Tout va bien

Tout va bien
Eva Kavian
Mijade (Zone J), 2014

Le dit et le tu

Par Anne-Marie Mercier

Tout va bienSuite (ou fausse suite) de Premier chagrin et de La Conséquence de mes actes, Tout va bien présente le couple Gauthier et Sophie enfin formé, après les hésitations du volume précédent (l’auteure nous a épargné la « déclaration », bravo). J’avais trouvé le deuxième bien inférieur au premier, original et bouleversant. Le troisième est intéressant, mais là encore à condition de ne pas y chercher une suite. L’auteure aurait –elle décidé de reprendre les personnages d’un livre qui a eu un certain succès ? Si c’est le cas, cela prouve que pour être réussie la « série », loin d’être l’application de recettes faciles, a des exigences.

Dans ce roman, qu’on ne verra donc pas comme une vraie suite, nous partageons l’été de deux ados un peu amoureux mais séparés. Le garçon est à Rome en séjour linguistique avec d’autres ados, garçons et filles, de différentes nationalités et l’on retrouve ses émois sexuels du volume précédent (si, si, sur ce point il y a une continuité). Pendant ce temps la fille, restée en France accueille dans sa famille un hôte payant américain, jeune beau et riche. Mais rassurez vous il ne se passera rien et elle n’aura que l’ombre d’une « mauvaise » pensée (forcément c’est une fille).

Ils s’écrivent, c’est le point le plus intéressant : que dit-on de ce qu’on vit ? que signifie ce « tout va bien » ? Que cache-t-il de non dits, de pudeur, de mensonge ? La profondeur de ce roman n’est pas dans la description des visites touristiques des uns et des autres, ou dans la question de l’interculturalité, même si ces domaines sont fort bien explorés, avec ce qu’il faut de clichés et de découvertes, mais bien dans cet fossé entre le dit et le tu.

La mystérieuse histoire de Tom Coeurvaillant, aventurier en herbe (t. 1)

La mystérieuse histoire de Tom Coeurvaillant, aventurier en herbe
Ian Beck
Mijade, 2012

Enquête au pays des contes

Par Anne-Marie Mercier

TomcoeurvaillantDans le monde des contes, chacun a sa place : les aventuriers vivent les aventures, les princesses les attendent, les grenouilles se transforment… Tout cela grâce au contrôle du bureau des contes qui répartit les rôles. Mais voilà, l’un de ses membres, met la pagaille et tous les héros, membres de la famille Coeurvaillant, se retrouvent coincés dans des histoires inachevées. Du coup, c’est leur plus jeune frère qui part à leur recherche et qui remet en route chaque récit.

C’est ainsi un parcours pédagogique des thématiques des contes. Mais les promesses du début, inventif, ne sont pas tenues sur la longueur du récit. Il manque un peu de rythme et  de fantaisie, « coincé » qu’il est par les parcours obligés dans les différents types d’histoires.

Ian Beck est d’abord illustrateur (et de fait, les silhouettes noires sur blanc du livre sont tout à fait charmantes) ; la série de Tom Coeurvaillant (3 volumes parus entre 2006 et 2010) est son premier roman.

Le Croqueur de lune

Gudule
Le Croqueur de lune

Mijade, 2011

« Ribaudes » et princesses font-elles des personnages de conte ?

par Dominique Perrin

Découvrir ou redécouvrir des contes de tous les pays est toujours prometteur de généreux plaisirs sensibles et intellectuels – plaisir de la fraîcheur et de la proximité, mais aussi plaisir de la réminiscence et de la réflexivité. Les contes rassemblés ici sont issus de continents et de pays fort variés, et ont en tant que tels des charmes très singuliers. Cependant, leur appropriation écrite par Gudule n’est sans doute pas à même d’emporter la conviction de tous les amateurs de contes, et des plus sensibles d’entre eux à leur valeur anthropologique de témoins d’une culture populaire radicalement différente de la culture lettrée dominante. Le sexisme bon teint (le plus souvent passives, les femmes sont souvent assimilables aux « âmes de geôlières » que les hommes redoutent en elles) et la condescendance sociale (la « ribaude » est opposée à la princesse avec une complaisance stylistique manifeste) ont ici la part fort belle. Ces deux caractéristiques récurrentes sont de nature à restreindre le plaisir annoncé, et ne s’accordent que mal avec la préface du recueil, placée sous l’égide de princesses sagaces, sensuelles et désirantes.