La Vie à la montagne

La Vie à la montagne
César Canet
Sarbacane 2023

Question d’équilibre !

Par Michel Driol

Olaf, Olga et leurs deux jumeaux vivent sur une maison perchée en équilibre tout au sommet d’une montagne très pointue. Pour que la maison ne glisse pas en bas de la pente, il faut faire très attention à ne pas la déséquilibrer, tant en ce qui concerne les repas que les rêves… Lorsque l’harmonie est rompue, la maison dévale au fond de la vallée, où elle trouve une assise bien meilleure, mais sans la vue sur les sommets environnants. Alors toute la famille remonte pièce à pièce la maison, la reconstruit un peu différemment, avec plus de stabilité… jusqu’au moment où un vent plus violent que d’habitude l’emporte au loin.

Avec beaucoup d’imaginaire, cet album très joyeux aborde le thème du vivre ensemble, et des contraintes de la vie en société, sous un angle original. L’équilibre parfait existe-t-il ? A quelles conditions d’écoute de l’autre ? Tout doit forcément aller par deux pour que les deux plateaux de la balance restent équilibrés… que deviennent alors l’individu et ses désirs propres ? Cette fable proche de l’absurde montre cette maison utopique avec beaucoup d’humour à travers une série de situations cocasses portées aussi bien par le texte que par les illustrations. Le narrateur n’est autre que le neveu d’Olaf et Olga, qui, dans une langue proche de l’oralité, avec ses onomatopées, est témoin de cette vie de famille à la fois loufoque, parfaitement réglée, et pleine d’énergie ! C’est lui qui reçoit la carte postale finale l’invitant, accompagné bien sûr, au nouvel emplacement de la maison. Les illustrations, particulièrement colorées, jouent sur la symétrie à tous les niveaux,  et n’hésitent pas à montrer la maison en coupe dans un paysage naïf à souhait !

Premier album de son auteur, César Canet, La Vie à la montagne révèle un univers plein de fantaisie et de gaieté, et prend la forme de la fable pour aborder, sans se prendre au sérieux, les questions de l’équilibre à trouver dans la vie familiale… et sociale !

Le Souffle du géant

Le Souffle du géant
Tom Aureille
Sarbacane, 2021

Dans les méandres des contes

Par Anne-Marie Mercier

Un enfant part en quête pour trouver le remède qui sauvera sa mère. Voilà un schéma de conte bien connu. Il a été illustré entre autres par la comtesse de Ségur dans « Le bon petit Henri », dans lequel un petit garçon, conseillé par une fée, part chercher en haut de la montagne la plante de vie. Après bien des épreuves et des rencontres effrayantes (géant, loup…) il réussit ; il revient victorieux et riche de présents reçus en récompense de ses bonnes actions.
De cette base traditionnelle, Tom Aureille a fait une histoire très originale. Il n’y a pas un enfant héroïque, mais deux, et ce sont deux filles, deux sœurs qui tentent de trouver et tuer un géant de la montagne, dont le souffle doit ressusciter leur mère.
Leur parcours est semé d’embûches, les humains étant aussi monstrueux que la sorcière qui les accueille sous l’apparence d’une gentille vieille dame (comme dans « Hansel et Gretel »). Ils sont en outre suivis par un homme mi protecteur mi hostile dont on ne comprendra les raisons que plus tard. Tout est empreint de magie, les personnages comme les lieux.
La fin de l’histoire, loin de ressembler au conte de la Comtesse, célèbre la solidarité, celle des deux sœurs comme celle des peuples qui les accueillent. Elle met aussi en cause l’héroïsme, chose rare, et l’influence des croyances, donc des contes.

Tout cela est magnifiquement raconté, les images crépusculaires de la quête alternant avec le récit plus clair de ce qui l’a précédée, le récit se dévoilant peu à peu à travers une belle dynamique, dans un suspens permanent.

La Grande Escapade

La Grande Escapade
Clémentine Sourdais
Seuil jeunesse, 2021

Là-haut sur la montagne…

Par Anne-Marie Mercier

« Livre randonnée », ce livre à découpes mérite bien son nom : nous suivons l’itinéraire d’une jeune fille, Brume, partie au matin en laissant un mot sur a table « pour dire qu’elle reviendra » : on traverse la forêt, les champs de fleurs, l’alpage, on découvre les sommets, à la fois proches et lointains, et puis on redescend, le cœur plus léger qu’à la montée : Brume s’est disputée la veille avec sa mère, et toutes deux ont fait la même chose, chacune de leur côté.

Une journée seule, à côtoyer les animaux, les plantes, à manger des myrtilles et rêver, et tout s’arrange. Pour le lecteur aussi cette promenade pleine de fraicheur est un parfait dépaysement. Les rabats, nombreux, lui font découvrir la faune et la flore, ouvrent les perspectives, déploient les nuances en pages composées en camaïeux. C’est une belle promenade, pleine de surprises.
C’est aussi une petite encyclopédie sur la montagne : on trouve en fin d’album quatre doubles pages qui reprennent en les nommant les animaux et plantes rencontrés dans l’album. Certains sont accompagnés d’un court texte explicatif.

 

Le berger et l’assassin

Le berger et l’assassin
Henri Meunier, Régis Lejonc (ill.)
Little Urban, 2021

Bella ciao

Par Christine Moulin

L’objet, d’impressionnantes dimensions (29 cm x 36 cm), provoque l’admiration immédiate: c’est un livre (magnifiquement) illustré, plus qu’un album au sens strict car il n’y a pas d’interactions entre les pleines pages qui déroulent de splendides paysages de montagne (situés en Haute-Savoie) et le texte, qui pourrait se lire et se comprendre sans les images.
Ce texte propose un récit (au passé simple, ce qui devient rare, de nos jours): est-ce une nouvelle? Sans doute.
Le démarrage est foudroyant. Dès le premier paragraphe, une simple incise accroche le lecteur: « Je ne suis pas ton ami, grogna l’assassin. » On comprend assez vite qu’il va s’agir de la confrontation entre un berger, « l’homme du milieu », comme il se définit lui-même et un homme qui fuit des milices fascistes (italiennes, comme l’indique l’allusion aux chemises grises). Le berger recueille « l’assassin », soigne ses blessures, lui fournit une grotte comme abri en attendant de pouvoir, au début de l’automne, lui faire franchir la montagne dont il dit pourtant: « Qui que tu sois, la montagne est plus dangereuse que toi. » Après avoir subi une attaque des milices, qui tabassent le berger mais ne trouvent pas l’assassin, les deux hommes se mettent en route pour passer « de l’autre côté ». On suit leurs efforts.

La fin est éblouissante et s’élève vers une réflexion humaniste et philosophique saisissante. Elle est à l’image du récit dans son ensemble, fait de non-dits d’autant plus terribles et émouvants qu’ils sont à l’unisson des personnages, taiseux, pudiques, dignes et sublimes, complexes aussi. Ce qui n’empêche pas que les dialogues soient émaillés des belles réflexions philosophiques du sage berger: « Nous allons, tous liés en cordée. De petits pas à petits pas, de vertige en vertige, l’humanité se tient dans l’ascension comme dans la chute. » Un album quasi hugolien.

Père Montagne

Père Montagne
Sara Donati
Rouergue 2021

Ainsi est ma vie, pierre, comme toi (León Felipe)

 

Par Michel Driol

Agathe, petite fille de la ville, participe pour la première fois à un camp dans la montagne. Elle s’y sent étrangère à tout : les autres enfants ont des habitudes et des savoir-faire qu’elle ne possède pas. Elle s’enfuit et chute. C’est là qu’elle se sent en communion avec la nature et la montagne, qu’elle commence à regarder avec un autre œil. De retour au camp, elle se sent à sa place, tandis que la montagne s’interroge sur les humains…

Trouver sa place dans la nature, voilà ce dont parle cet album. L’héroïne, habituée à la ville, aux codes urbains, a tout à apprendre lorsqu’elle se retrouve en pleine montagne. Mais cet apprentissage n’est pas seulement celui de techniques (monter une tente ou traverser un torrent), il est surtout philosophique. Au cours de sa chute, Agathe perçoit la montagne comme un être vivant, qui rit. C’est alors qu’elle devient sensible, dans son propre corps, à la vie de la nature, à son cycle (celui des fleurs qui naissent et se fanent) comme à sa permanence. C’est cette expérience sensible du monde que montre l’album, celle de la nature qui peut se révéler à qui la regarde. Tout tourne autour du symbolisme des pierres. D’abord le prénom Agathe,  et une note à la fin de l’album rappelle opportunément que ce prénom est aussi le nom d’une pierre protectrice selon les anciens. Puis le cadeau d’une petite pierre offert par son père, cadeau jugé sans valeur au départ, et jeté, puis retrouvé et investi d’une valeur moins sentimentale que métaphysique, symbole de la juste place qu’on occupe dans le monde, ni trop grand, ni trop petit, entre l’immensité du cosmos – les étoiles vues comme autant de petits cailloux lumineux – et l’infiniment petit des insectes qui peuplent la nature. De façon très pascalienne, l’album invite à sentir la place de l’homme dans un univers à la fois minéralisé et vivant. Cela passe par un renversement des perceptions, ce que l’album montre parfaitement lorsque le sens de lecture est modifié au moment de l’expérience que fait Agathe : elle peut alors nouer un lien primordial avec la nature, fait de simplicité et de modestie, proche d’une vision orientale du monde.

Les illustrations, très expressives, ne cherchent pas forcément le réalisme des couleurs, mais sont plutôt en harmonie avec les sensations et les états d’esprits d’Agathe.

Un album pour questionner la place que nous occupons dans l’univers, à partir d’images simples et sensibles.

Montagnes

Montagnes
Valérie Linder
& Esperluète éditions 2018

Carnet de voyage

Par Michel Driol

Format à l’italienne pour cet album qui est d’abord une suite d’aquarelles lumineuses représentant des paysages de montage  sous le soleil mais aussi dans le brouillard ou sous l’orage, paysages presque toujours habités : maisons, hameaux, toits de tôles rouillés. Paysages de forêts et de lacs, mais aussi de champs cultivés, paysages habités de vaches et de moutons. Paysages traversés par des randonneurs minuscules, tantôt une seule silhouette, tantôt un groupe de quatre saisis dans la marche ou au repos.

Ces aquarelles sont accompagnées de poèmes sur la marche en montagne. Quand tu marches en montagne… Ce « tu » à qui s’adressent les poèmes est à la fois le lecteur et une figure dédoublée de l’auteure (accords au féminin). Ils évoquent les considérations pratiques sur ce que l’on met dans son sac à dos : l’essentiel. Ils disent les plaisirs liés aux sens : ce que l’on goute (le pain, les amandes, l’eau), ce que l’on entend (les moutons qui carillonnent), ce que l’on voit ou entrevoit (un fragment du lac), ce que l’on touche (ta peau sera attentive à l’air des nuages). Cette promenade ouverte aux sensations l’est aussi à l’introspection ou à l’imaginaire (Tu te faufiles mentalement/entrouvres les portes…). Cette poésie, des vers libres regroupés en strophes de longueur inégale, évoque la nature, parfois à la façon du haïku dans la concision de la notation au pouvoir évocateur. La montagne de Valérie Linder est à la fois le lieu de la contemplation, de la concentration et de l’évasion : autre façon de dire ce qu’est la poésie.

Un album de voyage qui fait penser à Ramuz et à la façon qu’a l’homme d’habiter la montagne.

Cet ouvrage fait partie de la sélection du Prix Poésie des Lecteurs Lire et Faire Lire