Le Petit de la poule

Le Petit de la poule
Anne Fronsacq, Kiko
Flammarion (« Les Histoires du Père Castor), 2024

Petit croco deviendra grand

Par Anne-Marie Mercier

Publié sous couverture rigide en 1975 sous le titre « The chicken’s child » avec un texte et des illustrations de Margaret A. Hartelius, traduit en France et paru dans la même présentation en 1979, le revoilà, avec un changement d’auteure entretemps… Bizarreries de l’édition jeunesse. Il est regretable que les collections patrimoniales ne soient pas plus respectueuses des attributions (c’était déjà le cas pour La plus mignonne des petites souris d’Etienne Morel – également auteur illustrateur de La Petite Poule rousse – devenu Souricette veut un amoureux chez Didier jeunesse).
Anne Fronsacq a certes donné un texte à cet album fameux, mais on ne peut pas dire qu’elle en est la seule auteure : ce n’est pas parce qu’un album n’a pas de texte qu’il n’a pas d’histoire et donc d’auteur d’histoire. Notons aussi que sur le site sur lequel on peut voir les planches originales le nom de l’auteure première est mal orthographié (Hartelins au lieu de Hartelius).
Donc, il s’agit du petit de la poule. Non, ce n’est pas un poussin : Poulette, sans enfant et désespérant d’en avoir, a trouvé un œuf abandonné, l’a couvé et il en est sorti un petit alligator que, par amitié pour elle, le fermier et les autres animaux ont accepté, jusqu’au jour où…
Jolie fable sur l’amour maternel, souvent aveugle, sur l’acceptation de la différence et ses limites possibles (ici repoussées à la fin), sur les talents particuliers de chacun, elle est illustrées en images naïves aux couleurs vives. La couverture de Kiko a le mérite de créer et maintenir le suspens sur la nature de ce petit qui va sortir de l’oeuf.

 

 

 

César

César
Grégoire Solotareff
L’école des loisirs, 2012

Petit et grand

Par Anne-Marie Mercier

cesarCésar propose une histoire simple, dans la veine des fables où un petit devient l’ami d’un grand après l’avoir vaincu. Petit oiseau en cage, César écoute son père lui raconter l’histoire de l’empereur des crocodiles; l’album est dédié à André François pour Les Larmes de crocodile (Delpire, 1956 ou 1955 : voir l’article de Michel Defourny) et on peut trouver quelques liens ténus.

Le petit oiseau, vermeil comme il se doit et déterminé sans le savoir par son nom, décide de devenir empereur des oiseaux. Il s’évade, retourne au pays de ses ancêtres, le pays des crocodiles, avec l’intention de manger du crocodile car, dans cet album comme dans le précédent, « c’est très facile d’attraper un crocodile ».

Les couleurs ne sont plus évoquées par le texte, ni à placer dans un dessin en noir et blanc, mais elles saturent les pages de l’album : bleu pour le ciel, sable pour le sol, vert pour le crocodile. L’animal est vu sous toutes ses coutures, de profil, de face, par dessus… pour mettre en valeur ses dents terribles; mais le livre se clôt sur une scène de plage paisable (évoquant une page du fameux Loulou) où les contraires sont réunis. C’est du Solotareff simple et efficace, de la belle ouvrage.

Oiseau et Croco

Oiseau et Croco
Alexis Deacon
traduit (anglais) par Elisabeth Duval
Ecole des Loisirs, 2012

Pour l’amour des oiseaux… et des crocodiles

Par Christine  Moulin

Il est des livres qu’on est heureux d’avoir rencontrés: l’album d’Alexis Deacon est de ceux-là. Un cadeau.

Tout commence dans l’indistinction originelle des pages de garde. Des œufs flottent dans l’espace, la nuit des temps. La page de titre fait acte de nomination, Oiseau et Croco. Déjà, la typographie indique ce qui risque de séparer les deux héros. Le nom « oiseau » est recouvert de plumes, le nom « Croco » d’écailles, les « o » figurant des yeux manifestement reptiliens. Mais il est vrai qu’une minuscule copule « et » les unit, timide et essentielle.

La première double page a des airs de genèse. Face à l’immensité étoilée, deux œufs sont tendrement posés l’un à côté de l’autre et le texte dit ce que montre l’image, dans l’évidence des premiers moments. La naissance a lieu : le premier à sortir, c’est Oiseau, très vite suivi par Croco. Inquiet, le lecteur attend, si l’on peut dire, le « couac », d’autant que le premier cri du crocodile n’est guère rassurant: « J’ai faim ». Mais non… Les deux bébés découvrent le monde et l’apprivoisent, chacun selon ses compétences: Croco est doué pour trouver à manger, Oiseau pour chanter la beauté des choses ou pour bâtir une maison. Ils comptent l’un sur l’autre pour se réchauffer, se protéger  mutuellement, bref, grandir ensemble. Ignorant ce que leur « nature » respective leur permet ou leur interdit, ils progressent, sans se poser de questions, s’entraînant tous deux à voler ou à « lézarder »… Jusqu’au jour où une rivière les emporte « jusqu’à un lac empli de crocodiles au milieu d’une forêt pleine d’oiseaux ». Les appréhensions du lecteur renaissent…

L’amour fraternel, la tendresse vaincront, par-delà les déterminismes sociaux ou les pesanteurs génétiques… L’image de la fin est une merveille de simplicité et d’émotion. Les derniers mots peuvent alors s’écrire, ceux de l’intimité protectrice à laquelle aspirent les enfants et dont les parents ont la nostalgie, parfois: « Bonne nuit »…

L’avis et l’analyse de Sophie Van der Linden