Un petit bisou ?

Un Petit Bisou ?
Eoin McLaughlin, Polly Dunbar
Gallimard jeunesse, 2020

Qui veut jouer avec moi?

Par Anne-Marie Mercier

Ce tout petit album carré a l’originalité de se lire dans deux sens : dans l’un, on voit un hérisson qui a envie d’un bisou. Il implore en vain les animaux qu’il rencontre (renard, écureuil, pie…), jusqu’au milieu du livre où il trouve enfin celle qui pourra répondre à son attente : la tortue. Dans l’autre, on voit une tortue qui a envie d’un bisou et implore en vain les animaux qu’elle rencontre (lapin, grenouille, hibou…), jusqu’au milieu du livre où elle trouve enfin celui qui pourra répondre à son attente : le hérisson.
La tortue fait peur à cause de sa carapace, le hérisson à cause de ses piquants : l’un est complémentaire de l’autre. Voilà une belle histoire, drôle à travers les prétextes invoqués pour justifier les refus, très mignonne par ses dessins et pleine d’espoir – à condition de ne pas se décourager trop vite !

Amour amour après quoi chacun court

Amour amour après quoi chacun court
Mélusine Thiry, Julie Guillem
HongFei, 2021

Il court, il court (le furet?)…

Par Anne-Marie Mercier

Le soleil se lève dans une chambre d’enfant, une petite fille accueille le jour tandis qu’un ours en peluche est sagement assis. De page en page, le jour grandit, jusqu’à la nuit, montrant différents animaux qui se précipitent (de la gauche vers la droite) vers l’être aimé, tandis que le texte, conçu de page en page sur le même modèle (lieu ou temps + nom de l’animal + verbe de mouvement + « vers qui le » + verbe) évoque successivement un décor (par-dessus les collines, de branche en branche, entre les buis, le soir venu), le nom de l’animal (oiseau, sanglier, licorne –eh oui, elles sont partout–, belette…) et le geste d’amour vers lequel ils volent : être caliné, cajolé, dorloté, embrassé, apaisé, chéri, enchanté.
Voilà de bien belles déclinaisons de l’amour, jusqu’au geste de bercer qu’attend l’ourson de la première page, que l’on retrouve ici à la fin, dans un dispositif en miroir, sur la dernière page où un père lit cette histoire à une petite fille.
Les illustrations sont délicates et douces, allant des tons pastel du ciel aux couleurs franches des végétaux. Le caractère répétitif de l’histoire est contrebalancé par la variété des dispositifs sur la double page : le texte, placé dans une bulle, est tantôt seul sur la page de gauche, tantôt inscrit ici ou là dans la double page, la bulle de la licorne est transparente… il y a de multiples détails aussi bien dans le texte que dans les images pour accompagner une histoire tendre pour le soir.

Feuilleter sur le site de HongFei (You tube).
Mélusine Thiry est vidéaste (voir son atelier). Julie Guilhem a un style très reconnaissable, raffiné, alliant tradition de l’illustration et innovation, sobriété et art de la couleur.

Collection Mon petit livre sonore

Collection Mon petit livre sonore
Didier jeunesse

Jouer, écouter, feuilleter

Par Anne-Marie Mercier

Berceuses pour mon petit amour
Berceuses pour mon petit chat
Lucia Calfapietra (ill.)
Didier jeunesse, 2020

Je découvre les Comédies musicales
Je découvre le Jazz
Liuna Virardi (ill.)
Didier jeunesse, 2019

 

La collection « Mon petit livre sonore » de Didier jeunesse compte déjà près de trente titres, ouvrant les enfants à des univers sonores variés. Berceuses en différentes langues, comptines, bruitages, œuvres de musique classique (Chopin, Mozart, Beeethoven, des extraits de Casse-Noisette…), sont donnés sous formes de mini anthologies cartonnées, chaque double page proposant un bref échantillon sonore.
Toutes ces « vignettes » musicales sont déclenchées en appuyant sur une pastille argentée placée dans l’illustration, facilement repérable et ne demandant pas de dextérité ou de force particulière, donc dans un dispositif tout à fait adapté aux enfants.
On trouve sur le site de l’éditeur des échantillons de musiques et images : Berceuses pour mon petit amour et Berceuses pour mon petit chat proposent des titres bien connus (Dodo m’amour, Schlaf Kinden Schlaf, Frère Jacques, Anicouni, Go to sleep my baby, Dodo, Do l’enfant do, la minèt, C’est la cocotte blanche, Toutouig, Arroro mi nene…) et sont illustrés avec beaucoup de douceur et des motifs animaliers par Lucia  Calfapietra.

Quand ce n’est pas le moment d’aller dormir et d’écouter des berceuses dans toutes les langues, on trouve dans cette collection des livres sonores autour de styles musicaux plus toniques et a priori destinés aux adultes. Le volume consacré au Jazz permet d’entendre les voix d’Ella Fitzgerald, de Frank Sinatra, de Fats Waller, et les ensembles des Delta Rythm Boys et de Slim et Slam ; beaucoup de voix d’hommes, des airs aux rythmes rapides (le « cheek to cheek » de Sinatra faisant un peu exception). On a davantage de voix féminines dans les airs des Comédies musicales, la seule exception étant celle de Gene Kelly dans Chantons sous la pluie. Celle de Julie Andrews illustre des airs célèbres, le « Do ré mi » de La Mélodie du bonheur, « I could have danced all Night » de My Fair Lady, et on entend celle de Julie Garland dans « Over the Rainbow » du Magicien d’Oz. Les couleurs sont éclatantes et les illustrations bien reliées aux thèmes des chansons et à leur esprit. Les airs sont tous chantés en anglais; c’est aussi le cas dans le volume sur le Jazz.
Tout cela pétille et donne envie de réentendre ces airs fameux et de les entonner soi-même : chacun peut ainsi participer à sa manière, en contemplant et écoutant, feuilletant, déclenchant les airs, chantant….

 

 

 

Ni l’un ni l’autre

Ni l’un ni l’autre
Anne Herbauts

Casterman, 2020

… Et tout à la fois

Par Anne-Marie Mercier

Sous une apparente simplicité, avec beaucoup d’humour et de tendresse, Anne Herbauts offre un regard juste sur l’enfance, les discours qu’on lui adresse et les modèles qu’on lui présente.
Chaque double page est à la fois semblable et différente : le texte décline des caractéristiques associées au père et à la mère (« mon père est drôle, ma mère est grande », par exemple, ou « mon père est pressé, ma mère est partout », « mon père est précis, ma mère est solaire ») et la réponse de l’enfant, invariablement, « Moi, je ne suis ni l’un ni l’autre. Je suis moi ».
Si les adultes n’apparaissent que par fragments (un pied, un bout de robe, une main…) et par leur discours, l’enfant est représenté sous une forme animale qui correspond à l’image proposée par le discours des parents – toujours à l’impératif – : « Habille-toi, petit chat ! », « reste tranquille, moustique ! », « Mange bien -, mon poussin ! », etc.
Ainsi, de page en page, l’air de rien, et sous des habits de fantaisie, on retrouve  le rythme de la journée d’un tout petit (le bonjour, l’habillage, le repas ; ranger les jouets, sortir puis rentrer), les figures parentales, très différentes, parfois opposées, les chocs de couleurs, le règne de la métaphore et enfin le désir d’indépendance d’un enfant qui s’affirme face à un discours qui le morcelle et le cadre, et lui impose des modèles qui ont l’inconvénient (ou l’avantage) d’être multiples.
Les images sont à la fois dynamiques et solitaires, chaque page déclinant des vignettes colorées, le plus souvent sur fond blanc, aquarelles saturées, papiers collés ou tissus. La dominante colorée de chacune est différente, tons de jaune, de bleu, de rouge… toute une gamme.

 

Collection « Les petits chaussons »

Mon petit lapin
Julia Chausson
Rue du monde, 2021

Ah ! les crocodiles
Julia Chausson
Rue du monde, 2014

Collection « Les petits chaussons »

Par Anne-Marie Mercier

La Collection « Les petits chaussons », dont le nom fait référence au nom de la créatrice, Julia Chausson, est doublement bien nommée : chaque volume est comme une petite pantoufle dans laquelle on se glisse pour se sentir bien, au chaud, en sécurité, bercé par des comptines bien connues, chantées ou dites, qui pourront se déployer au rythme de ses pages. Le petit format carré aux bords arrondis, les pages cartonnées, les couleurs réduites (deux par volume, auxquelles s’ajoute du blanc), les formes simples, ont un caractère rassurant.

Mais c’est aussi au-delà de cette simplicité, du grand art : le choix des couleurs la mise en page, la découpe des épisodes, la typographie, tout est parfait et chaque volume épouse la forme de la chanson : Les Crocodiles décline d’une page à l’autre ses scansions (Ah !/  Les Crocroscros/ les cros/ cros cros/ les crocodiles…) tandis que l’image sectionne l’animal et le décor. Le lapin de la comptine dans laquelle on répète « cherchez-moi coucou coucou » se cache à chaque page.
Dans la même collection, on trouve d’autres grands classiques comme « J’aime la galette », « Je fais le tour de ma maison », « Une souris verte », « Un deux trois nous irons au bois », etc.

Ferme

Ferme
Lisa Jones et Edward Underwood
Flammarion, Père Castor, 2020

La ferme en poussette

Par Anne-Marie Mercier

Il est intéressant de voir ce que cela donne quand un éditeur de « vrais » livres tel que le Père Castor de Flammarion se lance dans le livre en tissu (ou livre de poussette puisqu’il est conçu pour pouvoir y être accroché).
Le résultat est intéressant. Tout d’abord, même si l’objet est livré dans une boite, il imite un vrai livre, avec une tranche sur laquelle se lit le titre (appelant à la collection sur l’étagère ? Il y a trois autres titres des mêmes auteurs). À l’intérieur, on trouve presque une histoire avec les saluts du « héros » (le bébé Hector) à la première page et à la dernière. Au milieu, même si c’est énoncé en phrases complètes et simples, c’est un parcours plus proche des livres traditionnels pour bébés, avec des portraits successifs : le tracteur, la poule et ses poussins, la vache, le mouton, les cochons, le coq, chacun avec son cri.
Couleurs vives, formes simples, et en bonus des pages matelassées, plus une qui crépite.
Les époux Jones-Underwood collaborent dans un travail de création de cartes de voeux et objets décoratifs dans le cadre du Lisa Jones Studio.

 

Rosie

Rosie
Gaëtan Dorémus
Rouergue, 2020

Où est ma maman ?

Par Anne-Marie Mercier

L’argument de ce très bel album pourrait sembler mince, puisqu’il tient à un fil : celui qu’une petite araignée cherche désespérément.
En fait il est lourd de sens, puisqu’au bout de ce fil, à la fin de l’album, on découvre la mère de Rosie qui s’exclame à l’avant dernière double page « Ma fille ! », en écho aux « où est mon fil ? » répétés de page en page par Rosie.  Ce jeu sur les mots rend la métaphore de la fil-iation bien claire pour tous et rattache cet album à tous ceux, bien connus, où l’on voit un petit chercher sa maman (et parfois son père), avec de l’originalité en plus : un insecte, et encore plus une araignée comme héroïne, ce n’est pas courant. Les arachnophobes n’ont rien à craindre d’ailleurs : Rosie est très mignonne ; c’est une petite boule rose aux grands yeux étonnés (où perle, à la fin, une larme) et aux pattes en bâtonnets qui la font ressembler à une boule hérissée d’épingles.
L’autre mérite de cet album tient à la dynamique des pages qui font rebondir la lecture de l’une à l’autre : en suivant un fil, un geste (l’épisode avec les moustaches du chat est superbe), une plante, on suit les aventures de Rosie, tantôt jubilatoires, tantôt effrayantes. Pour ajouter à ce continuum, chaque décor placé à droite des doubles pages pourrait se coller à celui qui s’inscrit à gauche dans la page suivante pour former un leporello continu. Les paysages étranges, tantôt tracés délicatement sur fond blanc, tantôt envahissant tout l’espace comme la forêt de champignons, les créatures géantes rencontrées (à l’échelle d’une toute petite araignée), tout cela propose un beau voyage en images et une histoire captivante et… attachante.

C’est le troisième album de G. Dorémus proposé aux tout-petits, après les jolis Quatre pattes et Tout doux, tous aux éditions du Rouergue.

 

Et Hop ! et La Course

Et Hop !
Malika Doray
L’école des loisirs (Loulou et Cie), 2020

La Course
Malika Doray
L’école des loisirs (Loulou et Cie), 2020

Menues histoires pour les petits

Anne-Marie Mercier

Voilà deux nouveaux Malika Doray, avec ses drôles de bestioles colorées, heureusement identifiées par leurs noms (renard, lapin, chauve-souris font une joyeuse farandole). Ce sont deux menues histoires (ou non-histoires?) rythmées par des vers de mirliton dans des albums cartonnés aux bords arrondis, parfaits pour les tout petits.

Pas d’histoire, aucun évènement marquant, mais une question brûlante dans Et Hop ! : que faire d’un enfant qui crie en attendant son repas ? Le père crocodile le confie à une fourmi, qui l’envoie à un renard, etc. Comme les animaux n’ont rien à lui donner à manger ses cris se poursuivent jusqu’à ce qu’il revienne à son point de départ : les bras de son papa et le lait qu’il attendait. Toutes ces étapes sont marquées d’un « hop ! » qui lance le rebond et qui rythme le plaisir de la répétition, chaque étape introduisant un nouvel animal coloré et croqué de manière très stylisée.

La course prend son départ sans que l’on sache vers où (à l’arrivée on verra que c’est l’école) : chaque petit animal (sauf ceux qui sont trop petits pour aller à l’école) part, à pied, à dos de papa, en avion… et en emportant qui son doudou, qui son tee-shirt préféré, etc.
Le trajet vers l’école devient un jeu, un parcours de petits obstacles drôles, jusqu’à l’arrivée. Et la maitresse et l’Atsem, elles courent ? non, elles font une belle arrivée pleine de dignité.

 

 

1, 2, 3 bébés

1, 2, 3 bébés
Georgette
Amaterra, 2020

Jouons et comptons avec les bébés

Anne-Marie Mercier

Ce petit album cartonné propose un dispositif tout simple et efficace : chaque double page montre un animal et donne une même phrase avec des variations : dans le ventre de « Y « (l’éléphante, l’ourse, la lapine….) il y a « X » bébés.
Un rabat cache, dans le ventre de cet animal, un, deux, trois, quatre… jusqu’à 9 bébés ; la dixième double page est une surprise. Ces animaux tout ronds et souriants sont attachants, et leurs petits, représentés comme des adultes miniatures, ne respectent pas la distanciation et c’est joyeux.

Mercredi

Mercredi
Anne Bertier
MeMo (2010), 2018

Du jeu, de la géométrie, de la créativité : MeMo dans les pas du Père Castor

Par Anne-Marie Mercier

Bel hommage à Nathalie Parain, cet album carré, au format original (que l’on ne peut qualifier ni de petit ni de grand : que dire donc, sinon qu’il est parfait ?), propose les jeux de deux personnages : Petit Rond et Grand Carré. On l’aura compris, ce sont des formes géométriques, l’une est bleue et l’autre orange, couleurs complémentaires – mais rien à voir avec l’album Petit Bleu et Petit Jaune de Léo Lionni qui travaillait sur la couleur. Ici, seule la forme compte et elle est travaillée à merveille.
Il faudrait ajouter à la forme les mots, car c’est aussi un imagier associant mots et choses, formes graphiques et décodage de celles-ci : « Il leur suffit de prononcer un mot et ils se transforment aussitôt ». Grand Carré (il mène le jeu) lance le thème ; Petit Rond l’imite, d’abord en essayant de reproduire la même forme (un papillon avec deux triangles pour l’un, deux demi-cercles pour l’autre), une fleur, un champignon… On en aura une idée plus précise en feuilletant sur le site de l’éditeur.
Mais le jeu a des limites et on ne peut pas tout faire quand on est petit. Après une brouille, les deux amis coopèrent harmonieusement et longuement, preuve que le jeu en collaboration est plus intéressant que le jeu en compétition : ils forment ensemble un « i », un bonbon, un clown… et ce temps de jeu se termine bien évidemment par un goûter. Voilà une belle façon d’occuper les mercredis.

On retrouve ici les principes qui animaient Nathalie Parain et l’équipe des débuts du Père Castor : proposer de beaux albums, à la lisibilité travaillée (la typographie et la mise en page de l’album vont dans ce sens), qui sollicitent l’imagination et développent la créativité de l’enfant. Mercredi est une invitation à poursuivre en jouant au tangram, ou en créant de nouvelles formes, comme les tout premiers albums du Père Castor signés par Nathalie Parain, Je fais mes masques (Paris : Flammarion (Albums du Père Castor), 1931 / Mes masques, 2004 ; 2006) et surtout Je découpe (Paris : Flammarion (Albums du Père Castor), 1931 ; Nantes : MeMo, 2012).
Avec le même principe de collages, Anne Bertier a travaillé également sur les opérations arithmétiques, dans  la série « Signes jeux » de MeMo, pour « donner un sens graphique aux opérations de l’arithmétique élémentaire. Elle traite ainsi l’addition et la soustraction, mais également multiplication, division et égalité » (Je divise, Je multiplie, Je soustrais, C’est égal).
Saluons encore une fois le magnifique travail des éditions MeMo qui font reparaitre des classiques (ceux du père Castor, les albums de Sendak, etc.) et parfois les traduisent, ouvrant l’accès des français une histoire plus large de la littérature de jeunesse, et qui proposent également des albums contemporains inspirés de ceux-ci.
Les éditions MeMo ont également publié des monographies sur de grands artistes de ce domaine, comme Nathalie Parain, Paul Cox, ou Elisabeth Ivanovsky.