Awa, l’écho du désert

Awa, l’écho du désert
Céline Verdier, Nicolas Lacombe
Cipango, 2023

La petite fille, le vent et la voix

Par Anne-Marie Mercier

Née muette dans une tribu africaine nomade, Awa est exclue du groupe : les muets porteraient malheur. Un vieil homme qui vit à l’écart s’occupe d’elle et lui raconte les légendes de leur peuple, notamment celle d’un cheval fantôme, hanté par la vengeance, dont le passage apporte la tempête. Lorsque la tempête s’approche du village, Awa tente de donner l’alarme avec la seule voix qu’elle possède, celle de son tambour. En vain.
Mais elle affronte le cheval et parvient à l’arrêter en imitant sur son tambour, comme elle l’a appris du vieil homme, les bruits de la nature. Ce langage premier qu’ils partagent les unit. Awa partira sur le dos du cheval et entrera dans l’oralité de la légende.
Cette belle histoire, qui traite d’exclusion, de tendresse partagée, de sensibilité aux sons et d’apprentissage, est traversée de bout en bout par le vent. Les illustrations évoquent le sable du désert avec des teintes gris-beige piquetées de quelques points de couleurs, noires ou bien ocres et une technique qui évoque celle du tampon (en fait c’est réalisé avec du ruban adhésif, étonnant !). Par la suite, les couleurs explosent, superbes, avec l’arrivée du cheval, blanc sur fond rouge, puis rouge sur fond blanc, puis le jaune et le bleu du tambour et le retour au calme avec le fond clair sablé, sur lequel se détachent les silhouettes, bleue pour l’une, rouge pour l’autre. On a l’impression d’être devant des images très anciennes, usées par le temps, ou par le vent, comme ce conte intemporel.
Le destin d’Awa, enfant rejetée qui sauve sa communauté malgré sa différence, ou plutôt grâce à elle, rejoint celui de nombreux héros de contes, anciens et modernes, frappés d’exclusion qui sauvent pourtant leur groupe (Yakouba, Flix…). Mais contrairement aux autres personnages, Awa s’en va.
C’est un album riche, beau et émouvant qui traite du handicap de manière intéressante et complexe : Awa est une belle figure sacrificielle qui rejoint de nombreux mythes, mais elle ne meurt pas : elle passe « de l’autre côté », du côté des légendes. Le fait qu’il s’agisse d’une société lointaine et d’un conte invite au pas de côté, à une lecture mythique, à un regard poétique.

 

 

 

La Bourrasque

La Bourrasque
Mo Yan, Zhu Chengliang (ill.)
HongFei, 2022

Le vent, le vieil homme et l’enfant

Par Anne-Marie Mercier

Mo Yan, prix Nobel de littérature, livre ici ce qui ressemble à un souvenir d’enfance : il a sept ans et accompagne pour la première fois son grand-père qui part couper des herbes pour le bétail. Le voyage semble long, à l’arrivée le travail est agréable puis fatiguant pour l’enfant qui finit par jouer à attraper des criquets. Le repas, improvisé sur un feu de bois, est délicieux, la sieste, au milieu des senteurs de fleurs, également. Toutes ces évocations ont en elles-mêmes beaucoup de charme ; le récit à la première personne fait vivre les sensations de l’enfant insouciant, le chant et la fatigue du grand-père poussant la charrette à bras ; les images mêlant aquarelle et crayon gras font voir le lever du soleil, le ciel changeant, l’épaisseur des herbes, leur souplesse, la chaleur immobile, les couleurs franches. C’est superbe.
La deuxième partie du récit introduit une dimension nouvelle : le vent se lève, les obligeant à rentrer, mais pas assez vite : une tornade arrache les herbes accumulées sur la charrette, ruinant tout le travail de la journée. Le sang-froid de l’enfant empêche que tout ne soit plus grave encore. L’allure sage du début est bouleversée par des changements successifs d’angle de vue, puis de mise en page, un éclatement de l’image en fragments qui donnent un nouveau rythme à la narration.
Le vieil homme et l’enfant s’en reviennent, dans une image à nouveau assagie, aux lueurs du soleil couchant, sans exprimer plus que le nécessaire. Les émotions ne sont pas nommées mais on les devine. Au milieu de ce récit, la présence de la nature, tantôt bonne tantôt déchainée, les lumières et les sensations font un bel écrin à cette relation de confiance et d’entraide, d’amour et d’inquiétudes réciproques, en silence.  D’ailleurs, « Mo Yan » pseudonyme de l’auteur, signifierait « celui qui ne parle pas », ça tombe bien.

Sophie Van der Linden évoque dans son blog « La rencontre ébouriffante d’un prix Nobel de littérature et d’un grand illustrateur chinois »