La Princesse Ortie

La Princesse Ortie
Frédéric Maupomé et Marianne Barcilon
Kaléidoscope, 2021

 

La Princesse pas coquette

Par Anne-Marie Mercier

À première vue on pourrait croire que cet album appartient à la célèbre série de la Princesse coquette de Christine Naumann-Villemin et Marianne Barcilon, publié également chez Kaléidoscope, avec la même illustratrice, dans le même format et avec une couverture visuellement  proche, présentant un personnage de petite fille vêtu d’une robe, en pied, seule (voir ma chronique précédente, consacrée au nouveau volume de la série).
Mais  non : la princesse Ortie est une peste capable de proférer des grossièretés (heureusement elles ne sont pas précisées) alors qu’Éliette est juste une petite fille dotée d’un fort caractère ; Ortie est une vraie princesse et nous emmène dans un univers merveilleux (carrosse, trolls, château et dragon) alors qu’Éliette reste dans un décor réaliste enchanté par sa seule imagination. Autre différence : le point de vue légèrement féministe adopté par Christine Naumann-Villemin dans La Princesse coquette, ou politiquement conscient que l’on retrouve dans La Princesse réclame est ici ambigu. Il y est dit qu’une princesse doit se marier, qu’elle doit aller au bal pour danser avec les princes, etc. (ce sont les propos des parents qui désespèrent de trouver quelqu’un qui veuille bien de leur fille). Certes, ces stéréotypes sont battus en brèche par le personnage, certes, c’est elle qui sauve le prince enlevé par un dragon, il n’empêche que la doxa reste bien présente, tout en étant confrontée à des contre-stéréotypes forts dont on sait qu’ils sont rejetés par les plus jeunes. Ces deux albums ne s’adressent donc pas à la même tranche d’âge.

Pour apprécier pleinement La Princesse Ortie, qui a bien des qualités au demeurant, il faut connaitre l’univers des contes pour comprendre au moins une partie des multiples allusions (manger des pommes, filer la laine, embrasser une grenouille, etc.) qui renvoient à des contes bien connus. Cela permet aussi de rire de l’inversion de la situation (la princesse sauve le prince) et de prendre des distances avec les affirmations sur la nécessité de se marier. Ces bases étant posées, on ne peut que se réjouir des dessins extrêmement drôles de Marianne Barcilon et de l’humour des situations développées par Frédéric Maupomé.

La Chanson de Rose – Christmas in New York

La Chanson de Rose – Christmas in New York
Jane Méry – lu et chanté par Camille Claris, Andrew Paulsen, Chantal Jean et Matthéo
Trois petits points 2022

L’une chante, l’autre aussi

Par Michel Driol

Rose, qui a 10 ans, est élève d’une école primaire à Paris. La cour de récréation est bien occupée par les garçons qui jouent au foot. C’est l’hiver. Rentrant chez elle, elle glisse sur une plaque de verglas et se réveille à New-York, où elle retrouve Woody (voir La Chanson de Martin, chroniqué ici) qui l’invite à passer Noël dans une « Merry House », pleine de musiciens et d’enfants. Dans ce lieu enchanteur et utopique, elle découvre l’histoire de quelques féministes américaines qui ont fait avancer la cause des femmes. Puis Rose se réveille, passe Noël en famille, compose sa première chanson, et contribue à changer les relations filles-garçons à l’école.

On retrouve avec grand plaisir Rose et son petit monde : Woody, Kaïna, Tiagio dans cette histoire qui mêle avec bonheur petite histoire et grande histoire, réel et fantastique, paroles et musiques. Il y est question de la longue histoire de l’émancipation des femmes, et ce n’est pas rien d’écouter ce CD et d’écrire cette chronique à l’heure où en Iran des femmes osent se soulever. C’est bien la question de l’égalité entre filles et garçons dès l’école, dans le partage de la cour, mais aussi du partage des tâches ménagères, des Américaines qui se sont battues pour aller à vélo, avoir le droit de vote. Ces figures féminines, dont l’action est parfois racontée, mais qui sont parfois juste évoquées par leur nom, deviennent des modèles à suivre pour Rose, toujours guidée par Woody qui fait figure de mentor bienveillant à ses côtés. Mais rien de didactique dans cette histoire où prime la musique – folk bien sûr – pour chanter la vie, la promesse d’un monde meilleur, et unir tout le monde, toutes générations confondues, dans un partage de générosité symbolisée merveilleusement par cette fête de Noël multiculturelle, scène ouverte où chacun vient à son tour chanter. Avec humour, certaines chansons dénoncent les stéréotypes des cadeaux genrés liés à Noël. On apprécie aussi la chanson de Rose, intitulée notre école, beau plaidoyer pour une école des rencontres, des envies, du partage : une école vraiment à l’image de la société que Rose – mais elle n’est pas la seule – souhaite. Ce CD revisite la magie des contes de Noël : il en conserve les ingrédients principaux, la neige, le rêve, l’univers des souhaits, mais il imprime à celui-ci une résonnance toute particulière avec notre société. A l’image de Rose, qui, dès ses premiers mots, dit son amour pour les histoires qui permettent d’entrer dans l’intimité des gens et de mieux les connaitre, cet album dit comment chacun peut inscrire son action individuelle dans une Histoire qui le dépasse. On apprécie aussi le côté bilingue de cet album, où nombre de chansons sont en américain, traduites sur le livret d’accompagnement, façon de donner à entendre, mais aussi à lire le contenu engagé de ces textes.

Un album audio juste, qui donne à voir l’ouverture au monde d’une enfant de 10 ans, qui se découvre héritière de celles qui l’ont précédée pour qu’elle puisse avoir une vie meilleure qu’elles, et qui entend à son tour œuvrer dans ce sens.

On pourra entendre un extrait sur le site des éditions Trois petits points : https://www.troispetitspoints.audio/

C’est obligé que les petits cochons se fassent manger par le loup?

C’est obligé que les petits cochons se fassent manger par le loup?
Marie-Agnès Gaudrat, Marie Mignot (ill.)
Casterman, 2021

Questions (pas vraiment) existentielles, quoique…

Par Christine Moulin

L’album repose sur des recettes éprouvées: les pages cartonnées tout-terrain qui permettent même que l’on dévore le livre, les rabats, des illustrations très colorées et expressives, la formule récurrente « c’est obligé que » qui invite à la participation et les rimes. A cela s’ajoute un répertoire de personnages dont le succès est indestructible: le loup, le chat, la sorcière, l’ogre, les cauchemars, plaisamment représentés sous forme de monstres sympathiques. Rien de surprenant. Il est évident que « ce n’est pas obligé » et que le faible l’emportera toujours sur le fort, qui se retrouve toujours en mauvaise posture. Ce qui l’est peut-être davantage, c’est la chute. Alors qu’on croyait assister à une déconstruction des stéréotypes (d’autant que l’illustration qui accompagne la question sur les « grands méchants » représente UNE grande méchante), on quitte le terrain de la littérature ou de la psychologie, pour assister finalement à une glorification de l’intelligence et du savoir: le slogan « On n’est pas bêtes, on a plein d’idées dans nos têtes » est renforcé par des images de livres, de formules mathématiques et d’encyclopédies. C’est ce qu’il y a de plus original dans l’album.

Le Grand Spectacle

Le Grand Spectacle
Claire Franek
Le Rouergue, 2016

Tous en scène !

Par Marion Mas

Une fille coiffée comme un garçon peut-elle représenter une maman ? Un chat peut-il se marier avec une licorne ? Un chien peut-il apprendre à ronronner ? Telles sont les questions que se posent Zoé, Victor, Aziza, Noham, Camille, Raphaël et Bilal, en train de créer un « grand spectacle ». Le trait, imitant le crayon de couleur et jouant à la fois avec les codes de la bande dessinée et du graphisme enfantin, transforme chaque page en petite scène de théâtre. Un rectangle matérialise l’espace sur lequel s’inventent, se négocient et évoluent les rôles de chacun. Ainsi, progressivement, sous les yeux du lecteur, se tisse la trame dramatique d’un spectacle qui met à mal les préjugés. Un bel album, au dispositif original et au graphisme inventif.

On se souvient du Tous à poil ! de Claire Franek, décédée brutalement en 2016. L’obtention du Prix Brindacier 2017 (meilleur album jeunesse contribuant à lutter contre les représentations stéréotypées et sexistes) est un bel hommage posthume.

Le mouton botté et le loup affamé

Le mouton botté et le loup affamé
Maritgen Matter
Illustrations de Jan Jutte
L’école des loisirs (mouche), 2010

Au pays de « Sondestin »

Par Alice Gouin et Sarah Morey

    Voilà une histoire qui semble, dès le départ, avoir un goût de déjà vu. En effet, nous retrouvons les personnages prototypiques du mouton naïf et du loup tiraillé par la faim. Et pourtant, bien loin de ces stéréotypes, l’auteur fait de ce mouton et de ce loup des êtres à la fois difficiles à cerner et attachants.

Le loup convainc le mouton de le suivre afin de lui faire découvrir un pays merveilleux au nom évocateur de « Sondestin », mais surtout afin de le manger tranquillement. Plus l’histoire avance, plus les stéréotypes s’effacent et laissent place à une histoire d’amitié impossible : d’un côté un loup complètement écartelé entre sa faim et les sentiments qu’il ressent pour sa proie, et de l’autre un mouton en quête de reconnaissance et d’amitié, totalement fasciné par son bourreau.

De cette histoire naît un grand suspense qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la fin. Les illustrations épurées de Jan Jutte, dont les couleurs en noir, blanc et rouge,  reprennent les codes du genre policier, viennent renforcer ce suspense, mais facilitent également la compréhension des sentiments complexes ressentis par les personnages.

Ce  petit  roman  illustré  plaira autant  aux grands  qu’aux  petits.A conseiller tout de même aux enfants de plus de 7ans, déjà lecteurs.