Avalon Park

Avalon Park
Eric Senabre
Didier Jeunesse, 2020

William Golding dans une grande roue

Par Christine Moulin

« Les enfants sont touchés. Mais ils ne sont pas concernés. En gros, on porte la maladie, sans la subir. On la transmet. On peut avoir de la fièvre quelques jours. Rien de méchant, et parfois, il n’y a rien du tout. »
Ce qui est bien avec la lecture, c’est que cela permet de se changer les idées…! Toute ironie mise à part, cela se vérifie une nouvelle fois avec ce roman d’Eric Senabre, qui nous emporte, dès les premières pages, dans un récit passionnant. Les ingrédients efficaces sont nombreux: sur une île où est installé un parc d’attraction consacré au thème du roi Arthur (thème malheureusement peu exploité), des enfants ont été abandonnés par des adultes paniqués devant la menace sanitaire qu’ils représentent. Les héros sont deux frères: l’un, Nick, a 16 ans, l’autre, Roger, deux ans de moins. Leurs réactions sont radicalement différentes devant cet univers qui ressemble un peu à l’île aux Plaisirs de Pinocchio et face à celui qui en a pris la direction Nunzio, un jeune Gavroche inquiétant. Bref, c’est un peu Sa Majesté des Mouches mâtiné de Stephen King et de COVID.
Ces ingrédients sont d’autant plus efficaces que la maîtrise narrative de l’auteur les expose avec une habileté jamais démentie :  nous les découvrons peu à peu à travers le point de vue de Nick mais aussi grâce à divers dialogues et à des extraits de témoignages à la première personne. Des événements savamment distillés sans agitation frénétique font doucement mais sûrement monter l’angoisse. Des effets d’annonce entretiennent le mystère et créent l’inquiétude.
Toutefois, ce qui aurait pu n’être qu’un roman d’aventures haletant mais superficiel débouche sur des perspectives qui en décuplent l’intérêt. Il y a d’abord les relations entre les deux frères, qui s’aiment, malgré de lourds non-dits que l’on découvre peu à peu, et s’opposent : Nick est raisonnable, « de bonne volonté » et s’appuie sur les valeurs héritées de son Britannique de père, avec l’intention de devenir un « gentleman »; Roger est plus génial, plus fou, plus cynique aussi. Cet aspect psychologique s’accompagne d’une constante interrogation qui irrigue toute l’intrigue : qu’est-ce qu’être adulte, qu’est-ce que la maturité, quand cesse-t-on d’être un enfant ? L’une des petites filles de l’île pose d’ailleurs le problème en ces termes : « On a l’âge qu’on veut ici ». Il y a la dimension sociale: Nick et Roger sont deux fils de très bonne famille alors que les autres enfants sont des enfants des rues pour qui l’île représente ce à quoi ils n’ont jamais eu droit. Il y a la dimension que l’on pourrait presque qualifier de politique : qu’est-ce que le pouvoir, qu’est-ce que la responsabilité ?
À cela s’ajoute la dimension éthique: comme dans les bonnes robinsonnades ou les histoires de zombies, très vite on en vient à se demander ce que l’on doit garder des lois et des principes habituels, ce qui de l’éducation subsiste d’intangible, une fois que le monde s’est écroulé, ce que résument crûment certains personnages: « Tout le monde fait ce qu’il veut ici, c’est la règle. » Les personnages expérimentent, sans que rien ne soit caricatural, ce que c’est que de dépasser les limites et se laissent transformer en profondeur par cette transgression, tout en amenant le lecteur à se demander, à leur suite, ce que c’est que le courage ou jusqu’où on peut accepter la violence. On pourrait même, enfin, par moments, entrapercevoir une dimension quasi métaphysique: qu’est-ce que la vraie vie ? Est-ce que la routine, comme l’appelle Nick, vaut qu’on se batte pour la retrouver ? Faut-il tout faire pour rétablir la « vie d’avant » ? Est-ce possible, d’ailleurs ?

 

 

 

 

RC 2722

RC 2722
David Moitet
Didier Jeunesse, 2020

Ce n’est pas Mad Max…

Par Christine Moulin

Tous les ingrédients sont là, en ordre de marche: nous voilà plongés dans un monde post-apocalyptique où l’eau manque, où une pandémie créée par l’homme décime les populations, où s’affrontent des bandes rivales, où la survie implique sans cesse la méfiance et la violence. Le héros, un jeune homme de 17 ans, Oliver, celui qui se pose des questions, qui n’est pas tout à fait satisfait de la façon dont vont les choses, est entraîné dans un roman d’aventures qui se veut haletant. Il doit se tirer de situations inextricables et il y parvient, bien sûr, sans pour autant être vraiment sûr de lui ni de ce qu’il tente. Une fois qu’il est sorti de son abri, il est happé dans un road movie où se succèdent combats, trahisons, rebondissements de toutes sortes. Et même, même… il rencontre l’amour en la personne de l’ombrageuse Tché. Parallèlement, il visite son passé et, nouveau Télémaque, va à la recherche de son père, grâce à un implant qui lui permet de vivre les événements à travers ses yeux: c’est là un élément original qui permet des retours en arrière intéressants. La vision du monde que propose l’auteur, sans être pesamment moralisatrice, incite à privilégier la lutte collective et le plaisir d’être ensemble. De quoi se plaindrait-on?

Tous les éléments sont là, donc, mais justement… Rien n’est très surprenant. Sauf le beau personnage du Fossoyeur, Joker héroïque, qui donne une réelle profondeur à l’ensemble. Rien que pour lui, la lecture vaut le détour.

Déjà

Déjà
Delphine Grenier
Didier Jeunesse, 2016

On n’y voit pas que du bleu

Par Christine Moulin

La couverture est « déjà » magique. D’un magnifique bleu, celui de tout l’ouvrage, elle présente les personnages de ce récit de randonnée cumulatif, emportés en un bond particulièrement dynamique vers ce qui ne peut être que poésie: deux ennemis héréditaires, visiblement réconciliés, une mignonne souris et un chat tout doux (Félix-Minou à qui est dédié ce livre?). Souris réveille Chat pour un voyage nocturne qui permet de découvrir sur chaque page de droite un animal endormi, fragile et émouvant, serein, plongé dans des rêves qu’interrompent nos deux héros, suscitant le refrain ensommeillé : « déjà? » C’est l’occasion, à  chaque fois, de découvrir un lieu précis (sous les feuilles du platane, au fond du jardin, etc.) et une splendide couleur qui tranche sur le bleu velouté de la nuit. Mais quand apparaît le lapin, tout change: le fond de la page s’éclaircit et le lapin s’écrie, occasionnant une rime: « enfin! » Il a d’ailleurs l’œil « déjà » ouvert. Une double page, selon les lois du genre, récapitule les animaux rencontrés et les emmène, en une ascension mystérieuse, vers la splendeur que révèlent deux rabats, celle de l’aube. La jolie chute incite alors le très jeune lecteur à rejoindre son lit pour y poursuivre la promenade… Un splendide album, en forme de célébration.

La cachette

La cachette
Andrée Prigent
Didier Jeunesse, 2019

Coucou caché félin

Par Christine Moulin

La scénographie, minimale, se révèle diablement efficace. La double page présente une boîte, tel un castelet, dans laquelle on voit, jamais en entier, Yvette qui, comme son nom ne l’indique pas, est un chat, enfin, une chatte. Le décor autour de cette boîte évoque, de façon très épurée, un salon décoré de quelques plantes vertes et d’un coussin rouge à pois blancs. Tout l’intérêt réside dans le mouvement qui nous fait pénétrer dans la pièce grâce à un savant travelling: sur la poignée de la porte se pose une main. On aperçoit alors un chemisier rouge à pois blancs qui, en faisant écho au coussin, aspire le lecteur vers la boîte mystérieuse. Progressivement, l’espace va être envahi par cette présence humaine. Parallèlement, Yvette se cache, se montre, bref, fait le chat, sans jamais quitter son refuge. Le texte rythme le jeu (« Yvette, je vois tes oreilles », « Yvette, je vois ton dos »), jusqu’au silence, qui inquiète délicieusement: « Yvette, je n’entends plus rien. Tu dors? » Le carton disparaît pour laisser place à la belle révélation finale qui explique la réticence d’Yvette à sortir de sa cachette. Tout est doux, serein, naturel : la complicité entre l’homme et l’animal (qu’on devine dès la couverture), la joie de la naissance. Les illustrations rappellent, par leur lisibilité et leur charme, celles de Nathalie Parain (dont le premier ouvrage s’intitulait d’ailleurs Mon chat): la filiation est flatteuse!

PS: il est possible de feuilleter (en partie) le livre sur le site de l’éditeur

 

Elle s’appelait Camille

Elle s’appelait Camille
Lucie Galand
Didier Jeunesse, 2019

A la fin de cet été-là, je n’étais plus un enfant

Par Christine Moulin

Les premières pages laissent craindre qu’on ait affaire à ce qui, décidément, ne cesse de se déclarer comme un poncif en littérature jeunesse: les vacances imposées par les parents, qui s’annoncent désastreuses. Heureusement, tout s’arrange: Elle s’appelait Camille se révèle en fait un roman fantastique (puisqu’il y est question de fantômes) qui fait la part belle à l’analyse psychologique (puisqu’il s’agit en fait de la lourdeur d’une secrète culpabilité, mais aussi des relations tendues entre le narrateur, introverti et sensible, et son frère, « grande gueule » mais fragile). L’écriture sait créer le suspens avec, notamment, des chutes de chapitres qui n’ont rien de nouveau mais qui savent être aussi efficaces qu’une série américaine: « A ce moment-là, je suis véritablement qu’il se passait quelque chose, une certitude physique, urgente. J’ignorais, en revanche, à quel point cette lumière changerait ma vie. Plus rien ne serait comme avant. » (p.24). Finalement, le défaut qu’on pourrait trouver à ce roman, c’est qu’il laisse quelque peu le lecteur sur sa faim: on aurait aimé qu’il nous en raconte davantage. Il y a pire, comme reproche, non?

 

Evill

Evill, Le destin des Proscrits
Taï-Marc Le Thanh
Romans Didier Jeunesse, 2019

 Diablo 

Par Christine Moulin

[attention, il m’a été impossible de ne pas divulgâcher certains éléments…] Evill est une forme de roman de fantasy qui se déroule presque entièrement outre-tombe, ou plus exactement dans ce no man’s land situé entre le monde des défunts, Esiris, et la Terre des vivants. Les protagonistes en sont des Proscrits (ainsi que l’indique le sous-titre du -sans aucun doute- premier tome de la série): ils ont au dernier moment refusé d’entrer dans ce qui se présentait pourtant comme un Paradis, Esiris donc, et mènent une « vie » harassante où ils sont poursuivis par les Dieux de ce royaume. Parmi ces Proscrits, Evill, le bien nommé (on verra ses rapports avec le Mal), semble avoir un destin unique et privilégié: sinon, ce ne serait pas le héros… Et sans surprise, il doit, ni plus ni moins, sauver le monde. Cela dit, les indices sur son identité sont savamment dispersés tout au long du roman, aiguisant notre intérêt.

Cette trame finalement assez classique se déroule dans un univers surprenant qui a ses lois propres que l’auteur met bien en place: comment les non-morts qui ne sont pas vivants peuvent-ils interagir avec les objets, les êtres de notre planète? Quels sont leurs pouvoirs? Quelle vie sociale peuvent-ils avoir? A cette dernière question, la réponse est plaisante: on retrouve le groupe de copains, un grand classique du roman d’aventures en littérature de jeunesse, mais légèrement modifiée (n’en disons pas plus…). On songe à la troupe qu’a créée Stephen KIng dans sa saga de La Tour sombre: c’est dire que les sentiments sont forts et permettent au lecteur de s’attacher à la petite bande, dont le destin de chaque membre est original et distillé au cours des chapitres.

A cela s’ajoutent deux atouts. Le premier est un mélange des tons et des genres bien venu: se mêlent dans cette histoire fantastique, horreur même, humour, romance, roman familial, roman sur l’adolescence, aventures de super-héros, émotion (le personnage de Chien n’y est pas pour rien!). Le deuxième atout est une action endiablée. Parfois même un peu trop: une bonne partie du récit se résume à des poursuites et des combats dont la narration est vraiment construite à l’image d’un jeu vidéo (la confrontation finale ressemble furieusement à la dernière « instance » où l’on affronte « le boss »). Paradoxalement, cela devient quelquefois un peu monotone.

On peut regretter une écriture parfois abrupte: les révélations ou les précisions qui assurent la cohérence et la « vraisemblance » de l’univers créé par l’auteur sont souvent données in extremis, au fil de la plume. On voit presque les « ficelles » de ce dernier et cela « sort » un peu de l’illusion. Par ailleurs, étant donné le sujet (la vie après la mort, rien de moins, quand même), on aurait aimé que les considérations métaphysiques viennent un peu plus vite et soient peut-être un peu plus « denses ». Il n’en reste pas moins qu’Evill est un roman qui peut sûrement plaire à ceux qui délaisseraient pour quelque temps leur console: ça « dépote ».

Journal d’un amnésique

Journal d’un amnésique
Nathalie Somers
Didier jeunesse, 2019

En immersion

Par Christine Moulin

Il n’aura échappé à personne que les amnésies totales sont plus fréquentes dans les romans et les séries que dans la réalité. Voici donc, encore une fois, le récit, sous forme de journal intime, d’un adolescent, Romain, qui a été retrouvé inconscient dans un couloir de son lycée et qui se réveille sans plus rien savoir de son passé.

La narration est habile: comme le veut le genre, le lecteur partage les angoisses du personnage et ses vains efforts pour évoquer quelques souvenirs. Et comme souvent, des indices dérangeants, qui soulèvent beaucoup de questions, sont distillés tout au long des pages: pourquoi son portable a-t-il disparu? Pourquoi l’atmosphère est-elle si pesante chez Romain? Pourquoi ses parents semblent-ils lui cacher des éléments de sa vie d’avant? Qui était vraiment Romain? Celui qui écrit ou un autre, moins « cool », plus renfermé (interrogation que résument assez bien ces quelques lignes de la page 34: « Je me rends compte que je viens d’écrire un truc complètement idiot. Qu’est-ce que ça veut dire « si j’étais quelqu’un d’autre » puisque je ne sais pas qui je suis? »)?

Ce sont ces  incertitudes sur l’identité qui font l’intérêt majeur du roman: finalement, l’amnésie de Romain, la seconde chance qu’elle lui propose, semblent en quelque sorte la métaphore de ce qu’exige l’adolescence, la lutte pour l’indépendance et la nécessaire affirmation de soi: il faut notamment apprendre à dire « non » quand c’est non, mais aussi tenter de se connaître et de se définir autrement qu’à travers le regard et le désir des autres.

Il est dommage que cette justesse dans l’enjeu de la quête de Romain ne se retrouve pas complètement dans la construction des personnages, un peu trop caricaturaux et stéréotypés parfois. Mais cela ne nuit pas à l’intérêt du roman, solidement construit pour faire durer le suspens et pour faire en sorte que le lecteur s’attache et s’identifie au héros.

 

Noun et Boby

Noun et Boby
Praline Gay-Parra, Lauranne Quentric (ill.)
Didier Jeunesse, 2019

Sans mièvrerie

Par Christine Moulin

Il y a récit de quête et récit de quête. Dans la littérature de jeunesse, les parcours et les arrivées sont parfois stéréotypés et un peu mièvres. Rien de tout cela avec cet ouvrage au titre pourtant neutre. Le cadre fait la différence: un petit garçon, Noun, est seul, ou presque, dans une ville toute grise désertée, dévastée, par une guerre sans doute: les papiers collés qui la représentent en font un lieu fantomatique et oppressant. Le point de départ est également original et émouvant: Noun part à la recherche d’un chien, Boby, qu’une de ses voisines a abandonné, en s’enfuyant dans un taxi. Au cours de son périple, il est amené à sauver d’autres animaux que Boby: un  oiseau, qu’on peut voir comme un symbole de liberté, une chatte et ses petits, qui indique que la vie continue et qu’une renaissance est possible, au milieu du désastre. Tous les éléments qui peuvent signifier l’espérance sont dessinés et se détachent sur le décor, en particulier Noun, vêtu de rouge, qui souligne combien il est porteur d’une énergie généreuse qui l’emporte sur la pesanteur de la catastrophe. L’avant-dernière double page, par contraste avec les autres, est une explosion de couleurs et ouvre vers un lieu enfin accueillant, où se trouvent de nombreux animaux et… Boby, dont le collier rouge évoque le lien indéfectible avec son nouveau maître. La dernière double page est une merveille de tendresse apaisée. Heureusement car on aurait pu interpréter la descente de Noun vers le paradis des animaux dans un sens beaucoup plus tragique.

Cendrillon ou la Belle au soulier d’or

Cendrillon ou la Belle au soulier d’or
Jean-Jacques Fdida, Delphine Jacquot (ill.)
Didier Jeunesse, 2013

Un conte que l’on croit connaître…

Par Christine Moulin

L’enchantement commence dès le prologue, trop long à reproduire ici, mais magique, autant que l’épilogue qui lui fait écho… Il se poursuit quand on découvre les splendides illustrations de Delphine Jacquot, dont le réalisme onirique provoque l’émotion et parle au cœur. L’enchantement perdure quand résonne la voix du conteur, à l’écriture précise, évocatrice, qui semble venue de très loin et pourtant nous parle à l’oreille: « Un homme vivait en grand bonheur avec son épouse ». Quelle belle variation sur les incipits qui évoquent le bonheur pour mieux le faire cesser! L’histoire, on la connaît mais la voici superbement renouvelée.
Les mots en sont à la fois familiers et étranges: « Quand Cendrillon allait au pré, la mauvaise lui donnait juste un doigt de bouillon froid, trois grains d’orge, un croustillon de pain et la maudissait: « Tiens, étrangle-toi avec » ». Les assonances, sans être pesantes, bercent le lecteur d’un chant envoûtant: « Cendrillon a remercié et a couru frotter les cornes de la vachette en rêvant de pains dorés et de bolées de lait ».
Les variantes réveillent l’intérêt. Ainsi, l’aide pour les tâches impossibles imposées à Cendrillon par sa belle-mère est fournie à Cendrillon par sa mère, dont la voix monte « de dessous la sépulture », et par une vache, la roussette aux cornes dorées, que condamne bientôt la méchanceté de la marâtre et de sa fille. « Cendouillon » sera également aidée, plus classiquement, par des « serins et passereaux », mais aussi par un arbre, qui saura l’enrober « d’une parure de fée », pour lui permettre d’aller non pas au bal, mais à la messe, et ce par trois fois, comme le réclame la loi des contes. Les robes de Cendrillon, comme celles de Peau d’Âne, sont autant d’hymnes à la nature et aux éléments car en la première, « se paysageaient montagnes, prairies et vallées, avec mille animaux venant y gambader », la deuxième « semblait d’océan, rivages et poissons frétillants ». Quant à la troisième, « on ne savait si elle était faite de linges ou de nuées, tout en courants d’air, volutes azurées, et mirages de ciel où des oiseaux de paradis venaient virevolter ». Le soulier n’est pas oublié! Afin de le passer au pied de Cendrillon, le conteur opte pour un moyen radical et terrible de se débarrasser de la marâtre et de sa fille, qui finissent ébouillantées, pendant que Cendrillon tend au prince une noisette dont tous deux cassent la coque et mangent l’amande…

Ainsi renouvelé, le conte parle de deuil, de consolation, de résilience:  pour renaître, il faut savoir faire confiance en la puissance du temps qui passe ( » Le temps passa alors comme un jour sans pain, Puis survinrent les termes du destin ») et des forces de vie.

Dans la même collectionLa Barbe Bleue ou conte de l’oiseau d’ourdi, Le Petit Chaperon Rouge ou la petite fille aux habits de fer blanc, La Belle au bois dormant ou songe de la vive ensommeillée.

 

Le chien que Nino n’avait pas

Le chien que Nino n’avait pas
Edward van de Vendel, Anton Van Hertbruggen (ill.)
Marie Hooghe (trad.)

Didier Jeunesse, 2014

L’autre chien invisible

Par Christine Moulin

On l’a déjà noté, le thème des amis imaginaires est fréquemment traité en littérature de jeunesse, à tel point qu’un site comme Babelio a pu en dresser une bibliographie fournie. Le chien que Nino n’avait pas vient brillamment s’ajouter à cette liste. Tout est émouvant dans cet album: la présence fantomatique et pourtant si pleine de vie du chien de Nino, dans l’illustration, l’incessante répétition dans le texte de l’expression « le chien que Ninon n’avait pas », tout aussi paradoxale; en soulignant l’absence (ou plus exactement, la non existence) de l’animal, elle sature douloureusement le texte de désir et de rêve. Mais plus émouvante encore, et originale, c’est l’explication que l’on peut deviner de la nécessité pour Nino de se créer ce compagnon: « Le chien que Nino n’avait pas entendait tout ce que Nino entendait. Au téléphone. Avec Papa. Qui appelait d’un pays très, très lointain » (l’image montre un soldat ou un pilote en perdition).

Mais ce qui fait la magnifique spécificité de l’album, c’est que brusquement, en son milieu, le chien invisible disparaît au profit d’un chien réel, « le chien que Nino a maintenant » et évoque alors la belle acceptation de l’amour véritable: « Le chien que Nino a maintenant n’aime pas le lac […]. Il préfère creuser dans le sable. C’est bien aussi ». Ce qui n’empêche pas les rêves, heureusement, comme le suggère la fin…