Ce jour-là

Ce jour-là
Pierre Emmanuel Lyet
Seuil Jeunesse 2022

Se souvenir des belles choses

Par Michel Driol

Beaucoup de gens à la maison, pour la plupart inconnus du narrateur, un petit garçon. Un grand père qui n’a pas l’air là. Une grand-mère absente. Tout est dit, en quelques mots, en quelques images, de cette atmosphère particulière du deuil. De son silence. Le petit garçon part alors dans la montagne, sous une fine neige. Et il se souvient des cheveux, des robes à fleur, des chevilles enflées… Survient alors le grand-père, qui vient le rechercher. C’est le retour, tous les trois, dit le texte, alors que l’image ne montre que deux personnages…

Ce n’est certes pas le premier album à évoquer la question du deuil, de la mort d’un grand parent, mais c’est l’un des rares à savoir le faire avec douceur, simplicité, et, je crois, un vrai regard d’enfant. Un enfant un peu égaré dans cette réception feutrée comme le sont les veillées, les retrouvailles familiales autour d’un absent. Quelques mots suffisent, associés à la force des images qui montrent un enfant perdu, minuscule, au milieu des adultes, images qui soutiennent le texte (ces jambes comme une forêt enneigée) autant qu’elles s’en éloignent en proposant des couleurs primaires là où le texte parle de noir et blanc. Subtil décalage qui dit le mal être de l’enfant. Somptueuses compositions aussi qui évoquent la complicité et qui disent l’absence, comme cette double page où s’opposent l’enfant et le fauteuil vide de la grand-mère. Il y a une grande justesse et une grande force d’évocation dans ces premières pages, si touchantes pour suggérer plus que pour dire la mort. Puis c’est la promenade solitaire dans la montagne, où tout est là pour rappeler la grand-mère par de subtiles correspondances, entre la neige qui tombe et les cheveux blancs, entre la pomme de pin et le chignon, entre les feuilles mortes et les dessins sur la robe… Tout, dans la nature, est un écho à la grand-mère, à travers une série de « je me souviens » qui tiennent autant de Perec pour la forme que de l’expérience propre à chacun. Ce sont des petits faits, des sensations, des souvenirs ou des oublis qui culminent avec la main de l’enfant dans celle de la grand-mère, lors de la dernière rencontre, dans une position symbolique, la main de l’aïeule en haut, comme « au ciel », celle de l’enfant en bas, comme « sur terre ». Tout se termine sur une fin qui tient du rêve, avec cette dissonance déjà évoquée entre le texte et l’image, entre le vécu de l’enfant, ses désirs, sa perception des choses et la réalité, mais tout se termine dans la même atmosphère colorée que celle qui accompagne tout l’album qui réussit le tour de force d’être lumineux, vivant, et non pas lugubre. Pour autant, c’est une atmosphère douce-amère, entre gaité et nostalgie, qui s’en dégage pour célébrer le souvenir de ceux qu’on a aimés.

Gentillesse de la grand-mère, qualité de la relation avec son petit fils, sentiments confus de l’enfant, voilà un album touchant et subtil pour parler de la disparition des êtres chers, et de la façon dont tout ce qui nous entoure rappelle leur souvenir.

Note : on retrouvera les illustrations de Pierre-Emmanuel Lyet dans un autre ouvrage qui évoque la mort avec un angle très différent, Quand les escargots vont au ciel.

Quand Hadda reviendra-t-elle ?

Quand Hadda reviendra-t-elle ?
Anne Herbauts
Casterman 2021

L’absence, la voilà…

Par Michel Driol

Lancinante, la question qui donne son titre à l’album revient, sur toutes les doubles pages, en haut à gauche, tandis qu’en bas, à droite, revient comme un leitmotiv la réponse, « Mais je suis là », adressée à un personnage nommé tantôt mon amour, mon ange, bonhomme, ma mésange, ou mon tout grand…, suivie d’une petite phrase, écoute, regarde, va, tu as ma dignité, ma force, ma beauté… Sur l’autre page, une illustration pleine page montre un coin d’appartement, cuisine, couloir, balcon, rempli d’objets du quotidien, mais sans personne.

Anne Herbauts aime à dire qu’elle fabrique des albums, comme façon de faire dialoguer texte et illustrations, mais aussi façon de proposer au lecteur un objet dont il lui faudra combler les lacunes. C’est bien ce qui fait la force de cet album, de laisser le lecteur avec le sentiment d’une absence et des questions auxquelles il cherche la réponse dans le texte et les illustrations. Tout se passe dans un appartement que l’on dirait abandonné, alors qu’on y vivait il y a peu. Appartement aux carrelages un peu vieillots, aux meubles surannés.  Qui est Hadda ? Mère, grand-mère, peu importe. A qui s’adresse-t-elle ? Au même personnage, enfant, petit enfant ? Ou à plusieurs ? Qu’importe… Hadda est partout dans les illustrations, sans doute sur les photos que l’on voit reproduites dans un pêlemêle.  Dans les ustensiles et ingrédients de la cuisine. Dans le linge qui sèche. Mais dans les illustrations, ce qu’on voit aussi, ce sont les traces de l’enfance,  des chaussettes plus petites aux petites voitures sur la table, ou aux cartes et illustrés par terre. A chacun de construire son propre récit du lien entre les deux personnages évoqués par l’album… Hadda a donc disparu, avec toute la polysémie de ce mot, mais, à travers son appartement, elle continue de dire son amour à ses descendants, elle continue de vivre à travers eux, leur transmettant rires, force, beauté et ailes pour aller plus loin. Car c’est bien cette transmission de force vitale léguée par ceux qu’on aime et qui nous aiment que rend sensible cet album. Comme toujours avec Anne Herbauts ces questions existentielles sont traitées sans forcer, sans s’appesantir, avec à la fois gravité et légèreté. La poésie de l’autrice parvient, avec des moyens simples à rendre présente cette absence, à parler de ce lien intergénérationnel, de la façon dont les disparus continuent à vivre en nous, tout en disant aussi la liberté d’aller plus loin, de vivre sa propre vie, magnifiquement symbolisée par les oiseaux qui s’envolent dans les dernières pages.

Un riche album, qui fait appel à tous les sens, pour dire tout ce que nous portons en nous de ceux qui nous ont précédés, sans tristesse, sans pathos, mais avec une grande confiance dans les destinées individuelles.

Où es-tu, Loup ?

Où es-tu, Loup ?
Sandra Dieckman
Père Castor 2020

Se souvenir des belles choses, et de ceux qu’on a aimés…

Par Michel Driol

Renarde et Loup passent une merveilleuse journée à jouer, nager, et le soir Loup dit ces mots mystérieux : Demain, je brillerai comme une étoile. Le lendemain, Renarde cherche Loup, dont la tanière est déserte. Elle grimpe en haut de la montagne, pour s’approcher de l’étoile la plus brillante, appelle Loup, Puis elle tire à elle la couverture de la nuit, et s’y enveloppe, dans le noir, jusqu’au moment où les étoiles brillent et lui montrent sa patte, vivante. Alors Renarde remet en place le velours de la nuit et décide de vivre tout en se souvenant de Loup.

Voilà un album tendre, poétique et métaphorique pour parler de la disparition des êtres chers, de leur souvenir, du deuil et de la vie. La luxuriance des images, qui foisonnent de détails et adaptent leurs couleurs aux sentiments des deux protagonistes, contraste avec l’extrême sobriété du texte.  Si le texte nomme simplement les deux personnages par Renard et Loup, les illustrations les montrent différents de taille, laissant à supposer une jeune Renarde et un vieux Loup. Renarde est montrée d’abord à quatre pattes, puis de plus en plus dressée sur les pattes arrière, comme si elle gagnait en humanité au fil du texte. Pas une seule fois le mot mort n’est écrit, le texte laissant ainsi chacun comprendre, à son niveau, selon son vécu, les raisons des propos mystérieux de Loup et de son départ. Le bouleversement de Renarde à la suite de la disparition de Loup se traduit de différentes manières : d’une part la rotation du sens de lecture sur une première double page, qui éloigne encore plus les étoiles dans le ciel et Renarde sur terre. D’autre part l’inscription du texte dans l’image, sous forme de vagues, d’ondes, projetant en quelque sorte les actions de Renarde dans le cosmos. Enfin par un passage au merveilleux avec Renarde qui s’enveloppe dans la nuit, belle façon de dire le deuil, l’absence, l’envie de se retirer du monde avant que la vie, sous la forme d’étoiles, ne reprenne ses droits.

C’est ainsi une belle leçon de vie que donne Loup à Renarde : se souvenir n’empêche pas de vivre, de profiter de la vie. Et c’est sur un sourire de Renarde, dans le printemps de la jeunesse, dans un paysage magnifique, que se termine cet album qui touche au merveilleux pour mieux dire le merveilleux de la vie.

 

Double 6

Double 6
Emmanuel Trédez
Didier Jeunesse 2019

Le roman d’un tricheur

Par Michel Driol

Hadrien, élève de 4ème, a disparu. Qui est-il vraiment ? Frimeur un jour, timide le lendemain, auteur de haïkus un jour, bagarreur le lendemain, amoureux  de Midori un jour, indifférent le lendemain.  Deux policiers mènent l’enquête, interrogent les élèves de sa classe, et plus l’enquête avance, plus le personnage semble double. Pourquoi cache-t-il l’existence de son frère ? Bien sûr, on aura compris qu’il s’agit d’une question de gémellité et d’une sombre machination bien au point montée par les deux frères…

Le roman suit l’enquête de la police, et chaque chapitre livre un regard nouveau sur Hadrien, porté par un de ses camarades. C’est l’occasion aussi  de faire le portrait de ces adolescents. On retiendra en particulier Midori, qui fait des listes, et se questionne sur l’amour. Car, au-delà de l’enquête, le roman aborde quelques problématiques liées à l’adolescence : la question de la mort des parents, la crainte de l’échec scolaire et les façons de tricher pour l’éviter, les premiers émois amoureux, la difficulté à se trouver et à être soi, la malchance qui semble accompagner certains dès leur enfance, le mensonge dans lequel on s’enferme. La question du double, présente dès le titre comme une clé de lecture, incarnée par le couple que forment les jumeaux, traverse tout le roman : qu’est-ce que la perfection du double six, coup de dé sur lequel Hadrien engage sa vie ? Le couple est-il une figure de la perfection dans la complémentarité ? Le roman, écrit dans une langue simple, fait la part belle aux dialogues, mais aussi aux écrits des deux personnages principaux : les haïkus d’Hadrien, les listes de Midori se répondent, échos de la poésie orientale et de Shei Shonagon…

Un roman choral, presque polyphonique, agréable à lire qui dresse des portraits d’adolescents d’aujourd’hui.

L’Enlèwement du « V »

L’Enlèwement du « V »
Pascal Prévot – Emma Constant (illustrations)
Rouergue 2019

Panique au ministère de l’orthographe !

Par Michel Driol

Canular ou pas ? Lorsque le ministère de l’orthographe reçoit une lettre de menace annonçant la future disparition de la lettre V, personne ne sait trop que penser ou faire, jusqu’au jour où le V disparait réellement (tant de la langue orale que de la langue écrite). Et le maitre-chanteur d’annoncer la future disparition du Y… Omicron Pie, mathématicien nommé au ministère de l’orthographe va mener l’enquête avec l’aide d’une bande de loufoques centenaires. Il y gagnera une promotion, la découverte des lettres étalons, des secrets de la Résistance, et l’amour…

Humour, fantaisie et rebondissements sont au programme de ce roman à l’écriture jubilatoire. On salue l’originalité : on a enlevé de nombreuses choses en littérature, mais pas de lettres… On apprécie le ministère de l’orthographe, et ses chargés de mission, ses divisions…. Que ce soit dans les noms des personnages, ou celui des structures (l’Office de protection des voyelles rares…. tout un programme), le roman entraine son lecteur dans un drôle d’univers où se croisent linguistes et physiciens, pour la plus grande joie du lecteur. Amateurs de sérieux, passez votre chemin.  Et si le W remplace le V, c’est peut-être en hommage au souvenir d’enfance de Perec… et à d’autres disparitions.

Un roman qui pastiche avec bonheur les romans policiers et qui rawira les amateurs de personnages déjantés et de situations tragi-comiques…