Missak et Mélinée – Une histoire de l’affiche rouge

Missak et Mélinée – Une histoire de l’affiche rouge
Elise Fontenaille
Rouergue doado 2024

Prose pour se souvenir

Par Michel Driol

80 ans après l’exécution de Missak Manouchian, au moment de son entrée au Panthéon, Elise Fontenaille rend hommage, non seulement à Missak et Mélinée, mais aussi aux 23 fusillés du 21 février 1944, et, plus largement, à tous les résistants, dans un texte qui mêle subtilement fiction et documentaire biographique.

Le réel, il est bien là, dans le récit de la vie de Missak Manouchian, de son enfance marquée par le génocide arménien, qui fait qu’il se retrouve vite seul avec son frère ainé, dans un orphelinat syrien où il apprend le français et découvre la poésie. Puis c’est l’arrivée à Paris, où il devient un poète et intellectuel arménien, engagé, communiste, rêvant de retourner à Erevan. C’est enfin la guerre, l’entrée dans la Résistance où ses qualités humaines le conduisent à diriger le groupe FTP-MOI, constitué de résistants communistes d’origine étrangère. Le réel, c’est aussi l’histoire individuelle de quelques-uns des 23, c’est aussi la reproduction des lettres qu’ils écrivent à leurs proches, c’est aussi le récit de leur exécution documenté par le prêtre qui y assista, ainsi que par les trois photos prises par un soldat allemand. Le réel, c’est enfin la vie de Mélinée, les circonstances de l’écriture du poème d’Aragon, de sa mise en musique par Léo Ferré… et sa censure, à l’ORTF, jusqu’en 1982…

La fiction, elle est là, avec d’abord le récit (fantastique) qui encadre l’histoire de Missak et Mélinée. Récit dans lequel un adolescent, Jibril, marchant devant la fresque murale d’Artof Popof représentant Manouchian, est accueilli par Hermine qui lui offre à manger dans son restaurant arménien. C’est Hermine qui raconte ensuite l’histoire, explicitant les détails de la fresque. Mais le lendemain, le restaurant n’est qu’un rideau de fer rouillé… La fiction, elle est aussi là dans les dialogues, dans la construction littéraire des personnages de ce roman historique, afin de rendre plus sensibles les valeurs qu’ils incarnent, jusqu’à en mourir : le gout de la liberté, de la fraternité, le gout du beau et de la poésie, le refus de toutes les oppressions et de toute xénophobie.

En assumant aussi bien la dimension réaliste que la nécessité de la fiction, le texte sait s’adresser à des adolescents d’aujourd’hui en adoptant une grande variété de styles en fonction des époques relatées. L’enthousiasme de la jeunesse, ses aspirations, marqués par des phrases exclamatives, pleines de vie, entrecoupées de poèmes bien choisis de Villon, Hugo, Baudelaire… Puis la guerre, les actes de résistance, relatés en des phrases plus sobres, comme une façon de constater, de dire sans effet de style le courage et les dangers, puis de raconter, sans emphase, sans pathos, l’exécution des 23 résistants. A ce moment-là, la poésie a disparu, pour revenir à la fin avec le poème d’Aragon.

Texte essentiel pour l’autrice qui explicite les raisons très familiales qu’elle a eu à l’écrire, elle qui est issue d’une famille de résistants. Par-là, le texte assume bien toute une fonction de la littérature, de jeunesse en particulier – qui est celle de la transmission. Transmission d’une génération à une autre, transmission qui passe par les mots. Et ce n’est pas pour rien qu’on trouve la figure d’Hermine comme passeuse qui raconte cette histoire, dans une véritable mise en abyme, et que Jibril à son tour se met à écrire.

Faut-il enfin souligner l’actualité et la nécessité de ce texte, en ce début 2024, au-delà des effets d’anniversaire, dire à quel point il montre bien que ceux que l’affiche rouge présentait comme des terroristes étrangers étaient en fait plus français que bien d’autres, en ayant épousé les valeurs qui nous font vivre ensemble ? On laissera à Missak la conclusion de cette chronique :

Vous avez hérité de la nationalité française. Nous, nous l’avons méritée…

Dans la gueule du loup

Dans la gueule du loup
Michal Morpurgo – Barroux (illustrations)
Gallimard Jeunesse 2018

Le Partisan

Par Michel Driol

On vient de fêter les 90 ans de Francis au village du Pouget. Durant la nuit, rythmée par les hululements d’un petit-duc et les coups d’une cloche fêlée, il se remémore sa vie. Ses rapports avec son jeune frère, qui, au début de la seconde guerre mondiale, s’engage dans la Royal Air Force, et meurt dans un accident d’avion. Sa décision alors, lui le pacifiste, objecteur de conscience, de s’engager contre ses convictions, et de se jeter dans la gueule du loup comme espion britannique, résistant en France occupée.

Une histoire vraie, dit le sous-titre. L’histoire de Francis et Pieter Cammaerts, les deux oncles maternels de l’auteur. C’est dire ce que représente ce récit pour son auteur, sans doute le plus personnel qu’il ait écrit. Sa réussite tient à la façon dont il retrace la vie de son oncle, à la première personne, comme s’identifiant à lui qui revoit les épisodes importants de sa vie défiler.  La sobriété et la pudeur du récit n’excluent pas la sensibilité et émotion, en particulier parce que Francis s’adresse chapitre après chapitre à son père, à Pieter, ou à ses autres compagnons de lutte, d’autres résistants et résistantes qui parfois ont payé de leur vie leur engagement. Il s’étonne d’être parvenu à 90 ans et leur rend hommage, incluant dans cet hommage les plus anonymes, en particulier les femmes. Ce dispositif narratif qui mêle le passé et le présent, les vivants et les morts, est d’une grande force et contribue à donner de l’épaisseur humaine au héros. Tout autant que la précision des souvenirs, des actions conduites par Francis, ce qui frappe ce sont les valeurs qui animent ses engagements. Valeurs humanistes, courage, amour : le roman fait le portrait en action d’un héros de notre temps, d’un enseignant, d’un pacifiste convaincu qui se jette dans l’action clandestine afin que la mort de son frère ne soit pas inutile.

Les illustrations de Barroux, « avec [ses] propres armes, la ligne et la lumière », du noir, du blanc et du gris, donnent une réelle intensité dramatique aux scènes représentées, mais se concentrent aussi sur les visages, les joies, les peurs, les angoisses.

Un cahier documentaire, illustré des photographies des personnages, complète le récit.

Un récit particulièrement émouvant dans sa simplicité, pour rendre hommage à la vie d’un héros de la Seconde Guerre mondiale, le replacer dans son milieu familial, qui est aussi celui de l’auteur, à travers ses identités successives de frère, père, professeur et espion, et permettant à tous de comprendre aujourd’hui ce que signifie le verbe « résister ».

Quand j’étais petite pendant la Seconde Guerre mondiale

Quand j’étais petite pendant la Seconde Guerre mondiale
Hélène Lasserre – Gilles Bonotaux
Saltimbanque 2023

Une fillette sous l’Occupation

Par Michel Driol

La narratrice a 8 ans lorsque la guerre éclate. Puis c’est l’exode, le retour à Paris, le froid et la faim, les tickets de rationnement, les Juifs qui sont emmenés au loin, les arrestations de résistants, l’école et les dictées, le court séjour chez les grands parents paysans en zone libre, et c’est la Libération, les bals populaires, et l’espoir d’un monde sans guerre.

Entre documentaire et récit, voici un album pour faire découvrir la vie quotidienne d’une fillette entre 1939 et 1945. Ecrit dans une langue simple, avec quelques tournures enfantines, le texte est très précis et très documenté pour rendre sensible aussi bien les conditions de vie que les pensées, l’état d’esprit, les sentiments et les émotions de la narratrice. On est dans une famille parisienne, avec deux enfants, famille sans doute aisée au vu de quelques indices, les cadeaux de Noël de 1939, la possession d’une voiture, famille qui écoute la Radio Londres, sans que l’engagement dans la Résistance semble aller plus loin, mais famille participant à la construction des barricades en aout 45. Famille sans doute à l’image de ce qu’ont été nombre de familles durant cette période. Une autre qualité du texte est de s’adresser à de jeunes lecteurs de 2023, et donc de signaler ce qui a changé depuis, ce qui n’existait pas alors (pas d’internet, par exemple).

Les illustrations sont une merveille de réalisme et de précision. Traitées selon le principe de la ligne claire, elles présentent des détails très fouillés pour mieux donner à voir ce quotidien loin de nous. Elles savent utiliser aussi bien le contraste entre des parties colorées et d’autres laissées en noir et blanc pour mettre en évidence tel ou tel fait, et n’hésitent pas à citer des visuels d’époque (affiches sur les murs, affichages dans la classe, photos d’actualité au cinéma).

Un album documentaire réussi pour faire pénétrer, à hauteur d’enfant, dans ces années noires… et ne pas oublier que d’autres enfants, aujourd’hui, vivent les mêmes choses.

La guerre de Catherine

La guerre de Catherine
Julia Billet
Ecole des Loisirs, 2012

Jeux de reflets

Par Christine Moulin

guerre-de-catherineEncore un livre de littérature pour la jeunesse consacré à la Shoah? Certes. Mais on pourrait répondre qu’il n’y en a peut-être jamais trop, surtout au moment où les programmes du secondaire recommandent de consacrer quatre heures au maximum à l’enseignement de la Seconde Guerre mondiale (on peut y ajouter quelques poignées de minutes, il est vrai, à travers le thème « La France dans la guerre »…). On pourrait répondre aussi que ce roman adopte un point de vue original: celui d’une jeune fille passionnée de photographie qui utilise son appareil comme un peintre son pinceau, pour exprimer et provoquer des émotions mais aussi pour mettre un peu de distance entre elle et le monde tel qu’il est devenu, dans l’errance qui lui est imposée, ponctuée de deuils et de dénonciations. Pour témoigner aussi, comme chaque fois qu’il est question de la Shoah. On pourrait répondre enfin que pour cet ouvrage, comme pour beaucoup d’autres, l’étiquette « littérature de jeunesse » perd complètement de sa pertinence.

D’ailleurs, le début, un peu lent, pourrait rebuter certains jeunes lecteurs pressés même s’il va passionner les pédagogues: on y voit la vie à la Maison de Sèvres, où se déploie un enseignement inspiré des « pédagogies » que, quelques soixante-dix ans plus tard, on appelle encore « nouvelles », celles des Decroly et autres Freinet. Puis, après le coup de tonnerre qui oblige Catherine, alias Rachel, à s’enfuir, on la suit à travers la France: à chaque fois, alors qu’elle pourrait être perdue, elle trouve des Justes, des anonymes dont elle garde la trace sur la pellicule et à travers les mots, pour la sauver. Elle, et une petite fille, dont la fragilité l’émeut, mais qu’elle a, bizarrement, beaucoup de mal à photographier, comme si elle n’arrivait pas à la « fixer ». Rachel subit, supporte, s’attache, s’arrache, grandit, mûrit, aime.

A la fin du livre, qui s’est inspiré, on ne le sait qu’à la fin, à travers la postface, de la vie de la mère de l’auteur, c’est une jeune femme et une artiste qui s’est frayée un chemin à travers les souffrances de la guerre. Elle nous a laissé de beaux portraits, des paysages, des instantanés, des jeux de lumière, d’ombres et de reflets qui, tous, mieux que des textes plus lourdement didactiques, remplissent leur rôle éprouvant et émouvant de témoins.

le prisonnier

Le prisonnier
Robert Muchamore
Casterman, 2012

Aventures et espionnage  au cœur de la seconde guerre mondiale

Par Maryse Vuillermet

 

henderson-s-boys,tome-5---le-prisonnier-imageVoilà un roman d’aventures dans la tradition des héros de notre jeunesse. Pendant la seconde guerre mondiale en 42,   le héros Marc Kilgour, quatorze ans,  est prisonnier  dans un camp en Allemagne.   Maltraité par les gardes, il réussit à s’enfuir et tente de rejoindre le groupe de ses camarades du Cherub. ( Cherubin est un département ultra secret des services d’espionnage britanniques formé de jeunes de 10 à 17 ans.  Comme ces espions sont des enfants, ils sont insoupçonnables. )  Il côtoie les horreurs de  l’occupation allemande en France, participe aux  parachutages anglais, à la Résistance,  y compris celle des religieuse normandes de l’orphelinat. La guerre et ses dangers  forment un merveilleux  et tragique terrain d’aventures. Le héros Marc, rompu  à toutes les techniques d’espionnage,  est un des meilleurs agents du grand espion Charles Henderson, il est  orphelin,  habile, audacieux, il a tellement d’ennemis qui le traquent que le lecteur est constamment inquiet pour lui et s’attache fortement à ce jeune courageux.

 

Une très agréable lecture !

La série Cherub est une très bonne idée, et connait un immense succès. Elle met en scène d’autres jeunes espions, James Adam  qui commence ses missions à 12 ans et qu’on retrouve dans d’autres affaires et contextes à treize ans,  puis quatorze ans,  puis avec sa sœur Lauren.  Pour que les jeunes soient dans l’ambiance,  une communauté Cherub a été constituée, elle propose des concours des missions, on s’y croirait :    www.cherubcampus.fr .

 

A noter la sortie en poche  en octobre 2012 du tome 1 de Hendersons’boys, L’évasion

Un fantôme pas comme les autres

Un fantôme pas comme les autres
Métantropo
Océans Editions ados 2012

Quand les routes de l’Histoire se croisent   

Par Maryse Vuillermet

 


un fantômle pas comme les autres imageBlandine de Latour va mourir. Elle commence un récit qu’elle a tu jusque là, celui du fameux 10 juin 44 à Oradour-sur-Glane. C’est l’histoire bien connue de l’attaque sauvage du village par les Nazis.  Ces derniers regroupent tous les habitants dans l’église et y mettent le feu. Blandine, habitante de ce village, alors fillette de douze ans, ayant assisté à l’assassinat de son père par le cruel commandant Nazi, se cache dans les souterrains du château pour tenter de lui échapper.

Commence alors un deuxième récit ; le journal de Simon, garçon de douze ans qui vit une étrange aventure ; en plein cours d’Histoire, il s’endort et se rêve  à Oradour, ce jour-là,  dans le souterrain, en train d’essayer de sauver Blandine.

Le récit  se poursuit alors sur deux  époques et sur deux plans.  Les allers et retours  dans le temps sont pleins de surprise, l’histoire se termine joliment.

Un roman agréable, une manière originale et  fantaisiste de retracer cet épisode horrible de la seconde guerre mondiale