élan est à moi
Olivier Jeffers
Kaléidoscope, 2013

 Posséder un ami ?

Par Gabrielle Balluet, master MEFSC Saint-Etienne

cetelanestamoiMarcel, c’est l’élan de Wilfried. Comme animal de compagnie, il n’est pas exemplaire puisqu’il ne suit pas toujours à la lettre les (très très) nombreuses règles édictées par Wilfried, mais ils passent du bon temps ensemble, jusqu’au jour où le petit garçon découvre avec horreur qu’une autre personne pense également que l’élan lui appartient ! Olivier Jeffers, auteur et illustrateur du livre, nous interroge sur la notion de liberté qui apparaît clairement dans cet album, en s’appuyant sur l’humour. Le ton léger du livre permet aux plus jeunes de le lire sans difficulté et avec plaisir. Dès 7 ans, il questionne les enfants sur ce que signifie la liberté de mouvement et de choix de chacun, mais aussi sur la mainmise que l’homme peut avoir sur la nature, ou qu’un enfant peut avoir sur ses amis.

Les illustrations animent le texte de façon dynamique et positive, grâce à un trait stylisé très contemporain qui se détache sur un fond blanc, ou au contraire sur des peintures à l’huile figurant des paysages montagnards et sauvages. On se croirait parfois dans les montagnes d’Alaska, ce qui fait que la rencontre de l’enfant et de l’élan n’a rien de surprenant. Au fil de la lecture, il apparaît toutefois que l’élan va où bon lui semble, et surtout là où il y a des pommes ! Ces sont ces situations comiques et ces quiproquos qui ajoutent à la dimension humoristique de l’histoire. Tout comme Le Bonheur prisonnier, de Jean-François Chabas dans un autre genre, cette idée que l’homme peut être le maître d’un animal sauvage est abordée en utilisant l’humour, par l’intermédiaire de bulles et de rébus qui font parler les personnages ou qui reflètent leurs pensées. Le jeune lecteur s’identifie facilement à Wilfried qui n’est pas coupable de vouloir se faire un nouvel ami, et de le garder, même s’il le tyrannise un peu ! Ces différentes expériences le feront mûrir et prendre conscience que Marcel n’a pas de maître et ne lui appartiendra jamais réellement, même s’il ne semble pas opposé à passer du temps en sa compagnie. A lire et relire avec le même plaisir.