Les Otages du dieu dragon, t. 1 : Yakusa gokudo

Les Otages du dieu dragon, t. 1 : Yakusa gokudo
Michael Honacker
Flammarion, 2013

 Le Yakusa courtois

Par Anne-Marie Mercier

yakusaVoilà Michael Honacker embarqué dans une histoire de Yakusa. Mais comme à son habitude, il complexifie un peu le genre : il ne s’agit pas d’une simple histoire de gangster, même pimentée d’un code de l’honneur à la sauce japonaise, même avec la mention de « gokudo » qui évoque un manga et dessin animé célèbre.

Lorsque Saburo, jeune yakusa prometteur, rencontre une jeune fille sortie de l’eau du port de Kishiwada ; il la prend pour la déesse des eaux dont il porte le visage tatoué sur l’épaule, celle dont il aimait l’histoire que lui racontait sa mère. Pour cette jeune fille mystérieuse, amnésique et aphasique, il défie les règles de son clan, met en danger sa mère et lui-même. C’est comme d’habitude bien enlevé, plein de mystères et doté d’une certaine poésie. C’est aussi le début d’une série entre aventures et espionnage : on devine que les otages du dieu dragon (des enfants japonais enlevés par les Coréens du nord) seront nombreux.

Sato lapin et la lune

Sato lapin et la lune
Yuki Ainoya
Syros, 2012

Et si on transformait la lune ?

Par Noémie Masson, master MEFSC Saint-Etienne

sato_lapinDans ce deuxième recueil, Yuki Ainoya propose un nouveau rendez-vous au cœur de la nature pour Sato lapin et tous ses lecteurs. Ce personnage, étrange de prime abord car vêtu d’un déguisement de lapin blanc et rose, fait voyager le lecteur dans un monde onirique empli de douceur et d’humour. Avec ces qualités, cet album idéal pour un jeune public sait aussi faire sourire les plus grands. Le lecteur est happé dès la première double page par le décalage de l’histoire qui, d’emblée, crée l’atmosphère de l’album : l’œil est invité à suivre plusieurs petites illustrations aux formes arrondies placées en demi – cercle autour d’un motif central.

Sato lapin joue avec la lune et la transforme en n’importe quel objet usuel. Une fois à bord du bateau lune, il est prêt à vivre toutes sortes d’aventures. L’auteur joue avec une palette de couleurs diversifiées et plutôt vives pour représenter les différents aspects de la nature et des saisons, qui sont exploitées pour créer des situations toutes plus farfelues les unes que les autres : attacher la pluie avec des rubans et donner un concert, détourner de jeunes pousses en forme d’hélices pour  faire surgir une forêt, traverser les airs dans une pelote fleurie. Tous les sens sont sollicités, ce qui confère une atmosphère de quiétude et de sérénité : respirer la végétation en prenant une délicieuse « douche de nature », s’asseoir contre le tronc d’un arbre, observer la nature la nuit, humer le parfum des fleurs.

Au service de la narration, la forme arrondie domine, seule sur la page, conjuguée à d’autres images, ou bien non cadrée, pour laisser imaginer le hors champ, où le  blanc est dominant. Parfois le blanc disparaît et le lecteur se trouve totalement immergé dans l’image. Les fonds de couleur contrastent avec des taches qui donnent aux paysages leur singularité, créant un monde onirique renforcé par la poésie du texte, souvent proche du haïku. L’attention du jeune lecteur est toujours attisée par de nombreuses onomatopées. Le lecteur se laisse emporter dans des aventures simples et inattendues au travers desquelles la nature est célébrée : il lui suffit de se laisser emporter.

Thermae Romae

Thermae Romae
Mari Yamazaki
Casterman, 2012

 Plouf !

Par Anne-Marie Mercier

ThermaeromaeOn pouvait espérer beaucoup de ce livre, un Grand prix du manga 2010, une vision de la Rome antique sous une forme qui pouvait la rendre intéressante à de jeunes lecteurs. On aurait dû se méfier en lisant l’argumentaire : « et si le Japon moderne avait influencé la Rome antique ? ». Le résultat est petit.

Un architecte romain, Lucius, en tombant à plusieurs reprises dans l’eau, émerge dans des bains du Japon du XXe siècle. Il en ressort avec de « grandes » idées pour améliorer les thermes romains (idées minimes qui relèvent davantage du gadget ou de la déco plutôt que de l’architecture). La qualité dominante est l’humour : Lucius ne comprend jamais rien à ce qui lui arrive, est nationaliste… comme un japonais, et ses apparitions provoquent des émotions cocasses. A part cela, il est inutile de chercher l’âme romaine : ce sont plutôt des japonais déguisés, et l’unique obsession des bains prêtée à ces personnages finira sans doute par lasser le lecteur français comme il m’a lassée.

Furari

Furari
Jiro Taniguchi

Casterman, 2012
traduit du japonais par Corinne Quentin

« Pleinement debout marcher droit
comme l’herbe courir 
»

Par Dominique Perrin

Et même si c’est très modestement…
…Je continue à chercher ma propre expression.
Comme un combattant avance en rampant sur le champ de bataille,
Je continuerai à dire mes poèmes.

« Déjà un siècle qu’il a disparu » : sans doute se trouvera-t-il au 22e siècle prochain des amateurs de poésie visuelle pour commémorer l’œuvre de Jiro Taniguchi avec une piété semblable à celle des personnages de Furari évoquant Bashô, maître du haï-ku du 17e siècle. Transcripteur et transfigurateur du Japon contemporain, le mangaka à l’esthétique familière à l’Occident offre ici le fruit de trois nouvelles années de travail consacrées à faire revivre Edo – autrement dit l’ancien Tokyo –, et un personnage historique de la fin de la période isolationniste du Japon – dite « ère Edo », de l’aube du 17e siècle à 1868 environ.

Le résultat se situe à la même hauteur que, notamment, L’homme qui marche (trad. 1995) ou L’Orme du Caucase (trad. 2004) ; au merveilleux du voyage dans l’espace des cultures et des regards s’ajoute ici comme dans Au temps de Botchan (trad. 2002-2006) celui du voyage dans le temps. L’ancien Tokyo vit ici d’une vie autonome, d’une intensité et pourtant aussi d’un calme inouïs, doublement sublimée sans doute – et par le regard du personnage principal, et par celui de son auteur -, et pourtant réaliste, minutieusement documentée et mise en scène. C’est en effet le personnage historique étonnant de Tadataka Ino, arpenteur invétéré de la région d’Edo, que l’œuvre ressuscite avec une acuité saisissante – que le lecteur occidental relie au dynamisme éclatant du titre : Furari, « au gré du vent ». Vigueur historiquement probable du premier cartographe moderne du Japon consacrant sa jeune retraite à relier le décompte incessant de ses pas à l’observation des étoiles – vigueur artistique de Taniguchi, peintre de l’impassibilité sensible, historien du quotidien et poète complet : la révélation de cette superposition réside dans l’harmonie, peu fréquente dans l’Occident contemporain, du chiffre et de la vision, dans une œuvre qui exauce le désir, cher à l’humanité, de voir aussi bien la Terre d’en haut, d’en bas.

Un automne à Kyoto

Un automne à Kyoto
Karine Reysset

L’école des loisirs (medium), 2010 

Niponneries dangereuses

Par Anne-Marie Mercier

unautomneaKyoto.gifEntre le journal sentimental, le journal de voyage et le carnet de poésie, ce joli roman offre de belles vues sur le Japon en Automne, ses temples, sa culture, ses trains, son goût du « kawai » (mignon).

L’intrigue qui soutient l’ensemble montre un couple de parents qui se sépare, un père à la dérive et la souffrance de leurs filles. L’accent est mis sur les états de l’aînée, la narratrice, et sur sa fascination pour un homme plus âgé. La montée de son désir malgré un amour qu’elle a laissé en France, et ses manœuvres (fructueuses) pour le séduire sont évoquées sans détours mais sans appesantissement non plus. Le récit n’élude pas les remords et l’inquiétude de voir les raisons du cœur et du corps s’affronter.

L’héroïne note tout, dessine, recopie ses haïkus préférés (de Basho, Shiki, Issa…), écrit des listes à la Sei Shonagon (pas toujours très réussies) et fait des parallèles avec ses lectures (Murakami entre autres), ou avec des films et des dessins animés (Miyazaki). Cela ravira les adolescents qui rêvent de ce pays.

Enfin, c’est un roman très visuel, non seulement par les touches descriptives et les dessins qui le rythment mais par l’importance du regard de l’héroïne comme de celui de son amant, photographe.