Des Pensées sans compter: philosophie en papillottes

Des Pensées sans compter
Frank Prévot, illustrations de Martin Jarrie

Editions l’édune (papillottes), 2011

éclats de philosophie

par Anne-Marie Mercier

Des pensées sans compter.jpgLes « pensées » de Franck Prévot ont ceci de commun avec celles de Pascal qu’elles sont fragmentaires, apparemment décousues, pleines de sagesse. Mais elles sont radicalement différentes dans la mesure où le jeu sur le langage prime. Jeux poétiques, calembours, mots d’enfant, rêveries sur les saisons, les humeurs, les émois :

– On sait que la chaleur vient du soleil. Mais le froid ? D’où vient-il, le froid d’hiver ?

– Plus tard, les minuscules deviennent-elles des majuscules?

– Prendre du recul m’aide à avancer.

– Etre et voir l’été.

– Ceux qui jonglent avec les idées devraient se souvenir que le jongleur se saisit de tout mais ne retient jamais rien.

Humour de papillotes? c’est de saison ! Mais dans son plus bel air, celui qui fait philosopher légèrement malgré l’engourdissement. Chaque phrase est un voyage. C’est un merveilleux petit livre pour ceux qui aiment lever le nez à chaque page pour sourire, penser et rêver. Les illustrations de Martin Jarrie sont parfaitement adaptées au projet du livre jouant avec une géométrie folle et mélangeant les formes.

Lily Myosotis

Lily Myosotis
Nathalie Mussari, Nathalie Goussé

Coprin, 2010

 Noyade dans le bleu

par Christine Moulin

nathalie mussari,nathalie moussé,coprin,vache,bleu,identité,atelier philo,christine moulinLily est une vache. Pas bleue. Et c’est là tout son drame car le bleu lui rappelle sa Bretagne natale. Heureusement, un elfe va venir à son secours, s’inspirant vaguement des leçons de Pélagie la sorcière qui passait son temps à perdre son chat noir dans sa maison noire.

Bien sûr, on peut voir le message : il faut se débarrasser de la nostalgie de l’enfance et cesser de vouloir s’incorporer ce que l’on aime pour devenir soi-même (cela dit, Lily va quand même passer sa vie en noir et blanc, comme les copines qui l’ennuient tellement au début de l’histoire).

Justement, on peut voir LE message. Pas beaucoup de jeu dans cet album. La voie, pour Lily, comme pour le lecteur est toute tracée. Les illustrations ne viennent guère à la rescousse, lourdes, redondantes, envahies par les gros plans.

Cela dit, peut-être ce récit peut-il provoquer des discussions dans les cercles philo de maternelle : doit-on ressembler à ce qu’on aime ?

La Gigantesque Petite Chose

La Gigantesque Petite Chose
Béatrice Alemagna

autrement jeunesse, 2011

« Cours y vite, il va filer… »

par Anne-Marie Mercier

La Gigantesque Petite Chose.gifDans cet album au format exceptionnellement haut, sans être gigantesque, des personnages cherchent quelque chose et croient parfois la trouver: sous la pluie, dans le goût d’un flocon de neige, sous la forme d’un ballon, d’une feuille flottant au vent, dans une larme dans les rires. Jeunes et vieux, hommes et femmes, groupes d’amis et solitaires, l’attendent, la redoutent, s’en souviennent… On pense à La Grande Question de Wolf Erlbruch qui explorait un thème avec toutes sortes de personnages. Cela ressemble à une énigme dont le mot n’est donné qu’en dernière page.

La question philosophique, celle du bonheur, trouve des réponses variées mais toutes teintées de nostalgie ou d’un sentiment de fragilité. Les papiers découpés des images de Béatrice Alemagna créent des personnages surpris dans toutes sortes d’activités et de postures, en ville ou à la campagne, à la mer ou sur un lac gelé : le bonheur est partout-et nulle part, mais une chose est sûre : il n’est pas dans les objets, ne s’achète pas, ne s’enferme pas.

La Mèche : Petite métaphysique de Noël

La Mèche
Fabrice Vigne

illustrations de  Philippe Coudray
Le fond du tiroir, 2010

Petite métaphysique de Noël

Par Anne-Marie Mercier 

Meche.jpg À travers un court récit à la première personne, raconté par une enfant devenue grande, Fabrice Vigne aborde une question aussi essentielle que difficile : « le Père Noël existe-t-il ? »

Toute la difficulté est d’évoquer ce secret sans «vendre la mèche» à un jeune lecteur qui croirait encore à l’existence du bonhomme en rouge. Fabrice vigne réussit ce tour de force en insérant dans le récit, de manière cachée, le texte : « le Père Noël n’existe pas. Le Père Noël c’est chacun de nous ». D’autres contraintes que l’on peut chercher à deviner sont inscrites dans le texte : n’oublions pas que Fabrice Vigne se réclame de l’Oulipo. La solution, pour ceux qui ne la trouveraient pas, se trouve sur le site du fond du tiroir:http://www.fonddutiroir.com/blog

Ce tour de force s’inscrit dans un récit charmant et enlevé. La narratrice revient sur ce qui s’est passé lors du Noël de ses six ans, sur le secret qui lui a été révélé et qui a changé sa vie. Préparatifs, rencontres familiales, liste de cadeaux et catalogues de jouets, tout est là pour donner à ce Noël une allure familière. L’une des révélations : « Noël est un rite », donne à ces détails dans lesquels chacun reconnaîtra une part de vécu, une certaine banalité, tout un relief, un poids d’humanité et d’histoire.

raptout.pngUne lecture absolument recommandée pour la période qui s’ouvre ce mois-ci. Ajoutons que c’est drôle, profond et simple, et fort bien écrit comme tout ce que fait Fabrice Vigne (auteur de TS, superbe roman pour adolescents, de Jean 1er le posthume et Jean II le bon, écrits pour de plus jeunes lecteurs) et d’une belle protestation contre des déclarations  anti-littérature de jeunesse comme on en lit encore trop souvent.

Lire : http://www.fonddutiroir.com/blog/?p=6903

Rollinettes

Rollinettes
François Rollin, ill. Benjamin Chaud

L’Edune, 2011

Humour sans cosmétique

Par Dominique Perrin

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« Jusqu’à l’âge de huit ans,
j’ai eu peur des loups.
De neuf à quinze, c’étaient les guêpes.
Depuis mes seize ans,
J’ai peur de la mort.
Sincèrement, j’aimais mieux le début. »

Difficile, singulièrement difficile de présenter ces « rollinettes », aussi efficacement que l’éditeur en quatrième de couverture (« Voici livrée à votre sensibilité une véritable somme de pensées profondes ») ou que Nicolas Bedos dans sa « préface délicieusement inefficace » (« Rollin ne s’achète pas, c’est lui qui nous loue »). Le recueil est, de fait, spirituel : avec légèreté, avec gravité, avec une exquise apparente candeur surtout – et aussi, importe-t-il peut-être de rajouter, avec beaucoup d’incorrection et de pudeur. Après cette lecture, toute la production des éditions L’Edune s’offre à la découverte du lecteur étonné et un peu rajeuni : pour l’esprit, beaucoup plus et beaucoup mieux que du champagne.

Petits platons

La Folle Journée du professeur Kant et Le Meilleur des Mondes possibles
Jean Paul Mongin
Les petits Platons, 2010

Folle entreprise ou exploration de possibles ?

par Anne-Marie Mercier

La toute nouvelle maison des Petits Platons s’est donné pour but d’introduire la philosophie des philosophes en littérature de jeunesse. On précise « des philosophes », car la philosophie des idées est déjà bien représentée dans ce secteur à travers des albums posant la question, par exemple, du sens de la vie (La Grande Question de Wolf Erlbruch, Être, 2003), ou de la mort (La Visite de petite mort et Moi et Rien de Kitie Crowther (école des loisirs 2004 et 2000).

Ici, donc, on rencontre des philosophes et des idées. Belle idée. Belle maquette, beau papier, beau graphisme, beaux livres. Sur un volet de la couverture, un résumé très bref de la vie et de l’œuvre du philosophe, de son importance, de la lecture qu’il demande, est excellent. Le texte est plus contestable, surtout à propos de Kant : on présente le philosophe âgé, tout au long d’une journée réglée avec un soin maniaque comme toutes les précédentes, du lever au coucher. Un cours, une rencontre avec des amis, avec une jeune fille, les repas, la promenade. L’image du philosophe le montre très imbu de lui-même et la philosophie ne peut apparaître que triste et solitaire. Il est den outre outeux que les lecteurs jeunes soient sensibles à l’humour du texte, trop discret quand il n’est pas déplacé. Les allusions à Rousseau et à la Révolution française sont des raccourcis qui ne seront drôles que pour les connaisseurs, et seront de fausses informations pour les autres. Enfin, les idées de Kant apparaissent à travers un « best of » de formules qui ici encore ne fonctionnent que par la complicité et ne feront sourire, réfléchir ou se remémorer que des étudiants assez avancés ou des professeurs.

Le livre consacré à Leibniz montre lui aussi un philosophe vieux, laid, solitaire et triste, dont tous les amis et protecteurs sont morts. On ne voit toujours pas en quoi ce choix peut rapprocher les philosophes et la philosophie des enfants. Mais la suite est beaucoup plus réussie : à travers un dialogue avec un enfant fort bien amené et qui rappelle heureusement certains dialogues philosophiques des 17e et 18e siècles, Leibniz expose sa théorie des mondes possibles. L’exemple de Sextus Tarquinius (qui se rendra coupable du viol de Lucrèce) est proposé à la réflexion du jeune Théodore  qui est ensuite intégré lui même dans l’histoire en endossant le rôle d’un jeune prêtre de Jupiter appelé lui aussi Théodore (jolie image des enchâssements de mondes). Celui-ci voyage dans les airs, rencontre Athéna, rêve, passe d’un monde à l’autre, puis se réveille, ramenant le Théodore ‘réel’ au monde. Le texte se clôt surs les conclusions pratiques de la théorie de Leibniz (comment vivre ?) et sur une évocation poétique d’un monde dense, musical et vivant. Bien écrit, accessible, inventif, ce livre pourrait être proposé à des élèves de différents âges.

Les petits Platons sont une collection riche de possibilités mais aussi d’écueils. Le public auquel elle se destine n’est pas encore très net, ce qui n’est pas un obstacle en soi. Mais l’image des philosophes devra être pensée avec un plus grand souci du public choisi pour remplir le rôle qu’elle se fixe et l’utilisation de l’humour mieux contrôlée. D’autres titres sont parus (Socrate, Descartes). Espérons-les davantage du côté de Leibniz que de Kant.