Le Nom secret de Kenbougoul Quichon

Le Nom secret de Kenbougoul Quichon
Anaïs Vaugelade
L’école des loisirs, 2022

Les Quichon au temps des pandémies

Par Anne-Marie Mercier

En 2022, même le monde enchanté de la famille Quichon est marqué par les préoccupations sanitaires : l’histoire des premiers jours de la jeune Kenbougoul, que lui raconte son papa, est celle d’un bébé né au milieu des virus. Ceux-ci, lit-on, ont sans doute été attirés par les propos trop louangeurs autour de l’adorable petite Claire. Le médecin, après avoir tout tenté pour la sauver, donne un dernier remède : inverser le sort et l’appeler Kenbougoul, ce qui signifie « personne n’en veut ». Ça marche : Eric Virus et Julie bactérie (très horribles à l’image) vexés, la quittent.
On retrouve ici des notions anthropologiques anciennes ou exotiques : trop louer la beauté d’un enfant porterait malheur. Mythes grecs, contes populaires, dieux jaloux, tout cela s’accorde avec l’idée qu’il faut taire son bonheur. Si la fin est heureuse, l’histoire est un peu angoissante, montrant la détresse d’une famille autour d’un berceau où un enfant souffre et va peut-être mourir. Mais tout cela est adouci par la tendresse du père et de toute la famille, les teintes chaudes des images et et le courage de la petite héroïne.

 

Génération K, t. 2

Génération K, t. 2
Marine Carteron
Rouergue (epik), 2017

Une sauce qui « prend »

Par Anne-Marie Mercier

J’avais un émis des réserves sur le premier volume de cette série, pourtant élu « meilleur roman jeunesse 2016 par la rédaction de Lire (voir ma chronique sur lietje). Si les causes restent (mélange de sujets à la mode, efficacité liée à des techniques narratives plus qu’à l’intérêt que l’on pourrait porter aux personnages, héros parfois caricaturaux…), cette sauce prend mieux dans le deuxième tome où les personnages se font plus nombreux, plus fouillés (même Ka a des moments intéressants, lorsqu’il est question du pouvoir de la musique). Comme ils sont en relation étroite, la narration alternée est encore plus efficace et le suspens permanent.
On retrouve les thématiques du réveil du vampire, des races élues, des « pouvoirs » surnaturels alloués aux héros, d’un complot planétaire organisé par des savants cupides et fous, tout cela dans un déchainement de violence ponctué par des moments musicaux tendance « metal ».
Les précisions qui entourent la stratégie d’un laboratoire pharmaceutique pour vendre (très cher) un vaccin après avoir provoqué une épidémie sont intéressantes et évoquent quelques scandales récents. Ce projet, qui vise par des manipulations génétiques à éliminer 99% de la population mondiale pour ne garder qu’une humanité « triée » (on devine dans quel sens) et par la suite augmentée avec de nouveaux gènes pose la question du transhumanisme aux héros : doivent-ils se soumettre à la volonté des pères pour régner avec eux ou les mettre à mort, quitte à se perdre eux-mêmes, pour sauver l’humanité ordinaire ? Les ados héros, surhommes malgré eux, refusent leur destin de cobayes et sèment la mort autour d’eux : le nouveau Dracula va avoir quelques difficultés! (la suite au tome 3, déjà paru, dont je parlerai très prochainement…).

 

 

 

 

Stéphane

U4. Stéphane
Vincent Willeminot

Nathan/Syros, 2015

U4 – La filière lyonnaise

Par Anne-Marie Mercier

Quatrième et dernière chronique à propos de U4.

Stéphane est à la fois le plus « ado » (au sens de dur, violent) et le plus enfantin de la série : ce paradoxe s’explique en partie par le fait que la narratrice et héroïne, Stéphane, n’a pas perdu toute sa famille dans l’épidémie, contrairement aux autres personnages et est même persuadée que tous sont en vie, quelque part : le père tout puissant aura réussi à les sauver. Ce père est un scientifique, un médecin qui travaillait au fameux laboratoire « P4 » de Lyon, chargé de la recherche sur les virus hautement dangereux ; il voyageait beaucoup, allait en « mission humanitaire », et transmettait à sa fille quand il la voyait (pas très souvent…) son savoir. La naïveté de Stéphane dure longtemps, comme son espoir de retrouver son père, forcément (selon elle) pas au courant de ce qui se passe, pas d’accord avec les violences de l’armée, et capable de tout arranger dès qu’elle l’aura retrouvé. La première partie du roman est fait de contrastes forts, entre la rencontre avec un garçon qu’elle aimera et avec qui elle essaie de sauver les animaux du parc de la Tête d’Or et le massacre qui les détruira, lui et les bêtes qu’il voulait sauver, et entre l’implication de Stéphane dans le travail de réorganisation voulue par les officiels et sa révolte et sa fuite avec Yannis et Jules.

On pourrait ajouter que la naïveté du roman découle du traitement du personnage  de Stéphane : du fait de sa filiation, elle est considérée comme savante, capable de travailler dans les hôpitaux de fortune. Il est vrai que, tous ceux qui étaient âgés de plus de dix-huit ans étant morts, ceux-ci sont dirigés par gens à peine plus qualifiés qu’elle, des étudiants de médecine de première année pour la plupart (on se demande comment tous les blessés ne sont pas morts et les talents de Stéphane, capable de réaliser une amputation laissent perplexe, mais bon, l’intérêt du livre n’est pas là – on attendait un peu plus de vraisemblance cependant).

L’intérêt du roman tient à la personnalité de l’adolescente, capable de dureté extrême, confiante dans l’autorité et pétrie des préjugés et illusions de sa classe, et à son détachement progressif de ses certitudes (sa rencontre avec Yannis, adolescent du quartier du Panier à Marseille, l’y aide).

Le trajet de Lyon à Paris reprend les éléments donnés par les trois autres romans, mais à travers son point de vue, assez différent de celui des autres du fait de sa situation particulière, que l’on a évoquée plus haut. La violence de Stéphane, physique et verbale, le rapport très distant avec le jeu Warriors of time qui réunit les protagonistes, la rencontre avec son père et le retour au réel qui s’ensuit le mettent un peu à part. Mais chacun de ces romans n’est-il pas d’une manière ou d’une autre « à part » des autres ? C’est la réussite de l’entreprise de U4.

U4

U4
collectif U4 : Yves Grevet, Florence Hinckel, Carole Trébor, Vincent Villeminot
Nathan / Syros, 2015

Phénoménal… et contagieux

Par Anne-Marie Mercier

u4Le projet de U4 est étonnant par sa nouveauté et son ambition : il s’est agi de faire écrire la même histoire par quatre auteurs différents qui se sont focalisés chacun sur l’un des protagonistes. Ce sont en fait quatre histoires différentes, car si des nœuds et des étapes cruciales les réunissent, tantôt par paires, tantôt tous ensemble, les héros sont séparés la plupart du temps. Chaque volume est écrit au présent et à la première personne et commence par le même prologue, daté du 1er novembre (veille du jour des morts) :

« cela fait dix jours que le filovirus méningé U4 (pour « Utrecht », la ville des Pays-Bas où il est apparu, et 4e génération) accomplit ses ravages. […] il tue quasiment sans exception et en quarante heures ceux qu’il infecte : état fébrile, migraines, asthénie, paralysies, suivies d’hémorragies brutales, toujours mortelles. Plus de 90% de la population mondiale ont été décimés. Les seuls survivants sont les adolescents. La nourriture et l’eau potable commencent à manquer, Internet est instable. L’électricité et les réseaux de communication menacent de s’éteindre. »

Les adeptes d’un jeu en ligne, Warriors of Time (WOT), ont reçu un message du maître de jeu, Khronos : « ensemble nous pouvons éviter la catastrophe en réécrivant le passé. Croyez en moi, croyez en vous et nous gagnerons contre notre ennemi le plus puissant : le virus. Rendez-vous le 24 décembre à minuit à Paris sous la plus vieille horloge de Paris ». Les quatre héros sont des « Experts » du jeu et leur rencontre dans la vie « réelle » de la fiction a le piquant de la surprise : ils se sont bien connus sous les traits d’avatars de super-héros et se voient alors tels qu’ils sont. Mais le réalisme s’arrête là : héros dans le jeu ils sont, héros dans la vie ils demeurent : petite démagogie auctoriale à l’adresse du public adolescent : on poursuit l’illusion, de l’identification du jeu aux livres.

Allez donc voir le trailer, qui rime avec Thriller…

Une vidéo très intéressante pour savoir comment les auteurs ont travaillé : https://www.facebook.com/LireEnLive/videos/vb.184559568289367/949623048449678/?type=2&theater

Et le 3 novembre dernier a paru Contagion, recueil de nouvelles écrites par les quatre auteurs, de 2 BD (de Marc Lizano, sur un scénario de Carole Trébor ; et de Pierre-Yves Cezard sur un scénario de Lylian) et 4 fan fictions par Claire Juge, De La Rauses, Clara Suchère, Sylvain Chaton, issues du concours de fan fiction lancé par les éditeurs.

Donc, le phénomène est contagieux, il se répand d’un livre à l’autre, d’un medium à l’autre…