Les Rebelles de St Daniel (2) : Ismaël part en live

Les Rebelles de St Daniel (2) : Ismaël part en live
Michael Gerard Bauer
La joie de lire, 2012

Amour, foot et poésie

Par Anne-Marie Mercier

On retrouve avec plaisir l’univers d’Ismaël (voir la recension du premier volume), adolescent maladroit, malchanceux et mal à l’aise, et de ses amis tous un peu bizarres, Razza extraverti et vulgaire, Ignatius le matheux, Bill le timide, Scobie agité de tics et génial. On retrouve également le concours d’éloquence (qu’ils avaient gagné dans le premier volume contre toute attente et auquel ils échouent cette fois lamentablement) et l’éternelle confrontation avec la bande de la brute du collège.

Mais il y a aussi de la variation qui rend ce volume différent, heureusement : la brute se trouve confrontée à elle-même par l’intervention d’un psychologue, Ismaël tente de conquérir la belle Kelly par le seul charme de la parole et subit de lourds échecs avant de faire quelques progrès et suivre le conseil majeur (« être soi même »), il découvre aussi que ses enseignants  et même le proviseur sont des êtres humains capables de le surprendre et que son père peut redevenir une star du rock.

Enfin, le clou du récit et ce qui en fait le moteur, est le cours de poésie de la professeure d’anglais (qui serait celle de français chez nous) qui arrive à les convaincre encore une fois de la force du verbe et de la nécessité d’en user avec finesse et tact, même dans la vie quotidienne – et parfois pour séduire, comme Shakespeare. On peut ajouter un autre morceau de bravoure autour du football, avec le débat qui tourne autour des bienfaits ou méfaits de cette passion lors du concours d’éloquence et la démonstration par le récit d’un match épique où l’un des joueurs démontre qu’on peut jouer bien en faisant semblant de jouer mal et tout faire pour éviter de perdre sans pour autant vouloir gagner. De la philosophie en action, donc, pleine de moments cocasses racontés à travers le prisme comique de la perpétuelle inquiétude du héros.

 

 

Illyria

Illyria
Celia Rees

Traduit (anglais) par Anne-Judith Descombey
Seuil, 2010

Génétique Shakespearienne

Par Anne-Marie Mercier

illyria.gifUne belle naufragée et son frère jumeau, un duc austère, un fou très sage, une devineresse, des pirates vénitiens, une forêt dense où le temps s’arrête, des acteurs itinérants… tout cela semble sorti d’une pièce de Shakespeare, et l’est en effet. La trame de La Nuit des rois a servi de cadre au nouveau roman de Celia Rees. Après la très étrange parenthèse du Testament de Stone et ses incursions dans la mode des vampires, elle poursuit ici son exploration des ressources du roman historique. Chez elle, il est poétique et teinté de magie, comme dans l’ouvrage qui l’a fait connaître, Le Journal d’une sorcière.

Ce roman propose autant la suite de La Nuit des rois que son origine. L’héroïne du roman est Violetta, la fille de Viola et du duc, elle aime son cousin, le fils de Sébastien et de Dame Olivia. On suit ainsi les aventures des enfants des couples fondés à la fin de la pièce mais on apprend également comment Shakespeare a trouvé son inspiration pour inventer cette histoire… Perpétuellement, on est face à un jeu de miroirs, à un dispositif de gant retourné qui donne le tournis : la fin est le début, ou le début la fin, la cause et la conséquence sont deux faces interchangeables. Le texte souvent semble pasticher Shakespeare (les titres des chapitres en sont des citations) et mêle grotesque et tragique, bassesse et poésie. La traduction, excellente, est à la hauteur du défi. L’évocation des beaux jours de l’Illyrie relève autant du conte de fées que de la rêverie renaissante, ainsi dans la description que fait la vieille Maria (Mary) du mariage de Viola et de son frère qui clôt la pièce :

« Orsin et Sebastian étaient couronnés de fleurs et dans leurs costumes de satin blanc brodés d’or, d’argent et de pierres précieuses, ils scintillaient au soleil comme des princes de contes de fées. Leurs épouses, Viola et Olivia, marchaient à leur côté en les tenant par le bras, l’une brune, l’autre blonde, Viola vêtue du rose le plus pâle, ma maîtresse Olivia du vert subtil des feuilles de laurier-rose.[…] Leurs voiles légers comme des souffles avaient été confectionnés avec des aiguilles aussi fines que des cheveux et du fil de soie. Le linon délicat flottait devant leurs visages comme leur haleine par un jour de gel. »

L’action se déroule à Londres et à Stratford, et sur la route qui les joint, mais très souvent on évoque la lointaine Illyrie (la Dalmatie antique), la mer, la chaleur et les événements qui s’y sont déroulés : la belle Viola a disparu, au désespoir de son mari, le duc, qui s’est fait nécromant dans l’espoir de la retrouver. Le frère de Viola s’est allié avec des pirates pour renverser le duc et prendre sa place. C’est par le récit que Violetta fait de ses malheurs et bonheurs à Shakespeare que nous découvrons toute son histoire et son désir de vengeance. Elle a besoin de récupérer le trésor d’Illyrie, une relique sacrée dérobée par Malvolio (l’intendant ridicule de la pièce devenu un redoutable fanatique catholique).

Le livre multiplie les éclairages historiques sur l’époque : relations internationales, conflits entre catholiques et protestants, la reine Elisabeth et son conseiller, sir Cecil, la vie des villes et des campagnes. Les rites du 1er mai sont évoqués avec précision tout comme les décors, la maison de Shakespeare, la vie de sa troupe, les représentations au théâtre du Globe, les tavernes, le problème des fermetures fréquentes des théâtres de Londres qui obligent les troupes à jouer ailleurs, etc.

 La question de la condition des femmes y est très présente et par certains aspects, le roman est un roman de femmes : le héros est une héroïne, et l’amour le plus absolu semble bien être celui de dame Olivia pour Viola, amour dû au quiproquo du déguisement chez Shakespeare, mais que Celia Rees choisit de prendre au sérieux, réécrivant la comédie en la teintant de la noirceur du désespoir et de la solitude.

Le pays d’Illyria est teinté de magie et de nostalgie comme le montre la scène où Violetta chante : « Elle chantait la perte et le désir, la joie et le chagrin, le commencement et la fin de toutes choses. C’était l’un de ces airs qui vous rendent euphoriques tout en vous faisant pleurer ». Le personnage du fou, étrange, ni homme ni enfant, toujours proche de l’héroïne même lorsqu’on le croit loin, faible et fort et venu d’on ne sait où, est très Shakespearien. On le voit d’ailleurs jouer le fou (ou le clown, puisqu’en anglais c’est la même chose) dans As you like it, devant Shakespeare subjugué. Il évoque aussi (comme le titre anglais estropié dans la page de garde, The Fool’s girl) le personnage de Fool’s fate, une partie du célèbre cycle de fantasy l’Assassin royal. Le titre français n’est pas mal, tant cette Illyrie lointaine est présente, mais est-il dû au fait que celui de « la fille du/au fou » ou « la fille du clown » n’aurait rien dit aux français ou à la volonté de faire croire qu’il y a un rapport avec la série Angel dont Illyria est un des personnages (saison 5, je n’ai pas vu, mais c’est sur wikipedia…)?

Enlèvements, naufrages, trahisons, divination, trésors volés, espionnage pour des puissances étrangères, nostalgie d’un monde perdu, tout cela fait aussi de ce roman aussi poétique qu’ historique un vrai roman d’aventures, beau et passionnant.