La Petite Musaraigne

La Petite Musaraigne
Akiko Miyakoshi
Traduit (japonais) par Nadia Porcar
Syros, 2023

Une Vie simple

Par Anne-Marie Mercier

En trois chapitres, nous découvrons la vie de la petite musaraigne. Son quotidien, avec le réveil à 6 heures, le trajet en train et à pied jusqu’au bureau où elle travaille avec des collègues humains. L’un d’eux, un peu moins bien organisés qu’elle, déjeune en bavardant avec elle. A 5 heures, elle rentre chez elle, fait quelques courses, écoute la radio joue avec son Rubik’s cube et s’endort. On trouve un tout petit plus de fantaisie dans les chapitres suivants, avec ses rêves de pays lointains, son rendez-vous annuel avec des amis.

Perfection des petits moments, attention aux choses, émerveillement devant la vie… les dessins sont charmants, avec un petit animal qui vit dans un appartement meublé à son échelle, des couleurs et ombres estompées, aquarelles, fusain ou pastel gras.
On trouve une tonalité passible qui fait un peu penser à Hulul de Arnold Lebel, mais ce serait un Hulul plus inséré dans le réel, moins fantaisiste.

 

Vacances d’hiver

Vacances d’hiver
Mori
HongFei, 2024

La France en vitrine

Par Anne-Marie Mercier

Après ses Vacances d’été, Mori nous emmène en voyage d’hiver. Son petit personnage part cette fois du Japon (au lieu d’y aller comme c’était le cas dans l’album précédent), toujours avec son chat et toujours avec des tenues appropriées, pour l’une comme pour l’autre. Coiffés de jolis couvre-chefs, tous différents, choisis selon les circonstances, arborant des tenues rayées de bleu, blanc, rouge, ou de gros blousons (on songe aux poupée de carton à habiller dans les journaux d’autrefois), ils nous entrainent vers les plaisirs de l’hiver : visiter Paris (ah, l’opéra, les quais de Seine et Notre Dame…), glisser sur les patinoires, contempler la montagne avec ses téléphériques, faire de la luge… s’éblouir avec les cadeaux, les illuminations, tout cela émerveille… avant un retour sage chez soi, sur son tatami, une jolie tour Eiffel en souvenir sur une étagère et des images plein la tête.
Les très belles images de cet album sans texte (hors les pages de garde) qui sont autant de cartes postales, ou de capsules de mémoire, font aussi sourire par leurs détails  (les boulangeries fermées le lundi, un chat de neige à côté d’un bonhomme de neige contemplé, en miroir, par les deux amis, le lion de Béatrice Alemagna qui marche en bord de Seine… tout un voyage !

Akané, la fille écarlate

Akané, la fille écarlate
Marie Sellier – Minna Yu
HongFei 2023

Pour sauver un arbre…

Par Michel Driol

Aîko accompagne souvent son père, gardien de la forêt sur le mont Takara. Un matin, d’énormes machines déracinent des arbres, creusent un trou pour y déverser on ne sait quoi. La forêt dépérit lorsqu’Aïko entend le gémissement d’une fillette allongée près d’un petit érable. Conduite chez les parents d’Aïko, la fillette ne cesse de dépérir, tout en murmurant « Erable, ô mon érable ». Aîko et son père vont alors transplanter l’érable dans leur jardin, et lorsque l’arbre et la fillette vont mieux, elle révèle son secret. Elle ne fait qu’un avec l’arbre.

Deux portes d’entrée pour cet album : l’illustration de la couverture d’abord, avec son côté naïf, enfantin qu’on peut percevoir dans la représentation des deux animaux souriants qui se courent après, mais aussi avec la façon dont des éléments naturels  se terminent en mains. Au milieu de ce monde féérique, où le merveilleux côtoie le réel, deux enfants, en tenue japonaise assez traditionnelle, une fille et un garçon. Puis une adresse au lecteur, comme une ouverture de conte, dans laquelle ce sont les grands pins chevelus qui murmurent la légende de la fille écarlate. Ces deux portes font accéder le lecteur à ce qui apparait comme un univers merveilleux, porté à la fois par la nature et par des enfants.

Le texte fait alterner deux discours, l’un en capitales, imprimé en bleu, sorte de poème en quatre strophes adressé au petit érable, l’autre le récit du sauvetage de l’érable et de la fillette. Il faut bien sûr lire ce texte comme un conte, dont il reprend les éléments traditionnels et merveilleux. La fillette, sorte de double humaine de l’arbre, la mission, sauver le petit érable du péril qui le menace. Du conte, le texte reprend aussi les aspects oraux : reprises, inversions verbe sujet. Mais, on l’aura bien compris, c’est aussi un texte qui fait appel à l’imaginaire pour dénoncer les dangers que les hommes font courir à la nature (enfouissement de déchets qui empoisonnent la terre), mais aussi pour dire à quel point nous sommes liés à la nature. C’est cet aspect que renforcent les illustrations où se multiplient les mains, à la fois tendues, protectrices, mais aussi parfois blessées.  Au final, l’album nous invite à vivre plus en harmonie avec la nature, en se gardant bien de donner des leçons ou de faire la morale. A chaque lecteur de comprendre le sens de cette allégorie.

Un album qui associe un texte où le merveilleux côtoie la poésie à des illustrations faussement naïves, pleines de détails à la fois enfantins et symboliques, pour évoquer le lien que les humains entretiennent avec tout ce qui est vivant dans la nature.

Le Son du silence

Le Son du silence
Katrina Goldsaito – Julia Kuo
HongFei  2023

Choses entre lesquelles se glisse le silence…

Par Michel Driol

Sur le chemin de l’école, à Tokyo, Yoshio est sensible à tous les bruits qui l’entourent. Une musicienne, qui accorde son koto, lui révèle que le plus beau son pour elle est le ma, le son du silence. Commence alors pour Yoshio une nouvelle quête, celle de ce son. Mais tout est tellement bruyant, même la nuit. Le lendemain matin, à l’école, il entend enfin ce son, pendant un court instant, et prend conscience qu’il avait toujours été là.

Le ma, explique la dernière page, est un concept japonais qui, je crois, n’a pas son équivalent en Occident. Il désigne le moment où tous les musiciens, lors d’un concert, marquent un arrêt. Silence entre les sons, qui caractérise tous les arts du Japon, y compris la conversation. C’est ce silence entre deux bruits que Yoshio parvient à percevoir.

Le texte, plein de poésie, tout en douceur, se fait l’écho de tous les bruits que perçoit Yoshio, les énumérant, les décrivant, composant ainsi comme une symphonie de sons qui vont de celui de la pluie à celui des baguettes et des mastications au cours du repas. Yoshio se présente comme un amoureux des sons, qui, pour lui, parfois scintillent dans une correspondance très baudelairienne.  Cette recherche, très zen, du ma est, de fait, pour Yoshio, une façon de percevoir non pas à l’occidentale que le silence qui suit une œuvre de Mozart est encore du Mozart, mais, à l’orientale, que ce qui confère de la valeur aux choses est ce quelque chose qui se glisse entre elles, quasi imperceptible, ce quelque chose comme l’insoutenable légèreté de l’être qui donne sens à tout. La leçon de la musicienne devient alors une leçon de vie, le début d’une quête à la fois initiatique, physique et philosophique.

Les illustrations, en double page, accompagnent ce mouvement vers une ascèse, nous faisant passer des couleurs vivres de la ville bruyante et animée, à l’espace intérieur de la maison, déjà plus dépouillé, puis à une salle de classe vide et en teintes d’une grande douceur. Le silence envahit aussi l’espace graphique, rendu visible par des couleurs dans lesquelles peuvent s’intégrer, à la fin, les autres personnages. Comme en écho à l’illustration de couverture, la dernière illustration montre le héros seul au milieu d’une foule, en noir et blanc sur la couverture, foule qu’on devine bruyante en pleine rue, et, à la fin dans la salle de classe, dans des teintes plus sépia, foule qu’on devine plus calme, laissant dans les deux cas au héros l’espace libre du silence qui s’installe dans les interstices. Beau travail d’adaptation graphique d’un concept !

On appréciera aussi dans cet album ce qu’il montre de la culture japonaise, de ses rues, de ses magasins, des costumes des écoliers, tout cela représenté dans des illustrations qui, au-delà de leurs couleurs symboliques, ont un aspect documentaire très précis.

La dernière page est une invitation à collecter les sons, ceux de l’album et d’autres encore, peut-être à la façon d’un des inventaires des notes de chevet d’une autre autrice japonaise du Xème siècle, Sei Shōnagon.

Lire aussi, sur cet album, la chronique de Lidia Filippini

Le Son du silence

Le Son du silence
Katrina Goldsaito, Julia Kuo,
HongFei, 2023

à la recherche du « ma ».

Par Lidia Filippini

Sur le chemin de l’école, Yoshio, jeune garçon japonais se délecte des bruits de la ville. L’écho de la pluie sur son parapluie, le vrombissement des moteurs, le claquement de ses bottes dans les flaques, le son joyeux de son rire, tout le ravit dans ce concert urbain. Soudain, une musique attire son attention. C’est une joueuse de koto qui a installé son instrument dans la rue. La musique est belle, parfois aiguë, parfois grave. Fasciné, Yoshio approche. Lui qui aime tellement les sons, il veut savoir quel est celui que la vieille musicienne préfère. « Le son le plus beau, lui répond-elle, est le ma, le son du silence. »
C’est ainsi que commence la quête de Yoshio. Où trouver le silence dans la grande ville sans cesse en mouvement ? Certainement pas dans la cour de l’école, ni à la maison, encore moins à la gare. Même la nuit, les bruits s’infiltrent dans ses rêves.
C’est finalement par hasard que Yoshio fait la connaissance du silence. Plongé dans la lecture d’un livre, il oublie le monde autour de lui et comprend soudain que le ma est partout pour qui veut l’entendre. Il suffit pour cela d’entrer en soi et de l’accueillir.
Un album doux et plein de poésie qui met en lumière un concept peu connu en France mais qui est au cœur de l’art japonais. Ce « ma », envisagé ici comme le silence entre deux notes qui, paradoxalement, permet à la musique d’exister, peut également prendre la forme de l’espace entre deux fleurs dans l’art de l’ikebana, de l’instant qui sépare deux mouvements de danse ou du temps suspendu entre deux répliques au théâtre.
Il est ici le prétexte à une quête de soi dans laquelle le jeune lecteur est entraîné dès la couverture. L’oxymore du titre fait en effet écho à l’illustration qui oppose une foule compacte – qu’on imagine bruyante – en noir et blanc, à un Yoshio vêtu de couleurs vives et silencieux. La grande avenue vide qui s’ouvre derrière le garçon semble inviter le lecteur à partir avec lui à la recherche du son du silence et de lui-même. Et, qui sait, peut-être trouvera-t-il lui aussi le ma en se plongeant dans la lecture de cet album ?
Julia Kuo, l’illustratrice, nous offre une image très graphique et géométrique avec des lignes de fuites marquées. Le Japon qu’elle nous présente est un plaisir pour les yeux. L’album semble s’adresser à des lecteurs de huit à dix ans qui y trouveront de quoi satisfaire leur curiosité sur la vie nippone. On y voit l’espace extérieur familier aux enfants : la rue, l’école. Mais aussi des scènes de la vie quotidienne comme le repas ou le bain japonais. En cela, cet album constitue une autre forme d’invitation au voyage, non plus seulement intérieur, mais bien réel cette fois.

 

Le Mariage de Renard

Le Mariage de Renard
Bellagamba & Chiaki Miyamoto
Gallimard Jeunesse Giboulées 2021

Flammes d’amour

Par Michel Driol

Sans doute faut-il commencer le livre par la quatrième de couverture : Dans le japon du Moyen Âge, les mariages se déroulaient la nuit. Les mariés étaient accompagnés par un cortège d’invités portant des lanternes. Ces lueurs étaient appelées « Kitsunebi » – feu du renard. Aujourd’hui, quand la pluie se met à tomber, alors que le soleil brille et qu’un arc-en-ciel apparait, la légende raconte qu’un mariage de renard se déroule en journée. Puis, une fois franchie la porte des légendes qui ouvre l’album, se laisser porter par la magie de l’histoire, où l’expression « Mariage de Renard » est prise au pied de la lettre. C’est Renard qui se marie aujourd’hui, et nous suivons tous les rituels d’un mariage japonais : vêtements, arbre de papier, tasses du temps, musique, repas traditionnel, cortège…

Page de gauche, le texte de Bellagamba, le plus souvent sur trois lignes, comme un clin d’œil aux haïkus, raconte chacune des étapes du cérémonial, dans une langue à la fois simple et imagée, qui évoque le bonheur, l’harmonie et l’amour, le soleil et la pluie. Un texte qui s’ouvre par le pays des légendes, et qui se clôt par  le pays des songes, comme pour marquer les bornes de cette parenthèse enchantée, magique et tellement symbolique qui conduisent le lecteur adulte à penser le Japon comme l’Empire des Signes dont parlait Barthes. Le lecteur enfant y verra à la fois des coutumes proches et éloignées de celles qu’il connait, le sentiment d’étrangeté étant renforcé par les personnages, qui sont tous des animaux humanisés par la posture (sur deux pattes) et les vêtements, très japonais. Les illustrations reprennent les codes des estampes et des aquarelles japonaises. Elles disent l’essence d’un univers ritualisé à l’extrême, mais aussi le plaisir du jeu (jeu des souris, des lapins, des petits personnages secondaires). L’une, celle qui illustre le cortège, se déploie en double page, montrant une harmonie entre tous les animaux, qu’ils soient à poils ou a plume, dans la célébration du mariage. Quelque part, le conte se fait fable, ou évocation lointaine du Roman de Renart.

Une double page finale explique les rituels et leur sens, en donnant les noms originaux et leur graphie en japonais, dans une perspective ethnologique très documentaire. L’album se clôt par une estampe de Utagawa Yoshitora de 1860 illustrant la procession du mariage de Renard, comme une façon de lier la tradition et la modernité.

Un bel album qui s’inscrit tout à fait dans une perspective interculturelle riche pour ouvrir les enfants à d’autres mondes, d’autres façons de faire, et pour montrer ce qu’il y a d’universel dans les sentiments comme l’amour.

Olympia Kyklos

Olympia Kyklos
Mari Yamazaki
Traduit (japonais) par Ryoko Sekigushi et Wladimir Labaere
Casterman, 2021

L’important c’est de participer ?

Par Anne-Marie Mercier

Publié au Japon en 2018, ce petit manga anticipait largement sur les Jeux Olympiques, de cet été 2021. On se tromperait si l’on pensait qu’il s’agissait pour l’auteure de mobiliser par avance l’enthousiasme de ses compatriotes : elle n’aime pas le sport, et ça se voit.
On rit beaucoup des situations ridicules, de la compétition et du regard très distancié qu’elle porte sur les épreuves : le premier épisode montre une course à l’oeuf, inspirée de compétitions de village modernes, très drôle.
Comme dans ses ouvrages précédents (voir Thermae Romae), l’intrigue associe monde antique et monde moderne. Démetrios, peintre sur céramique médiocre, est projeté à plusieurs reprise de sa Grèce du IVe siècle avant J.C. à l’année en 1964, pendant laquelle se sont déroulés les  premiers Jeux de Tokyo. Il est amoureux en secret d’Apollonia, la fille du chef du village, et n’aime que batifoler avec un dauphin. Ses capacités physiques font qu’à plusieurs reprises les autorités du village le forcent à concourir, ou à se battre en tant que champion. Il est sauvé par ses incursions dans le monde moderne où il découvre la course à l’œuf, la barbe à papa, les brochettes de poulet, la beauté de la course et du dépassement de soi pour le seul amour de l’effort.
Le scenario tient essentiellement par l’humour des situations mais on trouve tout de même une réflexion intéressante sur le sport de compétition. Les dessins sont, comme toujours avec cette auteure, l’atout principal de l’ouvrage, mais on est amusé par la pudeur qui fait que les sexes masculins, présents sur les oeuvres antiques, sont absents lorsqu’elle représente ses personnages : voilés par des pans de vêtements ou parfois inexistants, comme sur les poupées d’autrefois… pudeur japonaise ou adaptation française ?

L’Amie en bois d’érable

L’Amie en bois d’érable
Delphine Roux Pascale Moteki
HongFei 2020

Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?

Par Michel Driol

L’Amie en bois d’érable, c’est une poupée Kokeshi en bois que reçoit Tomoko, une petite fille proche de la nature. La poupée partage alors la vie de Tomoko, jusqu’à un jour de pluie, où elle ne retrouve plus la poupée dans son sac à dos. A l’école, des cours sont donnés par un potier, et Tomoko fabrique une autre poupée, en argile. Les mots du potier la décident à raconter des histoires avec de l’argile, et elle devient à son tour potière. Livrant une commande dans la ville voisine, elle découvre, dans la devanture d’un boulanger, sa poupée de bois, et apprend comment elle est arrivée là.

« Les kokeshi, comme les céramiques, vivent parfois bien des histoires, passent de main en main et, à leur façon, relient les humains » : telle est la quatrième de couverture, particulièrement bien venue, car elle cible l’essentiel de ce bel album. Ce sont les objets, leur don, leur perte, leurs échanges qui servent de traits d’union entre les hommes. Ce sont les objets qui accompagnent l’enfant, l’aident à grandir qu’ils soient là dans le partage d’actions faites ensemble, ou qu’ils soient perdus, dans cette première expérience de la perte qui est de l’ordre du deuil. Ce sont aussi les objets que l’on crée, avec humilité, quand on « accueille juste la terre au creux de [ses] mains ». On a là une approche sensuelle des arts et des métiers ; qu’il s’agisse du travail du bois, de la terre, ou de la farine, il s’agit d’une esthétique de vie qui passe aussi par la bienveillance de tous : bienveillance de la tante, du maitre de poterie, de la femme du pâtissier… Cette vie ne se conçoit pas loin de la nature omniprésente dans l’album, qu’il s’agisse du texte ou des illustrations qui entrainent dans un univers poétique, car donnant à voir un monde différent, comme ce village qui se trouve dans un pot de bonzaï… Cette nature est comme une incitation au calme, à la méditation, à l’apaisement.

Au-delà de leur travail indispensable visant à mieux faire connaitre et partager les cultures orientales, les éditions HongFei livrent ici un album à leur image : être un trait d’union entre les hommes et les aider à mieux se comprendre

Japon. A pied sous les volcans

Japon. A pied sous les volcans
Nicolas Jolivot
Hong Fei, 2018

Pluie et flammes

Par Anne-Marie Mercier

Carnet de voyage, avec un journal et des croquis aquarellés, c’est une saisie d’instants, de silhouettes, de sensations, et bien sûr de paysages. Arrivé à Osaka, dont il décrit l’effervescence tranquille, le narrateur voyage vers les îles, à Aso, Sakurajima, Unzen. En train ou à pied, dormant sous la tente quand il le peut, sinon dans des auberges de jeunesse, ou d’autres lieux pour voyageurs, il rencontre peu de monde : on est hors saison et la pluie l’accompagne, souvent diluvienne.
Avec les traces du récent tremblement de terre à Aso (on est en 2016) et celle des éruptions volcaniques plus anciennes à Sakurajima et Unzen, le Japon apparait comme la terre des catastrophes, un pays fragile où le vieillissement de la population a des conséquences inquiétantes.
Mais c’est aussi le pays de l’art de vivre, de la simplicité de mets délicieux, de l’ordre et d’une certaine  volupté. Tout cela est vu à travers de multiples détails, des rencontres, des atmosphères. On touche au plus concret (comment se déplacer, où dormir, quoi manger ou boire), au quotidien, et aussi à l’esprit des lieux à travers les paysages, les brouillards, les éclats de soleil, les touches de couleur. Les dessins sont délicats, le texte n’est jamais prétentieux ni aigre (même si la pluie fait pester le voyageur). C’est une très belle plongée dans une aventure pleine de quotidien.

Chère Fubuki Katana

Chère Fubuki Katana
Annelise Heurtier
Casterman, 2019

En immersion

Par Christine Moulin

C’est à une véritable immersion dans le Japon contemporain que nous invite Annelise Heurtier: évidemment, le mieux serait de pouvoir vérifier l’exactitude de ses descriptions (!) mais en attendant, on a vraiment l’impression d’y être. Tout est là pour créer l’illusion: le vocabulaire, la description des lieux (cela va du Mont Fuji, bien sûr, aux bars à thèmes – plus précisément, un bar à chats, qui joue un rôle important dans l’intrigue-); les boutiques; les odeurs, la nourriture, les coutumes.

Tout cela pourrait rester superficiel: mais le parti pris de l’auteure nous permet un réel dépaysement et une plongée passionnante dans l’univers japonais. En effet, nous adoptons le point de vue d’une adolescente, Emi, ce qui nous permet de comprendre de l’intérieur la vie familiale; l’univers scolaire, d’autant plus que l’héroïne est victime de harcèlement. Plus encore, ce sont les représentations sociales, les règles tacites, les tabous que nous découvrons: ainsi, à travers les lois d’airain qui obligent à taire ses émotions, on retrouve, décuplés,  les tourments de n ‘importe quelle adolescente (notamment un dramatique manque de confiance en soi et un sentiment de culpabilité incessant).

A cela s’ajoute un procédé particulièrement réussi: l’héroïne, pour s’échapper de la réalité quand elle devient suffocante, imagine la scène qu’elle est en train de vivre sous forme de mangas car elle est fan de ce genre.

Et enfin, l’intrigue est pimentée par une touche de mystère: des lettres énigmatiques adressées à la Fubuki Katana du titre émaillent le récit et créent un suspens qui rend la lecture fluide et prenante.

Bref, ce roman est une vraie réussite dans la mesure où il parvient à la fois à nous faire découvrir une culture très éloignée de la nôtre, sans lourdeur, sans explications indigestes, et à nous la rendre proche, en dégageant l’universalité des émotions.