Le Livre Jaloux

Le Livre Jaloux
Ramadier et Bourgeau
L’école des loisirs, 2024

Le livre en thérapie

Par Anne-Marie Mercier

Après Le Livre qui a bobo et Le Livre coquin, voici un nouvel opus du duo Ramadier et Bourgeau, qui explore sentiments et émotions à travers un personnage récurrent et étonnant : le livre lui-même. Le lecteur se doit d’être actif et il lui faut aider le livre à surmonter sa difficulté. Pour commencer, on explore le sentiment à travers le symptômes puis le diagnostic. Ici, la jalousie se voit à travers la bouderie. La petite souris interlocutrice devine l’origine de la contrariété : elle a un petit livre dans la main et celui-ci est, d’après le livre, « petit, mignon, tout le monde a envie de le câliner. » On devine qu’il s’agit ici de proposer un miroir à un enfant qui sans doute vient d’avoir un petit frère ou une petite sœur. Le lecteur, cet enfant, va devoir traiter ce livre tout en se soignant lui-même, bel emboitement de soins : il faut le rassurer, le faire rire, et lui donner envie d’aller à la rencontre de ce petit autrui.

 

 

Reine de l’ouest

Reine de l’ouest
H. Lenoir
Sarbacane (« Roman Sarbacane »), 2024

Attention : explosif !

Par Anne-Marie Mercier

Quelle surprise ! Ce roman est un véritable feu d’artifice d’étonnements, de vivacité et d’insolence. On est prévenu dès le début, si on se donne la peine de tout lire : il est tout d’abord dédié « à tou.tes les neuroqueers qui aiment les pirates, les vampires et les cow-boys », lit-on avant le titre. La page suivante donne un « Avertissement »:

« Cet ouvrage contient des métaphores parfaitement ridicules ainsi que des scènes explicites. Parfois les deux en même temps. Le lecteur ou la lectrice est considéré.e comme averti.e. Toute ressemblance avec des personnages préexistants ne sera que le fruit d’une surabondance de clichés ».

Humour, autodérision, clichés, érotisme et déviances en tous genres sont parfaitement assumés. La page de titre donne comme sous-titre « un western dont vous êtes l’héroïne » : voilà pour le genre (littéraire) de base et la forme : c’est un livre contenant de nombreux parcours et chemins aléatoires. Il y a de multiples fins possibles aussi : dans l’une des séries, l’héroïne se marie après quelques petites péripéties et coule une vie tranquille dans les bois, ou bien… Personnellement j’ai fait un premier parcours de ce type, charmant mais donnant l’impression de passer à côté d’autres choses : il faut donc tirer plusieurs fils pour saisir toute la gamme des possibles. Mais quel plaisir qu’un livre qu’on peut reprendre encore et encore en étant toujours surpris.e et amusé.e.
L’autrice ayant décidé que, oui, la lecture est un jeu (Picard et Jouve, bonjour !), elle joue avec les genres aussi bien littéraires (western, roman d’éducation ou de formation, roman érotique, roman d’aventure…) qu’avec le genre : l’héroïne que « vous » êtes a des idées affirmées sur ce que c’est que d’être une femme, sur ce qu’elle peut, doit, veut, peut vouloir, être, etc., et elle fait un usage tantôt prudent tantôt débridé (pour ne pas dire déchainé) de sa liberté. On retrouve le goût de l’auteure pour les genres populaires. Elle avait dynamité magnifiquement le genre de la science-fiction avec Félicratie suivi de Battlestar botanica, une petite merveille, plus sage que celui-ci.
Tout commence comme un pastiche de roman pour jeune fille : ça se passe en Amérique, au XIXe siècle, « vous » avez laissé le chat de votre tante s’échapper et celle-ci, ne sachant plus quoi faire de cette orpheline encombrante, décide de la marier au plus vite ou de l’envoyer gagner sa vie comme institutrice à Cottonwood dans le Nebraska (ou infirmière dans le Montana, où il y a des ours et des trappeurs).
C’est le prologue (8 pages). Dès la fin du premier chapitre qui vous met dans le train (1 page et demie), vous devez choisir soit de parler à un charmant gentleman et alors d’aller vers le chapitre 12, soit de l’ignorer en jeune fille bien élevée et de vous rendre au chapitre 23. La suite dépend de vous : il y a mille possibilités et vous pouvez, selon vos choix – jeune fille bien élevée ou demoiselle audacieuse –, devenir institutrice et vous marier ou vivre une aventure torride avec le shérif, tomber amoureuse de la fille du maire, être enlevée par des hors la loi, devenir infirmière et épouser le docteur (ou pas), rencontrer des chercheurs d’or, frayer avec une tenancière de bordel, jouer (et gagner) au poker, etc.  C’est vif (les chapitres sont très courts et on saute vite d’une situation à une autre), drôle, tendre et coquin. L’héroïne que vous êtes se tire de toutes les situations tout en accumulant les bourdes. On jongle avec les clichés du western et on s’amuse beaucoup !

Reste la question de « l’explicite » en littérature de jeunesse. Certains diront «pornographie», d’autres diront que l’explicite n’est pas la pornographie et que de toute façon les jeunes sont de plus en plus tôt exposés à des images véritablement pornographiques, alors autant faire des contrefeux : dans les quelques scènes  effectivement explicites du roman, le sexe y est toujours joyeux, consenti, respectueux et cela n’a rien à voir avec l’atmosphère glauque des « New Romances » engluées dans les clichés d’une culture du viol. Mais rappelons-nous la polémique pour le gentil Tous à poil ! de Claire Franek et Marc Daniau (Editions du Rouergue, 2011) et le sérieux Bien trop petit de Manu Causse (Thierry Magnier, 2023), interdit à la vente aux mineurs par le ministre de l’intérieur. Ce livre, bien sûr n’affiche pas la mention de la loi de 1949 pour les publications pour la jeunesse, mais il a été sélectionné dans la liste des nominés pour le prix Vendredi. La question reste donc posée. Empoignades en perspective…

Pour creuser la question, c’est le moment de lire ou relire le livre tonique, instructif et utile de L’Aventure politique du livre jeunesse, par  Christian Bruel.

ABC du mot image

ABC du mot image
Jean Alexxandrini
(Les Grandes Personnes) 2024

Le mot est la chose

Par Michel Driol

C’est un abécédaire d’un genre particulier que propose Jean Alexandrini, à la fois typographe, écrivain et illustrateur. D’Architecture à Zigoto, en passant par Hélicoptère et Navire, les mots s’affichent en pleine page, les lettres du mot se mêlant à d’autres éléments graphiques pour représenter la chose. Le tout est en noir et blanc, de façon à laisser aux enfants le soin de colorier le dessin.

C’est un livre à contempler, plein d’inventivité et d’imagination, de précision aussi dans la façon de représenter les choses. Il faut regarder dans le détail comment les lettres s’inscrivent dans l’objet, et comment des détails s’inscrivent dans les vides des lettres. Si certains sont faciles à identifier, d’autre demanderont un peu plus de connaissances du lexique, de perspicacité dans la lecture (de haut en bas, les lettres emmêlées…), on s’aidera du mot dont on a l’initiale et le nombre de lettres, et, au pire, on ira chercher la solution en dernière page. L’ouvrage donne à voir une certaine poésie graphique qui met les mots à l’honneur, à travers des gravures qui ont un certain côté rétro. L’appareil photo date d’avant le numérique, on imagine les chromes de l’auto à trois roues, le garage et sa station-service évoquent les jouets d’autrefois… Ce voyage à travers les mots est aussi un voyage à travers les moyens de transport, un voyage où l’on côtoie des animaux réels ou imaginaires, et de drôles de personnages.

Un livre dans lequel les mots sont presque traités comme des idéogrammes complexes pour mieux les donner à voir.

 

Dans les poches de l’astronaute, du plombier, de l’apiculteur et des autres métiers…

Dans les poches de l’astronaute, du plombier, de l’apiculteur et des autres métiers…
isabelle Simler
Éditions courtes et longues, 2023

C’est à qui ?

Par Anne-Marie Mercier

Après avoir exploré les poches des personnages de fiction, Isabelle Simler nous propose un jeu du même type : il s’agit d’observer une double page sur laquelle, sur fond blanc apparaissent plusieurs objets. Ils sont représentés de manière réaliste, juxtaposés sans ordre apparent. Parfois il est facile de deviner à qui ils appartiennent ; certains métiers sont familiers aux enfants : chirurgienne, instituteur, apicultrice, policière… (on voit que l’auteure a songé à féminiser de nombreux noms, même si quasi rien dans les images ne suggère le genre du ou de la professionnel/le). D’autres sont moins connus (roboticienne, agent immobilier, océanologue…) ou moins faciles à deviner : pour le luthier, des objets et outils étranges, pour le chef d’orchestre, juste une baguette.
Les traits crayonnés laissent parfois la place à des représentations proches de l’hyperréalisme. C’est joli comme un trompe l’œil de collection d’objets (le musée de Lille en a un bel exemple, de Boilly, de la fin du 19e s., un autre du 17e s., de Le Motte, se trouve dans dans celui de Saint-Omer.
Tout cela présente une grande et belle variété de couleurs et de formes ; et que de jolis mots inconnus à découvrir dans la liste des outils !

Le Coffre à joujoux

Le Coffre à joujoux
Adèle Massard
Les Grandes Personnes, 2023

« Cherche et trouve » d’aventure en aventure

Par Edith Pompidou-Séjournée

Cet album au format géant cartonné et sans texte, sauf une notice sous forme de rabat sur la première de couverture, ainsi que des illustrations enfantines et colorées faites de papiers découpés peut, dans un premier temps, laisser penser qu’il s’adresse aux plus petits et pourtant…
Son format oblong donne vie à un large espace intérieur avec des scènes incroyables qui s’étendent sur la double page et qui fourmillent de détails plus surprenants les uns que les autres. À chaque nouveau décor correspond une nouvelle aventure.
Le lecteur voyage ainsi d’une fête foraine à une salle de jeux pour mieux se perdre dans les fonds marins et visiter le ciel, de jour comme de nuit. Il devra retrouver à la manière d’un « cherche et trouve » les 15 personnages décrits dans la notice. Si ces derniers appartiennent tous au monde de l’enfance, ils n’ont rien de commun. Par exemple, le doudou est grognon, la souris gloutonne, le pirate est une fille qui s’appelle Pierrette, Guy le cowboy chevauche une licorne, le robot est malchanceux, la poupée aventurière et l’ours narcoleptique. Les indices donnés sur le caractère et la vie de chacun aideront à les retrouver mais permettront aussi de mieux s’inventer des histoires à leur propos, au fil des pages. Les destins de certains se croiseront pour partager une montgolfière, un sous-marin ou une diligence ; s’entraider comme la pirate qui pousse le fauteuil du robot malchanceux après l’attaque d’un requin. D’autres rencontreront aussi de nouveaux personnages et évolueront tout au long du livre comme les frères Bali et Balo qui se font suivre puis kidnapper, transportés par un extraterrestre avec sa soucoupe volante, celui-ci tentera ensuite de les faire cuire pour les manger sur sa planète.
Il ne s’agit donc pas d’un « cherche et trouve » classique, les scènes sont loufoques et stimulent l’imagination avec de multiples clins d’œil qui s’adressent à un large public. Des plus petits aux plus grands : à lire et à relire, seul ou à plusieurs, pour vivre de nouvelles aventures à chaque lecture.