Mémoires d’une vache

Mémoires d’une vache
Bernardo Atxaga
traduit (espagnol) par Anne Calmels
La Joie de lire, 2012

Voix basques

par Anne-Marie Mercier

Publié en basque sous le titre « Behi euskaldun baten memoriak » (Mémoires d’une vache basque) en 1991, puis traduit en espagnol, français, roumain, allemand, albanais,… et même en espéranto, il était temps que ce roman curieux écrit par un auteur reconnu revienne en librairie. C’est une reprise de la version française publiée par Gallimard en 1994, avec une nouvelle traduction qui sert bien le propos : faire entendre des voix, autant que raconter une histoire, avec un petit « h » comme avec un grand.

La voix principale est celle de Mo, vache naïve mais qui apprend. Elle vérifie l’exactitude des préceptes de vie généralement admis (comme « il faut aider ses amis ») et la difficulté de leur mise en pratique. Née vache, elle hésite entre la soumission, confortable, qui permet la vie en groupe, et la rébellion incarnée par son amie, vache asociale qui se rêve sanglier. L’autre voix est celle de sa « voix intérieure », ou de son ange gardien qui depuis sa naissance la serine avec des conseils avisés énoncés en style hyper soutenu ; Mo l’a appelée Pénible, c’est tout dire. Pénible incarne le bon sens, l’estime du peuple vache, la fidélité aux traditions, mais fait parfois preuve d’originalité devant les catastrophes.

On y trouve une version humoristique de la veine autobiographie – mémorialiste plus précisément : à la fin du texte, Mo regrette que celui-ci ne dise pas toute la vérité ; son interlocutrice lui propose alors le modèle des Confessions d’Augustin. Mais c’est aussi un roman plein de suspens : Mo et son amie, la Vache qui rit, résolvent une énigme qui s’inscrit dans l’Histoire d’Espagne, de 1940 à 1990, donc des échos de la guerre civile jusqu’à l’après-franquisme.

 

Le mouton botté et le loup affamé

Le mouton botté et le loup affamé
Maritgen Matter
Illustrations de Jan Jutte
L’école des loisirs (mouche), 2010

Au pays de « Sondestin »

Par Alice Gouin et Sarah Morey

    Voilà une histoire qui semble, dès le départ, avoir un goût de déjà vu. En effet, nous retrouvons les personnages prototypiques du mouton naïf et du loup tiraillé par la faim. Et pourtant, bien loin de ces stéréotypes, l’auteur fait de ce mouton et de ce loup des êtres à la fois difficiles à cerner et attachants.

Le loup convainc le mouton de le suivre afin de lui faire découvrir un pays merveilleux au nom évocateur de « Sondestin », mais surtout afin de le manger tranquillement. Plus l’histoire avance, plus les stéréotypes s’effacent et laissent place à une histoire d’amitié impossible : d’un côté un loup complètement écartelé entre sa faim et les sentiments qu’il ressent pour sa proie, et de l’autre un mouton en quête de reconnaissance et d’amitié, totalement fasciné par son bourreau.

De cette histoire naît un grand suspense qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la fin. Les illustrations épurées de Jan Jutte, dont les couleurs en noir, blanc et rouge,  reprennent les codes du genre policier, viennent renforcer ce suspense, mais facilitent également la compréhension des sentiments complexes ressentis par les personnages.

Ce  petit  roman  illustré  plaira autant  aux grands  qu’aux  petits.A conseiller tout de même aux enfants de plus de 7ans, déjà lecteurs.

Lettres à plumes et à poils

Lettres à plumes et à poil
Philippe Lechermeier et Delphine Perret

Thierry Magnier, 2011

Les liaisons dangereuses

 par Christine Moulin

plumes.jpgPour s’initier au genre épistolaire, cet ouvrage est parfait : la variété des tons et des registres fait merveille.

La première série de lettres, du renard à la poule, ne peut que ravir le lecteur grâce aux sous-entendus, à l’implicite et à l’élégante cruauté qui rappellent, toutes proportions gardées, ceux des maîtres du XVIIIème siècle. Le style, quelque peu suranné, sent son boudoir plus que sa basse-cour : « Pourtant, je vous en conjure, n’en faites rien ». « je sais qu’il ne sera pas facile de vous convaincre de la sincérité de mes intentions » : ne croirait-on pas entendre Valmont qui, lui aussi, en quelque sorte, aimait « croquer les poulettes » ?

« Les lettres de la fourmi à sa reine » opèrent un contraste saisissant. C’est une « simple fourmi de la fourmilière de la forêt » qui prend la plume pour exposer son problème à sa souveraine : « J’en ai assez de cette routine qui recommence chaque matin, trimballer des morceaux de macchabées  de scarabées ou des restes de sauterelles qui ont rendu l’âme, ça va cinq minutes mais là, ça commence à me courir sur le kiki, ça m’fout le bourdon, tout ça ». Saura-t-elle trouver le bien-être ?

A cela s’ajoutent de savoureux jeux sur les mots. Ainsi, les poulets sont, bien sûr, des gardiens de l’ordre à qui le corbeau écrit pour dénoncer tout ce qui le contrarie, dans un bel élan de fureur sécuritaire : « Le monde dans lequel on vit est de plus en plus dangereux, moi j’vous l’dis. On est plus [sic] en sécurité nulle part, la canaille vient vous trouver jusque dans votre foyer, crottedediou ! ».

Mais il n’y a pas que le style : les missives, telles des fables, débouchent souvent sur une « leçon » amère et drôle, tout à la fois, mais assez complexe pour susciter l’activité interprétative. L’aventure de l’escargot amoureux d’une limace en est un exemple terrible…

Les illustrations de Delphine Perret, croquées avec un crayon simple, mutin et tendre, ajoutent au charme de cet ouvrage.