L’Herboriste de Hoteforais

L’Herboriste de Hoteforais
Nathalie Somers
Editions Didier jeunesse 2020

Tenaces graines d’espoir

 Par  Chantal Magne-Ville

Les graines, ce sont d’abord celles qu’Ywen, dix ans, porte toujours sur lui, dans une pochette brodée. Fabuleuses, elles contiennent tout le savoir-faire de Flore, sa mère, une herboriste reconnue. Tous deux vivent isolés au fond d’une forêt reculée, où vivent des espèces étranges comme Léno, le caléméon de compagnie du jeune garçon, un animal à fourrure qui change de couleur, ou les rorsses, montures à trois pattes aux sabots triangulaires.

L’aventure ne cesse de surprendre : au moment où Ywen découvre la moitié de sa maison incendiée et toutes les précieuses herbes saccagées, il apprend que sa mère a été enlevée par les soldats du Duc sans en comprendre la raison. Accompagné de deux voleuses, il mène l’enquête qui lui permettra de découvrir le passé de sa mère et aidera la plus jeune à retrouver ses origines : une histoire de reconnaissance somme toute classique pour une histoire qui cependant ne l’est pas, car ce sont les pouvoirs inouïs des plantes d’Ywen qui permettent presque toujours au héros et à ses compagnons de surmonter leurs difficultés.

Dès le début, le lecteur est plongé dans un univers de pure fantasy, avec l’éclosion de la fleur d’Evi qui peut redonner la vie. La créativité de l’auteur surprend, avec des animaux composites comme l’équibout, mixte d’écureuil et de hibou ou la zoopipelette, plante qui ne pousse que tous les dix ans et permet de parler aux animaux pendant quelques instants.

Une quinzaine de planches délicatement illustrées, accompagnées de définitions précises, aident le jeune lecteur à ne pas se perdre dans ce monde surprenant où les humains également  peuvent avoir un aspect étrange, à l’image des créatures des bois à la peau d’écorce, qui souffrent de la déforestation voulue par Iram, le ministre du Duc, qui  a besoin de bois pour construire des bateaux en vue d’une guerre contre les Outremer.

Si les rebondissements nombreux tiennent en haleine, le ton est léger, quasi enfantin, soutenant un récit mené sur un rythme qui réjouira les lecteurs dès 9 ans, alors que des problématiques plus sérieuses comme l’écologie sont abordées au passage.

La Chanson de Martin – Martin’s Song

La Chanson de Martin – Martin’s Song
Jane Méry – lu et chanté par Camille Claris et Andrew Paulsen
Trois petits points 2020

Chanson engagée…

Par Michel Driol

Alors qu’elle rentre de New York avec ses parents, Rose, une fillette d’une dizaine d’années, se retrouve en plein champ de tournesols, face à Woody, un musicien qui lui apprend le premier couplet de la Chanson de Martin. De retour à Paris, elle doit faire un exposé en anglais sur un personnage. Bien sûr, elle choisit Martin, cet enfant noir né dans les années 20 dont Woody a commencé à lui chanter l’histoire. Plusieurs fois, Woody réapparait, lui parle de folksong, de protest song, elle découvre la ségrégation et la condition des Noirs aux Etats-Unis. Au lieu de faire son exposé, elle chante la chanson de Martin, qui s’est enrichie de nombreux couplets. C’est alors qu’elle apprend l’identité de Martin, sa fin tragique. Mais Woody est là pour lui donner une leçon d’humanité et d’espoir.

Sur un canevas somme toutes classique (la biographie d’un personnage célèbre présenté au travers de recherches et d’un exposé fait par un enfant), ce livre audio présente de nombreuses originalités. D’abord par l’utilisation maitrisée du fantastique, avec le personnage de Woody (hommage à Woody Guthrie) qui a la capacité d’apparaitre et de disparaitre, et surtout d’être un extraordinaire passeur. Ensuite par l’association faite entre un choix musical (le bluegrass, la musique folk) et la biographie de Martin Luther King. Martin’s song rejoint ainsi les grands classiques des protest songs, comme Song For Sonny Liston (que l’on retrouve dans la Chanson pour Sonny d’Ahmed Kalouaz ), Who Killed Davey Moore, ou encore la Complainte pour Angela Davis (Guillevic/ Francesca Solleville). La chanson pour Martin n’est pas donnée entière d’emblée, mais se construit couplet après couplet, faisant ainsi découvrir les épisodes marquants de la vie de Martin Luther King, comme autant de petits flashs (l’enfance, le soutien à Rosa Parks, la lutte pour les droits civiques…). C’est aussi tout l’arrière-plan ségrégationniste qui est évoqué (avec en particulier l’allusion à la chanson Strange Fruits de Billie Holiday). Au-delà de la musique folk américaine, l’album s’ouvre à d’autres musiques folkloriques, c’est-à-dire populaires, au sens fort du terme. On a ainsi l’évocation de la Commune de Paris, à travers le Temps des cerises, magnifiquement et sobrement interprété a capella à deux voix. Woody explicite et défend le rôle d’une chanson folk qui est de raconter la vie, le travail du peuple : on a alors une perspective universaliste et non simplement axée sur les Etats Unis ou la France. L’album est donc à la fois une initiation à l’anglais (la version audio fait le choix de ne pas traduire Martin’s song – parfois chantée par Rose dans un anglais au fort accent français), une initiation au contenu politique de la chanson engagée, et une ode à la diversité du monde, aux multiples cultures populaires.

Sur le livret d’accompagnement, on trouve à la fois le texte anglais de la chanson et sa traduction en français, mais aussi un lexique dans lequel sont commentés et traduits des mots américains que l’on entend dans l’album, mots liés à la ségrégation et à la lutte pour les droits civiques, mais aussi à la musique.

Un livre audio au contenu humaniste insufflant l’espoir dans un monde plus ouvert, moins fanatique, et qui s’inscrit avec bonheur dans une forme musicale juste et appropriée.

On pourra écouter un extrait audio sur le site de la maison d’édition  : http://www.troispetitspoints.audio/

 

Mirabelle Prunier

Mirabelle Prunier
Henri Meunier & Nathalie Choux
Rouergue 2020

Rejeton rejeté

Par Michel Driol

Prénommer sa fille Mirabelle quand on se nomme Prunier, voilà un choix qui parait bien insensé. Et la petite fille devient la cible des quolibets, des moqueries, qu’elle encaisse en ne leur opposant que l’amour. De plus en plus isolée, elle s’installe en lisière du village, sur un coin de terre stérile, où elle finit par prendre racine et se métamorphoser en un prunier qui offre à tous de magnifiques fruits.

Henri Meunier et Nathalie Choux proposent ici un bel album poétique, complexe, qui pourra faire l’objet de multiples lectures tant les thèmes qu’il tisse sont riches. Il y est question de violence et d’amour, du pari de l’intelligence contre la bêtise. Il y est question de ce que peut une méchanceté gratuite contre un enfant, de la souffrance et de la discrimination, des souffrances psychologiques causées par l’inattention ou la bêtise, de la violence des comportements harcelants. Il y est question aussi de la force de l’amour, du don de soi, contre toutes les formes d’exclusion et de violence. Mais à quel prix ? Celui de l’abandon de sa condition, d’une façon de s’endurcir, de se raidir, de s’aliéner pour devenir autre chose que soi. Cette métamorphose, qui inscrit l’album dans un réseau très riche, n’a lieu que pour échapper au pire. Passant de l’humain au végétal, l’héroïne ne perd rien de son amour et de sa générosité, pardonne, et offre ce qu’elle a de mieux à offrir, et que les hommes n’ont pas su voir, et inaugure une nouvelle ère remplie d’espoir.

Proche du conte, par l’univers merveilleux dans lequel il se situe et la métamorphose qu’il raconte, l’album est écrit dans une langue poétique superbement travaillée, rythmée, faite d’anaphores qui invitent à prendre le temps de la lecture et du récit. Les images, quant à elles, donnent d’abord à voir la dégradation de la petite fille, cheveux de moins en moins soignés… Puis le temps qui passe, les saisons, les ans, dans une grande douceur qui contraste avec ce que le texte peut avoir de violent dans la métamorphose. L’album se tient sur une ligne de crête, un entre-deux riche entre amour et violence, acceptation et rejet, aliénation et identité, acidité et sucré. Rien n’est caché de la cruauté enfantine, du désespoir et de la tristesse qui submerge la fillette, de la patience qu’il faut pour devenir arbre, s’endurcir et finalement se livrer aux saisons et au temps qui passe. Rien n’est tu non plus de ce mouvement qui pousse vers l’autre, du pardon et de l’amour comme force supérieure.

Un album atypique, plein de poésie qui se termine sur une leçon optimiste et pleine d’espoir : il est possible de trouver sa voie contre un destin tout tracé.

Cigale

Cigale
Shaun Tan
Traduit de l’anglais (Australie) par Anne Krief
Gallimard jeunesse, 2019

La cigale serait-elle devenue une fourmi ?

Cigale évoque Kafka : le gris des pages, le labyrinthe dans lequel le personnage est enfermé, son allure d’insecte habillé d’un costume d’employé, son métier de gratte-papier, l’absurdité de sa situation, son insignifiance, sa solitude, sa future mort programmée, tragique.
Superbe album où le gris domine, éclairé au début par une touche de vert, cassé à la fin par des touches de rouge, Cigale est aussi une fable. Allégorie des petits, des sans grades méprisés par une société qui les exploite ? La cigale est ici une fourmi laborieuse, mais la fin de l’album retourne la situation de manière drôle et grinçante :

« Cigales toutes retournées forêt
Parfois repenser humains
Rire beaucoup, beaucoup ».

Faut-il en rire ou en pleurer ? et si on partait dans la forêt ?

Le Voyage de Fulmir

Le Voyage de Fulmir
Thomas Lachavery
L’école des loisirs, 2020

Road movie vers la vie

Par Anne-Marie Mercier

Dans l’ancienne civilisation féérique, la tradition des nains veut que, à l’approche de la mort, ils se rendent vers leur cimetière, un lieu caché où sont entreposés leurs trésors – un peu comme les éléphants, le trésor en plus. Fulmir, âgé de plus d’une centaine d’années, l’âge mûr pour un nain (et les éléphants), se croit appelé vers ce lieu. Il se sent fatigué, en bout de course. Il a fait tous les métiers, a naviguer, il sait monter à cheval, se battre, avec ou sans armes, et a parcouru tout le pays. Bref, il est temps.

Ce « voyage » est donc son parcours. C’est aussi un retour à la vie, qui revient peu à peu : son corps mis en mouvement est de plus en plus alerte. Les rencontres font naitre de nouveaux sentiments et surtout transforment ce qui aurait dû être un lent cheminement intérieur et physique vers le dernier repos en fuite éperdue : pour sauver deux jeunes gens de la mort, Fulmir a blessé un jeune noble. Celui-ci cherche à le retrouver pour se venger et découvre que le mieux est de l’attendre là où il se rend pour, du même coup s’emparer du fameux trésor. La perfidie et la nocivité de l’un est égale à la générosité de l’autre qui, sur son passage, relève et recueille des êtres faibles et abandonnés.

À pied, à cheval, en charrette, en bateau, par bois et champs, montagnes et rivières, Fulmir parcourt tout l’espace d’un pays en guerre, pour tenter d’emmener ses ouailles à l’abri. Dans ce petit groupe qui fuit, le personnage principal est plein de ressources que l’on découvre peu à peu. Il est sympathique, bien qu’un peu bourru tout d’abord ; à travers lui on finit par en savoir beaucoup sur ce monde des royaumes en conflit et sur les organisations politiques diverses qui les entourent ou les ont précédé. Les enfants sont parfaits (reconnaissants, désireux de tout apprendre), les adules discrets, les paysages variés. Les aventures s’enchainent à un rythme soutenu, enfin, c’est un récit bien écrit et une lecture très agréable, où l’action ne faiblit pas, sans entraver cependant la réflexion ou l’émotion.
Feuilleter sur le site de l’éditeur

Alma

Alma, tome 1 : Le vent se lève
Timothée de Fombelle, François Place (ill.)
Gallimard jeunesse, 2020

L’esclavage et la fiction pour la jeunesse : une impossible rencontre?

Par Anne-Marie Mercier

La parution d’Alma, dont l’héroïne est une jeune africaine au destin marqué par la traite négrière en 1786, a été accompagnée par une polémique : les éditeurs du Royaume uni et des États-Unis renonçaient à le traduire pour le public anglophone. On disait que c’était pour éviter le reproche d’ « appropriation culturelle » de plus en plus mis en avant lorsqu’un auteur blanc écrit l’histoire des noirs. On y reviendra.
Alma est un très beau roman, marqué par le style de Timothée de Fombelle, une belle écriture, une attention aux détails, une inscription dans des paysages souvent beaux. Les illustrations de François Place augmentent encore le plaisir. C’est aussi un roman relativement complexe, tissant le destin de plusieurs personnages : celui d’Alma et de sa famille, vivant dans un petit paradis une existence paisible qui sera brisée par l’irruption d’un cheval venu d’ailleurs, auquel Alma donne le nom de Brouillard. À cause de ce qui apparait comme une belle rencontre, ils seront tous happés par les marchands d’hommes, de manières différentes : Alma parce qu’elle part à la recherche de son petit frère, fugueur d’abord, sur le dos du cheval, et captif ensuite, puis sa mère et son frère, parce que le départ du père, parti pour la même raison, les a laissés sans protection. C’est aussi l’histoire du jeune Joseph Mars, français, enfant trouvé, embarqué comme mousse sur La Belle Amélie, un bateau qui fait route vers les ports négriers. Joseph semble en savoir long sur un trésor qui se trouverait à bord et il œuvre pour quelqu’un d’autre… C’est encore celle d’Amélie de Barsac, fille de l’armateur propriétaire du navire qui porte son nom. Victime d’une sombre machination, elle s’embarque de Bordeaux pour rejoindre la plantation et le navire, armé par son père, afin de récupérer sa fortune, du moins ce qu’il en reste. C’est aussi l’histoire de multiples personnages rencontrés sur  le bateau où, par hasard et sans le savoir, Alma, sa mère et son frère ainé sont enfermés dans des lieux différents : Poussin le charpentier qui semble avoir un secret, Cook le cuisinier, pas très net lui aussi (on pense à l’Ile au trésor), Gardel le cruel capitaine, obsédé par le trésor d’un pirate qu’il croit pouvoir trouver avec l’aide de Joseph…
En résumé, c’est un très beau roman d’aventure, avec une pointe de fantastique (la famille d’Alma a des « pouvoirs »), et non un roman sur l’esclavage. Si la situation cruelle des captifs n’est pas édulcorée, elle ne reste qu’un arrière-plan vite oublié. Alma, avec son arc et ses pouvoirs n’est pas une esclave, ni une enfant ordinaire : il semble que la littérature de jeunesse ne puisse  se passer de héros avec un héritage. Soit ils sont effectivement riches, soit ils le sont par leur hérédité (Harry Potter), ou par un don spécial : ils doivent « briller ».
Donc, traduire Alma aux États-Unis pouvait effectivement poser problème. En outre, pour ceux qui sont sensibles à ce sujet, plus que l’appropriation culturelle, c’est le recours à la fiction qui fait question, comme dans le cas des fictions autour de la Shoah. Rappelons la condamnation du film de Spielberg, « La Liste de Schindler », par Claude Lanzmann : « En voyant La Liste de Schindler, j’ai retrouvé ce que j’avais éprouvé en voyant le feuilleton Holocauste. Transgresser ou trivialiser, ici, c’est pareil : le feuilleton ou le film hollywoodien transgressent parce qu’ils « trivialisent », abolissant ainsi le caractère unique de l’Holocauste » (Claude Lanzmann, « Holocauste : la représentation impossible », Le Monde, 3 mars 1994). Alma trivialise et esthétise (je pense à la scène du chant de la mère d’Alma qui envoute tous les prisonniers) ce qui devrait être de l’ordre de l’irreprésentable.
Enfin, le roman insiste beaucoup sur la responsabilité des Africains eux-mêmes dans la capture et la vente des leurs : toute la première partie porte sur ce sujet. Ce récit est issu, d’après une interview de l’auteur de souvenirs d’une visite, dans son enfance, des ports de la côte de l’Afrique de l’Ouest où se faisaient les tris (proches de la « sélection » des camps) et les embarquements. On comprend que ce partage de responsabilités soit mal venu dans un livre destiné à un public qui ne comprendra pas toujours que le commanditaire du crime est aussi criminel, sinon plus, que son exécutant.
Donc, si Alma est un beau roman, ce n’est pas un roman qui doit être utilisé pour donner à un jeune lecteur une idée sérieuse de l’esclavage et de la responsabilité des Européens d’Europe et d’Amérique, à moins de l’accompagner dans cette réflexion. Au passage, signalons un très beau roman qui se déroule dans l’Amérique pré-abolitionniste et qui a de nombreux points communs avec Alma, intriquant lui aussi histoire de pirates, quête de trésor  et esclavage : Les Trois Vies d’Antoine Anacharsis, d’Alex Cousseau
(Rouergue, 2012)

Pour une réflexion plus large sur la littérature de jeunesse et la difficulté de fictionnaliser les drames de l’histoire, je me permets de renvoyer à deux chapitres d’un ouvrage que j’ai dirigé avec Marion Mas, à paraitre prochainement aux éditions Garnier, Écrire pour la jeunesse, écrire pour les adultes : d’un lectorat à l’autre. L’un, est de Gersende Plissonneau et Florence Pellegrini, « Enfants perchés et jeune fille en fuite, Adam et Thomas et Tsili d’Aharon Appelfeld : deux exemples de la nécessaire fictionnalisation de la Shoah à destination de différents lectorats » (la citation de Lanzmann vient de là), et l’autre est de Pauline Franchini, autour de deux romans de Maryse Condé, Ségou et Chiens fous dans la brousse, qui traitent de l’esclavage.

Enfin, Alma est le premier tome d’une série, on devine que le deuxième nous conduira chez les pirates, qu’on retrouvera le cheval Brouillard (qui fait lui aussi le voyage !) et qu’on verra la belle Amélie (peut-être pas si douce que le laisse croire le nom du navire) affronter le problème des responsabilités, collectives et personnelles… vite, la suite !

Feuilleter sur le site de l’éditeur

 

 

 

 

Kaléidoscopages

Kaléidoscopages
Delphine Perret
Rouergue, 2019

Petite leçon de dessin et de coloriage

Par Anne-Marie Mercier

On dirait un imagier, mais un imagier très dépouillé, proposant de simples traits ou dessins au crayon, parfois coloriés à la va vite, sur fond blanc. A la manière d’un imagier, l’album associe une image à un mot : ainsi, un point, c’est « un point », deux points, c’est « deux points », deux points auxquels on ajoute une parenthèse renversée c’est un visage, une multitude de points évoque… une poule (le picoti-picota, sans doute), ou quelques points disséminés sur le. blanc, le ciel (traces d’oiseaux lointains…). Le tracé d’un ovale, c’est une lettre ou un chiffre, quelques lignes parallèles, ça peut être le sillon d’un champ, une portée…
Plus on avance, plus la poésie et la rêverie s’invitent à ce qui n’est pas un décodage mais une création : comme l’enfant joue avec les objets, les détournant de leur rôle, Delphine Perret explore les possibles des matières et des formes ; elle explore aussi la symbolique des tracés et des couleurs comme la polysémie des mots.
Comme le tableau de Magritte, intitulé « la trahison des images », le petit album de Delphine Perret invite à penser la langue,  les symboles et les icônes. C’est drôle, instructif, stimulant, poétique…

 

Grandir (2)

Grandir
Élodie Brondoni
Møtus, 2020

Où vont les ours ?

Par Anne-Marie Mercier

Le thème annoncé par le titre peut sembler rebattu, pourtant il suscite des albums très originaux. On a vu récemment  celui d’Emmanuelle Houdart et Laetitia Bourget; celui d’Élodie Brondoni l’est tout autant, différemment : c’est un curieux album, aussi bien par sa forme que par son contenu.
Sa forme est celle d’un leporello, un album accordéon. Mais il ne se déplie pas de gauche à droite comme c’est l’usage, mais de l’avant vers l’arrière : la première page, la moins haute, laisse voir un dessin qui se continue de pli en plis. La forme participe au sens : chaque page est une reprise de la précédente avec des éléments supplémentaires, et un espace qui « grandit ».
Le texte met en scène un « tu » énigmatique, autant que la voix qui parle. Sur l’image on voit un ours et une petite fille. L’ours est très grand, elle petite, mais progressivement les tailles s’inversent et l’ours se réduit à la fin à une peluche, dont tout l’album montre l’importance : il accompagne l’enfant dans toutes sortes de situations qui disent la recherche d’indépendance, d’équilibre et d’assurance. À la dernière page, qui montre une rentrée des classes, il a disparu de l’image mais reste cependant présent par une affirmation (« je serai avec toi toujours. Partout »): il est devenu une présence intérieure, une force qui a construit l’enfant ; c’est lui qui lui parle à travers ce « tu ». On devine dans la dernière page que le relai est pris par l’ami(e), qui accueille l’enfant (il/elle porte un bonnet à oreilles d’ours). C’est une belle parabole sur le fait de grandir, sur ce qui aide et sur ce qu’on abandonne au bout du chemin.
Le voir, sur le site de l’auteure.