Enfants de la forêt

Enfants de la forêt
Béatrice Masini
La joie de lire (encrage), 2012

 Le livre des enfants perdus

par Anne-Marie Mercier

Le thème de la robinsonnade est ici renouvelé par l’univers du conte et de la science-fiction. Dans un monde post-apocalyptique, des enfants ayant survécu à la catastrophe et d’autres issus d’éprouvettes sont parqués à l’air libre autour d’un centre où vivent quelques adultes qui les surveillent plus qu’il ne les aident. Malgré l’abrutissement provoqué par le médicament qu’on leur distribue pour les empêcher de se souvenir, un groupe d’enfants résiste. L’un d’eux a trouvé un livre et, après l’avoir longtemps caché, le partage avec les autres. Ils s’enfuient dans la forêt, guidés par des contes traditionnels. Par eux ils savent par avance que jamais les adultes ne secourent les enfants perdus, donc qu’ils doivent se sauver eux-mêmes et pour cela se trouver un lieu pour vivre – qu’ils ne trouveront pas, du moins pas comme ils l’imaginent.

Si la fin est un peu abrupte et décevante par son réalisme, la plus grande part du roman est d’une grande poésie. On y trouve de très belles idées : celle qui consiste à mélanger des enfants « normaux » et d’autres qui, issus d’un laboratoire, n’ont pas connu d’enfance ; celle des bribes de souvenirs, les « tessons », lumineux et douloureux ; celle d’enfants qui redécouvrent à travers un livre un langage plus riche, des sentiments nouveaux, qui construisent entre eux des relations autres que de domination/soumission ; celle des contes traditionnels comme modèles à suivre (pour le pire et le meilleur).

Enfin le cadre de la science-fiction propose un contre-point à l’univers du conte : deux adultes du centre suivent le groupe à l’aide d’une caméra, s’inquiètent pour eux, voient venir le drame, proposent un reflet au lecteur-voyeur. Ainsi, ce roman plein de références directes aux contes renouvelle la thématique de l’enfant perdu, du Petit Poucet, et surtout de l’ogre : au-delà de la forêt, il y a un peuple dont on a peur…

Le Dragon de glace

Le Dragon de glace
Mikael Engström
Traduit (suédois) par Anna Marek
La joie de lire (Encrage), 2010 

Fugue givrée

par Anne-Marie Mercier

dragondeglace.aspx.gif

Le début du roman pourrait faire croire à un énième livre racontant l’histoire d’un enfant malheureux : sa mère est morte, mais il n’est hélas pas tout à fait orphelin : son père est alcoolique, son frère glisse vers la délinquance, et en plus il n’est pas beau, avec  de trop grandes oreilles qui l’ont fait surnommer « Dumbo ». Il a peu d’amis,et se sait méprisé par la plupart des élèves de sa classe. L’histoire commence avec son premier acte de violence, son premier interrogatoire, la présentation de son goût pour l’horrible et le macabre… Donc tout est mal parti.

Et d’une certaine manière, ça se poursuit encore plus mal lorsque les services sociaux interviennent : Engström dresse un portrait caustique de leurs fonctionnaires et de leurs décisions. La vie triste de Mike devient un enfer grâce à eux et tout le roman est porté par un suspens très efficace autour de la fuite de Mike, de son horrible séjour comme employé de chenil dans sa famille d’accueil, et d’une descente en radeau dramatique, qui rappelle celle de Huck Finn. Ce n’est pas la seule allusion à la littérature : le livre est truffé de références au livre d’Astrid Lindgren, Les Frères cœur-de-lion (Bröderna Lejonhjärta), dont il partage la noirceur ; le traducteur a choisi de les rendre accessibles aux jeunes lecteurs en les transposant dans l’univers des films de La Guerre des étoiles. L’écart est si grand qu’on reste parfois perplexe, mais le souci est louable.

Ce livre dépasse largement un thème rebattu et parvient à être original. Il n’est pas noir. Il est fait de contrastes qu’unifie le regard très particulier de Mik. Très vite, voyant à travers ses yeux, on découvre à travers une banlieue triste de Stockholm un univers urbain plein de surprises et de poésie, de belles rencontres, le chant des baleines… Lorsque tout va encore plus mal que d’ordinaire, les émotions de Mik se présentent sous la forme d’un dragon de glace qui le dévore de l’intérieur jusqu’au bord de la folie. La suite du roman dans laquelle il se trouve dans une autre région de la Suède, plus au nord, au milieu de neiges et de glaces bien réelles, est drôle et tendre, avec des personnages loufoques et sympathiques, de belles amitiés, de l’énergie à revendre.

Tout cela est très bien écrit, en phrases courtes et  en touches successives, adoptant le point de vue de Mik avec un juste peu de distance, n’explicitant que ce qui peut l’être, laissant beaucoup de questions en suspensL Le texte est tout en discrétion et  légèreté, extrêmement drôle au milieu du drame, et plein d’optimisme. L’univers de neige et de glace, de population rare et rude, de peu de choses, est brillamment rendu.

Apre, tonique, lumineux et frais.

 

Toute seule loin de Samarcande

Toute seule loin de Samarcande
Béa Deru-Renard
L’école des loisirs (medium poche), 2011

Résiste…Prouve que tu existes…

Par Chantal Magne-Ville

 Ce roman retrace l’arrivée, dans une ville d’Europe non précisée, d’une fillette qui a dû fuir l’Ouzbékistan, où sa famille originaire d’Arménie avait trouvé refuge, après l’assassinat de son père et la séparation inexpliquée d’avec sa mère. Lorsque l’Ouzbékistan a repris son autonomie après la disparition de l’URSS, le peuple ouzbek a chassé ou exterminé ceux qui venaient d’un autre pays et parlaient russe.
Prostrée après avoir été expulsée d’une voiture par une passeuse sans scrupules, la fillette revient peu à peu à la conscience à travers de nombreux flash-backs dominés par la figure tutélaire de son grand-père, qui réunissait la famille autour des histoires du passé pour conserver leur culture arménienne. Régina, qui parle russe comme son père, a intégré une bande d’adolescents car elle aime le frère de sa meilleure amie, même si cela la conduit à commettre des vols et à un enchaînement de circonstances dramatiques.
Si l’un des intérêts de l’histoire tient à la situation historique et à la peinture des tensions entre communautés, elle vaut surtout par sa vérité psychologique, entre les non-dits avec la mère, et le sentiment de culpabilité lors de la perte du père, les renoncements et l’espoir.
Inspiré par de véritables récits d’enfants recueillis par la Croix-Rouge, comme en témoignent les remerciements, le livre illustre le pouvoir des mots qui aident ceux qui ont tout perdu à reprendre pied dans l’existence et à retrouver leur humanité. Un livre fort, qui ne peut laisser indifférent, réservé à des lecteurs de 9 à 10 ans, déjà avertis.

Il va venir

Il va venir
Marcus Malte

Syros (souris noire) (2005), 2011

Attendre le pire

Par Anne-Marie Mercier

 Sous ce titre énigmatique qui évoque une rédemption ou une attente heureuse, se cache un roman d’angoisse. C’est aussi un roman de neige et de solitude. Celle du jeune narrateur est profonde mais l’expérience qu’il vit lui montre qu’on peut toujours tomber plus bas encore. L’adolescent vit avec une vieille femme qui attend désespèremment le retour d’un fils, ce n’est pas le fils qui vient, mais un inconnu… L’écriture de Marcus Malte est belle et efficace.

 La collection souris noire qui avait publié ce roman en 2005 le republie sous sa nouvelle maquette. Ce changement d’apparence fait que la collection n’évoque plus dorénavant la collection « noire » adulte. C’est un peu dommage, même si l’image de couverture est belle (signée J. Meyer Bisch)… au fait, on a l’impression de l’avoir vue quelque part…