Griffes

Griffes
Malika Ferdjoukh
Ecole des Loisirs Medium + 2022

Au Service des Dossiers Insolites et des Intrigues Non Conventionnelles

Par Michel Driol

C’en est fini de la tranquillité de Morgan’s Moor, petit village du Northumberland, lorsqu’arrive la diligence avec, à son bord, une voyante extra lucide qui décrit le meurtre horrible du juge Apley et désigne du doigt son meurtrier, Horton Palace, le mercier… Et lorsqu’on découvre que le juge est bien mort comme le medium l’annonçait, il n’y a plus qu’à arrêter, juger et condamner le pauvre Horton. Et lorsque, quelques années plus tard, la sœur du juge meurt dans sa chambre fermée au loquet, Scotland Yard envoie le superintendant Tanybwlch et son jeune adjoint, Pitchum Daybright, qui assistent, impuissants, à d’autres meurtres, dont ils trouveront les coupables à l’aide de la fille de l’aubergiste, Flannery Cheviot, dont la langue bien pendue n’a d’égale que la curiosité et la perspicacité !

Ce nouveau roman de Malika Ferdjoukh sonne comme un hommage à Dickens et à Conan Doyle. Ne se situe-t-il pas, grosso modo, à l’époque de ces deux grands auteurs britanniques ? Difficile de résister au charme et suspens de ce roman, qui sait mêler différents genres. Roman policier, avec le classique meurtre en chambre close, thriller avec les menaces qui pèsent sur les personnages. Roman d’amours, avec deux intrigues parallèles et différentes : un amour avoué, assumé, contrarié, et un amour naissant entre le timide Pitchum, souvent aussi rouge que ses cheveux, et l’impayable Flannery, qui ne cessent de jouer au chat et à la souris ! Roman historique, avec l’inscription dans l’Angleterre victorienne de la fin du XIXème siècle, avec ses zones d’ombre comme ces hospices où venaient accoucher des jeunes femmes célibataires. Comme souvent chez l’autrice, on trouve des personnages vivants, de jeunes hommes amoureux figés, des jeunes filles impertinentes, pleines de débrouillardise, qui ne rêvent que de sortir de leur condition. Comme dans tout roman populaire, on croise des enfants abandonnés, retrouvés, des innocents persécutés, et une part de gothique fantastique qui rôde entre landes et brumes, signe des romans de cette époque, signe du mal toujours présent sous différentes formes dans nombre de romans de Malika Ferdjoukh, mais qu’on parviendra à vaincre. L’écriture est enlevée, révélant parfois de bonnes trouvailles dans l’expression ou les comparaisons, l’intrigue, complexe à souhait, est rondement menée, avec de nombreux rebondissements, et les personnages, qu’ils soient secondaires ou de premier plan, bien campés.

Un roman qui séduira les amoureux du roman policier historique, surtout s’ils sont fans d’humour anglais, et des noms de personnages improbables !

Marcel ce héros. 5 aventures du célèbre chimpanzé

Marcel ce héros. 5 aventures du célèbre chimpanzé
Anthony Browne
Kaléidoscope, 2021

 Marcel en action

Par Anne-Marie Mercier

Édition anniversaire, première anthologie réalisée en France, ouvrage d’hommage au célèbre héros, ce volume est tout cela. Réunissant les histoires relatant les aventures de Marcel, il est le premier d’une série (le second rassemblant les « hommages » de Marcel à l’art, aux livres, à ses rêves).

On y voit Marcel « la mauviette » se body-buildant pour ressembler aux gorilles qui l’impressionnent, mais qui reste « le rêveur », Marcel le champion, qui met tout son cœur aux différents sports qu’il pratique, mais… ce n’est que par hasard qu’il défait Pif la terreur en combat. Marcel l’ami quand il rencontre Hugo qui comme lui passe son temps à s’excuser, Marcel le magicien, quand il réalise un exploit au foot, sans ses chaussures magiques, oubliées à la maison.

On retrouve d’un épisode à l’autre le célèbre gilet, le canapé ou le fauteuil, les silhouettes, la ville, les parcs, tout ce qui fait son univers.
Le fait d’avoir ces histoires réunies rend plus sensible l’extrême cohérence, proche d’un joli ressassement. Les textes d’Anthony Browne et Christian Bruel qui clôturent l’album résument cette unité : pensée magique, solitude, sentiment d’infériorité, vulnérabilité, Marcel est l’ami de tous ceux qui ne se sentent pas « bons à grand-chose », les rêveurs et les amateurs de livres qui rêvent d’être champions pour séduire l’être aimé qui n’en demande pas tant.

Sable bleu

Sable bleu
Yves Grevet
Syros, 2021

Anticipation ?

Par Anne-Marie Mercier

Depuis la trilogie très réussie de Méto, Yves Grevet fait partie de ceux dont on attend beaucoup dans le domaine relativement peu fréquenté de la science-fiction pour la jeunesse. La série de Nox lui avait permis, à travers des points de vue alternés, de mettre en scène non pas des garçons comme dans Méto, mais un garçon et une fille. Ici, c’est le point de vue d’un personnage féminin qui conduit l’histoire, personnage particulièrement éveillé et actif, contrairement au héros de Méto.
Tess a été adoptée. Elle vit avec des parents aimants mais qui ont du mal à communiquer avec elle et sont un peu perdus face à ses choix. Elle ignore ses origines et n’a jamais cherché à les connaitre. Elle en fera la découverte, difficile et douloureuse.
Adolescente, encore au lycée, elle s’interroge sur l’amour. L’un des fils conducteurs de la première partie du roman est sa découverte de la passion et du plaisir avec une autre fille, une étudiante un peu plus âgée qu’elle.
Tess fait partie d’un mouvement de militants pour la protection de la planète qui tente par tous les moyens d’alerter la population et de forcer les politiques à changer de méthode : manifestations, sabotages, affrontements, toutes les manières de faire sont abordées et le roman est une belle description de l’action de ces groupes. Le premier chapitre nous plonge dans une énigme : des vols sont commis chez elle, ses parents la soupçonnent un temps, mais ces vols sont répétés dans d’autres lieux, partout en France et dans le monde et semblent porter la marque d’une action d’un groupe militant pour une vie plus saine : des médicaments, des produits alimentaires industriels douteux, des substances toxiques disparaissent tandis que le pétrole est devenu inutilisable, contraignant les humains à une sobriété nouvelle.
Tandis que les autorités traquent les mouvement écologistes soupçonnés de ces actes, l’héroïne perçoit la présence de forces invisibles, et seuls quelques jeunes gens dans le monde ont ce pouvoir… Une policière qui croit comme elle en l’action d’extraterrestres tente d’agir tout en la protégeant. Parallèlement, des milliers de jeunes gens disparaissent un même jour de juillet, et parmi eux l’amour de Tess…
Ainsi, de multiples fils se nouent dans un roman ambitieux qui brasse beaucoup de questions, sans doute trop. Celle de l’orientation sexuelle est un des éléments qui apparaissent un peu plaqués sur les autres intrigues, d’autant plus que la tentative de Grevet pour rendre compte du plaisir féminin et relater les moments d’intimité entre les deux filles est marquée par l’utilisation d’un langage qui peut sembler souvent hétéronormé. Mais ses extraterrestres sont originaux ; l’avenir radieux qu’ils annoncent est une autre originalité et l’on va de surprise en surprise, notamment avec ce sable bleu, témoin de l’origine de Tess, qui pose encore d’autres questions…

 

 

Nox, t. 1 : Ici-bas et Aerkaos, le retour

Noël et Léon

Noël & Léon
Eleonora Marton
Grasset jeunesse, 2022

L’un rit, l’autre pas

Par Anne-Marie Mercier

Noël, Léon, le même nom inversé (un palindrome, donc). Cet effet de miroir se lit dès la couverture où les deux visages, celui du clown Noël et celui du squelette Léon sont tête-bêche et s’opposent en tout : tignasse frisée de l’un, crâne chauve de l’autre, couleurs chez l’un, noir et blanc chez l’autre…
L’histoire développe cette thématique des contraires : l’un vient d’une famille où l’on fait rire, chez l’autre on doit faire peur. Celui qui doit faire rire est mélancolique ; celui qui doit faire peur est d’un naturel gai. Que faire ?
La rencontre de ces deux personnages pose et résout le problème, et tout cela en pages pleines de couleurs et de fantaisie.

Cornichonx

Cornichonx
Yves Grevet
Syros (« Oz »), 2020

Du fantastique en bocal ou le X magique ?

Par Anne-Marie Mercier

Nous voilà entre le conte de fées, le récit loufoque, le roman réaliste, et bien d’autres choses, mais surtout le fantastique, vu le nom de la colection : Angélina a des soucis : elle se trouve trop petite, moche ; aucun garçon ne s’intéresse à elle, etc. Ses parents sont un peu bizarres et font tout le contraire de parents ordinaires, se comportent de manière totalement infantile et ils entendent bien qu’elle se comporte de même. Ce n’est pas un problème pour elle : elle accepte leurs clowneries avec philosophie (le lecteur peut penser qu’elles sont traitées de manière un peu excessive et répétitive).
Les légumes sont donc interdits (et les fruits) puisqu’ils sont prescrits par les gens raisonnables. Or, un jour, poussés par une force mystérieuse, les parents achètent un bocal de cornichons un peu bizarre, où est inscrit le mot « CornichonX ». Cet objet se rapproche de ce que serait un vase plein de petits génies capables d’exaucer nos souhaits ou de répondre à nos questions. Mais chaque jour Angélina constate que si le problème qu’elle a exprimé en mangeant un cornichon, est résolu cela pourrait être le fruit d’une coïncidence. Magie, hasard, qui sait ? Ce court roman est distrayant et très facile (à tous points de vue).

Un Si petit jouet

Un Si petit jouet
Irène Cohen-Janca, Brice Postma Uzel
Éditions des éléphants, 2022

Comment parler de l’enfance dans la guerre ?

Par Anne-Marie Mercier

À partir d’un petit objet, d’autant plus petit qu’il semble sans importance (un jouet), ce petit album carré soulève une grande question, celle de l’enfant et de ses propriétés, de ce qu’il peut emmener ou pas avec lui quand il est obligé de changer de domicile, et de tout ce que la présence ou l’absence de ces choses représente d’inquiétude et de souffrance.
La première voix est celle d’une fillette qui possède une poupée minuscule, pas plus grande qu’un pouce, qu’elle a appelée Léo. C’est une poupée qu’on peut emmener partout avec soi (même à l’école) en la cachant, et dont on peut s’occuper partout, en la transportant dans une boite d’allumettes, en la lavant, la nourrissant avec des riens.
Avant, raconte la fillette, elle habitait dans un autre pays, bien différent et avait un ours en peluche aussi grand qu’elle. Un jour, les avions (qu’elle appelle les croix de fer) sont arrivés et ont plongé le ciel et la terre dans le chaos.
La petite fille a fait l’expérience de la fuite, pour elle, et de l’abandon, pour son ours. Si la guerre revient, elle sera prête. Dans son nouveau pays, elle rencontre une autre fillette qui possède une toute petite poupée, mais dans son cas c’est à cause du divorce de ses parents : elle a deux maisons et se déplace constamment de l’une à l’autre.
Le jouet dit bien des choses, sans pathos, de la vie des enfants déracinés qui tentent de trouver des moyens de s’adapter à une nouvelle vie.
Les images sont elles aussi pudiques et ne montrent que les silhouettes des enfants, montrés de profil. Seules les poupées nous regardent, petites et fragiles. Les pages offrent de beaux contrastes entre couleurs complémentaires, fonds blancs, hachures grises, saupoudrages argentés, formes au pochoir ou dessins délicats. L’ensemble est beau, simple et bouleversant.

Anne et sa maison de rêve

Anne et sa maison de rêve
Lucy Maud Montgomery
Traduit de l’anglais (Canada) par Laure-Lyn Boisseau-Axmann
Monsieur Toussaint Laventure, 2022

 

A la recherche du grand roman canadien

Par Anne-Marie Mercier

Anne poursuit sa vie dans ce nouveau volume qui la montre jeune mariée et installée avec Gilbert dans une petite maison chaleureuse au bord de la mer, à Four Winds le bien nommé, « un rivage qui connaissait la magie et le mystère des tempêtes et des étoiles ».
Si la maison est isolée, elle est cependant souvent pleine, grâce aux amis qui s’y retrouvent, ceux qui forment « le « clan des bons ». Il y a le Capitaine Jim, un vieil homme qui a vécu de nombreuses aventures extraordinaires, vraies pour la plupart, et qui les raconte volontiers au coin du feu. Il s’extasie à propos de tout : sur les peupliers (« si on choisit les érables pour passer le temps, on choisit les peupliers pour la compagnie »), sur la lune (« avec cette lune qui brille sur Four Winds, je me demande ce qu’il reste au Paradis ») et sur bien d’autres sujets, tout en pleurant secrètement sa fiancée Margaret, disparue en mer. Mademoiselle Cornelia est un personnage comique, avec son refrain « c’est bien typique des hommes », ses préjugés sur les méthodistes et les presbytériens, les gens de gauche et les conservateurs et son humour caustique qui lui fait trouver drôles les avis nécrologiques locaux. Il y a Susan, la servante célibataire qui pense que son heure viendra, ou pas, d’être heureuse. Il y a la belle Leslie, nouvelle âme sœur d’Anne, dont la conquête est ardue. Il y a enfin les gens de la ville et du village, prompts à se déchirer à propos de tout, dont les ridicules égaient les conversations.
L’histoire de Leslie, pétrie de malheurs qui l‘ont rendue amère et distante, est le défi de ce volume. Dans chaque tome Anne sauve au moins une personne d’un destin de souffrance et il semble que les défis deviennent de plus en plus difficiles : ici, le lecteur ne voit pas par quel miracle Anne pourra résoudre le problème de Leslie, à moins de souhaiter la mort de quelqu’un, ou de devoir s’en réjouir si cela arrivait, ce qui n’est guère chrétien et donc pas dans l’horizon de la série qui cultive les bons sentiments, du moins chez ses héros (notons au passage que la pudeur reste la règle et que les bébés y arrivent de façon « poétique »). Pour faire que Leslie sorte de sa vie conjugale cauchemardesque (ici encore l’auteure en occulte certains aspects, tout en les laissant deviner au lecteur adulte à travers des silences, des gestes), l’auteure a recours à une idée originale et pour le moins romanesque… elle fait ainsi pleuvoir les bonheurs après avoir abreuvé son lecteur de noirceur et de cruels chagrins, chagrins auxquels Anne elle-même n’échappe pas.
L’intérêt essentiel du roman, outre la peinture d’un milieu qui fait parfois penser à la causticité de certains romans anglais du XIXe siècle, réside dans la peinture des instants, de la nature, de ses changements, des jours, des nuits, des saisons. On y lit des réflexions sur la mer (« les bois nous appellent de leur centaine de voix, quand la mer n’en a qu’une ; une voix puissante qui noie nos âmes de sa majestueuse musique : les bois sont humains ; la mer est de la nature des archanges », sur un paysage de neige propre à susciter l’admiration mais non l’amour (« dans cette splendeur éblouissante ce qui était beau semblait dix fois plus beau  et en même temps moins attirant ; et ce qui était laid semblait dix fois plus laid ; et tout était soit l’un soit l’autre. […] Les seules choses qui conservaient leur individualité étaient les sapins, car ce sont les arbres du mystère et de la pénombre – ils ne cèdent jamais face à l’invasion brutale de la lumière ».
Enfin, on voit se poursuivre la réflexion sur l’écriture entamée dans les autres volumes. Anne sait sur quoi elle est capable d’écrire : « le fantaisiste, le féérique, le mignon », mais affirme qu’il lui manquerait le talent pour écrire « un grand roman canadien ». Il y faudrait, dit-elle, un style vigoureux, un talent de psychologue, un caractère d’« humoriste et de tragédien né ». Si son roman n’a pas l’ambition d’être sans doute un grand « roman canadien », ce n’est pas par manque de ces qualités, qui éclatent dans bien des pages où se mêlent tragique et drôlerie, mais sans doute par les limites qu’elle s’est elle-même imposées.

 

Hokusai et le Fujisan

Hokusai et le Fujisan
Eva Bensard, Daniele Catali
Amaterra, 2022

 La montagne, la peinture, le monde, la vie

Par Anne-Marie Mercier

Il fallait bien un bel et grand album pour célébrer le souvenir d’Hokusai , le génial « fou de dessin » comme il se désignait lui-même. Il fallait aussi un grand témoin, et pourquoi pas le mont Fuji lui-même : c’est lui qui raconte. Il voit les choses de haut et de loin et ne donne que les grandes lignes de la vie de l’artiste, avec quelques anecdotes saillantes.
La vie d’Hokusai est consacrée à l’art, avec son talent pour les dessins gigantesques ou minuscules, son obsession dans la deuxième moitié de sa vie, pour la nature et notamment la montagne, qui a suscité son œuvre la plus célèbre (avec « La vague ») : les « Trente-six vues du mont Fuji ».
Sans se livrer à un pastiche complet, Daniele Catali propose des clins d’œil, dans des images superbes, dépouillées, sur un beau papier où les encres et l’aquarelle se marient avec de multiples nuances, où les esquisses alternent avec les vaste paysages et où la couleur rare tranche sur le blanc quand elle n’envahit pas toute la page.

Matou blues

Matou blues
Jory John, Lane Smith
Gallimard jeunesse, 2022

Un vie de chien

Par Anne-Marie Mercier

Dur, dur, la vie de chat : pas assez de croquettes, un canapé à partager avec un intrus, le soleil qui n’en fait qu’à sa tête, un monstre (l’aspirateur) qui interrompt la sieste, l’ennui, l’envie de faire des bêtises… reste à miauler pour réclamer croquettes et pâtée. Seul événement notable, mais que le chat remarque à peine : à la fenêtre, derrière une moustiquaire, le discours d’un écureuil qui lui explique longuement, mais en une page (elle est couverte de mots en typographie variable) combien la vie de chat est agréable et combien la vie sauvage est difficile. On retrouve ici la question de la fable « Le loup et le chien » : vaut-il mieux avoir une vie confortable ou être libre?
Les illustrations de Lane Smith sont drôles, craquantes, et on se dit que ce chat est aussi mignon qu’insupportable, un vrai chat, quoi. Le jeu sur les caractères, la mise en page, les variations d’expression de ce chat font que tout cela est très mouvementé et intéressant malgré le sujet (l’ennui et l’enferment).
Avec Banquise blues, c’est le deuxième album de ces deux auteurs consacré à un jeune animal grognon auquel un animal vieux et sage tente de faire comprendre qu’il se plaint trop et à tort.

 

Banquise blues

 

Soirée d’été

Soirée d’été
Dina Melkinova

CotCotCot, 2022

« C’est toi qui dors dans l’ombre, ô sacré souvenir »

Par Matthieu Freyheit

Désormais que le temps a remis son manteau de vent, de froidure et de pluie, le moment est venu de nous rappeler nos douces soirées d’été. Celles de Dina Melkinova sont ici faites de patience, d’images enfouies dans les bois et entre les herbes, et de la présence lointaine d’une grand-mère qui savait son art. Réunion de la lenteur et du furtif, des ombres et des rayons, du présent et du passé, Soirée d’été offre une collection de mouvements parcimonieux, de frémissements, de gestes esquissés ou devinés. Le vivant n’y est pourtant jamais contenu, au contraire : il s’y livre dans sa délicatesse, sa retenue, la diversité de ses infimes expressions. Apparaître, disparaître, comme ces carottes que le lièvre emporte un soir.

Comme un éloge à la suggestion, les illustrations (qui n’en sont pas) disent l’attention accordée aux détails, autant que l’effacement de ces détails qui ne disent jamais tout : c’est que derrière la vue, il y a l’ouïe. Comme derrière l’ouïe, il y a l’odorat. Comme derrière l’odorat, il y a la mémoire. Merveilleux récit de sens enchâssés, Soirée d’été propose de dilater le temps : expérience d’une seconde dans laquelle se logent l’espace et le temps, et avec eux le vivant et le souvenir.

Les Editions CotCotCot offrent quant à elles au travail de l’auteure un format, une texture et des choix graphiques particulièrement réussis. Donnant au texte aussi bien qu’à l’image l’espace dont elles ont besoin, n’hésitant pas à diversifier les dispositifs et à autonomiser le texte et l’image (ce qui n’a en réalité que le mérite de les associer plus profondément), elles accomplissent avec cet objet un travail éditorial d’une qualité qui mérite d’être relevée.