Il est où mon p’tit loup – Les mêmes et l’autre, tableaux de groupes

Stéphanie Blake
Il est où mon p’tit loup

L’école des loisirs, 2011

Les mêmes et l’autre, tableaux de groupes

Par Dominique Perrin

9782211203814.gif« Un chat n’y retrouverait pas ses petits ! » : la dernière production de Stéphanie Blake dans le grand format solidement cartonné de la collection « loulou et cie » illustre cette formule consacrée avec une espièglerie et un entrain féconds. Décidément non narratif, l’album consiste en une série de tableaux évoquant un Maurits Cornelis Escher détendu et bonhomme, accompagnés d’une phrase-comptine référée au titre : Il est où mon p’tit loup …« Si tu es malin, tu le trouveras chez les lapins » – « Et chez les chiens ? Regarde bien ! ».
On passe ainsi d’un univers animalier à un autre, à la fois abstrait, géométrique, et vivant, parlant : dans les pyramides de lapins, de chiens et autres crocodiles qui se succèdent de double-page en double-page, l’art de l’illustratrice anime et singularise tous les personnages. Loin des « cherchez l’intrus » traditionnels, telle est la satisfaisante surprise de ce livre qui mérite sa solidité et sa grande taille : le « petit loup » vert qu’il s’agit de retrouver dans différents tableaux de familles est plus convivial encore que facétieux ; s’il échappe d’abord au regard, ce n’est pas parce qu’il est bien caché, mais parce qu’il trouve sa place dans une série de collectifs multicolores où chacun est digne d’attirer le regard.

Poésies dans l’air et dans l’eau

Poésies dans l’air et dans l’eau
Kochka, Julia Wauters
Père Castor-Flammarion, 2011

Poésie vive !

Par Dominique Perrin

poé.gifSur chaque double-page de cet album d’une fraîcheur d’embruns, trois à sept vers d’une densité irréprochable rayonnent au milieu d’un tableau-poème. L’un à côté de l’autre, l’un avec l’autre, texte et image battent une chamade maîtrisée et irrésistible, évoquant la meilleure tradition du poème illustré pour enfants, mais ouvrant aussi une voie à part, métissée et résolument moderne. Ouvrir un album de poésie et être emporté par un rythme, un air, prendre envie de voir par les fenêtres et de prolonger l’évidence esthétique crayon(s) à la main est une expérience marquante – permise ici par la rencontre opportune d’une auteure féconde et d’une jeune illustratrice dépositaire d’une chatoyante culture des arts textiles.

Le bon moment

Géraldine Alibeu
Le bon moment

La joie de lire, 2011

Lire et suspendre une course folle

 Par Dominique Perrin

bon m080939.jpgLe bon moment offre posément à des lecteurs de tous âges ses vastes dimensions, ses formes et ses couleurs longtemps soupesées. C’est l’un de ces livres dispensateurs de calme et d’attention renouvelée, alors qu’ils semblent contenir toute l’impatience présente du monde. Autant dire que l’ouvrage est à la hauteur de la question sur laquelle il repose, et que les citoyens incertains de l’ère de la globalisation ont si fort besoin de se reformuler. Quel est « le bon moment » ? La réponse, hormis celle de l’étoile, n’est en aucun cas éludée : c’est le moment d’entrer dans cet album pascalien et aérien, qui s’ouvre sur une réponse d’enfant et dont les images sont sorties, patiemment, d’une machine à coudre, durant le temps d’une résidence d’artiste.

Gravenstein

Gravenstein
Øyvind Torseter

La joie de lire, 2011
Traduction (norvégien) par Jean-Baptiste Coursaud

Des pommes, de la maraude et de l’humanité comme aventure

Par Dominique Perrin

graven9080922_1_m.jpgEn une soixantaine de doubles pages composant un bref prologue et deux « chapitres », Gravenstein installe ses personnages –  un « bébé Elephantman », une toute jeune fille au costume de féline et son père au costume passe-partout – dans un monde aux accents curieusement réalistes. Comme dans Détours (La joie de lire, 2010) mais cette fois dans un petit format agréable à manier, le lecteur est invité à transiter d’une ville moderne vers une campagne parsemée de bâtiments à demi écroulés ou bâtis. Mais la « nature » est ici hantée de hauts filets grillagés en plus ou moins bon état de marche, et la société représentée obsédée par les pommes jaunes « gravenstein ».
Comme dans Détours, consentir au parcours narratif parfaitement original et essentiellement visuel proposé par Torseter donne généreusement à méditer, sur les rapports entre fond et forme, et sur ce monde où les pommes vendues à prix d’or en ville sont ailleurs bonnes à lapider ceux qui les maraudent, où les vaches s’avèrent aussi peu considérées que les originaux qui s’intéressent à elles – mais où coulent  aussi avec assurance les rivières de l’aventure.

Les poètes ont toujours raison

Rascal
Les poètes ont toujours raison

L’Edune, 2011

Poèmes pour viatique

Par Dominique Perrin

Les poètes ont toujours raison » : le titre de l’anthologie adressée par Rascal aux derniers nés des « frères humains » chers à François Villon s’entend de multiples façons. Le « toujours » y est entre autres chronologique : c’est de durée qu’il est question, au premier chef dans la dédicace de l’auteur à son père, et dans le témoignage autobiographique liminaire qui relie la mémorable découverte de la poésie « sur les bancs de l’école » au geste du cueilleur-semeur adulte assemblant son bouquet de poèmes et d’images.
Du quasi haïku de Guillevic aux enjambées fantastiques des strophes de Rutebeuf, douze poèmes de langue française sont rendus magistralement présents, douze poètes – scrutant ou désignant chacun à leur manière les marges des différents systèmes de domination de leur temps – retrouvent leur aura de vivants dans des portraits qui refusent tout rajout aux poèmes, mais apportent au lecteur, rencontre imprévisible, une vision des sujets aigus, inquiets et désirants qui les écrivirent

 

Le petit bonhomme pané

Olivier Douzou, Frédérique Bertrand
Le petit bonhomme pané

Rouergue, 2011

En toute candeur pontienne

Par Dominique Perrin

Dans une basse-cour, un tout petit bonhomme transparent accède à la visibilité en prenant un bain d’œuf et de miettes, trouvant dès lors en un vieux croûton et une mère poule des ascendants putatifs. Cela ne consacre pas encore un avènement au monde, mais c’est le début d’une quête initiatique au sens le plus ample du terme. Le « petit bonhomme pané » parcourt le vaste monde – forêt, collines, montagnes, champ de coquelicots -, aiguillonné par le désir d’interroger le « nuage à âge ».

Que cette « panne de naissance » (comment ne pas citer ce jeu de mots, à défaut des « pontines » qui jalonnent le récit ?) trouve sa résolution ultime parmi coussins, poussins et bougies dans le « château d’Anne Hiversère » coule dès lors de source, dans un univers polarisé par le rapport au langage et le merveilleux pontiens. Etre à naître ou être né ? Allégresse communicative et liberté créatrice irradient cet album subtilement original, dans lequel on peut entendre, au texte et à l’image, un récit de tous les commencements humains, qu’on les situe avant, pendant ou après la vie intra-utérine.

Boucle d’or et les trois ours

Olivier Douzou
Boucle d’or et les trois ours

Rouergue, 2011

 Boucle d’or, dans l’alphabet des chiffres

 Par Dominique Perrin

Boucle d’or et les trois ours, une histoire chiffrée, voire une histoire de chiffres ? Une décennie après la version géométrisante de Rascal (Ecole des loisirs, 2002), Olivier Douzou donne un corps littéral à cette intuition tout droit issue d’une fantaisie d’enfant. Le conte est là, transmis dans sa fraîcheur et sa simplicité retorse ; l’image espiègle et sérieuse en offre une interprétation plaisante, d’une évidence renouvelée : dans l’algèbre virtuose et désinvolte de la culture humaine, le conte offre une mise en équation du connu et de l’inconnaissable, dédiée à la célébration ludique des formes symboliques sorties de l’esprit humain.

Les grands classiques du Père Castor à dessiner

Louis Alloing
Les grands classiques du Père Castor à dessiner
Père Castor-Flammarion, 2011

Pour fêter « 80 ans d’édition pour les enfants »…

Par Dominique Perrin

livres à dessiner, Louis Alloing Les grands classiques du Père Castor à dessiner, Père Castor-Flammarion, 2011La seule manière évidente de fêter la longévité d’un éditeur comme le Père Castor était de redonner à lire, aux enfants de 2011, ses toujours très jeunes premiers classiques. La petite bibliothèque du Père Castor réunit ainsi dans un coffret Michka (1941), Roule Galette (1950), La Plus mignonne des petites souris (1953), Conte de la Marguerite (1959), La Vache orange (1961), Le Grand cerf (1972).
Quant à l’album Les grands classiques du Père Castor à dessiner, il prolonge dans la même perspective commémorative la tradition des « livres d’activités » – invitant à plier, découper, apparier, colorier. A partir d’un corpus de huit albums classiques un peu différent de celui du coffret, couvrant la période 1941-1971, il guide le jeune lecteur dans la figuration des huit personnages éponymes. Si la pédagogie du dessin trait à trait, volume à volume (le feutre étant fourni et les pages effaçables à sec) est sans doute éprouvée, aucun fil conducteur ne permet de donner du sens à la juxtaposition des huit doubles-pages dédiées chacune à une figure et un album. Le décor est minimal, l’esthétique proposée évidemment très loin du charme de l’illustration originale, et le texte d’une ou deux lignes d’un intérêt plus que mineur.
Au-delà du plaisir qu’on peut tirer sans doute du mode de dessin proposé, est-ce là un hommage fécond aux albums évoqués, et une conception vraiment engageante de la manière dont on peut inviter le jeune public à prendre part au travail d’illustration ? On  incline à en douter.

Pour aller loin

Pittau et Gervais
Pour aller loin
Gallimard, Giboulées, 2011

Français, encore un effort pour promouvoir le développement durable

Par Dominique Perrin

Pittau et Gervais, Pour aller loin, Perrin, Gallimard, Giboulées, 2011De conception plutôt généreuse, ce livre-jeu offre huit puzzles en forme de nuages, accompagnés de textes poético-explicatifs permettant au jeune lecteur-joueur-dessinateur d’esquisser la silhouette de huit « moyens de transport » permettant d’« aller plus loin ». On peut toutefois difficilement s’empêcher de regretter la relative pauvreté du propos général. Si l’ouvrage se termine plaisamment sur le vélo et sur le pied, les nuages qui environnent l’avion (très classiquement assimilé à une sympathique hirondelle), le camion, la moto et l’auto ne sont pas commentés, et moins encore distingués de ceux qui environnent train et  bateau (on pourrait penser ici aux péniches). Le moins qu’on puisse dire est que la complaisance toujours savamment entretenue chez les enfants du 21e siècle pour les engins à moteur n’est guère tempérée.

Rollinettes

Rollinettes
François Rollin, ill. Benjamin Chaud

L’Edune, 2011

Humour sans cosmétique

Par Dominique Perrin

roll1-49e99.jpg
« Jusqu’à l’âge de huit ans,
j’ai eu peur des loups.
De neuf à quinze, c’étaient les guêpes.
Depuis mes seize ans,
J’ai peur de la mort.
Sincèrement, j’aimais mieux le début. »

Difficile, singulièrement difficile de présenter ces « rollinettes », aussi efficacement que l’éditeur en quatrième de couverture (« Voici livrée à votre sensibilité une véritable somme de pensées profondes ») ou que Nicolas Bedos dans sa « préface délicieusement inefficace » (« Rollin ne s’achète pas, c’est lui qui nous loue »). Le recueil est, de fait, spirituel : avec légèreté, avec gravité, avec une exquise apparente candeur surtout – et aussi, importe-t-il peut-être de rajouter, avec beaucoup d’incorrection et de pudeur. Après cette lecture, toute la production des éditions L’Edune s’offre à la découverte du lecteur étonné et un peu rajeuni : pour l’esprit, beaucoup plus et beaucoup mieux que du champagne.