Dix cochons sous la lune

Dix cochons sous la lune
Lindsay Lee Johnson, Carll Cneut
La Joie de Lire, 2011

 Ceci n’est pas un album à compter

par Christine Moulin

linday lee johnson,carll cneut,la joie de lire,cochons,transgression,christine moulin,fugueDès les pages de titre, on se doute de quelque chose : rien n’est tout à fait « normal ». On nous parle de 10 cochons,  nombre rassurant s’il en est, et dans la cabane sur  la gauche, ce sont des éléphants qui se détachent sous forme d’ombres chinoises, et à droite, une souris.

Quand les cochons entrent en scène, en fait, ils sont sur le départ. Pour une fugue nocturne. Le réveil marque huit heures (moins cinq) et pourtant, il fait nuit noire et on est en été (on le saura plus tard, il fait chaud, très chaud).

Protégés par la surveillance discrète d’un hibou, nos cochons vont à qui mieux mieux braver les interdits. Certains, toutefois, emportent un grigri : un livre qui ressemble étrangement à celui que nous tenons entre les mains, un doudou, un ballon…

Mais « tout est-il permis, se demande le hibou ? ». Non, bien sûr…

Loin des messages moralisateurs, cet ouvrage interroge le lecteur sur la transgression, le plaisir (surveillez les souris!), l’irruption du désir qui dérange la sage ordonnance des nuits et des jours, le tout amplifié par les illustrations, toujours splendides, de Carll Cneut.

Voulez-vous connaître l’avis de Sophie Van der Linden ?

Le bon moment

Géraldine Alibeu
Le bon moment

La joie de lire, 2011

Lire et suspendre une course folle

 Par Dominique Perrin

bon m080939.jpgLe bon moment offre posément à des lecteurs de tous âges ses vastes dimensions, ses formes et ses couleurs longtemps soupesées. C’est l’un de ces livres dispensateurs de calme et d’attention renouvelée, alors qu’ils semblent contenir toute l’impatience présente du monde. Autant dire que l’ouvrage est à la hauteur de la question sur laquelle il repose, et que les citoyens incertains de l’ère de la globalisation ont si fort besoin de se reformuler. Quel est « le bon moment » ? La réponse, hormis celle de l’étoile, n’est en aucun cas éludée : c’est le moment d’entrer dans cet album pascalien et aérien, qui s’ouvre sur une réponse d’enfant et dont les images sont sorties, patiemment, d’une machine à coudre, durant le temps d’une résidence d’artiste.

Gravenstein

Gravenstein
Øyvind Torseter

La joie de lire, 2011
Traduction (norvégien) par Jean-Baptiste Coursaud

Des pommes, de la maraude et de l’humanité comme aventure

Par Dominique Perrin

graven9080922_1_m.jpgEn une soixantaine de doubles pages composant un bref prologue et deux « chapitres », Gravenstein installe ses personnages –  un « bébé Elephantman », une toute jeune fille au costume de féline et son père au costume passe-partout – dans un monde aux accents curieusement réalistes. Comme dans Détours (La joie de lire, 2010) mais cette fois dans un petit format agréable à manier, le lecteur est invité à transiter d’une ville moderne vers une campagne parsemée de bâtiments à demi écroulés ou bâtis. Mais la « nature » est ici hantée de hauts filets grillagés en plus ou moins bon état de marche, et la société représentée obsédée par les pommes jaunes « gravenstein ».
Comme dans Détours, consentir au parcours narratif parfaitement original et essentiellement visuel proposé par Torseter donne généreusement à méditer, sur les rapports entre fond et forme, et sur ce monde où les pommes vendues à prix d’or en ville sont ailleurs bonnes à lapider ceux qui les maraudent, où les vaches s’avèrent aussi peu considérées que les originaux qui s’intéressent à elles – mais où coulent  aussi avec assurance les rivières de l’aventure.

Et alors ?

Et alors ?
Oleg Grigoriev, Vitali Konstantinov

traduit (russe) par Marion Graf
La joie de lire, 2011

Contes soviétiques à savourer 

par Dominique Perrin

Et alors ?, Oleg Grigoriev, Vitali Konstantinov, La joie de lire, 2011, traduit du russe par Marion Graf « Et alors ?« , la chose fait peu de doute, est la question emblématique des « douze petits contes » choisis par l’illustrateur Vitali Konstantinov au sein de l’oeuvre d’Oleg Grigoriev (1943-1992), artiste de l’ère soviétique malmené autant que connu et reconnu – notamment pour sa production dédiée à la jeunesse. Micha, le jeune personnage récurrent auquel le lecteur attribue vite  son propre visage, habite le monde bâti de main adulte sur un mode décidément interrogatif, volontiers perplexe ; dans son sillage, d’autres personnages prennent rapidement consistance, un étameur, un instituteur, un homme assis à l’arrière d’une camionnette, mais aussi toute une ronde d’enfants – Guena, Vova, Petia, Kolia, « un petit garçon », « un grand, l’air qui redouble ».

On comprend les plus attachants de ces protagonistes, Micha le premier, d’être dubitatifs : pourquoi l’étameur creuse-t-il un trou ? Au dernier moment, vaut-il mieux passer le portail de l’école, ou partir se promener ? La trottinette solitaire posée sur l’allée du parc  est-elle un bien dont on puisse s’emparer ?… Et aussi : que font un verre posé sur un verre, et sous ce verre, encore un verre ?

Le grand art des brefs contes réunis ici est d’être sans pourquoi, entre pied de nez optimiste et absurdité consommée ;  à la demande d’une suite, d’une chute, d’un dénouement engendrée chez le lecteur ou le jeune auditeur, ils répondent par un sain haussement d’épaules et invitent à tourner la page comme on jette l’éponge. Il est patent que l’illustrateur-éditeur – ici vraiment passeur et anthologiste – entretient une belle connivence avec les textes de son aîné : ses images cultivent la même simplicité efficace, puissamment suggestive, qui caractérisent la série d’histoires aigres-drôles présentée ici selon une progression qui semble à la fois arbitraire et subtile ; à des textes tout à fait épurés, elles confèrent, quoique en noir et blanc, les couleurs d’un monde relié, quoi qu’en dise la fantaisie revendiquée de l’ouvrage, à l’histoire de l’URSS.

Paris

Paris
Francesca Bazzurro, Orith Kolodny
La Joie de Lire, 2010

par Frédérique Mattès

Un petit dernier dans la collection « De ville en ville ». Après Tel Aviv, Berlin, Genève, nous partons pour une balade dans Paris. Une flânerie instructive et fort agréable à travers différents lieux «  incontournables » d’hier  : Notre Dame, la fontaine Wallace, le Louvre… ou « d’aujourd’hui » : la tour Eiffel, La Villette, L’institut du monde Arabe…. La mise en page est particulièrement soignée. Se mélangent audacieusement phrases de grands auteurs (Hugo, Verlaine, Rimbaud …), photos, détails de monuments ou croquis bruts de lieux importants. Une très belle composition, riche et inventive, des pages qui transforment le lecteur en un touriste avide de connaissances. A lire et à relire avec toujours autant de plaisir.

Que faire de notre temps ?

Que faire de notre temps ?
Dieter Böge, Bernd Mölck-Tasse
La Joie de Lire, 2010, traduit de l’Allemand (collectif)

Oui, que faire de notre temps ?

par Christine Moulin

Cet album, « à tendance » pseudo-documentaire, décline la réponse, forcément incomplète, en un format répétitif : un texte, dont le titre est à l’infinitif, parsemé de petits croquis qui illustrent, (expliquent ?) certains mots ; une image pleine page, qui fait la part belle aux personnages, disproportionnés par rapport à la scène dans laquelle ils figurent. Toutefois, le propos est quelque peu ambigu : s’il s’agit de présenter les professions aux jeunes enfants, cet album est « encombré » par des réflexions qui peuvent paraître superflues ; s’il s’agit de faire réfléchir les plus grands, peut-être peuvent-ils être rebutés par des explications qui leur sembleront trop simples.

La première page rappelle l’album Pain, beurre et chocolat, d’Alain Serres (Rue du Monde, 1999), en évoquant les tâches, accomplies par des milliers d’anonymes, qui rendent possible la vie de chacun. Le cadre est posé, le destinataire est pris à parti : « Tu pourrais d’ailleurs remercier à longueur de journée toutes sortes de gens que tu ne connais pas ».

Mais les activités professionnelles ne sont pas les seules à être décrites : on trouve ainsi des textes qui ont pour thèmes « courir », « aider », « apprendre », etc., renforçant l’aspect « philosophique » de l’ensemble. Certaines affirmations sont discutables ; peut-être le but est-il d’ailleurs qu’on en discute, en classe, par exemple : « Une chose est sûre : le savoir ne peut pas disparaître. […] Les chercheurs veulent absolument tout savoir ».

Parfois, le ton se fait humoristique : dans le décalage entre texte et image (le peintre est, en fait, un tatoueur), dans les questions saugrenues : « Au fait, les boulangers, quand prennent-ils leur petit-déjeuner ? » ; dans la pirouette finale : « Souviens-toi que quoi que tu fasses, du rodéo ou de la lecture, tu ne dois jamais oublier de te brosser les dents et de rester aimable ». On est d’autant plus surpris par des passages plus didactiques, plus pesants, dont on a du mal à percevoir le second degré : « Prendre du bon temps n’est en aucun cas de la paresse ! »