Ni l’un ni l’autre

Ni l’un ni l’autre
Anne Herbauts

Casterman, 2020

… Et tout à la fois

Par Anne-Marie Mercier

Sous une apparente simplicité, avec beaucoup d’humour et de tendresse, Anne Herbauts offre un regard juste sur l’enfance, les discours qu’on lui adresse et les modèles qu’on lui présente.
Chaque double page est à la fois semblable et différente : le texte décline des caractéristiques associées au père et à la mère (« mon père est drôle, ma mère est grande », par exemple, ou « mon père est pressé, ma mère est partout », « mon père est précis, ma mère est solaire ») et la réponse de l’enfant, invariablement, « Moi, je ne suis ni l’un ni l’autre. Je suis moi ».
Si les adultes n’apparaissent que par fragments (un pied, un bout de robe, une main…) et par leur discours, l’enfant est représenté sous une forme animale qui correspond à l’image proposée par le discours des parents – toujours à l’impératif – : « Habille-toi, petit chat ! », « reste tranquille, moustique ! », « Mange bien -, mon poussin ! », etc.
Ainsi, de page en page, l’air de rien, et sous des habits de fantaisie, on retrouve  le rythme de la journée d’un tout petit (le bonjour, l’habillage, le repas ; ranger les jouets, sortir puis rentrer), les figures parentales, très différentes, parfois opposées, les chocs de couleurs, le règne de la métaphore et enfin le désir d’indépendance d’un enfant qui s’affirme face à un discours qui le morcelle et le cadre, et lui impose des modèles qui ont l’inconvénient (ou l’avantage) d’être multiples.
Les images sont à la fois dynamiques et solitaires, chaque page déclinant des vignettes colorées, le plus souvent sur fond blanc, aquarelles saturées, papiers collés ou tissus. La dominante colorée de chacune est différente, tons de jaune, de bleu, de rouge… toute une gamme.

 

Collection « Les petits chaussons »

Mon petit lapin
Julia Chausson
Rue du monde, 2021

Ah ! les crocodiles
Julia Chausson
Rue du monde, 2014

Collection « Les petits chaussons »

Par Anne-Marie Mercier

La Collection « Les petits chaussons », dont le nom fait référence au nom de la créatrice, Julia Chausson, est doublement bien nommée : chaque volume est comme une petite pantoufle dans laquelle on se glisse pour se sentir bien, au chaud, en sécurité, bercé par des comptines bien connues, chantées ou dites, qui pourront se déployer au rythme de ses pages. Le petit format carré aux bords arrondis, les pages cartonnées, les couleurs réduites (deux par volume, auxquelles s’ajoute du blanc), les formes simples, ont un caractère rassurant.

Mais c’est aussi au-delà de cette simplicité, du grand art : le choix des couleurs la mise en page, la découpe des épisodes, la typographie, tout est parfait et chaque volume épouse la forme de la chanson : Les Crocodiles décline d’une page à l’autre ses scansions (Ah !/  Les Crocroscros/ les cros/ cros cros/ les crocodiles…) tandis que l’image sectionne l’animal et le décor. Le lapin de la comptine dans laquelle on répète « cherchez-moi coucou coucou » se cache à chaque page.
Dans la même collection, on trouve d’autres grands classiques comme « J’aime la galette », « Je fais le tour de ma maison », « Une souris verte », « Un deux trois nous irons au bois », etc.

Ferme

Ferme
Lisa Jones et Edward Underwood
Flammarion, Père Castor, 2020

La ferme en poussette

Par Anne-Marie Mercier

Il est intéressant de voir ce que cela donne quand un éditeur de « vrais » livres tel que le Père Castor de Flammarion se lance dans le livre en tissu (ou livre de poussette puisqu’il est conçu pour pouvoir y être accroché).
Le résultat est intéressant. Tout d’abord, même si l’objet est livré dans une boite, il imite un vrai livre, avec une tranche sur laquelle se lit le titre (appelant à la collection sur l’étagère ? Il y a trois autres titres des mêmes auteurs). À l’intérieur, on trouve presque une histoire avec les saluts du « héros » (le bébé Hector) à la première page et à la dernière. Au milieu, même si c’est énoncé en phrases complètes et simples, c’est un parcours plus proche des livres traditionnels pour bébés, avec des portraits successifs : le tracteur, la poule et ses poussins, la vache, le mouton, les cochons, le coq, chacun avec son cri.
Couleurs vives, formes simples, et en bonus des pages matelassées, plus une qui crépite.
Les époux Jones-Underwood collaborent dans un travail de création de cartes de voeux et objets décoratifs dans le cadre du Lisa Jones Studio.

 

Rosie

Rosie
Gaëtan Dorémus
Rouergue, 2020

Où est ma maman ?

Par Anne-Marie Mercier

L’argument de ce très bel album pourrait sembler mince, puisqu’il tient à un fil : celui qu’une petite araignée cherche désespérément.
En fait il est lourd de sens, puisqu’au bout de ce fil, à la fin de l’album, on découvre la mère de Rosie qui s’exclame à l’avant dernière double page « Ma fille ! », en écho aux « où est mon fil ? » répétés de page en page par Rosie.  Ce jeu sur les mots rend la métaphore de la fil-iation bien claire pour tous et rattache cet album à tous ceux, bien connus, où l’on voit un petit chercher sa maman (et parfois son père), avec de l’originalité en plus : un insecte, et encore plus une araignée comme héroïne, ce n’est pas courant. Les arachnophobes n’ont rien à craindre d’ailleurs : Rosie est très mignonne ; c’est une petite boule rose aux grands yeux étonnés (où perle, à la fin, une larme) et aux pattes en bâtonnets qui la font ressembler à une boule hérissée d’épingles.
L’autre mérite de cet album tient à la dynamique des pages qui font rebondir la lecture de l’une à l’autre : en suivant un fil, un geste (l’épisode avec les moustaches du chat est superbe), une plante, on suit les aventures de Rosie, tantôt jubilatoires, tantôt effrayantes. Pour ajouter à ce continuum, chaque décor placé à droite des doubles pages pourrait se coller à celui qui s’inscrit à gauche dans la page suivante pour former un leporello continu. Les paysages étranges, tantôt tracés délicatement sur fond blanc, tantôt envahissant tout l’espace comme la forêt de champignons, les créatures géantes rencontrées (à l’échelle d’une toute petite araignée), tout cela propose un beau voyage en images et une histoire captivante et… attachante.

C’est le troisième album de G. Dorémus proposé aux tout-petits, après les jolis Quatre pattes et Tout doux, tous aux éditions du Rouergue.

 

Et Hop ! et La Course

Et Hop !
Malika Doray
L’école des loisirs (Loulou et Cie), 2020

La Course
Malika Doray
L’école des loisirs (Loulou et Cie), 2020

Menues histoires pour les petits

Anne-Marie Mercier

Voilà deux nouveaux Malika Doray, avec ses drôles de bestioles colorées, heureusement identifiées par leurs noms (renard, lapin, chauve-souris font une joyeuse farandole). Ce sont deux menues histoires (ou non-histoires?) rythmées par des vers de mirliton dans des albums cartonnés aux bords arrondis, parfaits pour les tout petits.

Pas d’histoire, aucun évènement marquant, mais une question brûlante dans Et Hop ! : que faire d’un enfant qui crie en attendant son repas ? Le père crocodile le confie à une fourmi, qui l’envoie à un renard, etc. Comme les animaux n’ont rien à lui donner à manger ses cris se poursuivent jusqu’à ce qu’il revienne à son point de départ : les bras de son papa et le lait qu’il attendait. Toutes ces étapes sont marquées d’un « hop ! » qui lance le rebond et qui rythme le plaisir de la répétition, chaque étape introduisant un nouvel animal coloré et croqué de manière très stylisée.

La course prend son départ sans que l’on sache vers où (à l’arrivée on verra que c’est l’école) : chaque petit animal (sauf ceux qui sont trop petits pour aller à l’école) part, à pied, à dos de papa, en avion… et en emportant qui son doudou, qui son tee-shirt préféré, etc.
Le trajet vers l’école devient un jeu, un parcours de petits obstacles drôles, jusqu’à l’arrivée. Et la maitresse et l’Atsem, elles courent ? non, elles font une belle arrivée pleine de dignité.

 

 

1, 2, 3 bébés

1, 2, 3 bébés
Georgette
Amaterra, 2020

Jouons et comptons avec les bébés

Anne-Marie Mercier

Ce petit album cartonné propose un dispositif tout simple et efficace : chaque double page montre un animal et donne une même phrase avec des variations : dans le ventre de « Y « (l’éléphante, l’ourse, la lapine….) il y a « X » bébés.
Un rabat cache, dans le ventre de cet animal, un, deux, trois, quatre… jusqu’à 9 bébés ; la dixième double page est une surprise. Ces animaux tout ronds et souriants sont attachants, et leurs petits, représentés comme des adultes miniatures, ne respectent pas la distanciation et c’est joyeux.

Mercredi

Mercredi
Anne Bertier
MeMo (2010), 2018

Du jeu, de la géométrie, de la créativité : MeMo dans les pas du Père Castor

Par Anne-Marie Mercier

Bel hommage à Nathalie Parain, cet album carré, au format original (que l’on ne peut qualifier ni de petit ni de grand : que dire donc, sinon qu’il est parfait ?), propose les jeux de deux personnages : Petit Rond et Grand Carré. On l’aura compris, ce sont des formes géométriques, l’une est bleue et l’autre orange, couleurs complémentaires – mais rien à voir avec l’album Petit Bleu et Petit Jaune de Léo Lionni qui travaillait sur la couleur. Ici, seule la forme compte et elle est travaillée à merveille.
Il faudrait ajouter à la forme les mots, car c’est aussi un imagier associant mots et choses, formes graphiques et décodage de celles-ci : « Il leur suffit de prononcer un mot et ils se transforment aussitôt ». Grand Carré (il mène le jeu) lance le thème ; Petit Rond l’imite, d’abord en essayant de reproduire la même forme (un papillon avec deux triangles pour l’un, deux demi-cercles pour l’autre), une fleur, un champignon… On en aura une idée plus précise en feuilletant sur le site de l’éditeur.
Mais le jeu a des limites et on ne peut pas tout faire quand on est petit. Après une brouille, les deux amis coopèrent harmonieusement et longuement, preuve que le jeu en collaboration est plus intéressant que le jeu en compétition : ils forment ensemble un « i », un bonbon, un clown… et ce temps de jeu se termine bien évidemment par un goûter. Voilà une belle façon d’occuper les mercredis.

On retrouve ici les principes qui animaient Nathalie Parain et l’équipe des débuts du Père Castor : proposer de beaux albums, à la lisibilité travaillée (la typographie et la mise en page de l’album vont dans ce sens), qui sollicitent l’imagination et développent la créativité de l’enfant. Mercredi est une invitation à poursuivre en jouant au tangram, ou en créant de nouvelles formes, comme les tout premiers albums du Père Castor signés par Nathalie Parain, Je fais mes masques (Paris : Flammarion (Albums du Père Castor), 1931 / Mes masques, 2004 ; 2006) et surtout Je découpe (Paris : Flammarion (Albums du Père Castor), 1931 ; Nantes : MeMo, 2012).
Avec le même principe de collages, Anne Bertier a travaillé également sur les opérations arithmétiques, dans  la série « Signes jeux » de MeMo, pour « donner un sens graphique aux opérations de l’arithmétique élémentaire. Elle traite ainsi l’addition et la soustraction, mais également multiplication, division et égalité » (Je divise, Je multiplie, Je soustrais, C’est égal).
Saluons encore une fois le magnifique travail des éditions MeMo qui font reparaitre des classiques (ceux du père Castor, les albums de Sendak, etc.) et parfois les traduisent, ouvrant l’accès des français une histoire plus large de la littérature de jeunesse, et qui proposent également des albums contemporains inspirés de ceux-ci.
Les éditions MeMo ont également publié des monographies sur de grands artistes de ce domaine, comme Nathalie Parain, Paul Cox, ou Elisabeth Ivanovsky.

Une Sieste à l’ombre

Une Sieste à l’ombre
Françoise Legendre, Julia Spiers
Seuil jeunesse, 2019

Voyage autour de mon édredon

Par Anne-Marie Mercier

Plus que ce qui surplombe la sieste, l’ombre, c’est ce qui l’accueille qui est ici mis en valeur et exploré ; l’enfant dort sur une couverture, jaune d’un côté, mouchetée de rouge de l’autre, et celle-ci se transforme au fil de la rêverie ou du rêve: tipi, donjon, désert, montgolfière… d’un côté comme de l’autre, la couverture se métamorphose et emmène l’enfant en voyage : dans les airs, sous l’eau, en imaginaire…
Chaque image, reprenant le même carré sage bordé de blanc, montre les plis de l’étoffe et ce qu’elle construit. On peut jouer à chercher les éléments qui reviennent : un ballon, des sandales, un chaton, une peluche…
Carré, cartonné, aux coins arrondis, facile à prendre en main, cet album aux aquarelles  délicates donnerait presque envie de faire la sieste, pour vivre ces aventures – à l’ombre ou pas.
feuilleter
Rappelons sur le même thème de la couverture qui contient tout un monde, le joli Édredon d’Ann Jonas (l’école des loisirs, 1997, disponible dans les bonnes bibliothèques, et qui mériterait d’être réédité).

Trois petits animaux

Trois petits animaux
Margaret Wise Brown, Garth Williams
MeMo, 2019 (1956)

 

Trois oursons s’aimaient d’amour tendre…

Par Anne-Marie Mercier

« Il était une fois trois petits animaux dans leur fourrure d’animaux ils vivaient dans une petite maison d’animaux ».
L’image du bonheur simple de ces petits êtres (qui à l’image sont des oursons) est à peine installée que celui-ci est troublé par l’envie de l’un d’eux d’aller voir « le monde des gens ». Il s’habille (chapeau melon etc.) et il part. Il est vite suivi par un deuxième qui s’habille (petite robe et chapeau à brides, etc.) et part. Le troisième part à son tour, à leur recherche, habillé avec ce qu’il a pu trouver : un pot de fleur comme chapeau, des buches creuses comme chaussures, des feuilles comme manteau. L’album montre les tribulations de ce petit animal inquiet, perdu dans une foule qui ne le voit pas. La fin montre les retrouvailles et le retour à la vie sans habits, à la maison, au sommeil partagé, « car c’était de petits animaux ».

Le charme indéfinissable de cette histoire tient peut-être à sa simplicité (son thème est aussi celui de la fable des « deux pigeons » : « L’un d’eux s’ennuyant au logis / Fut assez fou pour entreprendre / Un voyage en lointain pays »), au lexique restreint, à l’évocation d’un bonheur simple fait de petites choses et de sensations douces, opposés à l’inquiétude et à la dureté du dehors. Elle tient aussi aux illustrations, merveilleuses de douceur et de naïveté, à l’image de ces petits animaux crayonnés avec amour.

 

La Promenade de Petit Bonhomme

La Promenade de Petit Bonhomme
Lucie Felix
(Les Grandes Personnes)

Livre vivre

Par Anne-Marie Mercier

Lietje a rendu compte des merveilleux Coucou et Hariki il y a peu. Leur auteure, Lucie Felix, proposait en 2015 un autre album (que nous avions recensé au moment de sa sortie mais qui mérite ici d’être mis en perspective avec les titres récents) dans lequel l’adulte qui lit ou l’enfant qui l’écoute (ou qui reprend le livre seul), sont actifs, parcourent le livre par le toucher et se promènent autant dans l’espace de la page que dans l’espace du récit.

Ce grand album cartonné propose un espace sobre, réduit à une bande colorée comportant parfois des aspérités et surmontée d’un grand espace blanc qui commence dès la page de couverture. L’espace – et donc la promenade – se complexifie peu à peu : du plat on passe à des reliefs, à un précipice qu’il faut franchir, à un toboggan… on rencontre des animaux, enfin on entre dans la maison : un goûter attend, mais avant il faut franchir les derniers obstacles…
Dans cet espace, pas de personnage inscrit : ce « petit bonhomme » est la main de celui qui raconte, suggérée en pointillés sur la première de couverture, puis absente de l’image : il s’agit de la placer et de l’animer soi-même. On va faire glisser le doigt sur le chemin bien lisse, le faire trébucher sur le caillou, sauter au-dessus du précipice.. et le replier en fin de parcours, tout tranquillement.
À chaque étape, la page doit être caressée pour faire ressentir ses reliefs. Les couleurs aquarellées sont superbes, évoquant tantôt des mousses, de l’eau, du bois, du marbre… Il est rare de voir autant de reliefs en tous genres sur une surface de papier apparemment plane,  et d’ouvrir un livre sans personnage apparent qui accueille autant de vie avec des moyens aussi simples.