Poiravechiche

Poiravechiche
Jacqueline Held (comptines), Tina Mercie (ill.)
Grasset jeunesse (1973), 2023

Légumes, chiffres et villes

Par Anne-Marie Mercier

Le « concept éditorial » du livre est de François Ruy-Vidal, « un des grands noms de l’édition pour enfants ». Il l’a développé dans une collection créée chez  Grasset, « 3 pommes », « pour les enfants hauts comme trois pommes » ; cet album est l’un des premiers, autant dire qu’il a valeur patrimoniale. Au-delà de cet aspect historique, il a gardé son charme : on reconnait le graphisme souple des années 70 (ah les pochettes des disques des Beatles !), aimant les illusions et les volumes. On se réjouit de ses couleurs vives qui ont réveillé toute une palette de nuances longtemps mises de côté dans les publications pour la jeunesse : orangé, violet, rose, vert pomme…
Les comptines de Jacqueline Held, pionnière de la poésie pour enfants, sont simples et craquantes comme les légumes qui en font le sujet. Ils sont le sujet mais non le cœur, car le principal, c’est le langage et ses possibles :

Six radis
Trottant lundi
Sur la route de Paris
rencontrent un soulier gris.
Un gros rat s’en étonna :
« Radis, radis que m’a-tu dit ? »
Le gros rat rit.
Le radis dit :
« Le soulier gris, c’est mon ami.
Sur la route de Paris. »

Les autres poèmes (betterave, artichaut, poireau, chou, citrouille…, tous différents, sont tout aussi musicaux, surprenants, drôles (oh, l’oignon de Vancouver !) et inventifs ; les illustrations sont aussi belles que de belles planches de botanique. Voilà de quoi reposer la fourmi de dix-huit mètres de Desnos, épuisée d’avoir parcouru tant de classes !

Sac à poux

Sac à poux
Nicole Amram – Marion Piffaretti
Gallimard Jeunesse 2023

Poèmes pour  rire un peu, beaucoup !

Par Michel Driol

Voilà des poèmes qui évoquent Ali Baba, les poissons d’avril, un mariage d’hippopotames, une promenade dans Paris, une maman tortue ou un papa pélican. Pour l’essentiel donc un bestiaire fantaisiste, aux animaux de toute taille (des poux et autres moustiques aux baleines) et de toutes espèces (poissons, insectes, mammifères…). Tout juste y croise-t-on Ali Baba et quelques enfants.

La forme est proche de la comptine : rimes ou assonances en fin de vers, respect d’une certaine métrique (des vers courts). Proche de la comptine aussi par le vocabulaire employé, volontiers familier, et la légèreté du ton employé. Rien de sérieux, la finalité assumée (dès le sous-titre) de ce recueil étant de faire rire. Pour cela on joue sur les situations (ce grand père éléphant qui veut faire de l’hélicoptère), les sonorités (les moustiques tic tic deviennent vite des moustoques toc toc), les mots (des associations parfois attendues : rigoler comme des baleines – parfois plus subtiles : les poissons, sciés…), l’intertextualité (on retrouve la cigale et la fourmi, Am stram gram), ou encore les onomatopées (pou pou pidou, slurp). L’ensemble est distrayant, bien illustré par Marion Pifarelli qui propose un univers coloré, joyeux, plein de détails souvent cocasses, dans lequel les objets s’animent et les animaux s’humanisent.

Si ce recueil propose une certaine approche de la poésie qui la fait descendre de son piédestal, s’il montre qu’elle peut être légère, drôle, qu’elle parle du mot et joue avec les mots, il en propose peut-être une vision un peu trop gratuite. Entendons par là une vision dans laquelle la gravité est exclue, le monde (tant le monde réel que celui des mots) n’est qu’un terrain de jeu plein de fantaisie. Pourtant un texte nous parait échapper à cette vision. D’abord parce qu’au lieu de s’inscrire dans le présent (ou le passé du récit, il est écrit au futur. On en citera ici le début :

Où iront-elle, les hirondelles
avec leur habit du dimanche ?
Où iront-elles, les hirondelles,
plumage sombre et chemise blanche ?

Tout en prenant la forme d’une légère ritournelle, le texte est peut-être le seul du recueil à poser une question, à parler du futur, du temps à venir à des enfants justement en train de grandir qu’il invite ici à rêver…

Un recueil de poèmes qui offre une image peut-être un peu trop restreinte de la poésie, mais qui sera sans doute une porte d’entrée vers ce genre à travers des formes simples et accessibles à tous.

Lou et l’agneau La Famille Dodo

Lou et l’agneau
La Famille Dodo
M.B. Goffstein
Didier jeunesse (« Cligne cligne »), 2019

Petits trésors américains des années 60

Par Anne-Marie Mercier

Ces petits bijoux, joliment traduits en français et publiés dans la collection « Cligne cligne » de Didier qui réédite des chefs d’œuvre oubliés de la littérature de jeunesse, datent l’un de 1966 (Sleepy People) pour l’édition originale, l’autre de 1967 (Brookie and her lamb). Dessin minimal, un simple tracé à l’encre noire sur fond blanc qui esquisse les silhouettes de l’enfant et de son agneau apprivoisé, silhouettes  remplies de gris aquarellé pour la famille Dodo, et histoires minuscules dans un petit format cartonné élégant.

Dans Lou et l’agneau, on présente un agneau à qui une petite fille, Lou (beau jeu de mots évoquant la fable, mais aucune violence ici), a appris à chanter et à lire : mais chaque fois on constate que son seul répertoire est « Bêê, bêê bêê ». N’importe, Lou en est contente et une jolie promenade et des scènes de tendresse le prouvent.

Sleepy People/ La Famille Dodo est plus onirique (forcément) : quatre personnages, dans lesquels on reconnait un père, une mère et deux enfants, vêtus d’une chemise de nuit et d’un bonnet de nuit dorment tout le temps et partout, dans une pantoufle, par exemple. Le récit est proche de comptines évoquant bâillements, étirements, sommeils et chocolats chauds, et s’achève avec la berceuse chantée par maman Dodo, qui endort à coup sûr les bambins.

Les deux livres sont très charmants, une petite bibliothèque idéale pour rire le jour des apprentissages (cet agneau est à l’image de l’enfant qui entre à l’école) et s’endormir au soir.

Rappelons, dans la même collection le très bel album, atemporel lui aussi, de Margaret Wise Brown illustré par Rémy Charlip, Une Chanson pour l’oiseau. Une troupe d’enfants trouve un oiseau mort, s’interroge, et décide de l’enterrer joliment. Ils chantent une petite chanson « comme font les adultes comme quelqu’un meurt » et passent à autre chose. Voir la chronique de François Quet sur lietje.

Collection « Les petits chaussons »

Mon petit lapin
Julia Chausson
Rue du monde, 2021

Ah ! les crocodiles
Julia Chausson
Rue du monde, 2014

Collection « Les petits chaussons »

Par Anne-Marie Mercier

La Collection « Les petits chaussons », dont le nom fait référence au nom de la créatrice, Julia Chausson, est doublement bien nommée : chaque volume est comme une petite pantoufle dans laquelle on se glisse pour se sentir bien, au chaud, en sécurité, bercé par des comptines bien connues, chantées ou dites, qui pourront se déployer au rythme de ses pages. Le petit format carré aux bords arrondis, les pages cartonnées, les couleurs réduites (deux par volume, auxquelles s’ajoute du blanc), les formes simples, ont un caractère rassurant.

Mais c’est aussi au-delà de cette simplicité, du grand art : le choix des couleurs la mise en page, la découpe des épisodes, la typographie, tout est parfait et chaque volume épouse la forme de la chanson : Les Crocodiles décline d’une page à l’autre ses scansions (Ah !/  Les Crocroscros/ les cros/ cros cros/ les crocodiles…) tandis que l’image sectionne l’animal et le décor. Le lapin de la comptine dans laquelle on répète « cherchez-moi coucou coucou » se cache à chaque page.
Dans la même collection, on trouve d’autres grands classiques comme « J’aime la galette », « Je fais le tour de ma maison », « Une souris verte », « Un deux trois nous irons au bois », etc.

Une poule Picoti picota

Une poule Picoti picota
Dedieu
Seuil (« bon pour les bébés »), 2019

Album géant pour mini comptine

Par Anne-Marie Mercier

La fameuse comptine « une poule sur un mur » est ici, selon le principe de la collection (« bon pour les bébés ») portée par Dedieu, énoncée sur un très grand album cartonné, illustré à l’encre de chine sur des doubles pages blanches.
Si le texte est un classique, comme la plupart des albums de la collection (Tas de riz, tas de rats / La Tirade du nez / Dans sa maison, un grand cerf / Le Théorème de Pythagore / Pinichô / Une souris verte / Le Corbeau et le Renard / Bon appétit !/ L’Empereur, sa femme et le p’tit prince/ La Météo marine / Le Petit Ver tout nu / La Table de deux / La Recette : Les crêpes), les illustrations qui l’accompagnent fidèlement, sont dynamisées par l’humour de l’artiste, fameux naturaliste par ailleurs avec sa collection des Tatsu Nagata.

Ce grand format et la simplicité du dessin en font des supports parfaits pour une lecture à voix haute.

 

 

 

Louyétu ?

Louyétu ?
Geoffroy de Pennart
Ecole des loisirs – kaléidoscope- 2019

Thème et variations…

Par Michel Driol

Prenez une chanson connue – Promenons-nous dans les bois… et ajoutez lui l’univers de Geoffroy de Pennart : son loup, Igor, ses personnages fétiches, Monsieur Lapin, les trois petits cochons,  la chèvre et les 7 chevreaux, et, bien sûr Chapeau rond rouge… et opérez juste une inversion : au lieu de s’habiller, le loup se déshabille… et se met au lit, en caleçon et tricot de corps… pour le plus grand plaisir de tous ceux qui ont peur d’Igor et peuvent en profiter pour jouer à leur aise.

Album en randonnée, comme la chanson, qui permet de faire intervenir chacun des personnages effrayés par Igor à tour de rôle, répétant le refrain qui donne son titre à l’ouvrage, en alternance avec les doubles pages où Igor enlève des vêtements dont les noms riment en « on » jusqu’à ce qu’il se glisse sous l’édredon…

Album cartonné, aux images simples et lisibles, au texte répétitif facilement compréhensible, Louyétu ? constitue un bel exemple d’intertextualité pour les tout-petits. Jeu avec ses albums précédents, jeu avec une chanson enfantine connue, il illustre une certaine conception de l’enfance et de la littérature : la dimension ludique, le plaisir de la reconnaissance et de la transformation, et le plaisir de vaincre ses peurs dans un rire libérateur… Ou une invitation à profiter des moments de calme. Pendant que le chat n’est pas là, les souris dansent… Jouons tant que le loup n’est pas là !

Minou

Minou
Olivier Douzou et  Frédérique Bertrand
Rouergue, 2012

Très minou !

Par Christine Moulin

minouTout est délicat dans cet album dont les pages en carton fort indiquent le destinataire: les tout-petits. Les illustrations, aux tons assourdis et au trait minimaliste, mettent en scène un chat quelque peu énigmatique, vu de profil: celui-ci suit un itinéraire qui le mène d’une forêt  à un salon pour le faire repartir vers la forêt, où sa quête, commencée le matin, va enfin aboutir, à la nuit. Le texte évoque le genre de la comptine (comme l’indique le titre de la collection) et multiplie les jeux de mots, grâce à un principe simple: la répétition des ou de la dernière(s) syllabe(s) du dernier mot. On (re)découvre au passage de délicieuses expressions surannées comme « à potron minet » ou « au débotté »: mais comme tout est subtilité dans ce livre, le chat devient, dans ce dernier cas, Chat Botté. L’image, en effet, montre, sans lourdeur, en le prenant souvent au pied de la lettre, ce que dit le texte.  C’est ainsi qu' »entre chien et loup », au moment où apparaît le « matou… tou », on découvre , sur la droite, un inquiétant museau …

Ce livre  témoigne d’un respect remarquable pour les tout jeunes lecteurs, à qui il offre une oeuvre poétique de qualité, à leur portée.

Dans la petite maison verte

Dans la petite maison verte
Marie-France Painset, Marie Mahler
Didier Jeunesse, 2010

 Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour toi

par Christine Moulin

marie-france painset,marie malher,didier jeunesse,album répétitif,enchâssement,comptine,nursery rhyme,maison,couleurs,animaux,christine moulinLes auteurs nous offrent une très jolie variation sur les albums et poèmes répétitifs fondés sur l’enchâssement, à l’image du célèbre poème d’Eluard, « Dans Paris ». La couverture, découpée, ouvre une fenêtre en forme de cœur sur l’image d’une maison, fil directeur de cette comptine. Comptine ? Non, pas vraiment, et on se prend à le regretter car le nombre des habitants aurait pu augmenter ou diminuer au fil de l’album. Mais peut-être cela aurait-il été trop évident, trop « instructif ». Seuls les couleurs sont au rendez-vous et les animaux et peuvent donc, avec les tout-petits, faire l’objet de découvertes. Et ce qui est vraiment très amusant, c’est de repérer les différents procédés utilisés dans l’illustration pour insérer les maisons les unes dans les autres. La chute de cette « nursery rhyme », reste dans la tradition  mais la réinterprète subtilement, en usant de la magie des répétitions. Cet ouvrage est la preuve que le petit bruit discret d’un cœur qui bat peut grandement réjouir les lecteurs.

Coucou hibou !

Coucou hibou !
Lucile Placin

Casterman (queue leu leu), 2011

Par les bois et les prés

Par Anne-Marie Mercier

lucile placin,comptine,casterman (queue leu leu),anne-marie mercierLa collection « queu leu leu » compte déjà 38 titres, et est très reconnaissable avec son format allongé, à l’italienne, et ses pages en carton fort, aux coins arrondis. Le principe est celui de l’enchaînement et de la répétition et les albums créés à partir de comptines fonctionnent parfaitement, reprenant les refrains et inventant de nouvelles formulettes sur le même mode.

Ici, c’est le célèbre « dans la forêt lointaine » qui porte les belles images de Lucile Placin. Papiers découpés, collages, montages photographiques, l’ensemble est très original. On suit le petit hibou, dans un chemin qui le ramène chez lui : par les bois, la rivière, le pont, les herbes… pour revenir à sa maman et faire découvrir au petit lecteur que c’est un oiseau à son image.