Le Royaume de Pierre d’Angle, t. 2 : les filles de mai

Le Royaume de Pierre d’Angle, t. 2 : les filles de mai
Pascale Quiviger
Rouergue, 2019

Heurs et malheurs enchanteurs

Par Anne-Marie Mercier

On avait laissé à la fin du premier tome le roi Thibault prisonnier de la Forêt de la Catastrophe, malgré les efforts de ses gardes et des habitants venus à son secours. Sur les 195 personnes présentes à l’orée la forêt, les 189 qui ont tenté d’y pénétrer ont été blessées, parfois grièvement par les arbres et les ronces lui ont mené une sévère défense : on voit que la forêt de La Belle au bois dormant est ici prise au pied de la lettre, comme beaucoup d’autres éléments de contes célèbres repris ici : on y verra une reine enceinte faisant perler son sang dans un paysage de neige, une sorcière se pencher sur le berceau d’une petite princesse, et bien d’autres figures fugitives. C’est tout l’art de ce cycle : il sait reprendre des éléments qui relèvent du mythe sans en faire de purs objets citationnels, mais pour introduire un élément supplémentaire de poésie. Ainsi, c’est le prince et non une belle endormie qui est prisonnier et c’est une reine déterminée qui l’en fait sortir, non sans payer le prix fort par une terrible promesse. La sorcière, censée incarner le mal est celle qui lui fait échec.

Si le premier tome était fait de voyages sur mer et sur terre, celui-ci est plus centré sur le château, où Thibault, revenu fou de la forêt, retrouve peu à peu ses esprits. Toute son énergie est dirigée vers le ravitaillement du royaume affamé, paralysé d’abord par un hiver terrible puis asséché par un printemps torride. On trouve dans ce livre un souci de la matérialité intéressant : que mange-t-on en temps de disette, comment se chauffe-t-on ? comment gouverne-t-on ? Lorsqu’un bateau contaminé bloque le port, comment fait-on face au risque d’épidémie sans abandonner totalement ses marins à leur sort ?  Comment se passe un accouchement (dont l’un est plus que difficile) dans une civilisation qui ressemble au moyen-âge ? Quelles qualités faut-il pour être médecin, ou pour soigner et dresser les animaux ?

Quant à l’aventure, elle va de plus belle : la malédiction des « filles de mai » se précise, tant pour le futur de l’histoire que dans son passé, les intrigues de cour vont bon train avec leurs complots, manipulations, et tentatives de meurtres. Mais on y trouve aussi de belles haltes paisibles : des amours patientes commencent très lentement à se nouer (on passe du temps à faire sa cour dans ce roman et les hommes y sont bien courtois), des pauses au bord de la mer ou dans les rivières rafraichissent l’été et des havres chaleureux l’hiver. Les tonalités sont tranchées et donnent une couleur propre à chaque moitié du roman : le noir et le blanc, avec la tache rouge du manteau du roi poursuivent ce qui s’était installé de givre dans la fin du premier volume, l’apothéose du printemps et des ses couleurs et chants laisse prévoir une chute plus dure à l’équinoxe maudite (au prochain volume, donc). L’écriture toujours aussi belle donne un grand plaisir de lecture.

 

Ma Vie d’artiste

Ma Vie d’artiste
Marie Desplechin
L’école des loisirs, 2019

L’art, l’amour, la vie

Par Anne-Marie Mercier

Publié en 2003 chez Bayard, voici ce petit roman repris à L’école des loisirs. Il est assez classique dans la situation qu’il développe : une jeune fille, élève de troisième, déménage avec sa mère et se sent seule, ne connaissant personne dans la ville où elle s’installe. Mais il est original par la solution qu’il propose à son problème : en attendant le retour de sa mère après sa journée au collège, elle trouve refuge tous les après-midis  chez le voisin, un peintre un peu bohême, qui peint des corps morts, des gisants, ce qui choque profondément sa mère : Anne cache donc ces rencontres, et le secret devient de plus en plus gênant tandis que la relation s’alourdit de sous-entendus, du moins du côté de la jeune fille fascinée par l’artiste…
Mais on est dans un livre pour enfants : tout ce qui pourrait tendre, dans un autre contexte, vers une histoire compliquée s’illumine ici : tous les adultes sont bienveillants ; l’art pratiqué par le peintre n’a rien de provocateur, mais est relié à une émotion forte, et tout finit bien… Anne trouve un ami de son âge et découvre le plaisir de participer à un projet, le peintre convainc sa mère de l’intérêt de son travail, et tout s’achève par un beau vernissage.

Mes Petites Roues

Mes Petites Roues
Sébastien Pelon
Flammarion, Père castor, 2017

Sans les roues !

Par Anne-Marie Mercier

Que de douceur et de pertinence dans cet album tout en blancs et gris ! Quelques touches de rouge fluo tirant sur le rose le « réveillent », signalant l’irruption de l’étrange et de la fantaisie dans une situation bien quotidienne : un enfant part sur son vélo avec des « petites roues » qui l’équilibrent. Un personnage étrange, une sorte de nuage coiffé d’un bonnet rouge fluo surgit, l’accompagne, mange ses roues et l’aide dans ce nouvel exercice d’équilibre et d’indépendance.
Une étape importante pour l’enfant est ici décrite sous tous ses aspects : appréhension, chutes, redémarrages, et soudain, le miracle…

Où tu lis, toi ?

Où tu lis, toi ?
Cécile Bergame – illustrations Magali Dulain
Didier Jeunesse 2019

Lieux de lecture…

Par Michel Driol

Voici un album qui se présente comme un inventaire des lieux où un enfant peut lire, lieux improbables, lieux secrets, lieux mystérieux, avant de se terminer par la question qui donne aussi son titre à l’ouvrage.  La mise en page est toujours la même : page de gauche, un groupe nominal précisant le lieu, page de droite, une illustration pleine page montrant l’enfant avec un livre.

Le texte inclut une forte dimension poétique, comme si l’imaginaire propre au livre rejaillissait sur les lieux où l’on lit. Ainsi l’escalier est sans fin, le linge à repasser forme des collines et des vallées, et l’arbre a des bras… Cette poésie des lieux est vue à taille d’enfant : la cabane en bois a oublié de grandir… Métaphores et comparaisons transfigurent l’univers familier, pour lui donner une autre dimension – parfois paradoxale –  à laquelle la lecture permet d’accéder. Cet inventaire poétique, qui unit l’intérieur et l’extérieur, l’ouvert et le fermé, ouvre un vaste champ de possibles où l’on ne retrouve ni la table, ni le bureau de l’écolier, ni le lit de l’enfant…

Les illustrations prolongent le texte dans sa dimension fantastique : ainsi les yeux des personnages photographiés regardent-ils tous l’enfant lecteur, ainsi un vrai lion de mousse occupe-t-il la baignoire à pattes de lion apprivoisé… On pourra aussi parcourir les illustrations à la recherche des livres évoqués : albums, bandes dessinées, classiques de la  jeunesse. Comme un fil rouge, le chien, animal familier, accompagne, à la fois complice et libre, mais non lecteur…

Un album libérateur, qui insiste sur la liberté du lecteur, la diversité des pratiques de lecture, et qui dit à quel point les livres sont indispensables pour changer notre vision du monde.

La Tribu des Désormais

La Tribu des Désormais
Benjamin Desmares
Rouergue (« epik »), 2019

Noir corbeau

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un roman bien sombre. Il est à la fois pessimiste sur l’avenir (on sait au bout d’un certain temps ce qu’on avait pu deviner très vite : le monde des personnages a été ravagé par une catastrophe nucléaire) et sur la nature humaine, qui semble ne s’être guère améliorée avec le temps. Elias, le héros adolescent, vit dans un monde détruit, une île dévastée où tout est en ruine. L’espace est fractionnée en Clans hostiles, et coupé en deux par une frontière infranchissable de ronces. De l’autre côté de la frontière vivent les Monstres : ceux qui ont été irradiés et qui ont développé de multiples malformations, non seulement des humains mais aussi des animaux et des végétaux. Elias les craint et les a en horreur, comme on le lui a appris.
Presque tout le roman est construit à travers son point de vue : le lecteur est pris dans ses courses, ses efforts, ses sensations et émotions, le plus souvent faites de souffrances physiques et morales, et ses rares moments de contemplation et de réflexion. Pourchassé, il franchit la frontière et devient un monstre chez les monstres, rejeté de tous sauf par un être qui lui répugne encore plus que les autres. Elias apprend à surmonter ses dégoûts et ses terreurs et vit des aventures étranges, où il apprend la solidarité et le courage et commence à comprendre (et le lecteur avec lui) de quoi est fait ce monde et comment il est devenu ce qu’il est.
Il décrypte aussi peu à peu ses émotions pour lesquelles il n’a pas de nom et dont il ne prend conscience qu’à travers des sensations physiques (le désir sexuel étant curieusement absent pour l’instant dans son attirance forte pour la jeune femme qu’il accompagne dans sa quête et sa mission salvatrice: il s’agit de rien moins que de mettre fin à la contamination).
Des personnages secondaires forts et originaux, une grande attention à la nature ou à ce qu’il en reste (pas très rassurant : les plantes même semblent vouloir se venger), de l’étrange (d‘autant plus efficace qu’il est délivré à petites doses), du suspens, des combats, des hallucinations, tout cela forme un ensemble étonnant et prenant. L’idée du jeu de la tribu constituée sur le modèle des histoires d’indiens de l’enfance par le seul adulte survivant de la zone contaminée n’allège que brièvement ce récit aux tonalités âpres où les corbeaux disent l’avenir – par bribes et obscurément comme il se doit.

Pour lire un extrait

Xox et Oxo

Xox et Oxo
Gilles Bachelet
Seuil jeunesse, 2018

 

Deux habitants de la planète Ö s’ennuient : il ne se passe rien, il n’y a pas de saisons, pas d’école et pas de vacances, as de jour, pas de nuit… Il n’y a que des glimouilles qui fournissent la seule nourriture et la seule matière première à la planète.
Ils ont une télévision qui montre toujours la même chose (des glimouilles et des non événements), sauf lorsqu’elle est branchée sur les ondes de la terre : arrivent alors des iamges d’objets étranges( on reconnaitra un éléphant, cher à bachelet, une publicité de soupe Campbell, chère à Andy Warhol, une tour Eifel, un monsieur Spock, etc.)
Les deux amis vivent dans un univers à la fois proche et lointain du nôtre, entre le kitch des intérieurs proches de ceux que photographie Martin Parr ou que dessine Anthony Browne) et le modernisme d’une série de SF des années soixante comme Star Treck. Xox et Oxo vivent ensemble comme un couple mais on ne sait s’ils sont de sexe différent tant ils sont semblables. Le comique vient de la rencontre de ces deux esthétiques et surtout de la grande activité à laquelle ils s’adonnent : la création d’objets à l’iamge de ce qu’ils ont vu plus ou moins déformé, via les ondes terrestres.
C’est un moyen d’interroger la notion d’art (on retrouve de nombreuses œuvres connues dans leurs ateliers), de l’utilité ou inutilité des œuvres et aussi de réfléchir sur les gouts de chacun.
Gilles bachelet nous tend un miroir, commr il l’avait fait à travers les amours de ses gants de toilette, et toute la civilisation passée à la moulinette à glimouilles est terriblement drôle et intrigante.

Train de nuit

Train de nuit
Rodolphe et louis Alloing
abc Melody, 2018

Par Anne-Marie Mercier

Album d’hiver, de féérie (une petite fille descendue du train de nuit rencontre des lutins dans la forêt), de paysages grandioses, alternant doubles pages spectaculaires et petites vignettes de BD, cet album raconte fort bien une belle histoire qui incite à croire au monde des fées.
Il reste malgré tout assez classique, reprenant le titre d’un superbe album de John Burningham (épuisé en ce moment)  et faisant beaucoup penser au très beau Boréal Express, album mettant en scène le Père Noël lui-même : même atmosphère nocturne, mêmes aperçus grandioses, et même « chute » : l’enfant qui croit avoir rêvé est convaincu de la réalité de son aventure par la présence d’un objet ramené de l’autre monde. Mais quand c’est bien, on en redemande et cette réécriture garde sa part d’originalité et sa qualité malgré ces parentés.

 

Le livre des beautés minuscules

Le livre des beautés minuscules
Carle Norac illustré par Julie Bernard
Rue du monde 2019

Le parti pris des choses et le compte-tenu des mots

Par Michel Driol

36 poèmes pour murmurer la beauté du monde : le sous-titre explicite le titre, et cet accord ou cette tension entre la beauté des choses et du monde et les mots que l’on murmure. 36 poèmes qui se présentent le plus souvent comme un dialogue entre un « je » et un « tu ». Si le « tu » recouvre presque toujours la figure du lecteur – que l’on devine enfant, le « je » peut prendre différentes figures : celle signalée de l’auteur, qui s’adresse à son lecteur, qui indique qu’il écrit dans le texte, qui parle de son poème… Mais c’est aussi le jardinier à qui le texte cède la parole, le soleil, le temps, le vent, les grains de beauté… Il y a ainsi toute une façon d’animer – au sens propre de donner la vie –  le monde, en étant sensible à ce qu’il a à dire dans sa diversité.

Ces beautés minuscules sont une évocation de la nature (la lune, le soleil, le vent, différents animaux), mais aussi du temps qui passe (évocation de la mort du grand père suivie de celle des premiers mots adressés à une fillette qui vient de naitre), des relations surtout lorsqu’elles sont marquées par la difficulté à se dire ou la timidité. Comme un fil conducteur revient la dimension du langage et des mots, du poème : ces mots comme des cailloux qu’on ramasse pour en faire une phrase, ces expressions qui sont des clichés, ce poème qu’on écrit dans le train, celui que l’on rêve beau, celui que l’on glisse dans la poche. La beauté est autant dans le monde qu’il faut prendre plaisir à regarder, dans les gens qu’il faut prendre plaisir à aimer que dans les mots qu’il faut prendre plaisir à manier tant dans la lecture que dans l’écriture.

Un recueil qui invite à murmurer, à regarder autant en soi qu’à l’extérieur, pour répondre à la dernière question posée au lecteur
de quoi te parle-t-elle
en secret, la beauté ?

Cet ouvrage fait partie de la sélection du Prix Poésie des Lecteurs Lire et Faire Lire

Montagnes

Montagnes
Valérie Linder
& Esperluète éditions 2018

Carnet de voyage

Par Michel Driol

Format à l’italienne pour cet album qui est d’abord une suite d’aquarelles lumineuses représentant des paysages de montage  sous le soleil mais aussi dans le brouillard ou sous l’orage, paysages presque toujours habités : maisons, hameaux, toits de tôles rouillés. Paysages de forêts et de lacs, mais aussi de champs cultivés, paysages habités de vaches et de moutons. Paysages traversés par des randonneurs minuscules, tantôt une seule silhouette, tantôt un groupe de quatre saisis dans la marche ou au repos.

Ces aquarelles sont accompagnées de poèmes sur la marche en montagne. Quand tu marches en montagne… Ce « tu » à qui s’adressent les poèmes est à la fois le lecteur et une figure dédoublée de l’auteure (accords au féminin). Ils évoquent les considérations pratiques sur ce que l’on met dans son sac à dos : l’essentiel. Ils disent les plaisirs liés aux sens : ce que l’on goute (le pain, les amandes, l’eau), ce que l’on entend (les moutons qui carillonnent), ce que l’on voit ou entrevoit (un fragment du lac), ce que l’on touche (ta peau sera attentive à l’air des nuages). Cette promenade ouverte aux sensations l’est aussi à l’introspection ou à l’imaginaire (Tu te faufiles mentalement/entrouvres les portes…). Cette poésie, des vers libres regroupés en strophes de longueur inégale, évoque la nature, parfois à la façon du haïku dans la concision de la notation au pouvoir évocateur. La montagne de Valérie Linder est à la fois le lieu de la contemplation, de la concentration et de l’évasion : autre façon de dire ce qu’est la poésie.

Un album de voyage qui fait penser à Ramuz et à la façon qu’a l’homme d’habiter la montagne.

Cet ouvrage fait partie de la sélection du Prix Poésie des Lecteurs Lire et Faire Lire

Les Oiseaux

Les Oiseaux
Germano Zullo illustré par Albertine
La joie de lire 2010

Ode aux petits détails

Par Michel Driol

Presque un album sans texte tant les illustrations, très souvent en double page, sur un format à l’italienne, disent l’histoire. Celle d’un camionneur qui, dans un désert de dunes,  ouvre la porte de son fourgon d’où sortent et s’envolent des dizaines d’oiseaux de toutes les couleurs. Reste pourtant dans le camion un merle qui refuse de partir, partage le sandwich de l’homme qui lui montre comment voler. Le merle alors rejoint la troupe d’oiseaux, la conduit vers le fourgon qui était reparti, et les oiseaux emmènent dans le ciel l’homme. Ceci peut constituer une première lecture : une histoire d’amitié entre un homme et un oiseau, illustrant le souci à avoir des plus petits et la valeur de la reconnaissance.

Le texte de Germano Zullo, découpé en phrases, présent sous dix-neuf illustrations environ, propose une seconde lecture. Il est question de découvrir dans la routine, la monotonie de la vie, des détails, minuscules, capables de changer notre perception du monde. De la morale, on est passé à la philosophie et à l’attitude à avoir face au monde : l’attention à avoir à l’égard des choses minuscules. On a là comme une mise en abyme et une définition de la poésie, qui donne à voir ce à quoi on ne prêtait pas attention en premier lieu, mais qui ensuite permet de prendre de la hauteur, d’accéder à une autre façon de voir le monde.

Un album très graphique qui parle à tous.

Cet ouvrage fait partie de la sélection du Prix Poésie des Lecteurs Lire et Faire Lire