Dans ta tête

Dans ta tête
Matthieu Maudet
L’Ecole des Loisirs, 2021

Les neurosciences pour les tout-petits

Par Christine Moulin

Le fait est bien connu: le cerveau ne connaît pas la négation et il suffit de dire à quelqu’un de ne pas pas penser à quelque chose pour qu’il y pense! C’est sur ce principe qu’est fondé l’ouvrage Dans ta tête, un album répétitif qui devient progressivement une histoire, grâce à la collaboration et à l’imagination du lecteur, sollicitées dès la première page: « Bonjour! Pour cette lecture, je vais avoir besoin de toi et surtout de ta tête! ». Les personnages et les divers éléments du récit sont introduits petit à petit de façon paradoxale, et comique: il NE faut PAS penser à un éléphant, à un parapluie, etc. et bien sûr… ce qui doit arriver arrive! Du coup, le tout-petit peut, sans coup férir, se rendre compte que lire, c’est se représenter les choses, faire des liens entre elles pour transformer le catalogue en événements qui se succèdent et qui sont liés par des relations de cause à effet, mais surtout… qui font rire! Le format cartonné, les illustrations colorées, très lisibles, la typographie qui met en relief les mots importants sans didactisme intempestif, tout est au service de cette métacognition subtile et joyeuse! Et last but not least, l’auteur n’a pas oublié la petite note tendre en forme de dédicace: sur la quatrième de couverture, qui pose la question clé, « Et là tu penses à quoi? », une réponse se glisse discrètement: « Moi, c’est à Abel. »

Ferme les yeux

Ferme les yeux
Kate Banks, Georg Hallensleben
Gallimard Jeunesse, 2015 (1ère édition 2002)

« Trop » mignon

Par Christine Moulin

Pour s’endormir, il est sûrement plus efficace de compter les albums censés entraîner les enfants dans les bras de Morphée que les moutons! Ferme les yeux appartient à ce genre très fréquenté mais il mérite qu’on le fasse sortir du lot, ne serait-ce que grâce à ses illustrations: le petit tigre a une « bouille » extrêmement attendrissante. Mais le texte n’est pas en reste: fondé sur la répétition hypnotique, il glorifie d’abord la vie et ses merveilles, que le petit tigre ne veut pas cesser de voir en tombant dans le sommeil. Mais en même temps, à travers la voix de la maman, il chante la puissance des rêves qui exaltent et magnifient ces merveilles. Il fait aussi la revue des peurs qui peuvent empêcher d’accepter de dormir: la peur de tomber, de se perdre, la peur du noir, toutes désamorcées par la présence maternelle. Enfin, il fournit une explication subtile au refus de l’endormissement: si on rêve et que les rêves sont plus magnifiques les uns que les autres, il faudra se réveiller. La maman, tendrement, fournit la seule réponse qu’elle connaisse, la seule qui vaille pour un petit tigre: « Oui, mais je serai là. Alors, ferme les yeux, petit tigre ».

Cet album est tendre, émouvant et rassurant. Que demander de plus? Les petits humains y trouveront leur compte aussi.

Le secret

Le secret
Émilie Vast

Éditions MeMo, 2015

Chut !

Par François Quet

ob_6e60d3_secret-vastRenarde a un secret qu’elle confie à Lapin, qui le confie à Libellule, qui le répète à Écureuil, qui va voir Hibou, lequel se rend chez Chauve-Souris, qui le dit à Aigrette, qui en parle à Hérisson, qui le chuchote à Pic-Vert, qui le glisse au creux de l’oreille de Cerf. Et Cerf va chez Renarde pour qui ce n’est déjà plus un secret : Renardeau entre ses pattes attend les félicitations de tous les animaux du livre.

C’est un bien joli livre que celui-ci. D’abord il y a le thème du secret si brûlant qu’on a envie de le confier. Ensuite, il y a celui de la naissance et de la solidarité ou de l’affection qu’elle suscite dans toute société. La succession des rencontres et des échange au rythme des doubles pages comme dans un conte de randonnée permet la répétition des mêmes formules (« N’y tenant plus, elle le confie à… ») ou la variation (« Oh ! Extraordinaire … Oh ! Incroyable … Oh ! Fantastique… » etc.). Les doubles pages, admirablement composées, montrent systématiquement à gauche l’instant de la confidence (où un animal se penche et chuchote au creux de l’oreille d’un autre ce secret — que le lecteur ne connaît pas et qu’il ne découvrira qu’à la fin) et à droite la solitude du détenteur de secret dans son environnement végétal.

Mais plus encore, on aime le contraste entre la représentation très simple des animaux (façon papier découpé : une seule couleur, lignes claires sur fond blanc — sauf le hibou et la chauve-souris sur fond anthracite) et les enluminures qui encadrent de façon symétrique (sur la page de droite) l’animal solitaire : Emilie Vast (qui a dessiné des herbiers) cisèle avec beaucoup de préciosité des guirlandes de fleurs, de feuilles et de fruits, dont on retrouve quelques brins dans la procession des animaux venus rendre hommage à la nouvelle maman. La précision du trait, la délicatesse des couleurs, la grâce des couleurs ne sont pas des ornements gratuits qui souligneraient seulement l’habileté de l’artiste ; la richesse graphique est bien le signe d’un émerveillement devant le monde naturel, émerveillement qu’Émilie Vast réussira à partager même avec les plus jeunes lecteurs.

Perdu !

Perdu !
Alice Brière-Haquet, Olivier Philiponneau

Éditions MeMo, 2013

Contine

par François Quet

9782352891246FSPerdu ! est un hommage aux contes (en tous cas, à un conte en particulier) qui prend la forme d’une comptine un peu farce. Sept jours pour perdre un petit bonhomme dans les bois ! Ce n’est pas trop grave : il retrouve à chaque fois son chemin, mais ce n’est pas si simple, car quand il sème des fraises des bois, il constate qu’il y en a déjà des tas, et si ce sont des bonbons au miel qu’il laisse sur son chemin, ils ont fondu au soleil au moment de rebrousser chemin. Bref, passons tout de suite à la moralité de cette reprise loufoque d’une situation dramatique : « Que personne ne me dérange ! Je vais relire deux ou trois contes, ça peut servir à l’occasion ! ».

La structure de la comptine est bien présente et à chaque jour, par rimes plus ou moins savantes, correspondent des semailles plus ou moins fantaisistes mais toujours inefficaces… jusqu’aux cailloux blancs du samedi ! Beaucoup d’humour donc dans ce petit texte parodique, qui sans citer le Petit Poucet y fait constamment référence. Les gravures sur bois d’Olivier Philiponneau privilégient chaque jour une couleur (les fraises des bois, les petits pois, les gouttes d’eau, les pièces d’or, les bonbons au miel, …) avant de se retrouver sur l’arc-en-ciel du dimanche.

Sans se moquer (c’est un risque de la parodie : celui de faire le malin aux dépens de ce qu’on parodie), les auteurs font un clin d’œil malin à une vieille histoire (connue ou encore à découvrir pour les plus jeunes lecteurs) à travers une petite musique très personnelle et une imagerie séduisante.

Dans la petite maison verte

Dans la petite maison verte
Marie-France Painset, Marie Mahler
Didier Jeunesse, 2010

 Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour toi

par Christine Moulin

marie-france painset,marie malher,didier jeunesse,album répétitif,enchâssement,comptine,nursery rhyme,maison,couleurs,animaux,christine moulinLes auteurs nous offrent une très jolie variation sur les albums et poèmes répétitifs fondés sur l’enchâssement, à l’image du célèbre poème d’Eluard, « Dans Paris ». La couverture, découpée, ouvre une fenêtre en forme de cœur sur l’image d’une maison, fil directeur de cette comptine. Comptine ? Non, pas vraiment, et on se prend à le regretter car le nombre des habitants aurait pu augmenter ou diminuer au fil de l’album. Mais peut-être cela aurait-il été trop évident, trop « instructif ». Seuls les couleurs sont au rendez-vous et les animaux et peuvent donc, avec les tout-petits, faire l’objet de découvertes. Et ce qui est vraiment très amusant, c’est de repérer les différents procédés utilisés dans l’illustration pour insérer les maisons les unes dans les autres. La chute de cette « nursery rhyme », reste dans la tradition  mais la réinterprète subtilement, en usant de la magie des répétitions. Cet ouvrage est la preuve que le petit bruit discret d’un cœur qui bat peut grandement réjouir les lecteurs.