Le Doudou des bois

Le Doudou des bois
Angélique Villeneuve – Amélie Vidélo
Sarbacane – 1ère édition 2016

Le doudou perdu

Par Michel Driol

Une forêt, dans les somptueuses couleurs de l’automne, où Georgette se promène avec son doudou lapin gris… doudou qu’elle installe au milieu des feuilles et qu’elle oublie. Le lendemain, elle repart chercher son doudou. Ne le retrouvant pas, elle décide de la remplacer…par quoi ? une feuille ? une châtaigne ?une flaque ? non, par un petit loup gris.

On est d’abord frappé par le chatoiement des couleurs de l’album : c’est un automne lumineux, où la nature explose dans des teintes chaudes, dans une profusion de feuillages, de plantes, mais aussi d’animaux plus ou moins cachés. Gouaches, papiers découpés occupent la totalité de l’espace de la page : on est vraiment au cœur de la nature, de la forêt, au point que la chambre elle-même de Georgette est comme située à l’intérieur d’un terrier, ou d’un tronc d’arbre.

Ces illustrations accompagnent un texte qui fait appel aux différents sens : la vue, avec l’évocation des couleurs, les odeurs si particulières de l’automne et de l’enfance, le toucher, avec ce qui est doux, piquant…  Revient de façon régulière le « ça », un pronom pour désigner la nature, mais aussi les choses et les animaux. Ça sentait, ça n’était pas assez doux… et à la fin, au lecteur de deviner quel est ce « ça » que Georgette a ramené chez elle… avant qu’il ne soit nommé. Ce jeu des pronoms, entre le « elle » de Georgette et le « ça » de la nature met en texte la confrontation  / fusion entre le personnage et son environnement,  au point d’oublier le « il » du doudou lapin.

Mais cela parle aussi, avec émotion, de perte, perte d’un doudou et de résilience. Georgette ne pleure pas sans fin son doudou, elle cherche assez vite à le remplacer. C’est bien de séparation et de réparation qu’il est question ici, dans cette quête d’une odeur complexe, odeur de dodo, mais aussi odeur de dehors. Il est important que tout soit ici senti au travers d’une odeur qui importe plus que l’objet recherché. Le loup gris représente à lui seul la synthèse de deux aspirations, celle du dedans, de la maison, du lit, et celle du dehors, de la nature. Comme l’union entre microcosme et macrocosme, intérieur et extérieur.  Un mot enfin sur Georgette, petite fille si indépendante et décidée qu’on la voit toujours seule, sans ses parents, en toutes circonstances.

Une histoire à laquelle de nombreux enfants s’identifieront – qui n’a jamais perdu son doudou ? qui refuse qu’on le lave pour qu’il ne perde pas son odeur ? et qui fera rêver, sourire, imaginer en nous faisant passer du doudou au loulou…

A hauteur d’enfant

A hauteur d’enfant
Lisette Lombé et 10eme ARTE
CotCotCot éditions 2023

A la recherche des sensations perdues

Par Michel Driol

Quand ce qui est perçu, désiré, attendu à hauteur d’enfant… est mis en perspective par l’adulte, on a ce beau recueil qui vaut autant par le travail poétique de l’écriture que par l’univers graphique.

Dans une grande rigueur scripturale, on a d’abord, imprimée en minuscules, l’évocation des choses que voit, sent, touche… un enfant, immédiatement suivie par l’interrogation – en majuscule – de l’adulte : Que vois-tu… que goutes-tu… que je ne vois plus, ne savoures plus. Après les sens, reprenant le même dispositif, le texte s’ouvre sur deux verbes, qu’aimes-tu… qu’espères-tu…

A hauteur d’enfant, c’est d’abord la reconstitution de la perception du monde par les enfants. Des petits riens, vus, sentis, perçus. Cela va de l’infinie variété des clinches de portes aux orties qui piquent les avant-bras en passant par le fond du plat les jours de crêpes. Mais cet univers enfantin recréé n’est pas qu’un univers stéréotypé et figé dans une sorte de nostalgie d’un paradis perdu. Il évoque aussi la mémé qui resquille en douce à la caisse, le lit du sans-abri en carton ondulé ou encore les reproches quotidiens au sein du couple. Ce sont des éléments, des situations bien concrètes qui sont ainsi rappelés, dans une langue qui a une grande force d’évocation dans sa concision. En contrepoint suivent les questions de l’adulte, questions adressées à l’enfant qu’il n’est plus, questions qui évoquent le passage à l’âge adulte comme une perte marquée par les négations : ce que je ne sens plus, ce que je ne vois plus… Qu’est ce qui sépare le monde de l’enfance de celui des adultes ? Comment passe-t-on de l’attention portée à chaque chose à une série de préoccupations autocentrées? Comment passe-t-on du désintéressement au désintérêt ? Mais cette coupure est-elle aussi radicale ? Certes non, et tel  est bien le sens de la fin du texte qui interroge les espérances de l’enfant encore présentes chez l’adulte. A hauteur d’enfant propose ainsi un doux dialogue entre les générations, entre le moi de l’enfance et le moi de l’adulte, entre le passé et le présent. Il interroge avec subtilité sur les ruptures et les continuités, les intermittences du cœur. A hauteur d’enfant questionne aussi sur le sens de la vie, sur le bonheur, sur la recherche de la vérité.

Tout ceci est illustré avec beaucoup de délicatesse dans des camaïeux de bleu. Illustrations dont le point de vue fait alterner ce qui est vu à hauteur d’enfant, depuis le sol, et ce qui est vu à hauteur d’adulte, d’en haut. Mais ces illustrations dessinent aussi un parcours de l’intérieur à l’extérieur, du bleu à l’explosion de couleurs, de la terre au ciel. Sur la couverture, puis plus loin dans l’illustration, des escargots qui se hâtent lentement vers la droite, vers le futur, escargots qui font même la course avec des numéros sur leurs coquilles. Façon de montrer que grandir, cette ultime espérance enfantine, prend du temps. Avec aussi beaucoup d’ingéniosité, des découpes font percevoir une page sous l’autre, comme pour établir le passage entre l’enfance et l’âge adulte, entre le dedans et le dehors, entre la représentation et le représenté.

Quelques mots sur les autrices. Lisette Lombé, slameuse, écrivaine, enseignante, militante belge se lance pour la première fois dans le livre pour la jeunesse. Signalons que, tout comme en son temps Carl Norac, elle a le beau titre de Poétesse nationale pour 2024-2025.  Les illustratrices sont deux, fondatrices du collectif de street art 10eme ARTE, Elisa Sartori et Almudena Pano.  Si Elisa Sartori s’est déjà fait un nom dans l’édition jeunesse, Almuneda Pano y débute.

Album jeunesse, livre d’artiste, une fois de plus, on le voit, la frontière est tenue…

Presque perdu

Presque perdu
Hervé Giraud – Illustrations d’Aurélie Castex
Seuil Jeunesse 2023

Sur la plage abandonnés

Par Michel Driol

Emile, le narrateur, est en vacances au bord de la mer avec ses parents, oncles, tantes, amis… Bref, cela fait un si grand nombre d’enfants que le lecteur s’y perd, et Emile aussi, qui souligne que ce n’est pas grave. Tant d’enfants que lorsque Tintin, un sympathique grand-père, en ramène un de plus à la maison, cela de choque personne, jusqu’à ce qu’une alerte enlèvement conduise quelques adultes au commissariat. De quoi gâcher un peu l’ambiance. Mais lorsque c’est Emile qui, un jour de pluie, est « oublié » en forêt, et que c’est la famille de l’enfant « enlevé » qui le retrouve, on se doute bien que tout finira bien !

Voilà un petit roman allègre, qui dit le monde à travers le regard d’un enfant qui va entrer au CM1. Ses joies, ses inquiétudes, son plaisir de vivre simplement au milieu de cette tribu un peu bohème, où tout est fait pour qu’on passe les plus merveilleuses vacances qui soient, sans souci, sans nuage d’aucune sorte. Pour autant, avec légèreté, le roman parle de la perte. Et c’est fou le nombre de choses qu’on peut perdre en quelques pages ! Perte d’enfants, oubliés, renvoyant à une espèce d’inconscience des parents, jamais dite, pourtant présente. Perte de la dent de lait d’Emile, à la plage, vraiment perdue au milieu du sable. Perte enfin de la femme de Tintin, le terme de perte euphémisant celui de mort, et conduisant Emile à quelques difficultés de compréhension jusqu’à la scène finale. Avec tendresse et poésie, le récit enchaine des scènes le plus souvent cocasses, car vues et racontées par Emile. Entre routines ordinaires et évènements extraordinaires, scènes de comédie et drames, c’est avec candeur qu’il fait la chronique de cet été, d’où il sortira grandi en ayant compris une certaine complexité du monde et des sentiments, fort bien énoncée dans la dernière phrase. Et c’est sûrement ça qui le (= Tintin) rend triste : c’est d’être heureux. L’écriture, pleine d’humour et de vivacité, nous fait entrer de plain-pied dans la tête d’Emile, éprouver sa naïveté, son bon sens enfantin et ses interrogations pour notre plus grand plaisir.

Comme tous les ouvrages de la collection Le Grand Bain, les illustrations sont importantes. D’abord la jaquette du livre, qui se déplie comme une affiche et qui montre le héros transi et grelottant sous la pluie, au milieu d’une forêt menaçante. Ce sont ensuite des illustrations pleines de mouvement, de vie et d’expressivité qui montrent bien ce monde à hauteur d’enfant.

Parler de la perte avec humour, voilà le tour de force que réalise ce roman-chronique de vacances (presque) comme les autres, qui fait alterner le rire et les larmes ! Réjouissant à tout point de vue !

Le Marron d’Anatole

Le Marron d’Anatole
Céline Person, Sophie Bouxom
Amaterra, 2022

De l’âme des objets

Par Anne-Marie Mercier

Il est bien mignon, le timide Anatole, avec son air doux et son petit nez. Il a un ami secret qui lui porte chance : un marron tout rond, trouvé dans la cour de l’école. Mais un jour, le marron est perdu, le monde se fissure.
Les tentatives d’Anatole pour le retrouver sont tout aussi mignonnes : refaire le trajet (mais il y a plein de marrons dans la cour de l’école), mettre un avis de recherche…
La trouvaille de l’autrice est d’avoir proposé une fin heureuse qui ne prenne pas les enfants pour des idiots : non, le marron ne sera pas retrouvé, jamais. Mais il sera remplacé par un autre objet, accompagné d’une amitié.
Dessins stylisés et expressifs sur fond blanc, typographie simple, décor réduit à juste ce qu’il faut, tout est à sa bonne place pour cette petite histoire, facile en apparence mais qui touche aux questions de perte, d’acceptation, de changement de perspective : grandir, en somme.

Rosie

Rosie
Gaëtan Dorémus
Rouergue, 2020

Où est ma maman ?

Par Anne-Marie Mercier

L’argument de ce très bel album pourrait sembler mince, puisqu’il tient à un fil : celui qu’une petite araignée cherche désespérément.
En fait il est lourd de sens, puisqu’au bout de ce fil, à la fin de l’album, on découvre la mère de Rosie qui s’exclame à l’avant dernière double page « Ma fille ! », en écho aux « où est mon fil ? » répétés de page en page par Rosie.  Ce jeu sur les mots rend la métaphore de la fil-iation bien claire pour tous et rattache cet album à tous ceux, bien connus, où l’on voit un petit chercher sa maman (et parfois son père), avec de l’originalité en plus : un insecte, et encore plus une araignée comme héroïne, ce n’est pas courant. Les arachnophobes n’ont rien à craindre d’ailleurs : Rosie est très mignonne ; c’est une petite boule rose aux grands yeux étonnés (où perle, à la fin, une larme) et aux pattes en bâtonnets qui la font ressembler à une boule hérissée d’épingles.
L’autre mérite de cet album tient à la dynamique des pages qui font rebondir la lecture de l’une à l’autre : en suivant un fil, un geste (l’épisode avec les moustaches du chat est superbe), une plante, on suit les aventures de Rosie, tantôt jubilatoires, tantôt effrayantes. Pour ajouter à ce continuum, chaque décor placé à droite des doubles pages pourrait se coller à celui qui s’inscrit à gauche dans la page suivante pour former un leporello continu. Les paysages étranges, tantôt tracés délicatement sur fond blanc, tantôt envahissant tout l’espace comme la forêt de champignons, les créatures géantes rencontrées (à l’échelle d’une toute petite araignée), tout cela propose un beau voyage en images et une histoire captivante et… attachante.

C’est le troisième album de G. Dorémus proposé aux tout-petits, après les jolis Quatre pattes et Tout doux, tous aux éditions du Rouergue.

 

Le bureau des objets perdus

 Le bureau des objets
Catherine Grive
Rouergue, doado,  2015

 

   Tout perdre et se retrouver

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

CVT_Le-bureau-des-objets-perdus_4758 image La narratrice de ce très court roman perd tout, ses affaires, celles des autres. Elle vient aussi de perdre son amoureux, et ses parents sont si distraits qu’ils ne la voient pas. Son père chercheur a des ennuis au labo, sa mère généalogiste est sur une piste, sa bande de copains rigolarde ne lui est pas d’un grand secours. Reste son petit frère affectueux, sa meilleure amie amie Raph.  Elle a donc perdu l’objet auquel elle tient plus que tout, le blouson que son oncle Tozzi lui a offert pour son anniversaire, un blouson de baroudeur, d’aventurier. Tonton leur raconte toujours des histoires d’aventures et de rencontres merveilleuses. Elle a donc décidé pour une fois de chercher seule, sans ennuyer tous ses amis et sa famille. Elle va au bureau des objets perdus et on lui rend un blouson presque comme le sien, qu’elle prend, mais qui n’est pas le sien. Dans la doublure, elle trouve un nom donc une piste sur laquelle elle se lance. Et au bout de sa recherche de plusieurs jours, de révélations en révélations, elle le retrouvera mais aura surtout compris ce que signifie perdre, et que ce qu’on cherche est parfois tout près de nous, mais il faut savoir ouvrir les yeux.

Un roman d’éducation donc, agréable, et assez profond, quand on oublie un peu le langage « djeun » un peu convenu !