À l’aise, Blaise !

À l’aise, Blaise !
Claude Ponti
L’école des loisirs, 2024

Poussin explosif

Par Anne-Marie Mercier

Pour les fanatiques de Claude Ponti, et surtout les accros à Blaise, voilà un festival de prouesses du poussin masqué : faire pipi sous un parapluie sans que le pipi se mélange à la pluie, jongler avec les pieds avec des éclairs au chocolat, soulever des poids incroyables, voler plus vite que tout, se baigner dans une mare de chocolat, fêter de manière géante son anniversaire…
Mais aussi du Blaise pur Blaise derrière le sourire crispé de son masque : un Blaise narquois, dérangeant, narcissique, pas vraiment gentil… Un Blaise tonique, et qui ne laisse jamais l’Amer gagner (voir ma chronique du 1er juillet) :

« L’Amer, Blaise ne le laisse jamais faire.
Car l’Amer trouve toujours quelque chose de désagréable à dire : « Ça sent mauvais. C’est trop chaud à gauche. Il pleut alors qu’il devrait faire beau. […]  Je n’aime pas. Je n’ai pas envie. Je ne vois pas pourquoi je devrais aimer. De toute façon c’est nul ».

Blaise joue à tout, avec tout, se téléphone (« pour savoir s’il est là. Il est là »), joue à faire peur aux apeurés… Il invente des centaines de jeux incroyables. Il fait voler en éclat le réel pour mieux le reconstruire ensuite, mais différent.

 

Sarbacane fait du sport

Les Œufs z’olympiques
Ludivine Nouguès, Émilie Gleason
Sarbacane, 2024

Qui est le plus beau ?

Par Anne-Marie Mercier

Le jeu de mot du titre semble avoir généré l’histoire : les volatiles sont conviés à un concours dans lequel on désignera le plus bel œuf. Ils accourent pour proposer l’œuf le plus gros (l’autruche), le plus prometteur (le colibri), le plus couvert (le pingouin), etc., en passant par le kiwi, le flamant rose, la poule, le dodo, l’aigle royal… D’autres sont disqualifiés d’emblée, comme Marguerite la chocolatière, ou le coucou (parce qu’il n’est pas sympa mais aussi parce qu’il évoque une horloge – le texte et l’image ne disent ici pas la même chose). La fin en catastrophe qui voit tous les œufs éclore en même temps met fin à la compétition générale, même si pour chaque parent son petit reste définitivement le plus beau.
Les images, explosent elles-aussi de couleurs, de détails, d’idées et de formes grotesques. C’est jouissif, cumulatif, et cela met un peu de ridicule bien venu sur toute idée de compétition. On peut être tout simplement… différent, et pareil à la fois.

Il va y avoir du sport !
Philippe Nessmann, Laura Lion
Sarbacane, 2024

Qui est le plus fort?

Par Anne-Marie Mercier

Même si l’approche des jeux olympiques en crée sans doute l’occasion, ce grand album ne parle pas que des jeux, et en parle même assez peu directement, en dehors d’une double page consacrée à Olympie et l’olympisme. Cette page arrive à aborder de nombreux sujets et même à avoir un début de regard critique sur cet événement.

Les sports, tous les sports sont évoqués, y compris les plus bizarres, décrits dans une vignette récurrente intitulée « Le sport trop bizarre » : elle décrit successivement le pato, la soule, la boccia, le pancrace, le fierljeppen….
On y développe les valeurs du sport (dépassement de soi, esprit d’équipe…) comme ses aspects économiques. On y traite aussi bien d’autres questions très diverses comme celles des règles, de l’entrainement, des vêtements, du dopage, des dangers… Le regard est souvent historique, à travers une réflexion sur l’évolution des sports, de leurs règles et de la place du sport et des sportifs et sportives dans la société.
Les illustrations pleines de détail sont un régal d’humour et de stylisation. Elles sont aussi un support agréable à toutes sortes de courts textes intéressants présentés sur l’image dans des encadrés. L’un d’entre eux est consacré à des expressions ayant un rapport avec le sport (c’est ainsi qu’il faut comprendre le titre, expliqué à l’intérieur de la première page, aussi bien en contexte sportif que dans la vie quotidienne). On y trouve l’origine de « jeter l’éponge », « faire un sans faute », « avoir une longueur d’avance », etc.
C’est un joli parcours historique et sociologique qui n’oublie pas que le sport est d’abord un jeu, un plaisir et une aventure.

 

Nuit de chance

Nuit de chance
Sarah Cheveau
La Partie, 2023

Cent nuances de beige

Par Anne-Marie Mercier

Dès la couverture, la « couleur » est annoncée : fusain noir sur brouillards bistres, dégradés de bruns… et la première page nous fait entrer dans ce monde : « Un soir à la nuit tombée, je suis entrée dans la forêt. Et j’ai vu… »
Pages sans texte, présentant un décor de bois dans des tons de beige ou de fusain noir d’encre sur fond blanc, branches, futs… ou pages montrant un animal qui fuit, en plein mouvement, saisi sur fond blanc : un écureuil, un renard plus loin, une horde de cerfs, et enfin une rencontre, avec un sanglier. Attente, approche, magie pour finir avec le retour du texte : la chance d’un miracle.
La beauté de l’album n’est pas seulement dans son histoire, son rythme, ses traits épurés et ses couleurs aux cent nuances de beige, gris, noir mais aussi dans la révélation du secret de sa fabrication à la fin : la couleur a été posée avec des bâtons écorcés et brulés. Différentes essences ont donné différentes couleurs, presque cent, dont on a le nuancier à la fin avec les noms des arbres qui les ont fournis. Deux autres doubles pages sont consacrées aux feuilles des arbres, cette fois dessinées avec des fusains achetés, chacune avec son nom.

Ce bel album est une école de l’attention, attention à ce qu’il nous montre, à son rythme, à sa retenue, à l’émerveillement de la découverte, à la suspension du temps de la rencontre animale – un peu effrayante mais heureuse finalement. C’est aussi un éveil de l’attention à la diversité des arbres et à l’infinie variété des couleurs, des couleurs proches avec chacune leur vibration.

 

Dans les poches de l’astronaute, du plombier, de l’apiculteur et des autres métiers…

Dans les poches de l’astronaute, du plombier, de l’apiculteur et des autres métiers…
isabelle Simler
Éditions courtes et longues, 2023

C’est à qui ?

Par Anne-Marie Mercier

Après avoir exploré les poches des personnages de fiction, Isabelle Simler nous propose un jeu du même type : il s’agit d’observer une double page sur laquelle, sur fond blanc apparaissent plusieurs objets. Ils sont représentés de manière réaliste, juxtaposés sans ordre apparent. Parfois il est facile de deviner à qui ils appartiennent ; certains métiers sont familiers aux enfants : chirurgienne, instituteur, apicultrice, policière… (on voit que l’auteure a songé à féminiser de nombreux noms, même si quasi rien dans les images ne suggère le genre du ou de la professionnel/le). D’autres sont moins connus (roboticienne, agent immobilier, océanologue…) ou moins faciles à deviner : pour le luthier, des objets et outils étranges, pour le chef d’orchestre, juste une baguette.
Les traits crayonnés laissent parfois la place à des représentations proches de l’hyperréalisme. C’est joli comme un trompe l’œil de collection d’objets (le musée de Lille en a un bel exemple, de Boilly, de la fin du 19e s., un autre du 17e s., de Le Motte, se trouve dans dans celui de Saint-Omer.
Tout cela présente une grande et belle variété de couleurs et de formes ; et que de jolis mots inconnus à découvrir dans la liste des outils !

Le Creux de ma main

Le Creux de ma main
Laetitia Bourget, Alice Gravier
Sarbacane (Sarbabb), 2024

Expériences sensibles

Par Anne-Marie Mercier

Les éditions Sarbacane publient une collection pour les plus petit, nommée « Sarbabb ». Ses petits albums, carrés et cartonnés proposent aux tout petits des expériences sensibles à leur portée ou des histoires aux thèmes et aux rythmes adaptés.
« Dans le creux de ma main j’ai recueilli… » L’album énumère ce qu’un enfant peut saisir ou plutôt accueillir dans sa main : un flocon de neige, un oiseau blessé, un têtard, de l’eau, une luciole, un coquillage, de la farine…, toutes choses légères et délicates, jusqu’au bébé nouveau-né de la dernière page. Chaque chose apporte une connaissance : le temps qui passe, la croissance des plantes et des animaux, le savoir-faire de la pâtissière, le début d’une collection…
À chaque page de gauche, montrant sur fond blanc la fillette en action, correspond, à droite, l’animal enfui, le flocon fondu, la collection…, dans une image à fond perdu remplie de couleurs et de formes, jusqu’à la dernière double page qui présente une seule image, réunissant la fillette et le bébé. L’enfant qui tient ce livre est lui-même invité à se saisir de ces formes et de ces expériences.

Comment ratatiner les dinosaures ?

Comment ratatiner les dinosaures ?
Catherine Leblanc, Roland Garrigue
Gallimard jeunesse (l’heure des histoires), 2024

Qui a peur du méchant dinosaure?

Par Anne-Marie Mercier

Stégosaure, diplodocus, ptéranodon, vélociraptor à grandes griffes, tyrannosaure à grandes dents… tous ces animaux hantent l’imaginaire enfantin. Ils pourraient faire peur : comment se fait-il d’ailleurs qu’ils n’y ont pas remplacé le loup ? sans doute pas défaut de tradition et de chaperons rouges à l’horizon. Mais on ne sait jamais, certains enfants sont plus craintifs que d’autres ou ont des terreurs plus géantes, alors voici l’antidote : chaque dinosaure est ici représenté de façon à le rendre à la fois effrayant et ridicule. Ils sont gigantesques, ils ont de grandes dents, de grandes griffes, des cornes, des pois, des rayures, de gros sourcils, bref de quoi faire peur, mais…
Le texte, en vers de mirliton, ne se prend pas au sérieux et ajoute de la cocasserie aux images. Chaque double page montre un spécimen « ratatiné » par un ou deux mini personnages, avec des méthodes radicale et douces à la fois : on peut neutraliser ces grosses bêtes avec des mots, des contraventions, des virelangues (« les chaussettes de l’archiduchesse »), avec des chiffres (indigestion d’opérations), en leur tordant le cou, en les faisant glisser sur des billes… un jeu d’enfant, donc ! Les pages sans texte, au début et à la fin, ne sont pas les moins appréciées des jeunes auditeurs-spectateurs.
C’est une réédition en format poche et souple d’un album paru chez Glénat en 2009 (avec toute une série de « comment ratatiner les »… dragons,  pirates, etc.) et devenu un livre CD en 2019.

Vacances d’hiver

Vacances d’hiver
Mori
HongFei, 2024

La France en vitrine

Par Anne-Marie Mercier

Après ses Vacances d’été, Mori nous emmène en voyage d’hiver. Son petit personnage part cette fois du Japon (au lieu d’y aller comme c’était le cas dans l’album précédent), toujours avec son chat et toujours avec des tenues appropriées, pour l’une comme pour l’autre. Coiffés de jolis couvre-chefs, tous différents, choisis selon les circonstances, arborant des tenues rayées de bleu, blanc, rouge, ou de gros blousons (on songe aux poupée de carton à habiller dans les journaux d’autrefois), ils nous entrainent vers les plaisirs de l’hiver : visiter Paris (ah, l’opéra, les quais de Seine et Notre Dame…), glisser sur les patinoires, contempler la montagne avec ses téléphériques, faire de la luge… s’éblouir avec les cadeaux, les illuminations, tout cela émerveille… avant un retour sage chez soi, sur son tatami, une jolie tour Eiffel en souvenir sur une étagère et des images plein la tête.
Les très belles images de cet album sans texte (hors les pages de garde) qui sont autant de cartes postales, ou de capsules de mémoire, font aussi sourire par leurs détails  (les boulangeries fermées le lundi, un chat de neige à côté d’un bonhomme de neige contemplé, en miroir, par les deux amis, le lion de Béatrice Alemagna qui marche en bord de Seine… tout un voyage !

Mythiques. Icones de légende

Mythiques. Icônes de légende
Françoise Rachmühl, François Roca
Flammarion jeunesse, 2023

Comme des stars

Par Anne-Marie Mercier

 « Pourquoi consacrer un livre aux femmes de la mythologie ? ».
La préface de Françoise Rachmühl, qui a beaucoup adapté la mythologie pour la jeunesse, répond intelligemment à la question : elles sont en effet peu mises en avant dans les récits, mais ont un rôle « primordial », « maitresses ou servantes, de noble naissance ou d’origine servile ». La seule héroïne active qui tienne un rôle de premier plan pose problème : il s’agit de Médée, femme délaissée, meurtrière de ses propres enfants.

La vie de chaque héroïne est relatée en deux ou trois pages accompagnées d’un très beau portrait, une peinture subtile réalisée par François Roca qui leur donne à toutes une allure différente et une parenté : elles ont superbes. Hélène, Andromaque, Pénélope, Euryclée (représentée, comme Pénélope, dans sa belle jeunesse), Antigone, Ariane, Antiopé (l’amazone), Médée, Alceste, Electre, toutes ont une belle prestance, fière, douce, rêveuse, selon l’histoire racontée. Leurs vies sont bien résumées, y compris celle de Médée, qui révèle la finesse et l’intelligence de l’auteure qui parvient à tout dire sans édulcorer ni condamner.
C’est une belle « galerie » d’images attachantes pour s’initier à une partie de la mythologie.

De 0 à dix

De 0 à dix
Christian Demilly, Alice de Nussy
Grasset jeunesse, 2023

Jeux de maths en ronds

Par Anne-Marie Mercier

C’est un petit livre à compter qui fonctionne comme bien d’autres : chaque double page présente un chiffre avec le mot qui le désigne, dans l’ordre croissant, « de zéro à dix ». Mais il propose quelques petits éléments supplémentaires.

Au bas de chaque page on voit une ligne de ronds, au nombre de dix, qui permet de se repérer dans la suite : s’ils sont tous blancs avec le zéro, ils prennent des couleurs au fil des pages, le 1 avec un rond rouge, le 2 avec le rond rouge suivi d’un rond orange, le 3 avec les deux précédents suivis d’un rond orange, etc. Cela permet de faire discrètement un sort au zéro, qui ne « compte pas ».
Aux notions de quantité s’ajoutent des notions d’espace inscrites dans différents cercles colorés : près/ loin, en haut/ en bas , dernier/ avant-dernier, et cela jusqu’au neuf où tout explose avant de revenir à l’unité avec des cercles concentrique : 10 = ensemble… C’est joliment fait et bien pensé. Reste à savoir si l’abstraction aide mieux à compter que les empilements de lapins, carottes, etc.

Mes Saisons

Mes Saisons
Bernadette Gervais
Les grandes personnes, 2023

Entre photos et pochoirs

Par Hélène Davoine

Avec cet imagier Bernadette Gervais nous invite à savourer avec elle ce qu’elle désigne, avec son titre, comme « ses » saisons et c’est bien à un parcours personnel que nous sommes invités : les saisons apparaissent photographiées en noir et blanc ou dessinées avec force détails et couleurs. Quand on observe ces animaux, ces plantes, ces champignons, on a l’impression de la suivre en balade. En cheminant, elle prend en photo ou dessine ce qu’elle croise sur sa route : des bourgeons, des insectes jaunes et noirs, des champignons, des araignées, des feuilles.
Les pages se suivent et ne se ressemblent pas. On regarde la terre et ses traces d’animaux. On regarde le ciel, ses nuages et la voie lactée. Une photo du brouillard suit le dessin d’un cerf et d’une biche et on se surprend à les chercher dans la brume. Les sujets sont parfois rapprochés parce qu’ils se ressemblent, par leur nom ou par leur aspect. La photo des graminées est striée comme l’est le dessin du cirrostratus de la page d’en face. Le chardon a pour voisin le chardonneret. On suit son parcours mental à travers les images et son cheminement dans la nature. On se laisse entraîner, on repense à nos propres marches champêtres, on admire ses photos et ses illustrations. Rarement, imagier n’aura été aussi propice à la rêverie.
La dernière image du livre représente deux traces de pas dans la neige et cette seule image résume très bien cet ouvrage : une belle invitation au voyage.