Histoire du chien qui avait une ombre d’enfant

Histoire du chien qui avait une ombre d’enfant
Hervé Walbecq
L’école des loisirs, 2015

Formules magiques[1]

par François Quet

Les pêcheurs de larmes « vivent au fond de nos yeux et sortent seulement quand on pleure » ; un soir, un étranger « avale une tempête » ; pendant la récréation, un groupe d’enfant joue à mélanger et échanger ses doigts ; un jour, les ongles décident de se révolter et d’envahir le corps des hommes qui se couvre d’écailles ; « mes cheveux parlent » (et se disputent).

Dans ce nouveau recueil de contes (après Histoires d’enfants à lire aux animaux, Histoires du loup qui habite dans ma chambre, Histoires de la maison qui voulait déménager), Hervé Walbecq réinvente le corps humain, partie après partie. On a l’impression que l’auteur s’inspire du binôme imaginatif de Gianni Rodari (Grammaire de l’imagination, réédité chez Rue du Monde) : on associe deux mots, par exemple troupeau et genou ou jardin et tête, postillons et multicolores, ride et vagabond, on agite dans tous les sens et on invente une histoire.

Les récits d’Hervé Walbecq sont à la fois farfelus et tendres. Comme les troupeaux de genoux, ils peuvent impressionner, mais « il ne faut pas avoir peur. Ils ne sont pas méchants. Ils ne font de mal à personne ». Ils nous laisseront un peu perdus, « c’est tout ». Un peu émerveillés, aussi. Un peu amusés. Enchantés.

On ne peut qu’encourager à la découverte du monde décalé de Walbecq. Le dépaysement incite à la rêverie et à la poésie. Et pourquoi pas, à l’écriture.

[1] Les rides de mon grand-père sont « comme des petites formules magiques pour comprendre sa vie » (p.72).

Le Journal d’Aurore

Le Journal d’Aurore. Jamais contente, toujours fâchée
Marie Desplechin, Agnès Maupré
Rue de Sèvres, 2016

L’Ado en BD

Par Anne-Marie Mercier

Les amours (en général imaginaires et catastrophiques), la famille (bien réelle, dans laquelle la grande sœur en rébellion, la petite sœur parfaite et les grands parents compréhensifs supportent avec plus ou moins de philosophie les humeurs d’Aurore tandis que ses parents ont renoncé), le collège (pas pour le meilleur) et principalement les amies (qui elles aussi supportent avec plus ou moins de philosophie, etc.), on voit le quotidien d’une ado typique, prise entre prétention et mal-être, qui ne s’aime pas, mais se sent incomprise et injustement mal aimée par les autres.

Le journal suit le déroulement du calendrier, avec ses fêtes et ses rites ; il commence au jour des morts, se poursuit avec Noël, les vacances d’été, à nouveau l’automne… jusqu’au Brevet (Aurore redouble). La météo principale est celle des humeurs changeantes d’Aurore, tantôt pleine d’enthousiasme, tantôt abattue (souvent) : c’est un portrait aussi juste que celui de la version romanesque, mais comme elle un peu décalé par le fait que les téléphones portables n’existent pratiquement pas et les ordinateurs sont encore hors d’atteinte pour les adolescents; mais on peut dire en le lisant  : « peu importe l’outil, l’ado boude »…

Les images aux couleurs acidulées et les postures et mimiques données aux personnages, les angles de vue privilégiant la plongée, tout cela nous entraîne dans l’univers plombé d’Aurore, si plombé qu’il en est comique : une méthode pour aider les ados à se regarder avec une certaine distance ?

La fée des Maamouls

La fée des Maamouls
Jean-François Chabas
Magnard Jeunesse, 2016

L’eau à la bouche

Par François Quet

Si vous ne connaissez pas les maamouls, il serait temps de vous renseigner. En tous cas, ce livre aura pour premier effet de vous faire chercher la pâtisserie orientale la plus proche ou bien, sur un site internet, la recette de cette délicieuse confiserie libanaise. Le problème c’est que, quelles que soient les qualités de votre fournisseur ou vos talents de pâtissiers, vous n’arriverez pas à égaler les maamouls confectionnés par Razane, l’héroïne de ce petit roman de Jean-François Chabas.

Voici un bon moyen de savoir si vous avez réussi vos gâteaux aussi bien qu’elle : la fée des maamouls, qui n’apparaît que si la recette est tout à fait réussie, se présente-t-elle devant vous ? Sinon, vous devrez faire une nouvelle tentative.

Ce n’est finalement pas très compliqué pour l’excellente cuisinière qu’est notre héroïne, de faire apparaître la fée des Maamouls. Ce qui l’est plus, c’est d’obtenir d’elle qu’elle réalise le vœu auquel a droit la reine des pâtissières. Et les obstacles sont nombreux : il faut trouver le bon moment et le calme nécessaire, il ne faut pas perdre de temps en bavardages inutiles, et surtout, il ne faut être fâché(e) avec personne, mission quasi impossible quand on a le tempérament de Razane.

Jean-François Chabas a imaginé, dans la tradition des Mille et une nuits, un conte de fée très léger et plein de fantaisie.  Si le récit ne manque pas d’humour et de situations amusantes, il vaut surtout pour le portrait de trois femmes : la grand-mère, la mère et sa fille, tempéraments forts et que tout oppose dans cette comédie explosive.

L’intérêt pour le Liban se manifeste aussi dans le vocabulaire qu’emploient tous les personnages (y compris, bien entendu, la fée) au point qu’un bref glossaire s’avère nécessaire : instrument efficace mais aussi source d’imaginaire exotique, et belle introduction à une culture étrangère.

Enfin, c’est la cuisine et l’amour des bonnes choses qui met l’eau à la bouche du lecteur. Construire un roman (si petit soit-il) sur la gourmandise et la passion de cuisiner, ce n’est pas si courant !