Les mamies et les papis cassent le baraque !

Les mamies et les papis cassent le baraque !
Claire Renaud Illustrations de Maureen Poignonec
Sarbacane2023

L’anti maison de retraite !

Par Michel Driol

Les Mamies voudraient bien s’installer ensemble dans une maison plutôt que de vivre chacune chez elles. Les Papis ont la même idée. Tour à tour, les deux groupes visitent la même maison, et voudraient bien l’acheter. Mais ils n’ont pas assez d’argent. Alors, quoi de plus simple que de préparer le casse de la banque ? Et quand les deux groupes se retrouvent devant la même banque, peut-être que l’union fera la force ?

Faisant suite à deux autres romans, Les Mamies attaquent et Les Papis contre-attaquent, ce troisième opus de la série est tout aussi délirant et fantaisiste. Des personnages de Mamies et de Papis non conventionnels, stéréotypés à souhait pour que chacun ait son rôle à jouer : la costaude, l’inventeuse la timide, la coach, le pharmacien, le déménageur, le prof de français, l’architecte, et un Anglais, sans oublier un chien, des personnages qui souffrent de solitude, ont quelques obsessions bien sympathiques (Comme ce pharmacien hypocondriaque) et surtout ne sont pas étouffés par la morale. Pétris de mauvaise foi, quand c’est pour la bonne cause, ils ne reculent devant rien pour arriver à leur but. Le récit est vif, accumule les situations pleines de cocasserie, les dialogues percutants, et les illustrations, nombreuses, sont aussi une exaltation de ce bonheur d’être vieux sans être adulte… Les personnages secondaires (en particulier l’employée d’agence immobilière et le commissaire de police) sont des faire-valoir, prompts à se faire avoir par ces mamies et papis pleins de vie et d’inventivité.

Un roman sans enfants… mais dont les personnages, bien qu’âgés, ne sont pas des parangons de vertu ou de sagesse, pour le plus grand plaisir des lecteurs !

La (presque) grande évasion

La (presque) grande évasion
Marine Carteron
Rouergue 2021

Trois ados sur un bateau

Par Michel Driol

Lorsqu’au début du confinement d’avril 2021 Bonnie découvre le mot de sa mère scotché sur le frigo, Je pars, elle décide de la retrouver en descendant le canal, jusqu’à une maison où elle pense qu’elle est. S’embarquent avec elle son chien, Melting-Pot, et ses deux seuls amis, Milo l’hypocondriaque et Jason le costaud… Mais c’était sans compter sur leur inexpérience à survivre dans ce milieu si hostile qu’est le canal de Roanne à Digoin, et les dealers qu’ils dérangent au cours d’une rave party… Bref, tout va de mal en pis !

Voilà un roman jubilatoire… D’abord par les multiples péripéties rocambolesques racontées à un rythme effréné par une narratrice, Bonnie, seule fille au milieu de deux garçons. Cette équipe de pieds-nickelés, de bras cassés, coche toutes les cases des oublis, maladresses, et autres bévues plus ou moins graves, pour le plus grand plaisir des lecteurs ! C’est drôle, enlevé, écrit dans une langue assez savoureuse pour reprendre quelques tics du langage des ados d’aujourd’hui. L’intrigue est construite sur un retour en arrière, à partir du point le plus dramatique de l’histoire, comme une façon de générer le suspense. C’est en fait un procédé d’écriture que l’on retrouve dans le roman, la révélation progressive. Ainsi on découvre petit à petit la particularité physique qui fait de Bonnie une fille un peu différente, et les secrets de sa famille. De fait, ces trois ados d’aujourd’hui sont élèves de collège (ce qui est assez commun, on en conviendra, en littérature ado) et  fils et filles de gendarmes (ce qui est une caractéristique bien plus rare !). Ils sont attachants parce que tous, à un moment ou l’autre de leur existence, se sont sentis exclus et, de ce fait, ont sympathisé. Trois ados en quête de liberté, d’amour, de vie tout simplement à une époque de cours à distance, de confinement et de distanciation, de démerdenciel.  Chacun avec ses fêlures, (physiques, psychologiques) ou ses obsessions. Tous trois pleins de vie, réunis malgré leurs différences, et capables de faire face au danger avec la bonne conscience, l’inconscience et les valeurs des fils et fille de gendarme qu’ils sont ! Se mêlent ainsi l’insouciance de la jeunesse  et son audace, un gout immodéré pour les bonbons Haribo qui rattache à l’enfance et les premiers émois amoureux, qui augurent une autre tranche de vie. Cette histoire d’amitié, de solidarité, d’envie d’évasion n’exclut pas un sens de la famille comme un cadre sécurisant. Mais ce n’est pas l’essentiel du roman, qui vaut d’abord par sa puissance narrative, sa drôlerie dans l’expression et les situations, son inventivité. Et cela fait du bien !

Paru en feuilleton durant le confinement, voici un boat-trip hilarant (presque) déconfiné,  avec ses héros (presque) aventuriers, son dénouement (presque) dramatique,  son rythme (totalement) déjanté, et son humour (absolument) contagieux !

Tonnerre de mammouth

Tonnerre de mammouth
Véronique Delamarre- Pascale Perrier – Illustrations de Bastien Quignon
Sarbacane 2023

Des mammouths et des hommes

Par Michel Driol

Moutt et Kanda sont deux jeunes mammouths, un garçon et une fille, au cours d’une période glaciaire qui n’en finit pas. Inséparables, ils font de nombreuses bêtises ensemble. Ils ont caché quelques baies dans une grotte, et, poussés par la faim, veulent aller les récupérer. Mais la grotte est occupée par de drôles de mammifères qui se déplacent sur deux pieds, sans poils, sans ailes. Branlebas de combat chez les mammouths, car la vieille Moumoutte révèle qu’il s’agit d’hommes et qu’ils mangent de la chair. N’obéissant qu’à leurs désirs, les deux jeunes mammouths entendent pourtant récupérer leurs friandises, mais se retrouvent prisonniers des humains, qui sont bien décidés à manger Kanda…

Précisons tout d’abord que le narrateur n’est autre que Moutt et que son récit ne manque pas de saveur. D’abord dans la relation qu’il entretient avec Kanda, la fille du chef, bien plus entreprenante et audacieuse que lui, qui se verrait bien poète (ne s’exprime-t-il pas parfois en vers, parfois en slam ?) ou artiste (n’est-ce pas lui qui a dessiné des animaux sur les parois de la grotte, faisant croire aux hommes que ce sont des messages des esprits ?). Le récit de leurs aventures est assez désopilant, tant dans les mésaventures qui leur arrivent que la façon de les raconter. Plaies, bosses, chutes sur le coccyx… on a un large panorama de petits et grands bobos qui affectent le corps de héros sans affecter leur moral ou le sens de l’humour du narrateur ! Mais le récit vaut peut-être autant par son côté roman d’aventures cocasses que par ce qu’il dit de nos propres rapports avec l’histoire et les animaux. La préhistoire vue par Moutt, ce sont un peu nos Lettres persanes…  D’abord, ces mammouths ont toutes les caractéristiques des hommes : des noms, un langage, des activités, ils vivent en groupe, ont un chef (qui subit une vraie carnavalisation réjouissante dans ce récit !), se transmettent des savoirs, élèvent leurs enfants en leur interdisant de manger trop de sucreries, par exemple… Ensuite parce qu’ils ont un regard qu’ils croient justifié sur les humains : petits, chétifs, nus, ils ne pourront pas survivre. Cruels, attachant des animaux, les tuant pour en faire des vêtements, ils sont à l’opposé des pacifiques mammouths herbivores.  Pour Kanda, les choses sont sûres : dans de nombreuses générations, quand les hommes auront disparu et que des mammouths viendront visiter leur grotte, ils salueront en Moutt un grand artiste… L’histoire de l’humanité est là pour lui donner tort… Mais ne sommes-nous pas, nous, hommes du XXIème siècle, dans la même position que Kanda ? Nous nous croyons invincibles, maitres du monde, espèce éternelle sur terre. C’est sans doute là un des messages de ce roman, d’attirer notre attention sur ce que nous faisons subir aux animaux, et de nous dire que, comme les mammouths qui se croyaient invincibles, nous ne le sommes peut-être pas… Mais retrouvons un peu d’humour et de légèreté avec les illustrations, pleines de vie, de Bastien Quignon, qui donne vie à ces personnages attachants (et attachés), respectant à la fois leurs caractéristiques de mammouths, mais les humanisant par le regard (et une fleur dans la toison !).

Un roman enlevé, drôle, dynamique, plus proche de Silex and the city que de la Guerre du feu, mais dont le fond est peut-être bien plus sérieux qu’il n’en a l’air…

Voyage au centre de la Terre

Voyage au centre de la Terre
D’après Jules Verne – Illustration de Marjorie Béal
Balivernes 2019

De l’Islande au Stromboli

Par Michel Driol

Quand le professeur Lidenbrock et son neveu trouvent un message secret contenant le moyen d’accéder au centre de la terre, ils n’hésitent pas. Descendant par un volcan en Islande, rencontrant des animaux préhistoriques et des champignons géants, ils finiront par ressortir par le Stromboli…

Marjorie Béal continue d’adapter pour les plus petits (petit format, pages cartonnées, peu de texte sur chaque double page) les romans de Jules Verne. Sont sélectionnés les  épisodes les plus dramatiques, résumés dans une langue simple, au présent, une langue avec de nombreuses marques d’oralité adaptées au public : exclamations… Le nombre de personnages est réduit au professeur et à son neveu – plusieurs images montrant en fait trois personnages. Les illustrations, très colorées, très stylisées, sont aussi très lisibles, et actualisent les décors et les costumes : rien ne fait XIXème siècle.

Le roman de Jules Verne perd ses dimensions didactiques et scientifiques pour devenir ainsi un album d’aventures qui ne manque pas de charme dans une espèce de représentation naïve d’un monde mystérieux. Un album qui suscitera peut-être des vocations d’explorateur !

L’île aux panthères, La presqu’île empoisonnée

Les Jaxon, t. 2: La presqu’île empoisonnée
Guillaume Le Cornec
Editions du Rocher, 2017

Les Jaxon, t. 1: L’île aux panthères
Guillaume Le Cornec
Editions du Rocher, 2017

Comment décoiffer le club des cinq

Par Christine Moulin

La quatrième de couverture de l’opus 1 l’indique clairement: « Signant le renouveau du polar de clan, en version 2.0, L’île aux panthères jette cinq adolescents au destin singulier dans les sous-sols obscurs d’un monde contemporain dangereux et réaliste ». De fait, ce roman, tout comme le second, met en scène une bande de collégiens dotés de pouvoirs extraordinaires mais pas surnaturels (l’un est un hacker surdoué, l’autre est hypermnésique, etc.). Et elle les plonge dans des complots qui leur font affronter la mafia calabraise, les Triades chinoises, des trafiquants en tout genre, des  spéculateurs immobiliers, j’en passe et des meilleurs.

Le premier tome se déroule à Nantes, le deuxième à Lyon : les deux villes sont mises à l’honneur et jouent un grand rôle dans l’intrigue. Pour ceux qui les connaissent bien, il est très réjouissant de voir comment l’auteur en fait le cadre de luttes souterraines et impitoyables. D’une manière générale, les deux histoires sont en prise directe avec le réel et évoquent, sans faux semblant et avec une grande précision, nombre de problèmes politiques contemporains (notamment l’environnement: le désherbant Cleanfields, au cœur du problème à résoudre dans La Presqu’île empoisonnée, cache mal sa ressemblance avec le Roundup, par exemple). Cela dit, ces deux romans restent des romans car nos cinq héros, malgré leur âge, accomplissent des exploits que ne renierait pas un agent aguerri du FBI et la vraisemblance est sans cesse oubliée: l’une des héroïnes n’est-elle pas engagée dans un combat « visant à abattre le système de prédation financière et écologique imposé par certaines multinationales »? Et en gros, elle revient pour le goûter…

L’invraisemblance ne touche pas, toutefois, les relations entre les membre du groupe qui sont finement décrites et ressemblent, finalement, à ce que vivent des jeunes « normaux ». Ce qui fait qu’on s’attache aux héros et que la lecture est très agréable, voire, par moments, addictive, du moins celle du tome 2 car l’intrigue du premier ouvrage est un peu embrouillée.
Mais surtout, surtout, c’est le style qui est remarquable (là encore, sans doute plus nettement dans le second opus): il y a de l’humour, beaucoup d’humour, fondé notamment sur des formules surprenantes (exemple: « Xavier l’attendait porte ouverte avec, sur le visage, un air qu’Oscar ne lui avait jamais vu. Une boule de papier journal chiffonnée qui essaierait de sourire était ce qui s’en rapprochait le plus »). Mais il y  aussi des descriptions fortes et frappantes, comme dans cette évocation de Lyon: « Et autour de tout ça, la main invisible et puissante de l’argent toxique et l’énergie brute des quartiers sous pression dont la rage pulsait dans la ville comme des vibrations sorties d’un caisson de basses. Lyon était opulente, baroque, géniale, vulgaire, industrieuse, moderne, expansive, gourmande, explosive et dangereuse ».  Il y a souvent, enfin, des passages d’écriture quasi fragmentaire particulièrement bien venus: « Lucas avait appris cette histoire par hasard – porte mal fermée, mère tourmentée « ce n’est pas cet homme que j’ai épousé », lui réveillé… ».

Bref, si l’auteur s’en était tenu au premier volume, on aurait pu penser qu’il s’était contenté de revisiter (avec talent) le club des cinq, en ciblant, il est vrai, un lectorat plus âgé. Mais le deuxième volume, à l’intrigue épurée, séduit par son rythme et par son écriture et acquiert une tout autre dimension : vivement la parution des Jaxon 3!

Les Aventures rocambolesques de l’oncle Migrelin
Elzbieta
Rouergue 2016

L’Oncle, la mamie et le dragon…

Par Michel Driol

L’Oncle Migrelin et sa grand-mère ont vécu des aventures étranges. A travers coupures de journaux, extraits de correspondance, plans de villes, sms… son neveu permet au lecteur de retracer son parcours, entre France,  Ecosse et Chine. On y rencontre des animaux fantastiques (un dragon bisou, une barge rousse un kikilatondu d’Estonie…). Il y est question de trafics d’animaux, d’un ministère des affaires étranges, d’un medium et même du Prince de Galles… On le voit, « rocambolesques » est un terme que n’usurpe pas ce petit roman.

Ce petit roman, le premier d’Elzbieta, a de quoi surprendre. D’abord par ses thèmes : il surfe sur la vague de la magie, des animaux fantastiques. Ensuite par sa forme : le neveu propose au lecteur de reconstituer le parcours de son oncle, ce qui est parfois un peu déroutant.  Enfin parce qu’il se situe dans un genre : le récit d’aventures, à rebondissements, n’hésitant pas à faire appel au paranormal ou au surnaturel, le tout baigné dans un humour fort agréable.

Un récit loufoque et déjanté, pour ceux qui aiment les récits d’aventures peu ordinaires. Et qui fera découvrir un autre aspect de son auteure.

Lou Pilouface – Le Dieu du Tonnerre

Lou Pilouface – Le Dieu du Tonnerre
François Place
Folio Cadet 2015

Aventures pour de rire en Amazonie

par Michel Driol

francois_place_lou5_couvertureC’est le 5ème tome des aventures  de Lou Pilouface. Cette fois, sa mère, Paméla Diva, donne la 100ème représentation de La fiancée du gondolier à l’Opéra de Manao. Oncle Boniface invite tout le monde à un grand repas, en présence de la directrice du musée, qui parle de la statuette du dieu du Tonnerre, Katakrak. Mais dans la nuit, ce dernier est volé. Dès le matin, oncle Boniface lance tout le monde à bord de son remorqueur Le Coriace à la poursuite du voleur, Gédéon le Brutal. On remonte le fleuve, on franchit des cascades, on découvre les pouvoirs de Katakrak, et de surprenants singes, les guillis oustitis. Finalement, on laissera Katakrak en haut de sa pyramide, et on rentrera avec la statue de la déesse… de la pluie !

Sous la forme classique d’un roman d’aventures exotiques  – narrateur externe, course poursuite, obstacles, tribus menaçantes, décor de temple en ruine, voici un roman complètement farfelu et humoristique. D’abord parce que les personnages sont humains dans le texte, mais animaux dans les dessins (chiens, chats, moutons, rhinocéros pour le méchant). Cette galerie de personnages au cœur tendre (Lou et son tonton – baby sitter) vit des aventures incroyables, dans un univers sauvage et magique, à l’aide d’adjuvants inattendus (le tabasco carburant pour remonter la chute d’eau).. Ensuite parce que l’’écriture est à la fois alerte, rapide et bon enfant, tant dans le récit – au ton souvent familier (excités comme des puces, il rigole à s’en faire mal aux côtes) que dans les dialogues, qui permettent de donner une voix à chacun (les jurons dignes du capitaine Haddock de l’oncle Boniface – Nom d’un casse-croute de piranha -,  le chuintement d’Aristide –chapitaine !). Enfin, parce que les tortures des guillis-ouistitis, comme leur nom l’indique, sont à base de chatouilles en apparence inoffensives.

Un roman d’aventures drôle, illustré par l’auteur, parodie des grands classiques du genre,  qui fera passer un bon moment aux jeunes lecteurs.

Intemporia Le Trône du prince

Intemporia – Tome 2 : Le Trône du prince
Claire-Lise Marguier
Rouergue 2015

Une longue marche aux nombreux périls 

Par Michel Driol

intemporia-2On avait lu et apprécié le Tome 1 (notre chronique est ici). Voici la suite… Dans la communauté de la Plaine, Yoran est devenu père de deux fillettes. Mais il décide de repartir, avec trois amis,  retrouver les rebelles hors de la protection du bouclier, afin d’essayer de sauver le peuple des pouvoirs accrus qu’il a donnés à la reine. Tout a empiré, l’armée se montre de plus en plus agressive. La poignée de rebelles, autour du fils de la reine, Tadeck, retrouve dernier descendant de l’ancien roi, et tente de l’emmener dans une cité aux confins du royaume, essayer le siège du roi, afin de voir s’il est l’héritier attendu. Marches épuisantes dans des déserts, traversées de montagnes enneigées, combats acharnés, ce volume raconte le trajet de la troupe jusqu’à la cité fantôme de Terendis.

L’épopée continue, avec tous les codes de l’heroic-fantaisie : pouvoirs étranges de ceux qui ont le « sceau », trône reconnaissant l’héritier, paysages sauvages et cités, autrefois splendides, désormais à l’abandon, lac de pierre au milieu desquelles est cachée la pierre magique. Le lecteur continue sa découverte du royaume, monde imaginaire aux noms exotiques et poétiques : Terendis, Estanguil, Cabrestan… Les combats se multiplient contre une armée de plus en plus nombreuse. Yoran, qui a muri depuis le premier tome, ne se bat plus simplement pour lui et sa famille, mais pour le peuple tout entier, pour tenter d’expier sa faute. Il fait l’expérience douloureuse de la mort d’amis, et prend de plus en plus de l’ascendant sur les rebelles : c’est désormais lui qui prend les décisions importantes. Tadeck reste fidèle au personnage de l’ami parfait et sage, prévoyant tout, mais on le sent de plus en plus menacé. Au-delà de l’épopée, l’un des intérêts de ce roman est de montrer les relations humaines au sein du groupe d’insoumis et les doutes et les fragilités qui minent les héros, de mettre en évidence les valeurs qui les forcent à agir et à faire des choix.

Près de 400 pages pour ce deuxième volume qui se lisent d’une traite. Si l’on peut anticiper sur le contenu du dernier tome, la victoire et la restauration de l’ordre et de la prospérité, on s’interroge désormais sur le destin de Tadeck.

Princesse Lulu et monsieur Nonosse

Princesse Lulu et monsieur Nonosse
Piret Raud

Traduit (estonien) par Jean-Pascal Ollivry
Rouergue, 2014

Le secret de mon père

par François Quet

6049 Quel livre sympathique, inattendu et drôle ! Tout commence par la rencontre entre Lulu, la petite princesse d’un royaume ordinaire (comme il y en a des dizaines sans doute dans la littérature pour la jeunesse) et de M. Nonosse, un squelette habituellement installé dans le placard du roi, où il surveille scrupuleusement le coffret que lui a confié le souverain.

Que se passe-t-il ensuite ? D’abord (et surtout) un véritable roman d’aventure, avec des disparitions, des enlèvements et des séquestrations, une enquête policière, des quiproquo et des méprises qui pourraient être fatales, des masques et des travestis, des poursuites, des évasions et pour finir des arrestations. Bref, le lecteur est tenu en haleine pendant un peu plus de 200 pages et s’il a hâte de connaître la fin de l’histoire, il ne peut que la voir arriver avec tristesse. On n’a vraiment pas envie que le livre s’arrête. Ce n’est pas une mince qualité que de savoir raconter ainsi, pour de jeunes enfants, un récit aussi échevelé.

Mais comme le titre le suggère (et comme la couverture l’annonce également), les aventures de la Princesse Lulu et de son compère le squelette, si prenantes soient-elles, sont tout à fait extravagantes, c’est-à-dire qu’elles nous éloignent de notre univers raisonnable et nous invitent au contraire à divaguer dans un monde aussi improbable que farfelu. Un squelette n’est pas un fantôme, c’est un squelette, quoi de plus naturel ?.  Déguisé en femme, le visage ceint de bandelettes comme celles de l’homme invisible et les yeux cachés par une voilette, l’anomalie de sa présence en ville passerait presque inaperçue, si un chien amateur de tibia ne croisait son chemin, et les deux héros ne se sortiraient pas du piège dans lequel un clochard irascible les a fait tomber, si une arête de poisson, courageuse et obstinée, n’entrait pas en scène. On voit que j’ai du mal à rendre compte d’une intrigue assez peu cartésienne ! Il serait certainement plus facile de parler de l’univers très ordonné du palais royal où Lulu aurait pu continuer à exister sagement, normalement, avec Madame la reine, sa gouvernante Mlle Jacinthe, les gardes et les repas à heures fixes. Seulement voilà, il a suffi d’un tube de dentifrice à l’oignon pour qu’on sorte des cadres établis et qu’un vent de folie souffle sur le royaume.

Reste à parler du secret du roi, celui sur lequel veille M. Nonosse et que je ne trahirai pas ici. Tout au long de ma lecture, j’ai bien cru qu’il s’agissait d’un Mac Guffin, un de ces prétextes mobilisés par Hichcock pour inspirer des actions trépidantes, un prétexte dont tout le monde se moque, parce qu’au fond et au bout du compte, il n’a pas vraiment d’intérêt : seuls comptent les événements qu’il suscite et peu importe ce que contient la boite à secrets, perdue, recherchée, et retrouvée après de multiples rebondissements. Eh bien, non ! Le secret du roi est très important et le découvrir va changer la vie de Lulu, changer la vie du royaume, changer le regard des sujets sur leur roi, et changer le regard d’une enfant sur son père.

Bref, il y a trois bonnes raisons d’aimer ce livre : il est passionnant, il est plein de fantaisie, et très, très loin d’être gratuit ou innocent.

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Illyria

Illyria
Celia Rees

Traduit (anglais) par Anne-Judith Descombey
Seuil, 2010

Génétique Shakespearienne

Par Anne-Marie Mercier

illyria.gifUne belle naufragée et son frère jumeau, un duc austère, un fou très sage, une devineresse, des pirates vénitiens, une forêt dense où le temps s’arrête, des acteurs itinérants… tout cela semble sorti d’une pièce de Shakespeare, et l’est en effet. La trame de La Nuit des rois a servi de cadre au nouveau roman de Celia Rees. Après la très étrange parenthèse du Testament de Stone et ses incursions dans la mode des vampires, elle poursuit ici son exploration des ressources du roman historique. Chez elle, il est poétique et teinté de magie, comme dans l’ouvrage qui l’a fait connaître, Le Journal d’une sorcière.

Ce roman propose autant la suite de La Nuit des rois que son origine. L’héroïne du roman est Violetta, la fille de Viola et du duc, elle aime son cousin, le fils de Sébastien et de Dame Olivia. On suit ainsi les aventures des enfants des couples fondés à la fin de la pièce mais on apprend également comment Shakespeare a trouvé son inspiration pour inventer cette histoire… Perpétuellement, on est face à un jeu de miroirs, à un dispositif de gant retourné qui donne le tournis : la fin est le début, ou le début la fin, la cause et la conséquence sont deux faces interchangeables. Le texte souvent semble pasticher Shakespeare (les titres des chapitres en sont des citations) et mêle grotesque et tragique, bassesse et poésie. La traduction, excellente, est à la hauteur du défi. L’évocation des beaux jours de l’Illyrie relève autant du conte de fées que de la rêverie renaissante, ainsi dans la description que fait la vieille Maria (Mary) du mariage de Viola et de son frère qui clôt la pièce :

« Orsin et Sebastian étaient couronnés de fleurs et dans leurs costumes de satin blanc brodés d’or, d’argent et de pierres précieuses, ils scintillaient au soleil comme des princes de contes de fées. Leurs épouses, Viola et Olivia, marchaient à leur côté en les tenant par le bras, l’une brune, l’autre blonde, Viola vêtue du rose le plus pâle, ma maîtresse Olivia du vert subtil des feuilles de laurier-rose.[…] Leurs voiles légers comme des souffles avaient été confectionnés avec des aiguilles aussi fines que des cheveux et du fil de soie. Le linon délicat flottait devant leurs visages comme leur haleine par un jour de gel. »

L’action se déroule à Londres et à Stratford, et sur la route qui les joint, mais très souvent on évoque la lointaine Illyrie (la Dalmatie antique), la mer, la chaleur et les événements qui s’y sont déroulés : la belle Viola a disparu, au désespoir de son mari, le duc, qui s’est fait nécromant dans l’espoir de la retrouver. Le frère de Viola s’est allié avec des pirates pour renverser le duc et prendre sa place. C’est par le récit que Violetta fait de ses malheurs et bonheurs à Shakespeare que nous découvrons toute son histoire et son désir de vengeance. Elle a besoin de récupérer le trésor d’Illyrie, une relique sacrée dérobée par Malvolio (l’intendant ridicule de la pièce devenu un redoutable fanatique catholique).

Le livre multiplie les éclairages historiques sur l’époque : relations internationales, conflits entre catholiques et protestants, la reine Elisabeth et son conseiller, sir Cecil, la vie des villes et des campagnes. Les rites du 1er mai sont évoqués avec précision tout comme les décors, la maison de Shakespeare, la vie de sa troupe, les représentations au théâtre du Globe, les tavernes, le problème des fermetures fréquentes des théâtres de Londres qui obligent les troupes à jouer ailleurs, etc.

 La question de la condition des femmes y est très présente et par certains aspects, le roman est un roman de femmes : le héros est une héroïne, et l’amour le plus absolu semble bien être celui de dame Olivia pour Viola, amour dû au quiproquo du déguisement chez Shakespeare, mais que Celia Rees choisit de prendre au sérieux, réécrivant la comédie en la teintant de la noirceur du désespoir et de la solitude.

Le pays d’Illyria est teinté de magie et de nostalgie comme le montre la scène où Violetta chante : « Elle chantait la perte et le désir, la joie et le chagrin, le commencement et la fin de toutes choses. C’était l’un de ces airs qui vous rendent euphoriques tout en vous faisant pleurer ». Le personnage du fou, étrange, ni homme ni enfant, toujours proche de l’héroïne même lorsqu’on le croit loin, faible et fort et venu d’on ne sait où, est très Shakespearien. On le voit d’ailleurs jouer le fou (ou le clown, puisqu’en anglais c’est la même chose) dans As you like it, devant Shakespeare subjugué. Il évoque aussi (comme le titre anglais estropié dans la page de garde, The Fool’s girl) le personnage de Fool’s fate, une partie du célèbre cycle de fantasy l’Assassin royal. Le titre français n’est pas mal, tant cette Illyrie lointaine est présente, mais est-il dû au fait que celui de « la fille du/au fou » ou « la fille du clown » n’aurait rien dit aux français ou à la volonté de faire croire qu’il y a un rapport avec la série Angel dont Illyria est un des personnages (saison 5, je n’ai pas vu, mais c’est sur wikipedia…)?

Enlèvements, naufrages, trahisons, divination, trésors volés, espionnage pour des puissances étrangères, nostalgie d’un monde perdu, tout cela fait aussi de ce roman aussi poétique qu’ historique un vrai roman d’aventures, beau et passionnant.