Le Cercueil à roulettes

Le Cercueil à roulettes
Alexandre Chardin
Casterman 2020

Fils des mères encore vivantes, n’oubliez plus que vos mères sont mortelles (Albert Cohen)

Par Michel Driol

La mère de Gabriel décède des suites d’une longue maladie. Elle a émis le souhait d’être enterrée à côté de son mari, le père de Gabriel. Or ce dernier, homme que Gabriel détestait, les avait quittés et l’adolescent ne supporte pas de voir sa mère enterrée à côté de son père. Il prend alors une décision assez folle : exhumer le cercueil, le mettre dans une petite voiture à roulette, et chercher le meilleur endroit pour y laisser reposer sa mère.

Le roman se découpe en deux parties : le décès de la mère et ses conséquences sur Gabriel, qui a perdu ses repères, et navigue entre son ancienne maison, sa tante et une amie de sa mère, qui font de leur mieux pour l’épauler. Puis la seconde partie, road movie dans lequel Gabriel descend vers le sud, sur un parcours géographiquement assez bien inscrit entre Avallon et Digoin. Ce qui frappe d’abord dans ce roman, c’est le personnage même de Gabriel, son évolution, et le lien qu’il entretient avec sa mère, à laquelle il parle sans cesse, la façon dont s’entremêlent colère et tristesse. Il n’est pas indifférent que l’auteur ait fait le choix d’un récit au présent à la première personne : façon de mieux faire entrer le lecteur dans l’intimité, les sentiments, les réactions, le point de vue de son héros, de permettre de mieux le comprendre sans le juger.  Ce qui frappe ensuite, c’est l’extraordinaire bienveillance et humanité de la plupart des personnages adultes que rencontre Gabriel. Cela va d’un gendarme à un curé, d’un paysan à un immigré, d’un fossoyeur à un patron de friterie au bord de la route. Pour tous, faire preuve de fraternité et de solidarité, venir à aide à ce garçon mutique, qui cache son secret apparait comme une évidence, tout en respectant ses silences.

Pourtant, le sujet est difficile, et on peut concevoir que quelques lecteurs seront choqués par l’acte assez inouï – et illégal – de Gabriel. Pour autant, grâce à l’écriture d’Alexandre Chardin, il n’y a rien de morbide ou de glauque dans ce roman d’amour filial qui a plutôt un côté lumineux dans la façon dont Gabriel accompagne sa mère, et est accompagné par tous ceux qu’il rencontre, dont il note le nom sur la voiture qui transporte le cercueil. Tout se déroule au sein d’une nature où l’on croise des traces de loups, où l’on attend la pluie, jusqu’à la destination finale, qu’on ne révélera pas ici, mais dont on dira qu’elle est hautement symbolique : à chacun de créer son propre chemin, unique, vers un lieu à la fois inconnu et familier. Façon de dire n’effacez pas nos traces, que c’est le chemin qui nous fait, et non nous qui faisons le chemin. On songe bien sûr à Machado :

Voyageur, le chemin
Ce sont les traces de tes pas
C’est tout ; voyageur,
Il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant

Tout à la fois réaliste et allégorique, voici un roman que l’on pourrait qualifier d’apprentissage plein d’humanité qui parle de deuil et d’amour filial.

 

Fatale Spirale

Fatale Spirale
Fabrice Vigne, Jean-Baptiste Bourgois (ill.)
Sarbacane, 2015

Adieu à 2015 : un programme pour 2016 ?

couv-Fatale-spiraleLe ton est au constat amer : l’irréparable s’est produit, et par contamination la ville, le pays, la planète entière ont basculé dans… la fraternité.

Fabrice Vigne inverse l’idée selon laquelle la violence engendre la violence et que «tôt ou tard l’ancienne violence engendre la violence neuve», comme le dit la phrase d’Eschyle placée en exergue au volume. Chaque double page montre une étape dans cette évolution scandaleuse qui inquiète les politiques et met en cause les valeurs traditionnelles de la France, « nation éternelle de la chamaillerie, du sarcasme, du mépris, du préjugé et de l’humeur massacrante ». Comme c’est vrai…

Haut les cœurs, et partageons l’optimisme de Fabrice Vigne qui cite Gramsci  : « le pessimisme de l’intelligence contre l’optimisme de la volonté », dans une page de son blog  datée du 9 novembre 2015, donc après le 7 janvier et juste avant le 13 novembre, à l’occasion d’une rencontre avec une classe dans un collège grenoblois. Oui, on le voit dans ses propos, les écrivains font partie des remparts contre l’obscurantisme, la bêtise et la violence qui en découle.

Fabrice Vigne est l’auteur de Les Giètes (Th. Magnier, 2007) et de TS (l’ampoule, 2003), magnifiques et a mené l’aventure éditoriale des éditions du Fond du tiroir jusqu’en novembre 2015.

Et vogue poulbot !

Et vogue poulbot !
Poèmes de Gaston Herbreteau, illustrations de David Roche
Soc & Foc

Paris est une fête

Par Michel Driol

etvogueOn aurait aimé lire et chroniquer cet ouvrage en d’autres temps, mais, quelques semaines après le 13 novembre, ce texte résonne sans doute différemment Voilà donc un recueil de poèmes, magnifiquement illustrés, qui se présente comme une déambulation dans le Paris populaire, qui commence par le « café au bar » » et qui se termine à une

Terrasse de café
lieu-cocon
seul parmi les autres
lire écrire
… le rêve !

Sur « Trois petites notes de musique », ces poèmes rendent  hommage au Paris populaire, au Paris des chansons. On croisera les figures de Brassens, de Mouloudji , mais aussi celles des hommes qu’ils ont évoqués,  bouquinistes, clowns, balayeurs, exclus et sans abris, tout en arpentant des lieux comme Montmartre, la rue Mouffetard, le pont des Arts, le canal Saint Martin, la Foire du Trône.  On y verra des objets et monuments emblématiques, fontaines Wallace, pyramide du Louvre, cadenas, zouave du Pont de l’Alma. Revient régulièrement le métro, comme lien ou trait d’union, et quelques animaux, chiens et chats… On pourrait se croire dans un Paris de carte postale, un Paris cliché, mais ce serait compter sans l’écriture et la portée – encore plus forte aujourd’hui – des valeurs de fraternité portées par cet hommage au Paris populaire et métissé.

Les textes alternent selon deux formes : formes très courtes, souvent 3 vers, souvent très proches, dans l’écriture et la notation de la sensation,  des haïkus :

Sortie de métro
il trimbale sa misère
sous ses oripeaux

Formes plus longues, qui évoquent – sans le pasticher – Prévert dans l’écriture par les reprises, les énumérations, et l’évocation du complexe, de la souffrance, du malheur, à travers des mots d’une simplicité totale :

Balayeur de rue
dans Paris perdu
sois ici cité
pense balayeur
pense en balayant
pense à ton passé….

Les illustrations – à base d’encre, d’aquarelle et de pastels, sont comme autant d’instantanés, pris sur le vif,  et, fort heureusement, ne cherchent pas à copier d’une manière ou d’une autre Poulbot. Si quelques-unes représentent les lieux, la majorité d’entre elles fait la part belle à l’humain : enfants, amoureux, garçons de café, musiciens des rues, vendeurs de marrons saisis en action…

Un livre hommage à une certaine conception de  Paris, qui repose autant sur la réalité que sur sa représentation dans la littérature et la chanson, signé par un poète vendéen et un illustrateur né en Corrèze. Une sorte de Paris éternel… Fluctuat nec mergitur.

En hommage à toutes les victimes du 13 novembre