Les Fabuleux Farfelus vont au travail

Les Fabuleux Farfelus vont au travail !
Sandra Poirot Chérif
Rue du monde, 2018

Non-devoirs de vacances ou découpages, folle grammaire, arithmétique poétique

Par Anne-Marie Mercier

Sur le principe du pêle-mêle, Sandra Poirot Chérif aligne des personnages pas forcément farfelus, accomplissant des travaux parfois farfelus mais pas toujours, comme : jouer avec des carottes fraichement récoltées, collectionner des petits trésors, consoler une otarie, arroser une grenouille, nettoyer son parapluie, attendre son amoureuse…
Si on mélange les personnages qui peuvent accomplir ces actions (maitresse déguisée en citrouille, dresseur de ouistitis, musicienne parfumée, exploratrice fort curieuse…) avec les lieux, temps, ou circonstances (tiens ! ça fait même travailler la grammaire de la phrase !) où les actions sont accomplies (avant de réparer le camion de sa grand-mère, dans un parking désert, au milieu des oies, en faisant attention de ne pas glisser…) ça devient tout à fait farfelu !
Le tout est très bien fait : les dessins se superposent parfaitement, et glissent facilement sur la reliure spiralée, les languettes en carton  promettent une manipulation fréquente sans risque de déchirure, la typographie comme les images est très lisible : il n’y a plus qu’à se mettre à l’oeuvre et créer de multiples histoires, les développer, faire se rencontrer les personnages, à l’infini : il y a 19683 possibilités : c’est moins que les Cent mille milliards de poèmes de Queneau qui a (je crois) inventé le genre, mais ce n’est pas mal pour commencer !
Et on peut faire des maths avec : voir une expérience avec le livre de Queneau

Sur le site de l’auteure, on peut voir certaines combinaisons et trouver des conseils pour fabriquer son propre pêle-mêle : voilà un non -devoir de vacances parfait !

Les fabuleux farfelus vont au travail

Fables d’aujourd’hui

Fables d’aujourd’hui
Yvan Pommaux
L’école des loisirs, 2019

Quand Pommaux rime et fabule

Par Anne-Marie Mercier

Ce sont bien des fables, qui proposent une morale de sagesse à tous, souvent à travers des personnages animaux anthropomorphisés  : à ceux qui se trouvent laids et désespèrent d’être aimés, ceux qui sont en proie à la jalousie, ceux qui hésitent entre deux amours, ou qui optent pour le repli égoïste, ceux qui sont harcelés par d’autres enfants, ceux qui ne veulent pas que des étrangers viennent chez eux, ne serait-ce qu’un petit moment, pour se reposer d’un long voyage.
On voit à travers certains de ces thèmes que ce sont bien des fables pour aujourd’hui ; elles  proposent aux jeunes lecteurs des réponses aux questions qui les tourmentent : comment se faire aimer, comment aimer, comment être protégé…

Et ce sont des fable d’Yvan Pommaux, autre point attirant : on retrouve son art de la ligne claire, et ses personnages animaux  évoquent d’autres, bien présents dans ses albums : beaucoup de chats, des souris, des oiseaux qui évoquent le monde de Corbelle et Corbillo, mais aussi des lapins, des taupes, des éléphants… on retrouve aussi son art du texte ; certes, il n’est pas connu comme un poète, mais il fait bien le travail, jonglant avec les mètres (alexandrins, octosyllabes, hexamètres…)  et ses vers ne manquent pas de charme et de rythme :
« Roger, gros comme un éléphant,
Et d’ailleurs c’en est un,

N’écoute pas les mots ressassés et lassants
De tous les importuns

 qui rient de son poids , sa lenteur, sa maladresse.
Il pourrait leur donner des leçons de vitesse,
Et des cours de légèreté !
Son énergie déborde.
Une tasse de thé,
Et hop sur son skateboard,
Il devient la libellule. »

Pas mal, non ? La fable se termine par une invitation à d’autres lectures :
« Oublions la morale,
Et laissons nous bercer,
Dans un lieu sidéral,
Le temps peut s’arrêter,
Là on n’explique rien,
On est cool, on est bien. »

Bon été!

(lire un extrait)

Giselle, Alice et Merveilles

Giselle
Ballet d’Adolphe Adam, texte de Pierre Coran, Illustrations d’Oliver Desvaux
Didier jeunesse, 2019

Alice et Merveilles
Stéphane Michaka (d’après L. Caroll), Clémence Pollet (ill.), Didier Beneti (musique et direction)
Didier jeunesse, 2017

Icônes en musique et en images

Par Anne-Marie Mercier

Pour ces deux livres-CD, Didier jeunesse a fait deux choix différents, choix qui correspondent bien aux titres concernés. Pour Giselle, tout reste extrêmement classiques : les peintures superbes d’Oliver Desvaux représentent l’histoire comme on la verrait dans une mise en scène traditionnelle, en costumes, qui exalterait la gaieté de la jeunesse et la nostalgie des amours brisées, passant des couleurs vives au bleu crépusculaire. Le texte de Pierre Coran accompagne les images, explicitant le drame porté par la musique. La fin du CD propose des extraits de la musique d’Adam qui accompagnait la voix.

Alice est toute de fantaisie : l’histoire reste à peu près la même, mais elle est mise en dialogues et en chansons dans des styles modernes qui campent une Alice aussi énergique que l’originale. C’est rythmé, en paroles, en images comme un musique, un peu déjanté comme il se doit. Cela emporte, c’est savoureux à tous égards.
On peut l’écouter sur France culture.

Vert. Une histoire dans la jungle

Vert. Une histoire dans la jungle
Stéphane Kiehl,
De La Martinière jeunesse, 2019

La couleur de l’espoir ?

Par Anne-Marie Mercier

Au commencement, dans l’album et dans les mots, il y a le vert, du vert partout. Le narrateur, un enfant, arrive du « nord » pour s’installer avec sa famille dans la jungle. Il découvre un pays merveilleux où la nature s’offre à eux, menaçante parfois, mais toujours belle et vivante, parcourue par les éléphants, mais aussi les tigres. Les pages sont couvertes de ce vert qui couvre le blanc de la page : ne reste que l’espace nécessaire au texte.

L’album est le récit d’une déforestation, lente au début avec l’arrivée d’autres habitants, la création d’un village. Le blanc gagne progressivement l’image ;  il laisse aussi la place au noir, celui des souches des arbres que l’on a abattus. Si le vert revient, c’est sous la forme du fantasme, à travers le personnage du tigre, revenu grâce au récit de l’enfant devenu adulte: les couleurs reviennent, présentes dans l’image mais absentes dans le réel décrit par un récit plein de nostalgie.

C’est un bel album, elliptique, qui dit la fragilité de notre monde sans dogmatisme, à travers un simple exemple. Il laisse aussi de la place à l’imaginaire à travers la force de l’évocation par les mots et les images d’un paradis à jamais perdu : le nôtre, demain ?

Les Enfants des Feuillantines

Les Enfants des Feuillantines
Celia Garino
Sarbacane (« X’ »), 2020

Pavé d’été

Par Anne-Marie Mercier

C’est un gros livre : 468 pages ! Mais c’est qu’il y a beaucoup d’enfants dans la maison des Feuillantines (rien à voir avec Victor Hugo, à part le  nom). L’ainée de cette tribu de 8 cousins a 24 ans, les autres ont entre deux ans et seize ans, ce sont cinq filles et trois garçons, certains sont jumeaux, l’une est métis. Chacun d’eux a une vie compliquée, et est l’enfant d’une mère compliquée et disparue, le petit-enfant de grands parents morts trop tôt et le descendant d’une arrière-grand-mère centenaire occupant elle-aussi une pièce de la maison. Et puis il y a des animaux, dont un perroquet aigre, un petit cochon plein d’énergie, un lapin fragile…
Quant aux mères des enfants, trois sœurs, elles ont quitté le navire: l’une s’est suicidée par amour, une autre est partie voyager et n’est pas revenue, la troisième est internée pour soigner sa folie et sa dépendance à l’alcoolisme et à diverses drogues. Ici, on pense aux nombreuses familles catastrophiques dont la littérature de jeunesse est friande (comme dans Oh Boy ! de Marie-Aude Murail, une autre histoire de fratrie à l’abandon).
On pense aussi à Quatre sœurs de Malika Ferdjoukh, qui montrait une fratrie dirigée par l’ainée qui comme Désirée, l’aînée des Feuillantines, jonglait avec les difficultés financières, l’approvisionnement, la solitude, et tentait de répondre aux besoins de chacun. À la fois comiques et tragiques, les enfants, selon leur âge et leur caractère, affrontent la situation :: l’une est à la fois victime et auteure de harcèlement au collège, un autre vit avec un ami imaginaire, les plus jeunes cherchent leur mère où ils peuvent, certains sont amoureux ou amoureuses, un autre cherche un compagnon à Désirée, tous sont un peu perdus mais la maison vibre d’une belle énergie.
On se prend au jeu peu à peu, on rit de leurs explosions, et des jurons de Désirée, on a envie de les suivre, de les écouter, et d’entendre avec eux le bruit de la mer du côté du phare. Et guetter avec eux l’arrivée d’une mère, d’un ami, d’un amour, qu’on espère pour tous ces enfants fracassés (mais n’y comptez pas trop du côté de la mère!).

Chapeau d’été et L’Air du Printemps

Chapeau d’été
L’Air du Printemps
Jo Witek, Emmanuelle Halgand, Flavia Perez (musique)
Flammarion (Père Castor, « areuh, l’éveil en mots et en musique »), 2020

Livres CD pour les tout petits

Par Anne-Marie Mercier

Beauté des images aux formes simples et lisibles, aux couleurs acidulées, rythme du texte, orienté l’un sur les fleurs et les oiseaux (le printemps), l’autre sur les sensations liées à la chaleur, à la lumière et à la fraicheur de l’eau (l’été), originalité de la musique, pleine d’échos d’oiseaux pour la première, plus jazzy pour la seconde, autour d’onomatopées et d’assonances (chat et chaud)… tout est joli et plaisant, pour les enfants comme pour les adultes.
Les textes sont simples — celui de Chapeau d’été tout particulièrement — sans être pauvres et évoquent des moments de sensations partagées, d’attention aux petites choses.
Ces petits albums aux coins arrondis, de format carré, aux pages cartonnées et lisses sont en plus prêts à être pris en main par les petits auditeurs, une fois la première approche faite. Ils invitent à une lecture à deux, à redire les bruits des insectes, des pas dans l’eau… de la vie, et à savourer les couleurs, les musiques et les mots.
Feuilleter chapeau d’été
ou L’air du printemps

 

La Route froide

La Route froide
Thibault Vermot, Alex Inker (ill.)
Sarbacane, 2019

Aventures gelées

Par Anne-Marie Mercier

Rien de tel qu’un roman dans le grand froid à lire pendant l’été : cela vous incite à rester cloitré à l’intérieur et vous rafraichit, et cela vous donne un horizon dégagé pour les saisons futures.
Le livre de Thibault Vermot renoue avec la grande tradition des romans du nord : on y trouve un jeune garçon, adolescent qui part, bien couvert et bien chaussé, avec son pique-nique, pour ce qu’il pense être une promenade d’une journée, aux environs de sa nouvelle maison, en Alaska (ses parents et lui ont quitté quelques mois auparavant la Californie), un vieux trappeur qui s’est pris d’amitié pour lui et l’a prévenu du danger d’un certain lieu, vers lequel sans le savoir il se dirige, un chien, une tempête de neige qui arrive, et des êtres mystérieux qui prennent forme tandis que la panique s’empare petit à petit de lui.
Le début du roman qui fait alterner préparatifs et scènes de marches pleines d’allant avec des retours en arrière racontant la vie d’avant, au soleil de Californie, la décision des parents qui rompent avec leur travail et une vie confortable mais vide de sens pour affronter la vie rude du nord, le point de vue du garçon, mêlant regrets et enthousiasme, sont par eux-mêmes intéressants. Ils proposent une expérience de retour à la nature avec tous ses aléas, économiques, thermiques, architecturaux, relationnels… Et en toile de fond, qui devient parfois le sujet même, la beauté des paysages, les sensations, les bruits.
La montée progressive de l’inquiétude, avec d’abord la mise en place raisonnée de techniques de survie apprises dans les livres ou en écoutant les adultes, puis l’entrée dans un délire causé par la fatigue, la faim, l’hypothermie et la terreur, les visions inquiétantes, de vieilles histoires de malédictions indiennes, tout cela forme un ensemble prenant.
Les illustrations à l’encre d’ Alex Inker, auteur de BD, sont parfaites dans cet exercice de dépouillement / enrichissement. Elles montrent bien que chaque épisode reprend et renouvelle un thème : la maison, le couteau, l’allumette, le sandwich, la hache, le chien, la carte, le fleuve gelé… et en ajoute de nouveaux : la montre, le téléphone – absent (superbe épisode!), la main coupée (brrr…): frissons garantis, et pas que de froid!

Tous ensemble !

Tous ensemble !
Smriti Prasadam-Halls, Robert Starling
Gallimard Jeunesse, 2020

 

Fable Politique

Par Anne-Marie Mercier

Les animaux, de La Fontaine à Orwell, sont bien souvent les acteurs de fables à visée politique. Celle-ci, au titre programmatique, allie la simplicité du message à la force de son argumentaire.
Des animaux vivent en paix, les oies et les canards d’une part, sur une petite île, et les autres animaux d’autre part, dans une ferme reliée à l’île par un pont. Les oies décident de faire sécession pour profiter seules de leurs avantages ; les canards, minorité contrainte au silence et exploitée, sont embarqués malgré eux dans cette décision. Étape après étape, ce choix s’avère malheureux, jusqu’à l’arrivée des renards…
L’éloge de la solidarité s’accompagne ici d’une mise en garde : le séparatisme crée un alourdissement des tâches, qui ne sont plus partagées (tiens, tiens, ceux qui veulent mettre les étrangers dehors sont-ils prêts à aller aux champs et ramasser les poubelles ?). Il crée de la pénurie, de la pauvreté et de l’insécurité face aux ennemis. La solidarité n’est pas seulement une belle idée, c’est une nécessité de survie pour une société.
La gravité du message est allégée par le contexte animalier et les illustrations colorées, proches de la caricature : les images représentant les oies et les canard au travail, affublés de tenues de travail (casques, et casquettes) alors que les autres animaux, en face de l’île,  gambadent et donnent envie de les rejoindre sont très réussies.

Trois petits animaux

Trois petits animaux
Margaret Wise Brown, Garth Williams
MeMo, 2019 (1956)

 

Trois oursons s’aimaient d’amour tendre…

Par Anne-Marie Mercier

« Il était une fois trois petits animaux dans leur fourrure d’animaux ils vivaient dans une petite maison d’animaux ».
L’image du bonheur simple de ces petits êtres (qui à l’image sont des oursons) est à peine installée que celui-ci est troublé par l’envie de l’un d’eux d’aller voir « le monde des gens ». Il s’habille (chapeau melon etc.) et il part. Il est vite suivi par un deuxième qui s’habille (petite robe et chapeau à brides, etc.) et part. Le troisième part à son tour, à leur recherche, habillé avec ce qu’il a pu trouver : un pot de fleur comme chapeau, des buches creuses comme chaussures, des feuilles comme manteau. L’album montre les tribulations de ce petit animal inquiet, perdu dans une foule qui ne le voit pas. La fin montre les retrouvailles et le retour à la vie sans habits, à la maison, au sommeil partagé, « car c’était de petits animaux ».

Le charme indéfinissable de cette histoire tient peut-être à sa simplicité (son thème est aussi celui de la fable des « deux pigeons » : « L’un d’eux s’ennuyant au logis / Fut assez fou pour entreprendre / Un voyage en lointain pays »), au lexique restreint, à l’évocation d’un bonheur simple fait de petites choses et de sensations douces, opposés à l’inquiétude et à la dureté du dehors. Elle tient aussi aux illustrations, merveilleuses de douceur et de naïveté, à l’image de ces petits animaux crayonnés avec amour.

 

L’Herbier philosophe

L’Herbier philosophe
Agnès Domergue, Cécile Hudrisier
Grasset jeunesse, 2020

Méditations végétales

Par Anne-Marie Mercier

Allier science et philosophie, c’est possible. Les relier avec de la poésie, c’est plus rare. Cet herbier d’un nouveau genre réussit ce pari à travers un choix de plantes inspiré par le nom plutôt que par la chose : l’éphémère, l’arbre du voyageur, l’amour en  cage, l’immortelle et la pensée côtoient le souci et la misère, le cosmos et le perce-neige, et d’autres. C’est une jolie de façon de nous ressouvenir du sens premier de ces noms.
Chacun est accompagné de son nom latin et de deux représentations, l’une au crayon, petite et précise, l’autre en aquarelles colorées et encres. Un texte, souvent en forme d’interrogation, invite à la réflexion :
« Si je te demande de na penser à rien, à quoi penses-tu ? » (pensée)
« Se soucier de quelqu’un change-t-il son destin ? » (souci)
« Quand la passion prend racine dans ton cœur, peut-on l’arracher en douceur ? (passiflore)
Et parfois à la méditation poétique :
« Le diable est aux anges ce que la nuit est aux étoiles » (le diable dans le buisson et l’angélique).
Les aquarelles délicates et vives sur fond blanc sont très bien rendues ; l’album est parfaitement harmonieux.