La Graine inconnue

La Graine inconnue
Alain Serge Dzotap – Delphine Renon
Les Editions des éléphants 2025

La patience du jardinier

Par Michel Driol

Papa offre une graine à chacun des membres de la famille. Léo reçoit une graine inconnue. Chacun prend soin de sa graine, mais, alors que les trois autres plantes se développent, la sienne ne pousse pas… avant de donner naissance à la plus belle des fleurs !

Parlons d’abord des illustrations, qui animalisent les personnages de ce récit dont les mots ne portent pas trace de cette qualité. Ainsi Léo est-il un petit lion, dans une famille de lions qui se déplacent à quatre pattes, mais sont vêtus de pantalons et chemises. Quant à la sœur ainée, elle a les écouteurs près des oreilles ! Yeux humains grands ouverts, ces animaux sont très expressifs, dans des dessins colorés de facture plutôt naïve, au milieu d’un paysage tantôt très verdoyant, tantôt aux couleurs plus ocres. Paysage utopique, ni européen, ni africain. Universel.

Ce dont parle l’album, c’est bien sûr de la patience, de la persévérance, et des rythmes différents nécessaires pour que chacun puisse grandir. Leçon de vie que reçoit ce petit lion dont les bons soins, la constance, sont amplement récompensés. Apprendre à donner du temps au temps, à ne pas vouloir tout tout de suite, à ne pas se décourager, voilà bien sûr le message de cet album, écrit dans la langue d’un conteur.  Un conteur qui prend plaisir à répéter les formules «  C’est toujours comme ça quand… », un conteur qui use des onomatopées « floc, floc, floc », un conteur qui se fait poète lorsque Léo évoque la beauté de la vie, un conteur gourmand qui termine son récit en faisant déguster à ses personnages un plat de pili pili…

Le texte plein de tendresse d’un auteur qui a toujours un pied en Afrique, un autre en Europe, qui met en scène une famille d’animaux unis, pour donner à toutes et tous des leçons de sagesse, et apprendre à nos contemporains, trop pressés, à respecter le temps.

Je recommencerai demain

Je recommencerai demain
Clémence G.
A pas de loups, juin 2024

Comment la persévérance et l’amitié peuvent-elles nous aider à vaincre nos peurs ?

Par Edith Pompidou-Séjournée

Encore une histoire d’ours qui ne veut pas hiberner et qui s’appelle Petit’O… Décidément ce personnage phare de la littérature enfantine continue à séduire les auteurs pour mieux captiver les petits. Mais la ressemblance avec l’album Ö de Guridi s’arrête là. En effet, les illustrations de « Je recommencerai demain » sont beaucoup plus enfantines et colorées. Il pourrait presque nous faire penser à « Petit Ours Brun ». Petit’O a peur du noir et chaque jour du lundi au samedi il cherche le moyen de décrocher une étoile pour éclairer sa tanière mais en vain. Si chaque soir il échoue, son goût de l’effort fait écho au titre de l’album, il ne se décourage pas et imagine un nouveau stratagème pour le lendemain. Ses idées sont de plus en plus drôles et farfelues : après l’échelle trop courte, il essaie l’avion en papier pas assez puissant, puis des ballons gonflables, une pile de boîtes, un trampoline mais chaque fois il chute de plus en plus lourdement jusqu’à tomber d’un arbre en se faisant une belle bosse. Alors il décide d’abandonner.
Son amie la souris qui s’inquiète pour lui à chaque nouvelle tentative lui prépare alors une surprise en installant chez lui le dimanche des guirlandes scintillantes. Il trouve alors le sommeil accompagné de sa complice : tout est bien qui finit bien ! À la fin de l’album se trouve une collection des portraits de petit ours qui reprend toutes les émotions et sentiments vécus par celui-ci dans l’histoire. Chaque enfant pourra ainsi s’identifier à ce petit ours et retiendra sans doute que la vie n’est pas linéaire et que, malgré les difficultés, il faut persévérer tout en acceptant ce qu’on ressent et en le partageant avec ses amis

 

 

La Fougère et le bambou

La Fougère et le bambou
Marie Tibi – Jérémy Pailler
Kaléidoscope 2022

Riches de nos différences

Par Michel Driol

Juste avant de mourir, un vieil homme sage lègue à son ainé, un garçon solide, une graine de fougère, et à son cadet, chétif, un graine de bambou, leur demandant de les planter dans la forêt. Ce qu’ils font, bien sûr, et très vite la fougère se met à pousser et à prospérer. Mais rien du côté du bambou, et pourtant le cadet ne renonce pas. Jusqu’au jour où, quelques années plus tard, le bambou sort de terre, et grandit à toute vitesse, et propose son ombrage aux fougères qui souffraient du soleil. Alors, en songe, le père révèle le secret de la vie aux enfants.

Marie Tibi adapte ici avec bonheur une fable orientale aux multiples significations. Il y est question en effet, de deuil et d’héritage, de courage, de volonté de poursuivre ses efforts quand bien même on ne voit aucun résultat. Il y est question de persévérance, mais aussi de découverte de soi, et peut-être surtout de la complémentarité entre la fougère et le bambou, entre les deux frères malgré leurs différences. Ne peut-on y voir comme la manifestation du Yin et du Yang dont l’union assure l’harmonie ? Mais il est aussi question de la différence de rythme entre les individus. Comme le bambou, le cadet a besoin de temps pour consolider ses racines. Porter, jour après jour, des seaux d’eau renforce sa musculature. Belle leçon pour les enfants « en retard », à qui le conte dit qu’ils sont en train de fortifier leurs racines, que la persévérance est récompensée, et que le lien familial, social, va au-delà des différences, et que chacun a sa place dans  le monde qu’il contribue à équilibrer, à rendre plus harmonieux, plus vivable. Cette allégorie de la fougère et du bambou est contée avec finesse dans une langue pleine de sobriété, qui s’attache à explorer le ressenti de chacun des frères, leurs émotions, les doutes qui les assaillent chacun à leur tour.

Cette histoire est portée par des illustrations somptueuses de Jérémy Pailler qui la situent dans un univers animalier, comme pour se rapprocher de l’univers des fables. Nous sommes donc chez des mulots, des mulots très humanisés, représentés avec une grande minutie de détails. Approchez vous. Scrutez les doubles pages où rien n’est laissé au hasard. Et vous verrez que la roue de la brouette est un bouton, qu’un seau percé est réparé par un sparadrap… Ce monde de mulots, miniature et poétique s’avère plein de vie. Il donne à entrevoir l’amour qui unit le père et ses enfants, et les deux enfants eux-mêmes.

Un conte d’origine orientale, la tradition de la fable, la poésie des images pour un bel album à la portée universelle.

Loup gris se déguise

Loup gris se déguise
Gilles Bizouerne ill. Ronan Badel
 Didier jeunesse, 2019  

 Les loupés du loup

Par  Chantal Magne-Ville

Depuis La chèvre et les sept biquets, la thématique du méchant qui se déguise pour tromper sa proie n’est pas nouvelle, mais  elle prend  dans cet album une fraîcheur toute particulière, avec les échecs successifs, mais presque réjouissants de loup gris, prêt à tester tous les déguisements pour assouvir sa faim.
Loup gris est déjà  bien connu des jeunes lecteurs, dans des  aventures où il se montre toujours maladroit et malchanceux, notamment dans sa quête de nourriture. Dans ce nouvel album, Gilles Bizouerne raconte les déconvenues  du loup  qui expérimente différents déguisements pour approcher ses proies.
Avec son  ton de conteur inégalable, il ponctue  d’onomatopées  pleines d’humour  les fanfaronnades de celui qui apparait comme un  grand naïf, rempli d’autosatisfaction, avant de déchanter. Héros positif pourtant, que ce loup que rien ne décourage !
L’illustration est un régal par les mimiques de chaque animal, croquées avec un humour jubilatoire. Le jeune lecteur sait toujours que rien n’est bien grave et identifie immédiatement les sentiments de chacun.
Ce bel album séduira  à coup sûr  les fidèles  amis  de loup gris, familiers de ses vaines tentatives pour apprivoiser le monde, mais celui-ci  aura sans doute un écho plus profond, puisqu’il incite à ne pas renoncer devant l’adversité, et à être porté par les encouragements de tous ceux qu’il aurait pourtant bien voulu berner.