L’attrape-rêves

L’attrape-rêves
Xavier-Laurent Petit

L’école des loisirs (Médium), 2009

Wilderness, amour et dynamite

Par Anne-Marie Mercier

 

xlp.gifPlusieurs thèmes s’entrecroisent dans ce beau roman, aussi rêveur que plein de suspens et d’action. La solitude et le malheur du jeune Chems sont exemplaires de beaucoup d’autres : étranger arrivant au collège d’une vallée fermée sur elle-même, il est rejeté du seul fait de son étrangeté et de sa pauvreté (il vit dans une caravane avec sa mère). La jolie Louise, du même âge, vit seule avec son père, brave type assez obtus et silencieux. Elle brave tout le village pour aider, puis aimer Chems. Entre ces deux-là, c’est une belle histoire d’amour. Il y a entre eux peu de mots mais beaucoup de nature, la forêt américaine du Wild, ses oiseaux nocturnes, loups, ours, ses neiges et blizzards. Face à eux, les hommes du village sont des brutes stupides, qu’ils soient jeunes ou vieux.

Autour des adolescents, le monde bouge : la scierie qui faisait vivre la vallée ferme, et chacun se trouve désemparé. Un projet de barrage, et chacun se trouve enrôlé. Seuls Chems, puis Louise et Dolores, après son départ, tentent de s’y opposer par amour pour cette vallée et les animaux qui y vivent, par refus du monde qu’on leur propose : un complexe touristique au bord du lac qui doit engloutir le village et la vallée et des maisons confortables.

Suspens, poursuite, embuscades et attentats donnent à la deuxième moitié de l’ouvrage un rythme différent. A la poésie méditative des débuts succède un roman du terrorisme écologique. Mais le dernier mot du roman est laissé au retour vers la poésie à travers la belle figure du professeur d’anglais de Louise qui lui fait découvrir Emily Dickinson et le vin :

« Balayer mon cœur avec soin et mettre l’amour de côté
Nous ne nous en servirons plus avant l’éternité. »

Sabotages en série à Versailles

Sabotages en série à Versailles
Arthur Ténor

Seuil jeunesse, 2011

Versailles hélas

Par Anne-Marie Mercier

sabotages en série.jpgVoilà une tentative pour mêler roman historique (pâle copie des Colombes du roi soleil, version garçons), « collège novel » (il y aurait eu une « prestigieuse école » de pages sous Louis XIV…?) et roman policier. C’est souvent des mélanges que viennent les surprises et certains succès (l’exemple Harry Potter). Ici, le résultat est bien décevant, sur tous les points. Il faut noter tout de même une originalité : le cadre des jardins de Versailles est bien utilisé et les prouesses techniques des fontaines et grandes eaux bien documentées. Hors cela, l’imitation de langue ancienne dans les dialogues est artificielle et le récit sans allant.

 

Soldat Peaceful

Soldat Peaceful
Michael Morpurgo

Gallimard jeunesse (« folio-juinior), 2010

Grand poche

Par Anne-Marie Mercier

Soldat Peaceful .gifMichael Morpurgo est revenu plusieurs fois sur la première guerre mondiale. Ici, le roman se clôt avec l’exécution d’un jeune homme pour mutinerie, tandis que son jeune frère, le narrateur, se prépare à partir pour la Somme où tant de soldats anglais, irlandais ou issus du Commonwealth sont morts. Ce portrait de la vie des soldats est, comme dans ses précédents livres, très réussi, sensible et précis. C’est une leçon d’histoire humaine.

Mais la première moitié du livre est une autre histoire, elle aussi parfaitement convaincante. La vie de la famille des deux garçons, cernée de tous côtés par la pauvreté et le malheur est aussi pleine de beaux moments et de tendresse. Les pages sur le frère demeuré, Big Joe, sont touchantes. Le tableau de la rivalité des deux frères, amoureux de la même femme, et des conditions de leur engagement puis de leur départ pour la France rend un son très romanesque et juste à la fois. C’est une très belle fiction qui prend le lecteur, sans lui « raconter d’histoires » sur les réalités de la guerre et de la vie.

 

L’histoire de Kati

L’histoire de Kati
Jane Vejjajiva
traduction (anglais) par Alice Marchand
Gallimard, 2010

Le festin de Kati ?

par Christine Moulin

kati.jpgKati, l’héroïne, est une petite fille sage. Peut-être un peu trop. Il ne lui arrive pas grand-chose, en effet. Bien sûr, on attend la révélation du secret que sa mère lui a laissé en mourant. Mais ce secret n’est pas très surprenant et l’essentiel de l’histoire coule au fil d’un fleuve aux lenteurs thaïlandaises. Ce que l’on retient surtout, ce sont les multiples plats que prépare sa grand-mère, dont Kati est friande, et qui sont abondamment décrits. Le voyage est agréable, dépaysant, mais pas passionnant.

Martin, apprenti de Gutenberg. Carnet d’un imprimeur 1467-1468

Martin, apprenti de Gutenberg. Carnet d’un imprimeur 1467-1468
Sophie Humann
Gallimard jeunesse (« mon histoire »), 2010

Enfance du livre, enfance d’imprimeur

Par Anne-Marie Mercier

Martin, apprenti de Gutenberg.jpgMayence, Strasbourg, Paris, Venise, tel est l’itinéraire de Martin, 13 ans, qui commence son apprentissage avec le vieux Gutenberg, le poursuit avec Mendelin, et part à la recherche de l’imprimeur Jenson.

Au fil du voyage, le lecteur découvre la vie quotidienne du temps, la difficulté des voyages, les dangers (les voleurs, les loups, le froid…). On voit aussi la difficulté d’ imposer une technique nouvelle et les résistances de ceux qu’elle va priver progressivement d’emploi, les copistes. Ce qui pourrait être simplement documentaire devient une aventure. Tout cela est bien documenté, bien écrit. Le livre joue à imiter l’apparence d’un écrit du temps, avec une couverture en trompe l’œil, des titres calligraphiés et des pages inégales comme découpées à la main. Seul bémol : l’intrigue principale (la recherche de Nicolas Jenson) est peu dynamique et peu porteuse. ; le récit a du mal à démarrer. Mais une fois bien embarqué sur les routes aux côtés de Martin, le lecteur s’attache à ses pas et à ses efforts.

 

Chroniques de l’Université invisible

Chroniques de l’Université invisible
Maëlle Fierpied

L’école  des loisirs (
Médium), 2010

L’école des mutants

 par Chantal Magne-Ville

uni inv.pngCes chroniques se déroulent dans un futur relativement proche. Elles retracent l’histoire de plusieurs adolescents qui ne se connaissent pas au début mais ont la particularité de posséder des pouvoirs cachés : Mélusine, une « Penseuse », est capable de lire dans la tête des autres, par télépathie, Tristan utilise son don pour détrousser les passants, Framboise, une « Voleuse » peut repousser les objets par la seule force de son esprit et les faire voler par télékinésie. Ils sont kidnappés par des ravisseurs non identifiés et se trouvent réunis sur une île indétectable, dans un monde parallèle : ils sont devenus membres de l’Université invisible qui leur apprendra à cultiver leurs pouvoirs. On a effacé leur souvenir de l’esprit de leurs proches. Ils se trouvent pris au cœur d’une guerre entre l’Université invisible et un groupe de vampires qui ont rompu leur pacte de non agression.

L’intérêt du livre réside sans doute moins dans l’univers d’héroïc fantasy que dans les multiples clins d’œil à la culture. L’onomastique est particulièrement riche : les personnages empruntent leur nom à tous les continents (Moustafa, Vasco), à toutes les époques (Sophocle, Garibaldi, Dante) ou évoquent les étoiles (comme Alioth). Ils sont formés dans une Médersa. L’un des vampires vient de Bachkirie. Le personnage de Garibaldi et sa troupe d’enfants voleurs n’est pas sans rappeler Dickens. Plus que les pouvoirs des héros, ce sont les rebondissements de l’intrigue qui tiennent en haleine avec de nombreux retournements de situation, malgré un épilogue peut-être un peu artificiel. Si l’intrigue est un peu difficile à saisir dans les premiers chapitres, à cause de l’adoption d’un point de vue interne pour les différents protagonistes, la peinture psychologique des personnages est empreinte d’une grande vérité et les interrogations des héros sur le sens de leur vie et leur filiation savent toucher le lecteur.

Le roman fait de nombreux clins d’œil à l’univers des jeux vidéo, avec une imagerie parfois convenue notamment dans la peinture des vampires ou les expériences menées sur les prisonniers, mais c’est une science fiction efficace qui renvoie à de véritables interrogations sur le contrôle que la société peut avoir sur les individus et sur la nécessité pour l’individu de protéger sa pensée.

Lâcher sa main

Lâcher sa main
Séverine Vidal

Grasset jeunesse, 2011

« Reflet secoué par les vagues »

Par Dominique Perrin

9782246780601.gifCe texte au titre et à la première de couverture attirants, entre confidence et journal de bord, peint la conversion d’une adolescente à la posture adulte, à la faveur d’un voyage d’abord rêvé par d’autres et pour d’autres, finalement voulu et vécu. La singularité existentielle de cette protagoniste au parler très contemporain tient à ce que les élations propres à sa situation de lycéenne s’offrent sur fond d’une relation monoparentale en partie inversée : mère non seulement  originale  – magistralement – mais souffrant de folie au sens psychiatrique du terme, père non identifié, autonomie lourde à porter et dépendance réciproque avec la mère.
Le récit n’évite pas tous les écueils de la jeune tradition dans laquelle il s’inscrit : amours triangulaires de la narratrice avec deux garçons amis et rivaux, indifférence scénaristique au réel des contraintes économiques et des barrières qu’elles sont susceptibles d’opposer au désir d’épanouissement d’un personnage sans ressources financières identifiées. Mais il contient aussi sa part d’imprévisibilité et partant de beauté : au cœur du désir de la narratrice, il y a un voyage vers le nord – et non vers le sud -, longtemps par canaux – et non seulement par mer ; le triangle amoureux se voit démythifié, au profit d’une évocation assez juste de la réversibilité si difficile à penser entre maturité et fragilité à l’adolescence ; les adultes représentés ne sont, à quelques exceptions ponctuelles près, pas plus caricaturaux que leurs homologues adolescents. Enfin, et peut-être surtout, c’est bien sous ses cent visages étranges et familiers que la « folie » est évoquée, plutôt que sous aucun.

 

Terrienne

Terrienne
Jean-Claude Mourlevat
Gallimard, 2011

Des sentiers qui bifurquent : où va Mourlevat?

Par Anne-Marie Mercier

Terrienne.gif« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? » … On se souvient de la phrase leitmotiv de la huitième épouse de Barbe Bleue dans le conte, et c’est bien cette phrase qui définit le mieux  Terrienne dans un premier temps : il s’agit d’une récriture de conte, domaine dans lequel Mourlevat s’est rendu célèbre avec L’Enfant océan, et précisément de La Barbe bleue. Mais le rapport à ce conte est assez lâche et on ne le suit que de loin en loin. Demeure le sujet central : une jeune femme a disparu juste après son mariage. Sa jeune sœur, l’héroïne de ce roman, la cherche.

Un autre texte plus actif sous-tend le roman, celui de la Divine Comédie : l’un des personnages s’appelle Virgil, mais évoque, davantage que la figure du poète, celle de Dante qu’il guide à travers les différents cercles de l’enfer et du paradis. Autre écho, celui du mythe d’Orphée : dans cette histoire on passe d’un monde à l’autre pour tenter de ramener une jeune femme dans le monde des vivants. On pourrait ajouter une présence de Pinocchio (les sœurs s’appellent du nom de son auteur, Collodi, mais hors le nom, on ne voit pas le rapport). En bref, l’intertextualité ici est diffuse et brouille les pistes plus qu’elle ne les construit.

Ce roman participe du réalisme et de la fantaisie, deux voies que J.-C. Mourlevat a suivies avec constance, tantôt de façon séparée, tantôt en les entrecroisant (comme dans Le Chagrin du roi mort). Le récit débute avec un ancrage fort dans le terrain régional ; on est entre Saint-Etienne et Saint-Just, sur la route et avec les gens ; on évoque le charme de Montbrison. Le narrateur rencontre une jeune fille qui semble à la dérive. On pense d’abord au mythe de « l’auto-stoppeuse fantôme ». Mais progressivement elle prend davantage de poids et de précision et la veine fantastique du « comme un rêve », très prenante, laisse place à l’écriture de science-fiction après avoir fait penser un temps à la veine vampirique : de multiples voies sont ainsi encore ouvertes puis abandonnées.

La deuxième partie de l’ouvrage se passe dans un monde parallèle au nôtre, parfaitement organisé, un genre de « meilleur des mondes » avec tout ce que cela comporte de cauchemardesque. On retrouve ici encore du très bon Mourlevat, celui du Combat d’hiver par exemple, pour l’organisation du récit, le suspens, l’inventivité et la beauté des « paysages », même si ceux-ci sont de plus en plus sinistres. On retrouve aussi la thématique de la résistance, du refus de la tyrannie. Mais aussi des traits de poésie et d’humour : certains des habitants font la navette entre les deux mondes et reçoivent un enseignement pour cela : cours de civilisation, cours de sentiments, cours de cuisine (voir la leçon de quiche lorraine !). Enfin, le titre illustre l’une des belles qualités du roman : il est une apologie de l’imperfection des choses humaines, un chant d’amour aux paysages médiocres, aux êtres sans charme particulier (mesdemoiselles, méfiez vous des trop beaux hommes !), au quotidien dépenaillé qui est le nôtre. Au centre de tout cela, le plaisir tout simple de respirer calmement et régulièrement, que ne connaissent que ceux qui en ont été privés pendant un temps…

Réécriture de conte, fantastique, réalisme, dystopie, roman engagé… Mourlevat court plusieurs livres à la fois et l’on est parfois perplexe devant ces esquisses abandonnées dès que la « sauce » commence à prendre. Faut-il le prendre au mot lorsqu’il semble se mettre en scène sous les traits d’un écrivain qui, comme l’auteur, vit dans cette région ? Etienne Virgil (on a vu la symbolique du nom), a 70 ans et vient d’écrire son quinzième roman dont il n’est pas content… Ses enfants lui ont offert un PC et pour la première fois il a écrit sur traitement de texte… Ce roman qu’on est en train de lire est-il celui-ci ? Pourquoi Mourlevat abandonne-t-il ce personnage attachant (et sa voiture…) si brutalement, nous laissant vivre l’histoire uniquement à travers le point de vue d’Anne ? Autodestruction ? Syndrome de l’écrivain malheureux comme dans le dernier roman de Houellebecq (La Carte et le territoire) ? Les fans de Mourlevat ne peuvent qu’être inquiets : on demande à être rassuré, vite un autre livre !

Mais ne nous affolons pas : on pourrait aussi répondre que l’écrivain incarne une figure symbolique. Il est celui qui, comme le Virgile de Dante, est un passeur. Il nous fait pénétrer dans l’autre monde et aussi nous entraîne dans la fiction. Son auto-stoppeuse serait d’abors une idée d’histoire : il l’embarque, la promène. Une fois que l’idée a pris corps, l’écrivain peut s’éclipser (en apparence, bien sûr) pour la laisser « vivre sa vie ». Se donner 70 ans était déjà une façon de se retirer. C’est aussi une façon de se tenir hors de l’action et de l’héroïsation. Il demeure que Virgil nous laisse bien seuls dans ce monde déprimant dont on ne sait s’il dévoile davantage l’horreur du passé ou s’il nous fait « voir venir » celles du futur… pour mieux apprécier notre présent si fragile.

Je préfère qu’ils me croient mort

Je préfère qu’ils me croient mort
Ahmed Kelouaz
Rouergue (Doado Monde),  2011

 Rêves brisés

par Maryse Vuillermet 

Je préfère qu’ils me croient mort.jpgJ’ai été très touchée par ce court roman d’Ahmed Kelouaz. Il aborde avec force un problème mal connu, celui de centaines d’adolescents  africains qui quittent leur pays,  appâtés par des intermédiaires douteux ou escrocs qui leur font miroiter une carrière internationale dans les clubs européens. Ces jeunes jouent bien au foot dans leur ville ou village et rêvent de devenir des champions  comme Salif Keita ou Didier Drogba. Leurs parents se saignent pour  avancer l’argent du voyage,  espérant le récupérer un jour. Le jeune,   ainsi missionné par les siens,  a l’obligation de réussir.

Le récit est dit par Kounandi, jeune homme de Bamako.  Le jeune lecteur vit donc au plus près ses rêves, et surtout de ses déceptions successives et ses longs combats pour ne pas perdre courage et ne pas perdre non plus son âme. La langue utilisée est à la fois celle du récit oral d’un jeune mais aussi celle des griots,  pleine d’images d’Afrique, de noms puissants, de  poésie  et de rêves d’adolescents.  A sa suite, nous pénétrons dans le monde des immigrés clandestins, toujours misérables et cachés,  dans le monde sans pitié des tournois de football   et des clubs de province.

Emouvant, tragique, réaliste, voilà un roman pour les adolescents qui aiment le football bien-sûr mais bien au-delà, c’est aussi  un roman social sur l’immigration clandestine et encore un bon  roman qui dénonce juste.  

 

Ceux qui n’aiment pas lire

Ceux qui n’aiment pas lire
Rachel Corenblit, illustrations de Julie Colombet

Rouergue (zig zag) , 2011

Pour leurs parents

Par Anne-Marie Mercier

Rachel Corenblit,Julie Colombet, Rouergue (zig zag), lecture,bibliothèqueHistoire d’un garçon qui n’aime pas lire, destinée on le suppose à ceux qui n’aiment pas lire.

On a des doutes : ceux qui n’aiment pas lire… ne le liront pas ou n’entreront pas dans ce récit sans véritable intrigue. Les autres seront malades de voir la destruction d’une bibliothèque présentée comme une simple bêtise, malgré le charme et la cocasserie des images.

Au public visé : si vous n’aimez pas lire, achetez-le à vos parents pour qu’ils arrêtent de vous embêter avec ça.