Meurtres dans l’espace

Meurtres dans l’espace
Christophe Lambert
Syros (Mini Syros, « Soon »), 2017

Dagobert en robot

Par Anne-Marie Mercier

Publié dans un premier temps en 1998 chez Hachette jeunesse (« Vertiges SF »), ce roman trépidant paraît en petite collection de poche. Il est petit… mais concentré : de nombreux thèmes de la SF sont mêlés : le voyage interstellaire avec les contraintes qu’il suppose, le huis-clos, la biologie, les aliens, et surtout les robots, clin d’œil permanent aux livres d’Asimov. C’est l’originalité de cet ouvrage car PUCK (Personnalité unique à circuits kryptonisés) est l’ami, le confident et le compagnon de jeux d’Alexia, qui a embarqué avec ses parents à bord du Space Beagle 3, à destination d’Alpha du Centaure, et il joue un rôle déterminant. Les assassinats et sabotages se succèdent, qui est le coupable, le chef mécanicien ? le pilote ? le capitaine ? une chose est sûre (pour Alexia) : ce ne sont pas ses parents, et le lecteur le devine bien aussi.

On ne racontera pas l’intrigue, de peur de divulgâcher la surprise finale qui fait penser aux dénouements d’Agatha Christie.  Mais c’est aussi aux romans pour enfants d’Enid Blyton qu’on pense : Alexia et Puck valent bien à eux deux tout le groupe du Club des cinq, face à des adultes bornés et passifs, quand ils ne sont pas malveillants. Le fait que tout se passe dans l’espace, que Dagobert est un robot (énorme différence, Asimov n’avait pas prévu que les chiens sont plus fiables) et que les morts s’accumulent au fil du texte font la différence essentielle.

 

 

Le Royaume de Pierre d’Angle, t. 1 : l’art du naufrage

Le Royaume de Pierre d’Angle, t. 1 : l’art du naufrage
Pascale Quiviger
Rouergue, 2019

Pur délice par mer, terres, bois, jusqu’à La Forêt

Par Anne-Marie Mercier

Sous un titre assez banal (combien de royaumes imaginaires depuis ceux de George R. R. Martin (Le Trône de fer) ou même la Terre du milieu de Tolkien (au fait, sur ce dernier il se passe des choses : allez voir dans la page actualités de Li&je) se cache une œuvre très originale.

Cette originalité tient sans doute à son écriture, qui n’a rien de révolutionnaire mais est simplement belle, fluide, parfaite. Chaque image est juste et parlante, les mots sonnent comme des petits cailloux chargés de sens qu’on peut tenir dans sa main. Une évidence, direz-vous ? pas tant que cela. Les dialogues ne sont jamais creux, et ils portent la marque des locuteurs : chacun son style et son allant.

Quant à l’histoire, elle est palpitante, étrange ; elle reprend de vieux thèmes de contes et de romans d’aventure en leur donnant une allure toute neuve tant ils sont retravaillés et insérés de manière naturelle dans un monde autre. On devine assez vite que les amours longtemps différées des deux héros trop parfaits vont être entravées. Le Prince Thibault et la belle Ema, jeune femme noire, esclave en fuite, sont charmants.

Mais la plus agréable découverte, c’est celle des personnages secondaires. D’abord les marins et le capitaine de bateau, puis la cour du pays de Thibaut, sa marâtre, son frère sinistre, son précepteur lumineux, le chambellan (ici, on pense aux Vestiges du jour), les cochers, les boulangers, cuisinières, lingères, aubergistes… tout ce peuple plein d’espoirs et de rumeurs, de traditions et d’intrigues aussi. On n’apprend, comme Ema, que très progressivement, la terrible malédiction qui pèse sur le peuple.

L’autre charme du récit se trouve dans la poésie de la mer, des travaux à bord, du temps qui passe, lentement, et parfois des tempêtes, des monstres marins et des naufrages. On visite le monde autour de Pierre d’Angle, avec ses différents peuples, leurs différentes cultures : les uns sont esclavagistes ou guerriers (on pense beaucoup au Trône de fer), d’autres pas, surtout pas le beau pays de Pierre d’Angle qui apparaît comme un monde paisible et bien gouverné. Puis on visite ce pays de Pierre d’Angle, lors de la tournée qu’effectue Thibault devenu roi, avec la poésie des travaux ordinaires, de paysages contrastées, d’accueils différents selon les hôtes, de repas, de spectacles. Et puis l’hiver vient…

Les 483 pages du roman filent comme le bateau de Thibault pris dans une course contre la montre… trois autres tomes sont prévus.
Sur le site du Rouergue, on peut feuilleter le début.

 

Diane danse

Diane danse
Luciano Lozano
Traduit (espagnol) par Sébastien Cordin
Les éditions des éléphants, 2018

La danse (et les maths) pour toutes!

Par Anne-Marie Mercier

Diane, petite fille boulotte à lunette (on pense à la copine de Fantômette), n’a pas le profil d’une danseuse, et pourtant… elle s’y lance à corps perdu, cela donne du sens à sa vie, et l’aide même à réussir à l’école car elle arrive enfin à mémoriser ses tables de multiplication les apprenant en mouvement.

L’album est en partie à destination des parents : les problèmes d’attention de Diane et sa difficulté à percevoir l’intérêt des apprentissages scolaires parleront à certains. C’est aussi un album à la gloire des psychologues perspicaces puisque c’est dans le cabinet de l’un d’eux que Diane découvre (et sa mère avec elle) sa passion et son talent.
Quant aux dessins, ils sont charmants, avec la bouille ronde et toutes les autres rondeurs de Diane, l’énergie des petits danseurs et ils semblent dire que la danse est pour tous et pas seulement pour les filles filiformes. Un album manifeste ?

 

Inukshuk

Inukshuk
Camillelvis
Dyozol, 2017

Pleins et vides

Par Anne-Marie Mercier

Album graphique, comique, conceptuel, écologique… Inukshuk, étrange objet, est d’abord très drôle. Un inuit rencontre un ours farceur ; cette première étape, sur fonds blanc et gris, est tout en dynamisme, travail sur les formes, le vide et le plein, le dedans et le dehors.
Dans la deuxième partie, plus sombre, une baleine noire a pris la place de l’ours, et elle ne plaisante pas : Inukshuk est happé, retrouve l’ours, et d’autres,  le noir envahit le monde.

Jean-Kévin

Jean-Kévin
Cécile Roumiguière et Géraldine Alibeu
A pas de loups, 2018

Une étoile dans les bois

Par Anne-Marie Mercier

Jean-Kévin est un ours ; il vit dans la forêt avec sa mère qui le couve un peu trop. Un jour, il rencontre un oiseau qui s’appelle Pline (pourquoi pas ?) et qui l’émerveille par son chant. L’ours lui demande de lui apprendre à chanter, ce qu’il accepte ; il annonce à sa mère qu’il veut devenir chanteur, ce qu’elle accepte avec un peu plus de difficultés ; lorsqu’il a beaucoup progressé Pline accepte de l’envoyer à un autre professeur, un éléphant qui réside en ville, etc. A la fin, il est devenu un vrai chanteur dans un groupe qui swingue à la ville. Belle histoire…
Son intérêt réside dans l’idée que rien n’est impossible, si on en a le désir puissant, de bons professeurs, une famille aimante, et qu’on travaille d’arrache-pied pour réussir. Les images sont cocasses, aux couleurs contrastées ; elles swinguent elle-mêmes, ce qui dispenserait s’il le fallait de croire vraiment au talent de Jean-Kévin.

Mécanique générale

Mécanique générale
Philippe Ug
(Les Grandes Personnes) 2019

Tu paraitras dans ta superbe auto…

Par Michel Driol

Ce livre pop-up explore différents véhicules,  « bien à l’abri dans mon garage » : la dépanneuse, le bolide, la vieille guimbarde, le minibus, le tout-terrain, l’engin électrique jusqu’au véhicule préféré, « le carrosse de mes parents ». A chaque véhicule est associée une petite proposition, sa finalité, ses caractéristiques qui dessinent en creux le portrait d’un enfant amoureux des voitures.

L’album fait en quelque sorte un inventaire des véhicules hauts en couleur : power flower pour le minibus, blanc immaculé pour le véhicule électrique. Invitation au voyage, l’album décline des destinations de rêve, des chemins de traverse, le tour du monde, et il ouvre vers les possibles, parfois de façon étonnante (le bolide pour faire ses courses aux marché). Les pop-up ingénieux, qui ne cherchent pas à tout prix le réalisme, font émerger des véhicules que l’on se plait à détailler et à admirer.

Un album qui montre que l’attrait pour les voitures n’est pas passé de mode…

Thésée et le minotaure – Atalante la princesse des bois

Thésée et le minotaure
Pierre Beaucousin – Eric Héliot
Père Castor 2019

Atalante la princesse des bois
Pierre Beaucousin – Eric Héliot
Père Castor 2019

Deux grandes figures de la mythologie

Par Michel Driol

Le Père Castor lance une nouvelle série consacrée aux personnages forts de la mythologie, dont voici les deux premiers. Les deux se présentent comme des biographies, commençant par la naissance et racontant la vie des personnages dans une langue simple et accessible à tous. De nombreux éléments favorisent l’identification du lecteur avec eux : le fait de les présenter dès la naissance, de les montrer enfants, accentue la proximité avec eux. Il s’agit par ailleurs de deux figures d’orphelins, ce qui accroit la sympathie du lecteur pour eux. Le texte, au présent, est animé par de nombreux dialogues. Les illustrations, tout en respectant certains codes liés à l’Antiquité – en particulier dans les arrière plans urbains – montrent des personnages à l’allure sympathique, presque contemporains dans leurs visages et dans leur expressivité, en particulier en ce qui concerne Atalante. On est ainsi parfois à mi-chemin entre l’album, avec une mise en page qui privilégie les doubles-pages,  et la BD ligne claire.

Les deux personnages ne sont pas choisis au hasard : une femme et un homme. L’une apparait comme une figure de la liberté et de l’émancipation féminine, qui clame que personne ne lui prendra sa liberté. L’autre apparait comme l’incarnation du courage et de la force physique, face au lion de Némée ou face au minotaure. Pour autant, la dimension tragique est bien respectée : ces deux personnages sont les jouets des dieux. L’amour d’Atalante et d’Hippomène est en fait l’enjeu de la lutte entre Artémis et Aphrodite.  Quant à Thésée, il est victime d’Athena, qui l’oblige à abandonner Ariane à Naxos. Ainsi le jeune lecteur peut découvrir la force des mythes antiques, et percevoir ce lien particulier entre les hommes et les dieux caractéristique de cette période. Un court dossier documentaire, en fin d’album, prolonge la lecture en donnant des informations sur tel ou tel épisode ou aspect de l’histoire, voire le futur des personnages.

Souhaitons de découvrir ou de redécouvrir d’autres personnages, d’autres mythes antiques dans ce qu’ils ont à nous dire grâce à cette nouvelle collection prometteuse.

Double 6

Double 6
Emmanuel Trédez
Didier Jeunesse 2019

Le roman d’un tricheur

Par Michel Driol

Hadrien, élève de 4ème, a disparu. Qui est-il vraiment ? Frimeur un jour, timide le lendemain, auteur de haïkus un jour, bagarreur le lendemain, amoureux  de Midori un jour, indifférent le lendemain.  Deux policiers mènent l’enquête, interrogent les élèves de sa classe, et plus l’enquête avance, plus le personnage semble double. Pourquoi cache-t-il l’existence de son frère ? Bien sûr, on aura compris qu’il s’agit d’une question de gémellité et d’une sombre machination bien au point montée par les deux frères…

Le roman suit l’enquête de la police, et chaque chapitre livre un regard nouveau sur Hadrien, porté par un de ses camarades. C’est l’occasion aussi  de faire le portrait de ces adolescents. On retiendra en particulier Midori, qui fait des listes, et se questionne sur l’amour. Car, au-delà de l’enquête, le roman aborde quelques problématiques liées à l’adolescence : la question de la mort des parents, la crainte de l’échec scolaire et les façons de tricher pour l’éviter, les premiers émois amoureux, la difficulté à se trouver et à être soi, la malchance qui semble accompagner certains dès leur enfance, le mensonge dans lequel on s’enferme. La question du double, présente dès le titre comme une clé de lecture, incarnée par le couple que forment les jumeaux, traverse tout le roman : qu’est-ce que la perfection du double six, coup de dé sur lequel Hadrien engage sa vie ? Le couple est-il une figure de la perfection dans la complémentarité ? Le roman, écrit dans une langue simple, fait la part belle aux dialogues, mais aussi aux écrits des deux personnages principaux : les haïkus d’Hadrien, les listes de Midori se répondent, échos de la poésie orientale et de Shei Shonagon…

Un roman choral, presque polyphonique, agréable à lire qui dresse des portraits d’adolescents d’aujourd’hui.

L’arrêt du cœur

L’arrêt du cœur
Agnès Debacker
MeMo Polynie

Portrait de la vieille dame à la théière aux secrets…

Par Michel Driol

Depuis que Simone, sa voisine, son ancienne nounou, est décédée, Simon demande sans cesse à la concierge de lui raconter comment elle a découvert la mort de Simone. Difficile d’accepter qu’un jour on puisse être en bonne santé, et que le cœur s’arrête.  Tout en se souvenant des bons moments passés ensemble, Simon repense à la théière aux vœux, une théière rouge dans laquelle Simone et lui mettaient des petits papiers, avec leurs vœux. Et interdiction de les lire, sinon ils ne se réaliseraient pas. Alors Simon ose entrer dans l’appartement de Simone, et prendre la théière, la cacher chez lui, et surtout lire les vœux. Il y découvre les siens, ceux de la nièce de Simone, et ceux de Simone qui lui révèlent un amour inconnu pour un certain Farid. Qui était-il ? L’enquête commence, jusqu’à découvrir des pans oubliés de l’histoire de Simone, et de la France aussi…

Il ne faut pas oublier le sous-titre : Comment Simon découvrit l’amour dans une cuisine ? On a affaire ici à un roman d’initiation, dans lequel un enfant apprend que les grandes personnes ne sont pas ce qu’il croit qu’elles sont, et qu’elles ont une vie plus complexe. Le roman explore avec finesse la relation intergénérationnelle entre Simon et Simone, cet attachement des enfants  à des figures de grands-parents que l’on croit connaitre, mais dont on ignore presque tout de la vie. Cette relation est faite de tendresse et de rituels, comme celui de la théière aux secrets. Il n’est pas simplement question ici de faire son deuil, même si cette dimension est fortement présente, il s’agit de s’approcher de la vérité d’un être humain que l’on croyait connaitre, de son histoire, de ses amours. C’est ce que porte le titre, dans sa polyvalence autour du mot arrêt. La quête, véritable enquête policière,  fait revivre un passé plein d’émotions, qui revient avec ses joies et ses peines, un passé individuel qui se mêle à la grande Histoire, et explique en quoi les personnages sont meurtris.  Les personnages sont attachants, en particulier Simon, le narrateur, avec ses angoisses, ses craintes, son chagrin, sa naïveté, sa bonté… un personnage qui passera de l’ombre du chagrin à la lumière de la vie devant lui, surprenante et belle.  Le tout est écrit dans une langue claire et précise, qui joue avec bonheur de la longueur et du rythme des phrases.

 Un roman sur les secrets qu’il faut bien finir par mettre au jour, un roman touchant pour faire aimer la vie, et un beau portrait de femme.

 

La page actualités

Du nouveau sur la page actualités de Li&Je  – et sur les autres pages, à visiter régulièrement:

Une exposition de la BnF revient sur les scandales qui ont secoué la littérature jeunesse.

 

Sur la 3 : Comment vivre en paix avec ses voisins ? La question se pose dès le plus jeune âge. Quatre livres proposent d’en parler aux jeunes lecteurs.

Sur France culture : La littérature jeunesse, baromètre de la crispation et du changement de la société ?