Alfonsina, reine du vélo

Alfonsina, reine du vélo
Joan Negrescolor
Gallimard Jeunesse 2021

Hommage à une pionnière

Par Michel Driol

A dix ans, Alfonsina se voit offrir par son père un premier vélo, bien trop grand pour elle. Mais elle persévère, malgré les quolibets et le chutes, se déguise en 22cycliste. A 13 ans, elle participe à sa première course, puis court un peu partout en Europe.

Cet album est inspiré par la vie d’Alfonsina Strada (1891-1959), cycliste italienne, qui fut la seule femme à avoir officiellement participé à l’un des trois grands tours cyclistes masculins. Elle a notamment pris part deux années de suite au Tour de Lombardie ainsi qu’au Tour d’Italie 1924. Conçu comme une autobiographie, – texte en je au passé composé – , l’album se focalise sur l’enfance et la jeunesse de la championne, évoquant très brièvement sa carrière. Il s’agit de montrer la passion d’une fillette pour une activité essentiellement masculine à l’époque, son désir de vitesse et de liberté, sa façon de ne pas se conformer aux codes sociaux en vigueur pour les faire exploser. C’est bien à l’enfance d’une pionnière du féminisme, montrant comment l’égalité hommes/femmes peut se réaliser dans tous les domaines. Alfonsina devient ainsi un modèle de persévérance à suivre, invitant les enfants à lutter pour réaliser leurs rêves.

Les illustrations dessinent tout un univers coloré, aux teintes chaudes, avec une dominante de jaune et d’oranger. Elles sont souvent remplies de détails pittoresques, de visages expressifs, interloqués, réprobateurs ou admiratifs,  campant ainsi l’arrière-plan idéologique dans lequel évolue l’héroïne. Quant au style graphique, il est fortement inspiré des mouvements artistiques du début du XXème siècle, en adéquation parfaite avec son sujet : le constructivisme russe, voire le futurisme italien.

Un album engagé, sortant de l’ombre une figure féminine oubliée, celle d’une championne italienne de la petite reine.

Fantoccio

Fantoccio
Gilles Barraqué
Ecole des loisirs, 2015

Fantastique Pinocchio !

Par Anne-Marie Mercier

fantoccioOn croyait avoir fait le tour des réécritures de Pinocchio, des bonnes comme des mauvaises, en revenant toujours au constat qu’il valait mieux retourner à l’original. Avec ce roman on a affaire à une belle surprise : Gilles Barraqué réussit le tour de force d’être très fidèle à l’esprit de l’œuvre tout en faisant radicalement autre chose.

Récit merveilleux à l’origine (un pantin qui s’anime, des animaux qui parlent, des enfants métamorphosés en ânes,… tout cela ne heurte aucun personnage dans le roman de Collodi), l’histoire de Pinocchio est ici traitée sur le mode fantastique.

Une sorcière est à l’origine de tout. On ne sait pas exactement comment ni pourquoi, car l’histoire de Fantoccio est racontée à la première personne. Elle commence au moment où il s’éveille à la conscience, découvre qu’il comprend la langue des autres et peut parler, qu’il a des terreurs innées et des sensations. On assiste à l’éveil d’un être, un peu comme dans les fictions épistémologiques du dix-huitième siècle. Combinant les sensations et les idées cette petite statue qui s’anime (c’est l’image utilisée par Condillac) accède progressivement à l’intelligence et à l’autonomie.

Très vite, Fantoccio a la pleine conscience d’être pour son maître, Giuseppe, ancien charpentier devenu fabricant et montreur de marionnettes, un « fantoche, pantin, celui qu’on manipule, qui n’a pas de volonté ni d’agissements propres ». Il fait le pantin et vit caché, donc en plein mensonge pour fait croire à la virtuosité de Giuseppe qui l’exhibe sur des tréteaux de commedia dell’arte, à Sienne. Ne dormant pas, saisi par l’ennui, relégué dans un coffre, ou caché, il apprend de son maître le métier et, à sa demande, la lecture. Par ses questions et les livres il découvre progressivement le monde : à l’abécédaire de Pinocchio s’ajoutent une encyclopédie et des contes persans (notamment l’histoire d’Aladin).

A l’évasion par la lecture succède la fugue. S’acoquinant avec deux voyous qui deviennent ses amis après avoir été ses tortionnaires, tombant amoureux de la belle Livia, semant la pagaille dans le Palio de Sienne, Fantoccio accède à l’indépendance. Il n’y aurait pas de Pinocchio sans nez qui grandit : les changements de nez auxquels, apprenti expert en menuiserie, il procède lui-même marquent les étapes de son évolution : tantôt petit nez rond de marionnette, tantôt appendice grotesque de mascarade ou substitut viril, il désigne son hésitation entre les divers états auxquels il aspire et ses interrogations sur son identité : Pourquoi est-il au monde ? Qu’est-ce qui fait qu’il est garçon plutôt que fille ? Quel âge a-t-il ? Quels liens peut-il construire avec ses semblables ? Qu’est-ce que l’amour ? Quel lien les unit, Giuseppe et lui ?

Roman sensible et poétique, récit d’apprentissage amoureux, Fantoccio propose aussi une belle incursion dans la vie et les paysages de Sienne et dans la culture des tréteaux : le parcours de Fantoccio et Livia de la commedia dell’arte au théâtre de Goldoni est à l’image de la métamorphose du pantin en être humain, comme ce changement est à l’image d’un passage d’une enfance passive à une existence libre.

Celle qui sentait venir l’orage

Celle qui sentait venir l’orage
Yves Grevet
Syros, 2015

Savant fou, jeune fille sans défense

Par Anne-Marie Mercier

Celle qui sentait venir l’orageLe cadre de ce roman historique est l’émergence de l’idée de « l’homme criminel », élaborée, après les travaux de Lavater sur la physignomonie au 18e siècle, par Cesare Lombroso (1835-1909) qui a tenté de définir le faciès du criminel.

L’héroïne, fille d’un homme accusé de meurtres est recueillie par un médecin qui se sert d’elle pour ses expériences. Il y a tous les ingrédients du bon roman classique pour la jeunesse : une orpheline, un jeune homme, un savant fou, des marécages, un arrière plan historique qui permet des costumes et des décors un peu différents, des idées généreuses, mais malheureusement (pour moi du moins), la sauce ne prend pas et le roman ne trouve pas son rythme.

Tout va bien

Tout va bien
Eva Kavian
Mijade (Zone J), 2014

Le dit et le tu

Par Anne-Marie Mercier

Tout va bienSuite (ou fausse suite) de Premier chagrin et de La Conséquence de mes actes, Tout va bien présente le couple Gauthier et Sophie enfin formé, après les hésitations du volume précédent (l’auteure nous a épargné la « déclaration », bravo). J’avais trouvé le deuxième bien inférieur au premier, original et bouleversant. Le troisième est intéressant, mais là encore à condition de ne pas y chercher une suite. L’auteure aurait –elle décidé de reprendre les personnages d’un livre qui a eu un certain succès ? Si c’est le cas, cela prouve que pour être réussie la « série », loin d’être l’application de recettes faciles, a des exigences.

Dans ce roman, qu’on ne verra donc pas comme une vraie suite, nous partageons l’été de deux ados un peu amoureux mais séparés. Le garçon est à Rome en séjour linguistique avec d’autres ados, garçons et filles, de différentes nationalités et l’on retrouve ses émois sexuels du volume précédent (si, si, sur ce point il y a une continuité). Pendant ce temps la fille, restée en France accueille dans sa famille un hôte payant américain, jeune beau et riche. Mais rassurez vous il ne se passera rien et elle n’aura que l’ombre d’une « mauvaise » pensée (forcément c’est une fille).

Ils s’écrivent, c’est le point le plus intéressant : que dit-on de ce qu’on vit ? que signifie ce « tout va bien » ? Que cache-t-il de non dits, de pudeur, de mensonge ? La profondeur de ce roman n’est pas dans la description des visites touristiques des uns et des autres, ou dans la question de l’interculturalité, même si ces domaines sont fort bien explorés, avec ce qu’il faut de clichés et de découvertes, mais bien dans cet fossé entre le dit et le tu.