OK, señor Foster

OK, señor Foster
Eliacer Cansino [2009]
L’école des loisirs, 2016

Entre ombre et lumière

Par Marion Mas

Depuis la mort de sa mère, Perico délaisse l’école et le rêve qu’il avait de quitter Umbrià, le petit village de la côte Andalouse où il vit. Il se pense destiné à devenir pêcheur, comme son père, homme sévère et de mauvaise foi, jusqu’à ce que la perte du billet de mille pesetas destiné à payer la licence du bateau paternel et la rencontre du señor Foster, un Anglais mystérieux passant le plus clair de son temps à « photographier l’air », bouleversent son regard sur les autres et sur lui-même. Conduit à fréquenter ce Foster qui l’embauche comme livreur de courrier, mais aussi Ismaël, un tanneur vivant en ermite, dont la rumeur dit qu’il est repris de justice et analphabète, et le sergent Efrén, à qui il cherche à échapper, le jeune héros découvre la complexité des êtres et des choses.

Dans ce récit subtil, le lecteur se dessille en même temps que Perico. Peu à peu, le garçon découvre (et le lecteur avec lui), que les clivages entre les habitants d’Umbrià sont politiques, opposant franquistes et républicains. Mais c’est implicitement et par bribes que l’histoire et le contexte se recomposent. Ce ton en demi-teinte rend perceptibles les non-dits qui plombent une société en régime dictatorial, et le jeu sur la focalisation interne (on n’a jamais accès aux pensées d’Ismaël ni de Foster) conserve aux personnages leur part d’ombre. C’est la découverte, mais aussi l’acceptation de ce clair-obscur qui permettent au protagoniste de trouver sa voie et de se forger ses propres valeurs. Les livres et la photographie – cet effort pour regarder autrement le monde – jouent un rôle décisif dans ce récit d’apprentissage. Outre qu’il traite d’un sujet rarement exploité en littérature de jeunesse (la vie quotidienne sous une dictature), la grande force du roman tient à son écriture, qui jamais ne pèse ni n’impose. Une écriture pleine d’une puissance émancipatrice pour le lecteur.

Je suis qui je suis

Je suis qui je suis
Catherine Grive
Rouergue 2016,

 Trouver son genre et son chemin

Par Maryse Vuillermet

Raph ne part pas en vacances car sa maman est sur le point d’accoucher. Elle s’ennuie donc et s’est mise à voler le courrier dans les boites aux lettres de son immeuble.

Et puis, il y a un autre problème, elle est remplie de chagrin et depuis très longtemps, elle n’est bien qu’avec les garçons et dans des activités de garçon. Elle fait la tête même avec ses amis.

Et puis,  grâce à son copain Bastien, elle rencontre Sarah, la première fille avec qui elle peut être amie et qui l’écoute sans la juger.

Mais elle est surprise en flagrant délit de vol de courrier et tout va s’accélérer. Dans ce roman, il est bien clair que si Raph commet des délits, c’est parce qu’elle ne va pas bien et ne sait pas comment et à qui exprimer son mal-être.

D’où l’importance de l’amitié, de trouver une personne jeune ou adulte qui sache vraiment écouter.

Un joli roman sensible et bien écrit auquel je mettrais un seul bémol : l’immeuble et ses habitants, comme microcosme de la société, est rempli d’humains vraiment compréhensifs, je me demande si tout se passerait ainsi dans la vraie vie.

 

La plus grande chance de ma vie

 La Plus Grande Chance de ma vie
Catherine  Grive
Rouergue, 2017

Quand tout s’écroule autour de vous

Par Maryse Vuillermet

C’est une histoire inspirée d’un fait divers réel et c’est au début, un cauchemar. Juliette est la fille unique d’un couple d’employés de la Française des jeux ; jusque là dans sa vie, elle a eu beaucoup de chance, elle s’entend très bien avec sa mère avec qui elle partage tout, les gouts, la joie de vivre… Un peu moins avec son père, elle a l’impression qu’il ne l’aime pas.

Ses parents se disputent beaucoup et un jour finissent pas se séparer, c’est à l’occasion du divorce que, le père refusant de payer la pension alimentaire de sa fille,  une recherche d’ADN en paternité est demandée et horreur ! Juliette n’est la fille ni de son père (mais ça elle s’en doutait) ni de sa mère.

Une enquête  de police montre qu’il y a eu échange de nourrissons à la maternité par une infirmière déséquilibrée. Suivent des semaines de désespoir, son monde de certitudes s’écroule, elle doit rencontrer ses parents biologiques à qui elle est indifférente,  elle souffre beaucoup.

Ensuite on comprendra par les faits, la différence entre liens biologiques et liens affectifs et l’importance dans l’éducation de l’environnement familial, culturel, social…

Les questions sont posées avec intelligence, et expliquées à hauteur de jeunes. Un bon roman.

 

 

Le garçon qui courait plus vite que ses rêves

Le garçon qui courait plus vite que ses rêves
E
lizabeth Laird
Flammarion Tribal 2016.

Courir

par Bérengère Avril-Chapuis

Solomon a onze ans et vit dans un village reculé d’Ethiopie.

Solomon rêve de courir. D’ailleurs, dès qu’il le peut, il court…

Un beau jour, son grand-père -homme étrange et silencieux- décide de l’emmener voir la ville. L’homme est âgé et l’on s’inquiète : pourra-t-il vraiment conduire son petit-fils dans les rues poussiéreuses d’Addis Abeba où il n’est pas retourné depuis longtemps ?

L’on s’inquiète mais l’on respecte la voix du vieil homme plein d’autorité. Il emmènera Solomon parce que le temps est venu…

C’est ainsi que commence ce beau roman très dépaysant sur la relation d’un jeune garçon et son grand-père détenteur d’un secret hors du commun. Quête de soi, identité, transmission sont les thèmes majeurs que le lecteur explore dans ce beau voyage.

L’Arbre et le fruit

L’Arbre et le fruit
Jean-François Chabas
Gallimard (Scripto), 2016

Violences familiales : lutter contre le silence

Par Anne-marie Mercier

«  Les victimes ont honte et se terrent. C’est ainsi que les bourreaux prospèrent »

« Quand on partage la vie de ce genre de personne, on n’est pas seulement touché par le mal qui nous est fait directement. C’est le côtoiement constant de l’infamie qui ronge. On respire un gaz mortel, celui qui a tué maman. »

larbre-et-le-fruitLe lecteur n’est pas pris par surprise : le livre est sombre, porteur de sujets graves, l’image de la couverture le lui dit clairement sans être explicite (bravo à Cécile Boyer) : folie de la mère, violence du père, solitude des enfants, naufrage collectif d’une petite famille que tout le monde croit ordinaire pendant longtemps, puis où seule la mère est présentée comme fautive.

On entre tout doucement dans le sujet, d’abord avec le journal de la mère, Grace, internée en soins psychiatrique et persuadée qu’elle va sortir bientôt, que ce n’était qu’une crise passagère due à l’attitude de son mari, méprisant et violent – on le découvrira plus loin raciste (les parents de Grace ont survécu à Mathausen, leurs enfants ont vécu dans le silence) et pervers… On poursuit avec le journal de l’enfant, tétanisée, incapable comme sa mère de se confier à qui que ce soit, paralysé par la honte et la crainte de ne pas être cru… Et les deux voix continuent tout au long du roman à se croiser, la mère rechutant perpétuellement, de plus en plus incapable de réagir aussi bien chez elle qu’à l’hôpital, où ne l’écoute pas lorsqu’elle finit par confier, tardivement, l’origine de son trouble.

Le texte est poignant, le personnage du père accablant, celui de la mère pathétique. Mais on retient surtout celui de la jeune Jewel, lucide, qui essaie de convaincre sa mère de la nécessité d’une révolte, révolte qu’elle mène seule, devenant selon les mots du père la « chienne » de sa mère. La belle leçon de ce livre, portée par le titre, est qu’il n’y a pas de fatalité à être l’enfant d’un homme odieux et à vivre une enfance terrible : Jewel n’a pas hérité des préjugés de son père. Petit à petit elle arrivera à aller la rencontre des autres, et à se battre, à tous les sens du terme (magnifique portrait de boxeur), et gagnera.

Un livre beau, poignant, captivant, utile, vrai, nécessaire.

D’où viens-tu Petit sabre ? / Qui es-tu Morille ?

D’où viens-tu Petit sabre ? / Qui es-tu Morille ?
Hélène Vignal
Rouergue (« Boomerang »), 2016

Jeux de lecture

Par Clara Adrados

dou-viens-tu-petit-sabreLe jeu suit le même principe que les autres ouvrages de cette collection : deux histoires, une par personnage, chacune suivant un point de vue, et quelques points de rencontres entre elles ou seulement dans l’imaginaire du lecteur. A cela s’ajoute pour ce livre, le choix du titre, une question que l’on peut facilement imaginer posée par le personnage principal de l’histoire, et s’adressant au héros de l’histoire parallèle. Le lecteur est donc directement confronté à la rencontre avec l’autre : l’histoire de la Princesse Loba commence par l’interrogation « D’où viens-tu Petit-Sabre ? »

Dans la première histoire, il s’agit de Princesse Loba qui s’ennuie dans son domaine. Elle n’est pas une princesse comme les autres : elle a une magnifique et abondante chevelure… grise ; elle aime s’asseoir par terre sur l’herbe ou dans la terre, elle préfère les morilles aux fleurs, au grand désespoir de sa mère qui la voudrait gracieuse. « Si tu ne souris pas, tu (…) ressemblera [à une morille] » prévient sa mère. Soit, la princesse a trouvé qui elle était : une morille. Elle fait alors la rencontre de Petit-Sabre, qui trouve ses cheveux blancs très beaux. Mais une princesse ne parle pas avec un jardinier. Si elle ne peut devenir une princesse gracieuse, on en fera une travailleuse : elle est dès lors recluse dans la cuisine.

Qui est Petit-Sabre ? Il est l’enfant d’une pirate morte en couche. Il va apprendre à devenir pirate et à n’avoir peur de rien sauf des sirènes. Lors d’une attaque, il se retrouve fait « prisonnier » par des prêtres… ll apprend alors à travailler comme jardinier et est engagé chez la Princesse Loba. Son bateau et la mer lui manquent. Lorsqu’il rencontre Loba, il prend peur : serait-ce une sirène ? Non, c’est une fille farfelue comme lui. Mais les jardiniers ne l’entendent pas comme cela : il doit rester à sa place et repartir pour la mer.

La « contrainte » formelle imposée par la collection – deux personnages qui sont à tour de rôle, selon le sens dans lequel le lecteur décide de lire le livre, le héros ou le personnage secondaire de l’histoire – laisse au lecteur tout le loisir de réinventer l’histoire au gré des choix de lecture qu’il fait : Connaître l’histoire de Petit-Sabre avant celle de Morille ? Relire les deux histoires dans le sens inverse ? Le lecteur imagine les blancs suivant la lecture de la nouvelle histoire et cela donne une place à l’étonnement, et permet surtout de revisiter la première lecture que l’on a faite d’une histoire au vu de la nouvelle histoire lue, du nouveau point de vue montré. Plus qu’une place à l’imaginaire, cela donne place à une remise en cause des impressions premières, une distance sur nos impressions d’un évènement, d’une personne, toujours soumises à notre subjectivité.

Northanger Abbey

Northanger Abbey
Jane Austen
Traduit (anglais) par Michel Laporte
Flammarion jeunesse, 2015

Pour s’initier à l’art de Jane Austen

Par Anne-Marie Mercier

northanger-abbey« Qui aurait connu Catherine Morland enfant n’aurait jamais pu supposer qu’elle était née pour être une héroïne. Sa position dans la société, la personnalité de ses père et mère, sa propre personne et ses dispositions, tout était unanimement en sa défaveur. »

Mais qui connaît un peu l’univers de Jane Austen devine que ce terme d’« héroïne » doit être vu avec l’humour subtil qui est le sien : les aventures de cette jeune fille seront tantôt bien réelles, lorsqu’elle sera aux prises avec les conventions sociales et l’hypocrisie de ceux qu’elle croit être ses amis et surtout ses amies, tantôt parfaitement imaginaires lorsqu’elle verra le monde à travers le prisme des romans gothiques qu’elle affectionne. C’est un texte court, sensible, drôle, un petit bijou « austenien ».

La publication de ce roman dans une collection pour adolescents (ou plutôt adolescentes, le graphisme étant assez parlant ; mais on suppose que des garçons pourraient aimer Jan Austen) est une excellente initiative. L’illustration de couverture par Charlotte Gastaut et les fleurettes qui décorent les têtes de chapitres et bas de pages en font un joli objet.

L’Insigne d’argent

L’Insigne d’argent
Korneï Tchoukovski
traduit (russe) par Odile Belkeddar, illustré par Philippe Dumas
L’école des loisirs, 2015

Enfance d’un écrivain dans la Russie tzariste

Par Anne-Marie Mercier

linsigne-dargentL’écrivain Korneï Tchoukovski décrit son enfance ; elle n’est pas rose, et par certains aspects fait penser à l’autobiographie de Vallès, L’Enfant : c’est une succession de vignettes qui racontent chacune un épisode, farce d’écolier, amour malheureux, punitions, joies familiales, trahisons… Même s’il a la chance d’avoir une mère aimante, il n’a pas connu de père et la famille vit difficilement.

L’Insigne d’argent, qui l’identifie comme élève du collège d’Odessa, lui est retiré à la suite d’une conjonction de circonstances  – des bêtises détaillées dans les chapitres précédents, joyeux jusqu’ici. Il est renvoyé pour une peccadille et pour une faute qu’il n’a pas commise. On comprend progressivement que ce châtiment disproportionné masque un prétexte pour le renvoyer comme tous les enfants de familles pauvres et exclure ainsi de l’éducation le petit peuple, comme sont renvoyés au même moment les enseignants trop proches des idées nouvelles.

La vie à Odessa à la fin du 19e siècle est rendue de manière très vivante : paysans, bourgeois, artisans, voleurs… se côtoient. Les relations entre enfants, présentées sous une apparence relativement égalitaire au début du roman, apparaissent dans toute leur cruauté par la suite lorsque le narrateur découvre la vraie nature de la société et se voit confier par l’un de ses professeurs des écrits révolutionnaires.

L’épilogue qui clôt le livre est très intéressant par ce qu’il dit de l’expérience vécue par l’auteur lors de l’écriture de ce récit d’enfance, par le résumé de sa vie ensuite et son entrée à l’université malgré tout, par l’hommage à sa mère, personnage central de ce roman.

Mathilde fait un tabac

Mathilde fait un tabac
Sophie Chérer
Véronique Deiss (illustrations)
L’école des loisirs (Mouche), 2015

Encore une mission pour Mathilde

Par Anne-Marie Mercier

mathilde-fait-un-tabacL’héroïne de Sophie Chérer, Mathilde, volume après volume, prend à-bras-le corps les problèmes de son entourage et les siens, en somme ceux de la société. Ici, il s’agit du tabagisme, plus précisément de celui de sa mère : la fillette accumule les tentatives pour y mettre fin (cacher les divers objets du délit, afficher des slogans anti-tabac, refuser les baisers pour cause d’odeur désagréable….), elle ne manque pas d’idées, mais toutes ne sont pas les bienvenues et aucune n’a d’effet.

Le père de Mathilde, comme c’est souvent le cas, l’aide d’une part à comprendre le problème de sa mère et la cause de son addiction, d’autre part à se réconcilier avec elle et montrer qu’elle l’aime telle qu’elle est et qu’elle est libre. La résolution du problème tabagique se fera, mais après, et seulement après.

L’humour du texte et des dessins et l’outrance de certaines situations comiques font que ce petit livre échappe heureusement en partie au didactisme et à un ton moralisateur trop souvent de mise dans les ouvrages sur ce thème.

Le Caméléon et les fourmis blanches

Le Caméléon et les fourmis blanches
Emmanuel Bourdier

La Joie de lire (encrage), 2015

Un épisode pour L’Instit : l’enfant sans papiers

Par Anne-Marie Mercier

le-cameleon-et-les-fourmis-blanchesLe caméléon, c’est Issa, jeune malien sans papiers, élève de primaire dans la classe d’un instituteur qui porte le nom de Casimir Feunard, mais que ses élèves surnomment « Pokémon ». Casimir est miné par un chagrin d’amour et par sa lassitude vis-à-vis de son métier qu’il a choisi un peu par hasard. Bien malgré lui, Casimir hébergera Issa lorsque le père de celui-ci se sera enfui pour échapper aux gendarmes, et il sera à la fin du roman mis en garde-à-vue pour cela.

Le récit se fait en voix alternées, chaque chapitre étant narré par l’un des deux personnages. Il débute juste avant la rentrée, avec les états d’âme de Casimir et les jeux d’Issa, et se poursuit jusqu’aux vacances de la Toussaint, avec de beaux portraits d’élèves et de moments de classe, les récits d’Issa sur sa vie avec son père, sur sa grande sœur, partie vivre ailleurs pour des raisons qu’on apprend au fil du roman.

Le temps de la cohabitation est raconté avec humour comme un apprivoisement lent et difficile, qui parvient à faire sortir chacun des protagonistes de sa paralysie. Une belle histoire, avec de belles personnes malgré leurs faiblesses…